La biographie de Rudolf Steiner à la lumière du Congrès de Noël
Publié par Pascal Patry dans Anthroposophie · Mardi 23 Jul 2024
Tags: La, biographie, de, Rudolf, Steiner, à, la, lumière, du, Congrès, de, Noël
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La biographie de Rudolf Steiner à la lumière du Congrès de NoëlLes hommes puissent-ils l’entendreSergej O. Prokofieff• Sa rencontre avec Michaël et le Christ• Les forces Ahrimaniennes• Le Congrès de Noël• La Pierre de FondationSi l’on considère la biographie de Rudolf Steiner dans son ensemble, on y observe une ascension continue qui n’était certes pas dépourvue de moments dramatiques ni de situations de crise, mais qui était constamment orientée vers une réalisation toujours plus parfaite des objectifs spirituels et pratiques que l’anthroposophie s’est proposés comme tâche.Le Congrès de Noël de 1923 et la Fondation de la Société Anthroposophique Universelle qui y est liée constituent sans aucun doute, dans ce contexte, l’apogée des vingt et un ans de développement de l’anthroposophie sur la Terre.« Ce fut la tentative la plus forte jamais entreprise par un éducateur de l’humanité, d’élever ses contemporains au-dessus de leur propre petit soi, d’éveiller en eux un vouloir conscient, de pouvoir devenir l’instrument de la sage conduite du monde » - c’est ainsi que Marie Steiner considérait cet événement en l’évoquant, et elle poursuivait : « Ce Congrès de Noël est pourtant, en même temps, lié à des événements infiniment tragiques » (GA 260, 1999, p. 20, Traduit). Cette dimension tragique se manifesta ultérieurement par la disparition prématurée de Rudolf Steiner du plan physique et par l’impossibilité de mener à bien tout ce dont avait été créée une base spirituelle puissante lors du Congrès de Noël.C’est même peut-être justement à cause de cette dimension profondément tragique à laquelle il est lié que le Congrès de Noël est devenu le mystère central du développement de l’anthroposophie sur le plan terrestre, tout son avenir ainsi que la possibilité de réaliser sa mission dans ce nouveau siècle dépendant aujourd’hui encore de la compréhension de ce mystère.Conscients du fait qu’une compréhension véritable du Congrès de Noël est fondamentale pour l’avenir de l’anthroposophie dans le monde actuel, nous allons tenter de considérer la vie de son fondateur à la lumière de cet événement.C’est l’un des aspects du Congrès de Noël qui pourra le mieux nous servir de point de départ dans une telle considération, car c’est à travers lui - et cette fois directement dans le domaine social - que se manifeste la mission principale de l’anthroposophie qui accompagne Rudolf Steiner comme un fil rouge toute sa vie durant.C’est ainsi qu’il a formulé cette mission au Congrès de Noël : « Nous devons être pleinement conscients que c’est précisément à notre Société qu’il va incomber d’allier le caractère public le plus grand pensable à un ésotérisme authentique véritable » (GA 260, 26 décembre 1923, 1999, p. 92 sq.).Si l’on considère à présent l’évolution de l’anthroposophie dans son ensemble sous l’angle de cette mission telle qu’elle avait été proposée aux membres de la Société Anthroposophique Universelle fondée lors du Congrès de Noël, il apparaît clairement que telle était précisément sa mission principale dans le monde actuel, dès le tout début. Cela est corroboré par le fait que Rudolf Steiner a choisi « science de l’esprit » comme deuxième dénomination de l’anthroposophie. La mission décrite précédemment est déjà formulée en son essence dans ce double nom. Car depuis le début de la cinquième période postatlantéenne, et particulièrement pendant le dernier siècle et demi, la science de la nature, et avec elle la pensée scientifique afférente, constitue la base de la civilisation exotérique actuelle. Tout ce qui, par contre, est en rapport avec l’esprit et, dans le sens anthroposophique, avec l’investigation du monde suprasensible, représente la teneur spécifique de tout véritable ésotérisme. L’association de ces