L’enfant est comme un organe sensoriel

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L’enfant est comme un organe sensoriel

Pascal Patry praticien en psychothérapie, thérapeute et astropsychologue à Strasbourg 67000
Publié par Pascal Patry dans Anthroposophie · Samedi 05 Nov 2022
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L’enfant est comme un organe sensoriel

Lorsqu’une maman donne le sein à son bébé elle peut voir son petit corps tressaillir, souvent au moment même où le lait s’écoule dans sa bouche : l’enfant tout entier ressent, tout son corps est l’organe du goût.

Au cours des tou­tes premières années de vie du petit enfant, nous observons le même phénomène pour d’autres perceptions sensorielles.

Son corps entier se contracte, au moment où il entend ou voit tout à coup quelque chose ; même s’il ne se produit rien de grave, la conséquence d’une impression forte peut s’avérer énorme et déclencher une violente crise de larmes.

L’enfant perçoit aussi les états et mouvements intérieurs les plus subtils de son entourage [1].

Beaucoup de parents ont certainement remar­qué combien il est difficile de ne pas montrer devant ses propres enfants une contrariété pas­sagère.

Même si l’on cherche à cacher son irri­tation, les enfants la ressentent immédiatement et leur comportement change.

Ainsi, par exem­ple, il arriva la chose suivante à un père : il ren­trait chez lui après un incident très irritant auquel il avait dû participer malgré lui. Il avait à traverser la chambre dans laquelle se trouvait le lit de sa fille, âgée de trois mois.

Habituelle­ment, elle souriait quand il se penchait sur elle. Cette fois-ci, quand il ouvrit la porte, il était rempli de colère, mais avait décidé de la cacher et de faire comme à son habitude. Et lorsqu’il se pencha sur sa petite fille, celle-ci commença immédiatement à pleurer.

L'imitation chez l’enfant

Tout le monde sait que les enfants imitent ce qui se passe dans leur entourage.

Nous avons tous certainement observé comment les petits enfants imitent les gestes des adultes présents auprès d’eux : ils bougent la jambe, les mains et se raclent la gorge exactement comme eux.

Tout d’abord, l’imitation est tout à fait inno­cente. Elle devient progressivement plus cons­ciente et s’exprime alors pendant le jeu où les enfants répètent les scènes vécues dans le métro, la salle d’attente du médecin, au Jardin zoologique ou dans la famille.

Le besoin d’imiter est profondément ancré dans le petit enfant. Lorsque des adultes non com­préhensifs empêchent son expression, des con­séquences dangereuses peuvent en découler.

Le psychologue anglais J. A. Hadfield nous en rap­porte un exemple typique :

“En ce moment, j’ai en traitement un garçon de 14 ans d’un com­portement asocial, qui, lorsqu’il se trouve avec d’autres garçons à l’école, devient violent et fait souvent des crises de larmes. Le comportement de ce garçon est dû au fait qu’il fut continuel­lement empêché de faire ce qu’il aurait fait spontanément avec plaisir. Avant tout, on l’empêcha de faire la même chose que ses parents. Sa mère était du genre bouledogue. Elle ne tolérait aucun écart. Le garçon lui ressemblait. Ne voulant jamais abandonner ce qu’il voulait faire, il s’ensuivait un état de guerre et de révolution permanente. Lorsque, par exemple, sa mère était en train de planter des fleurs, elle lui ordonnait de quitter les plates-bandes ; il refusait, on le battait, et il commença à haïr sa mère d’abord, et tout le monde ensuite. On aurait pu facilement évi­ter cet état de choses si seulement sa mère lui avait permis de participer à ce qu’elle faisait en lui montrant comment on retourne la terre sans endommager les plantes ; il voulait sim­plement l’imiter.”

Hadfiels accorde une grande valeur à l’imita­tion : “Des anomalies se font jour spécialement quand les enfants copient les mauvais exem­ples de leurs parents. Des parents arrogants font des enfants arrogants.” (Childhood and adolescence - L’enfance et l’adolescence).

Pour l’enfant, l’imitation est aussi importante que la respiration : les perceptions sensibles sont inspirées, l’imitation suit comme une expiration.