deux mots, « science » et « esprit », dans la dénomination de l’anthroposophie comme science de l’esprit, permet de reconnaître directement la mission centrale qu’elle avait dès son origine : allier l’exotérisme (méthode de recherche scientifique) à l’ésotérisme (son élargissement au monde spirituel).C’est cette qualité essentielle de l’anthroposophie que Rudolf Steiner souligne dans la dernière préface du livre La science de l’occulte dans ses grandes lignes, écrite peu de mois avant sa mort. Si l’on considère que c’est justement ce livre qui contient « les grandes lignes de l’anthroposophie conçue comme un tout » (GA 13, p. 25), à savoir la seule introduction à l’anthroposophie qui soit exhaustive, l’explication énoncée dans la préface prend tout son sens, selon laquelle le contenu de ce livre est donné « sous forme de pensées prolongeant les pensées utilisées dans les sciences de la nature, et qui soient appropriées à la présentation du spirituel » (ibid. p 19). Ainsi, la mission centrale de la science de l’esprit consiste de nos jours à associer de façon harmonieuse l’ésotérisme et l’exotérisme, à savoir non seulement en concevant le monde spirituel sous un angle strictement scientifique, mais en comprenant également les résultats ésotériques (puisés dans les mondes suprasensibles) de la recherche anthroposophique de manière exotérique (par l’usage du bon sens).L’intention de Rudolf Steiner, à savoir la réalisation de cet objectif, n’est pas à vrai dire exclusivement liée à la période du développement de l’anthroposophie ; elle apparaît déjà bien avant dans sa vie. À titre d’exemple, son livre La philosophie de la liberté recèle déjà - même si ce n’est tout d’abord que sous forme de concept philosophique - une telle explication scientifiquement rigoureuse de la voie de la connaissance pouvant conduire à une expérience consciente même du monde spirituel objectif. Ce qui signifie que l’idée de l’union de l’exotérisme et de l’ésotérisme sur le plan de la connaissance était déjà à la base de ce livre majeur de Rudolf Steiner à l’époque dite pré-anthroposophique. Et c’est justement dans La philosophie de la liberté que se trouve l’énoncé classique et définitif de ce problème fondamental pour le développement ultérieur de l’anthroposophie sur la Terre.Si l’on fait un retour en arrière dans la vie de Rudolf Steiner, la question suivante se pose : A quel moment de son itinéraire biographique le problème évoqué apparaît-il pour la première fois ? Il est facile de trouver la réponse, Rudolf Steiner ayant lui-même indiqué dans son livre Autobiographie le moment où il a pris conscience de cette tâche pour la première fois. Cela se produisit lors de sa rencontre avec la géométrie.Pour bien comprendre toute la signification de cet événement dans la vie de Rudolf Steiner, il faut savoir que des facultés de clairvoyance se sont révélées chez lui de manière naturelle dès sa septième année (voir la conférence du 4 février 1913), de sorte qu’il put clairement discerner, à partir de cette période, « les choses et les entités "que l’on voit" et ceux "que l’on ne voit pas" » (GA 28, I, p. 29). Mais ce n’est qu’à travers ses rapports avec la géométrie qu’il découvrit, à l’âge de huit ans, que l’on peut non seulement percevoir le contenu spirituel que lui-même vivait dans le monde suprasensible, mais aussi le penser, et ce en catégories précises et conscientes, comparables à la géométrie. Ce que Rudolf Steiner mettait ultérieurement à la base de sa théorie de la connaissance, telle qu’elle est présentée dans La philosophie de la liberté, apparut tout d’abord devant son âme d’enfant lorsqu’il découvrit la géométrie : la nécessité d’unir dans le processus de la connaissance les deux éléments opposés que sont la perception et le concept. Oui, c’est à la suite d’un tel vécu de la géométrie, d’une part, et du monde spirituel, d’autre part, que cette tâche essentielle, évoquée plus haut, se révéla pour la première fois à Rudolf Steiner : à savoir la nécessité d’allier dans un processus vivant les connaissances de la science exotérique (ici, de la géométrie) et les perceptions ésotériques du monde spirituel. Il décrivit ultérieurement cette nouvelle situation de la façon suivante : « Je ne me le disais naturellement pas clairement en tant qu’enfant, mais je sentais que l’on devait porter en soi, tout comme la géométrie, la connaissance du monde spirituel. » Et un peu avant : « Je vois nécessairement dans ma relation avec la géométrie le premier germe d’une vision qui s’est peu à peu développée en moi » (GA 28, I, p. 28 sq., Traduit). Une telle « vision », qui aspire à relier harmonieusement le côté exotérique du monde, c’est-à-dire ce que tous les hommes « voient », et son côté ésotérique, ce qu’ils « ne voient pas », est de par sa nature déjà une vision purement anthroposophique du monde, et la présentation du problème constitue l’amorce du travail de Rudolf Steiner pour la naissance de l’anthroposophie sur la Terre. « Elle [cette vision] vivait déjà plus ou moins consciemment en moi lorsque j’étais enfant et prit forme de manière précise et pleinement consciente aux environs de ma vingtième année » (ibid., p. 29, Traduit).C’est à partir de sa quatorzième année qu’on peut particulièrement bien observer les étapes suivantes de ce cheminement dans la vie de Rudolf Steiner, lorsqu’il commença à se consacrer avec intensité à la philosophie : tout d’abord à Kant, puis aux autres philosophes allemands, et finalement à Fichte. Et c’est en prenant connaissance de l’œuvre de Fichte, qui plaçait le principe du « Je » au centre de sa philosophie, que Rudolf Steiner arriva peu à peu à la conviction, dans son évolution intérieure, que « c’est dans l’activité du "Je" humain que se trouve le seul point de départ possible pour une vraie connaissance » (GA 28, I, p. 61, sq.). Car la question fondamentale concernant l’union entre le concept et la perception dans le processus de la connaissance ne peut effectivement être résolue que par l’activité du « Je » individuel en tant que centre spirituel de l’être humain. Pour que cette activité ait lieu de manière consciente, il est nécessaire d’acquérir une vraie connaissance de ce Je, et ce non pas à partir de spéculations philosophiques comme chez Fichte, mais par une réelle observation suprasensible. Rudolf Steiner avait atteint ce degré d’expérience intérieure en 1879, si bien qu’il pouvait se dire : « Il y avait pour moi un monde d’êtres spirituels. Le "Je", qui est lui-même esprit et vit dans un monde d’esprits, était pour moi une vision directe » (GA 28, I, p. 62, Traduit). Ce n’est qu’après avoir reconnu l’essence spirituelle du « Je » comme entité suprasensible parmi d’autres entités suprasensibles qu’il put à partir de là entreprendre l’investigation des mondes supérieurs au moyen de la science de l’esprit, recherche qui devint ensuite pour lui l’essentiel de la période dite anthroposophique. Il a décrit comme suit cette orientation centrale de son cheminement intérieur : « Je travaillais désormais avec une prise de conscience toujours croissante à modeler en pensées la vision directe que j’avais du monde spirituel » (GA 28, I, p. 63, Traduit ; ital. R. Steiner).Il put ainsi, dès sa dix-huitième année, se fixer les tâches spirituelles suivantes à l’accomplissement desquelles il consacra toute sa vie :
1. Relier le caractère ésotérique et exotérique de la connaissance (« porter en soi le savoir du monde spirituel comme de la géométrie »).2. Accéder à la connaissance nécessaire de la réalité suprasensible du Je humain individuel en tant qu’« être spirituel parmi d’autres êtres spirituels » pour atteindre cet objectif,3. ce qui implique un accès pleinement conscient au monde spirituel (développement de la faculté de voir et de penser simultanément dans les mondes supérieurs), ou bien, ce qui revient au même, la révélation des secrets du seuil, de cette région particulière du monde suprasensible où le spirituel rencontre le physique-sensoriel, ou encore où l’ésotérisme rencontre l’exotérisme.