Conséquences morales des impressions reçues au cours de l'enfance

Rudolf Steiner appelle “l’âge de l’imitation” la période qui va de la naissance à sept ans. Parlant à des éducateurs, il soulignait le fait que des rappels à l’ordre, des explications et autres sont de peu d’effet, comparés à ce qui se passe dans l’environnement immédiat de l’enfant. S’il se fait gronder, la colère contenue dans la voix de l’adulte l’impressionne bien plus pro­fondément que les mots qu’il dit. Rarement, Rudolf Steiner s’est exprimé aussi radicalement que dans sa conférence du 13 août 1924 :

“Ce qu’on dit à un enfant, ce qu’on lui enseigne, ne descend pas en lui. Ce qui se passe en fait, c’est que l’enfant vous imite dans votre façon de parler. Mais ce qui se prolonge en l’enfant intérieurement, c’est ce que vous êtes : si vous êtes bon, et que vous manifestez cette bonté dans vos attitudes ; si vous êtes méchant, ou coléreux, et que vous le manifestez visiblement dans vos gestes, bref, tout ce que vous faites vous-même, voilà qui est essentiel. L’enfant est tout entier organe sensoriel, il réagit à toutes les impressions que font naître en lui les êtres humains. Ce qui importe donc, c’est non pas de croire que l’enfant peut apprendre ce qui est bien et ce qui est mal, ou quoi que ce soit d’autre - ce qui importe, c’est de savoir que tout ce que l’on fait dans son voisinage se retrouve dans l’organisme de l’enfant, dans son esprit, dans son âme et dans son corps. La santé de toute sa vie dépendra de la façon dont on se comporte près de lui. Les tendances qu’il développera dépendent de ce comportement d’autrui.” (Rudolf Steiner : Connaissance de l'homme et art de l'éducation, Paris, 1 986).

À propos de quelques résultats de recherches psychiatriques

L’Anglais John Bowlby est un des pionniers dans le domaine de la psychiatrie infantile pour avoir analysé, pour le compte de l'Organisation Mondiale de la Santé, le rapport entre les conditions d’existence de l’enfant et son développement psychique.

En s’appuyant sur une documentation très fournie Bowlby arrive à la conclusion que - contrairement à ce que l’on admettait avant - la négligence du psychisme de l’enfant trouve son origine non pas dans la pauvreté matérielle, “une trop grande famille, ou de mauvaises conditions de logement ou à cause de l’activité professionnelle de la mère ou autres facteurs extérieurs”, mais dans l’attitude adoptée envers l’enfant.

Sa description des conditions dans lesquelles ont grandi les enfants concernés est souvent déprimante.

La négligence de la santé psychi­que de l'enfant — et tout enseignant le sait — est souvent un fait courant dans des familles aisées.

Les conséquences de la négligence du psychisme ont été vraiment éclairées par Bowlby. Il dit dans son rapport “quatre-vingts filles, délin­quantes âgées de 12 à 16 ans, ont été traitées psychologiquement pendant six ans.

Pour cin­quante pour cent d’entre elles, le traitement fut un succès… Le succès n’avait cependant aucun rapport avec l’intelligence ou des facteurs héré­ditaires. Par contre, le lien avec leurs conditions familiales antérieures était évident”.

D’après Bowlby, la pauvreté du sentiment, le manque d’amour au cours des premières années de la vie s’avèrent être aussi dévastateurs, tant psychiquement que biologiquement, que le rachitisme.

S’appuyant sur une série d’obser­vations très complètes, il démontre l’impor­tance fondamentale du fait qu’une seule et uni­que mère prenne soin de l’enfant pendant cette période.

Cette “figure de mère” n’a pas besoin d’être forcément la mère biologique. Bowlby affirme que l’amour de la mère revêt une impor­tance décisive pour le développement de l’en­fant.

L’Américaine Selma Fraiberg, psycholo­gue d’enfants, a consacré une grande partie de sa vie à l’étude des “diseases of non attachment”, des maladies dues à un manque d’atta­chement.