La tâche était ainsi fixée. Mais comment l’accomplir ? C’est alors que le destin (karma) vint en aide à Rudolf Steiner - mais seulement après qu’il eut lui-même, au moyen de sa propre force spirituelle, pris pleinement conscience de la mission de sa vie. Ce n’est qu’à partir de là qu’un événement put se manifester dans sa vie, conformément à l’impact d’une loi spirituelle bien précise, et qui est exprimée dans les paroles de l’Évangile « Frappez, on vous ouvrira » (Mt 7,7). Autrement dit : Rudolf Steiner frappait à la porte du vrai ésotérisme en formulant les tâches spirituelles énoncées précédemment. Et c’est de là que vint la réponse, sans détour, sous forme d’une rencontre avec son maître spirituel. « Je n’ai pas rencontré d’emblée le M. [Maître], mais tout d’abord un envoyé de lui » (in GA 262, Textes autobiographiques. Document de Barr, p. 116, Traduit). Cet « envoyé » était Félix Koguzki, ramasseur de simples, dont Rudolf Steiner fît la connaissance en automne 1 879 durant ses voyages quotidiens en train entre Inzersdorf et Vienne où il faisait ses études à l’École Supérieure Technique.Félix Koguzki possédait la faculté naturelle de clairvoyance qui lui permettait de reconnaître les vertus thérapeutiques des différentes plantes. Il fut la première personne à qui Rudolf Steiner pût parler ouvertement de son vécu suprasensible. Mais il ne put toutefois apporter de réponses aux questions majeures qui préoccupaient Rudolf Steiner à cette période. La quête de son jeune ami, qui cherchait à établir un lien entre la vision suprasensible et la pensée scientifique et claire, était pour lui totalement incompréhensible et étrangère. Et comme il n’était pas en mesure de répondre aux questions de plus en plus pressantes qui lui étaient posées, Félix Koguzki présenta Rudolf Steiner à l’individualité qui pouvait lui apporter ce qu’il cherchait.Il est important de bien comprendre la rencontre de Rudolf Steiner avec son maître spirituel (ésotérique). Car il ne s’agissait pas d’une rencontre entre un maître et un disciple telle qu’elle s’opère en général dans les différents courants occultes et qui est fondée sur la tradition orientale, laquelle implique que l’élève se soumette pleinement et sans conteste à la volonté du maître qui le guide. Ce qui se produisit ici était tout autre. Cette personnalité - dont le nom n’a jamais été mentionné - « s’est servie » au cours d’un nombre restreint de rencontres avec Rudolf Steiner « d’un moyen [...] permettant de stimuler, dans l’âme du jeune homme [Rudolf Steiner] lequel se tenait déjà dans le monde spirituel, les choses normales et systématiques que l’on doit connaître dans le monde spirituel » (GA 38, p. 35). En référence à certaines déclarations de Fichte, le maître spirituel montra des choses à son élève qui, après avoir opéré dans l’âme de ce dernier, aboutirent à la mise par écrit de La science de l’occulte (ibid.).Cette précision sur La science de l’occulte est importante, car Rudolf Steiner en a, par la suite, maintes fois évoqué le contenu dans ses conférences en le caractérisant de « théosophie du Rose-Croix » (voir GA 99). On peut donc en déduire que le maître spirituel qu’il avait rencontré était un maître rose-croix. Et ce que ce dernier avait donné à son élève était bien comparable aux indications fournies ultérieurement par Rudolf Steiner lui-même, par exemple dans son livre Comment parvient-on à des connaissances des mondes supérieurs ?, bien que ce lui fût transmis sous une forme plus intime et plus ésotérique.Ainsi, ce qui, avant la rencontre avec le maître spirituel, avait davantage consisté en une quête globale de réponses à des questions qui le préoccupaient, devint une quête ciblée, associée à une discipline occulte stricte et menée sur le terrain sûr de l’initiation chrétienne et rosicrucienne. Mais c’est seul que Rudolf Steiner devait suivre cette voie occulte. C’est pourquoi les contacts extérieurs avec le maître cessèrent rapidement. Rudolf Steiner « poursuivit », comme il le dit lui-même après avoir obtenu ce dont il avait besoin à cette époque, « sa propre voie » (GA 38, p. 36). Édouard Schuré expose dans ses mémoires que Rudolf Steiner lui avait dit un jour que son maître spirituel lui avait confié ces paroles : « Je t’ai montré qui tu es ; maintenant va - et reste toi-même ! » (Édouard Schuré, Introduction, dans : Rudolf Steiner, Le Mystère chrétien et les Mystères antiques [GA 8], Librairie académique Perrin, Paris, 1908, p. 18). Car tout ce à quoi Rudolf Steiner devait accéder dans son développement intérieur devait être fait, à l’époque actuelle de liberté, en toute autonomie, sans aucune aide extérieure. Cela était aussi nécessaire pour qu’il puisse dire ultérieurement, en tant que maître spirituel autonome : Ce que je peux communiquer du monde suprasensible ne provient d’aucune tradition occulte, quelle qu’elle soit, ni d’aucun maître spirituel quel qu’il soit, mais uniquement de mes propres recherches en science spirituelle. « Seul ce qui a été personnellement vécu dans ce sens sera présenté » (GA 9, p. 19, Traduit) - écrivit-il dans la préface de sa Théosophie. Et ces paroles sont valables également pour tous ses livres et conférences.Les paroles citées ci-dessus attestent à quel point les indications occultes du maître ont fait progresser Rudolf Steiner dans son propre développement occulte, à savoir que la « vision » qui s’était développée grâce à sa rencontre avec la géométrie prit une « tournure pleinement consciente » autour de sa vingtième année (GA 28, chap. I). Et dans un autre passage de son autobiographie, il parle de ses expériences spirituelles au seuil de sa vingt et unième année : « Mais je voyais bien un monde spirituel comme une réalité. L’individualité spirituelle de chaque personne se révélait à moi en toute clarté [...] Je suivais la personne décédée sur son chemin dans le monde spirituel » (GA 28, I, p. 68, Traduit ; ital. R. Steiner).La particularité de la rencontre de Rudolf Steiner avec son maître est qu’il a rencontré son envoyé pour la première fois en 1879, c’est-à-dire l’année même où commença une nouvelle époque de l’humanité sous la conduite de l’archange Michaël comme Esprit du temps. Cette époque apporta également pour l’archange Michaël une nouvelle expérience, car c’était la première fois après le Mystère du Golgotha qu’il devenait le guide de l’humanité.Il ressort des nombreuses descriptions du caractère et des particularités fondamentales de l’actuelle époque de Michaël que les tâches que Rudolf Steiner lui-même s’était déjà fixées avant la rencontre avec son maître correspondaient exactement aux objectifs que Michaël veut atteindre durant sa nouvelle période de régence : l’orientation de l’homme en pleine conscience vers le monde spirituel en alliant la spiritualité (l’ésotérisme) avec le principe intellectuel (l’exotérisme) sur la base du développement libre des forces du Je individuel orientées vers le spirituel.Rudolf Steiner présenta cela de la façon suivante après le Congrès de Noël : « Nous devons maintenant considérer ce que Michaël, à vrai dire, doit gérer dans l’ensemble du cosmos spirituel : il doit gérer ce qui est en effet spirituel, mais qui culmine ensuite dans la compréhension intellectuelle de l’homme. Certes, Michaël n’est pas l’esprit qui cultive l’intellectualité ; mais tout ce qu’il dispense en spiritualité vise à éclairer l’humanité sous forme d’idées, sous forme de pensées - mais sous forme d’idées et de pensées qui saisissent le spirituel. Michaël veut que l’homme soit un être libre qui