Dans son livre The magic years, par­ticulièrement humoristique et touchant, elle présente ses observations à partir de sa recher­che sur le développement de l’enfant dans les premières années de sa vie, qui se ramènent aux conclusions suivantes :

“Nous avons appris que les propriétés psychi­ques que nous appelons humaines ne font pas partie de ce qui est donné à l’enfant… Elles ne sont pas là d’instinct… et ne sont pas simple­ment acquises par maturation. Cet amour “humain” qui dépasse l’amour de soi est le pro­duit de la famille humaine et des liens de sen­timent noués à l’intérieur de la famille. L’intel­ligence humaine dépend très largement de la capacité d’appliquer des symboles ; avant tout, le langage humain n’est pas seulement le pro­duit du cerveau humain supérieur et de l’organe de la parole : il s’acquiert par les liens affectifs dès le plus jeune âge. Même la conscience qu’a l’homme de lui-même en tant qu’individu, le concept du “je”, l’identité personnelle, s’ac­quiert par le lien des sentiments entre parents et enfants. Le triomphe de l’homme sur sa nature instinctive, sa volonté de freiner ses pro­pres instincts, de leur imposer des limites, et même de les contrecarrer lorsqu’ils entrent en conflit avec des objectifs et des projets plus éle­vés, doit être appris et ne peut être appris autre­ment que par l’amour dans les premières années de développement. Et même la conscience morale, cette conquête supérieure du dévelop­pement culturel dans les progrès de la cons­cience de l’humanité, ne fait pas partie de notre équipement constitutif, mais est bien un pro­duit de l’amour et de l’éducation donnés par les parents”.

Effets physiologiques des impressions d’enfance

Les effets des impressions sensorielles dans la première enfance ne se manifestent pas seule­ment dans le domaine psychique. Ils s’étendent jusque dans le physique. Les exemples les plus frappants dans ce domaine sont particulière­ment visibles chez les enfants élevés par des ani­maux. Les “enfants-loups” de Midnapore, trou­vés en 1920 par le missionnaire indigène pro­testant J. A.L. Singh, étaient âgés à peu près de deux et de huit ans au moment de leur décou­verte et manifestaient un certain nombre de propriétés étranges :

“Les incisives étaient plus longues et pointues que la normale. Les enfants pouvaient s’accroupir sur le sol, mais étaient incapables de se tenir debout. Les articulations des genoux et des hanches ne s’y prêtaient pas… Les yeux avaient une forme presque ronde. Pendant la journée, il leur était difficile de garder les yeux ouverts contre le sommeil, mais la nuit, vers minuit, les yeux étaient grands ouverts et brillaient dans l’obscurité comme ceux des chats et des chiens. Ils voyaient beaucoup mieux la nuit. Les enfants prenaient la nourriture comme les chiens. Ils couchaient sur le sol, accroupis dans un coin. Ils ne manifes­taient aucune peur dans le noir, mais seulement face à la lumière et au feu”. (]. A.L. Singh : Die “Wolfskinder” von Midnapore - Les “enfants-loups” de Midnapore, Heidelberg, 1 964).

Les enfants ont été capturés et transportés à la mis­sion, où l’on comptait les élever avec soin et amour. La plus jeune des filles mourut un an après avoir été découverte, la plus âgée conti­nua à vivre encore neuf ans, apprit environ cin­quante mots et montrait vers la fin de sa vie des signes évidents d’intelligence et de facultés d’âme mûrissantes.

Un tel exemple émouvant montre bien l’impact des impressions sensorielles dans la première enfance sur la formation physique. Bien sûr, les particularités physiologiques qui sont les con­séquences de ce qui a été vécu dans la première enfance - elles ne sont justement pas liées à l’hérédité - seront moins évidentes chez les enfants élevés par les êtres humains, mais elles n’en existent pas moins. Rudolf Steiner souli­gne que les organes du corps physique reçoi­vent une forme déterminée jusqu’à l’âge de sept ans. “Plus tard aura lieu la croissance, mais ce sera, pour toutes les années ultérieures, en fonc­tion des formes qui seront constituées jusqu’à la septième année…

De même que la nature pourvoit avant la naissance à l’environnement nécessaire au corps physique, de même il incombe à l’éducateur, après la naissance, de pourvoir à l’environnement physique désirable.

Seul ce dernier permet aux organes physiques de l’enfant de revêtir les formes voulues…

Tout ce qui se passe dans son entourage, l’enfant l’imite ; et à imiter ainsi, ses organes physiques s'écoulent dans les formes qui leur resteront par la suite. Le terme d'"entourage physique" s’entend dans son sens le plus large.

Il implique non seulement tout ce qui se passe matériellement autour de l’enfant, mais tout ce qui se déroule dans son entourage, tout ce qui peut être perçu par ses sens, tout ce qui, à partir de l’espace physique, peut agir sur les forces de son esprit.

Dans cet ordre de faits se classent également toutes les actions morales ou immorales, sen­sées ou déraisonnables, dont l’enfant est témoin. L’œil sera doué d’une vue normale lors­que l’enfant aura autour de lui les couleurs et la lumière convenables ; et lorsque les activités dont l’enfant est témoin sont empreintes de moralité, alors se constituent dans le cerveau et la circulation du sang les aptitudes physiques à un sens moral sain.

Si l’enfant n’a sous les yeux avant sa septième année que des compor­tements déraisonnables, le cerveau prend des formes telles que dans la suite, il n’est propre qu’à des sottises (Rudolf Steiner : L'éducation de l'enfant à la lumière de la science spirituelle).

À une époque où l'importance de la première enfance n'avait pas encore été pleinement reconnue, les affirmations de Rudolf Steiner ont dû paraître tout à fait incroyables. La documentation très riche, collectée au cours des dernières décennies par des chercheurs et éducateurs, confirme aujourd'hui l'image de l'enfant, organe des sens" qu'il a donnée alors.

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Source : Éduquer vers la Liberté - La pédagogie Rudolf Steiner [2].

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Notes :

[1] - Les jeunes êtres humains, depuis leur naissance, sont de véritables antennes, capables de capter absolument toutes les informations psychologiques, toutes les modifications thymiques et affectives, ainsi que les moindres dysfonctionnements névrotiques ou comportementaux qui peuvent régner dans leur univers familial. Impossible d’échapper à leur perception ultra fine, à leur analyse de scanner, ils sentent tout et observent toutes les perturbations, même les plus subtiles.

La plupart du temps, leurs comportements difficiles, capricieux, agités, éternellement insatisfaits ou provocants, n’ont pas d’autres buts inconscients, que de détourner leurs parents de leur détresse, dépression plus ou moins larvée, mais également, des difficultés dans leur couple. Il semble toujours préférable pour leur inconscient d’attirer tous les regards, toutes les foudres sur eux, que de laisser leurs parents se concentrer sur leurs propres dilemmes (de couples par exemple), sur leur déprime passagère ou enkystée (symptômes névrotiques, angoisses, etc.).

Ces détournements laborieux ne sont pas moins de la part des enfants, de véritables « actes d’amour » maladroits, certes. Vus de l’extérieur, ils sont vécus comme autant de tentatives pour rendre la vie de leurs parents un peu plus difficile. Pourtant, ils n’ont qu’un but : celui d’alerter leurs parents sur un désordre psychique, affectif ou comportemental non décodé, n’hésitant pas à les pousser dans leurs retranchements, pour les forcer à leur donner des limites, si protectrices sur le plan de la construction psychique.

On le voit bien, le burn-out parental est un immense malentendu entre parents et enfants, chacun essayant d’apporter du bien aux autres, tout en s’y prenant mal ou en excès : perfectionnisme et agitation jusqu’à l’épuisement pour les parents (surtout les mères), défaitisme et perte de sens pour les pères, comportements capricieux, agités, éternellement insatisfaits, pour les enfants.

Loin d’être uniquement le signe d’une problématique impactant les parents et les enfants, le couple parental est lui aussi victime de ce désordre. Il doit être analysé subtilement lors des consultations, car il constitue bien souvent l’un des symptômes clés du dysfonctionnement global.

Les professionnels de l’aide psychologique, confrontés à ces parents souffrants, trouveront dans cet ouvrage et ce travail de synthèse admirable, des outils indispensables de diagnostic à la compréhension du burn-out parental, permettant ainsi d’apporter l’aide la plus adéquate aux parents comme aux enfants.

Liliane Holstein Psychanalyste

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Pascal Patry
Praticien en psychothérapie
Astropsychologue
Psychanalyste

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