comprenne également, en ses concepts et ses idées, ce qui lui advient comme révélation depuis les mondes spirituels » (GA 240, 19 juillet 1924). Un peu plus loin, dans la même conférence, il est dit : « Michaël enthousiasme les hommes pour qu’apparaisse sur la Terre une spiritualité [principe ésotérique] qui soit à la hauteur de l’intelligence individuelle [principe exotérique] des hommes, afin qu’on puisse penser et en même temps être un homme spirituel ; tel est alors le sens de la régence de Michaël » (ibid.).Un parallélisme étonnant entre les événements temporels et spirituels apparaît ici. La mission à laquelle le jeune Rudolf Steiner veut consacrer sa vie sur le plan terrestre pendant la durée de sa vie concorde, dans les mondes suprasensibles, à la mission centrale de Michaël durant la nouvelle période où il régit l’humanité. Rudolf Steiner rencontre ensuite l’envoyé de son maître à l’automne de l’année où la mission de Michaël commence (1 879), et l’année suivante, c'est-à-dire la première année entière du début de la régence de Michaël, survient la rencontre avec le maître, vraisemblablement au printemps de l’année 1880, peu après le dix-neuvième anniversaire de Rudolf Steiner.Nous pouvons prendre conscience de cette configuration spirituelle particulière dans la vie de Rudolf Steiner si nous admettons en plus que son instructeur était un maître rose-croix. Rudolf Steiner a écrit ceci sur les rose-croix à la fin de sa vie : « Le vrai rosicrucisme se trouve absolument dans la ligne de la force opérante de la mission de Michaël. Il a aidé Michaël à préparer sur la Terre ce que celui-ci voulait préparer comme son travail spirituel pour une époque ultérieure [...] C’est ainsi que l’authentique vouloir des rose-croix constitua pour Michaël le chemin présent sur terre conduisant à sa future mission sur la Terre » (GA 26, p. 156 sq., Traduit ; ital. R. Steiner).Le maître mystérieux de Rudolf Steiner était sans aucun doute porteur d’un tel « authentique vouloir du rose-croix ». Édouard Schuré caractérisa ce maître comme un homme doté d’une volonté exceptionnelle, ne ménageant ni lui-même ni les autres dans la réalisation de ses objectifs ; sa force consistait toutefois exclusivement dans sa capacité de se sacrifier pleinement et sans limites (voir Édouard Schuré, Introduction, dans : Rudolf Steiner, Le Mystère chrétien et les Mystères antiques [GA 8], Librairie académique Perrin, Paris, 1908, p. 17).Ultérieurement, dans ses conférences anthroposophiques, Rudolf Steiner a, maintes fois, décrit le chemin rose-croix du développement occulte comme une « initiation de l’esprit » (GA 131, 5 octobre 1911), comme une voie dans laquelle une attention toute particulière est accordée au « développement de la volonté », dont l’objectif est toutefois d’offrir les fruits de son propre développement « sur l’autel de l’humanité » (GA 10, p. 207). « C’est pourquoi » ce sont justement les Maîtres rose-croix « qui placent au premier rang de toutes les autres qualités le dévouement désintéressé et l’esprit de sacrifice » (GA 10, p. 208, Traduit).Rudolf Steiner lui-même n’a rien communiqué de ce que son maître ésotérique lui a enseigné. Cependant, l’orientation que son développement spirituel a prise après cette rencontre révèle manifestement que cet enseignement était axé sur le développement de la faculté dont Rudolf Steiner avait besoin pour aider Michaël dans la réalisation de sa mission pendant sa nouvelle régence. Et même si le nom de Michaël n’avait pas été prononcé au cours des entretiens entre le maître et l’élève, le chemin spirituel que Rudolf Steiner emprunta à la suite de cette rencontre était bien centré sur Michaël en tant qu’esprit guide du temps.Cela sera d’ailleurs confirmé par une description faite par Rudolf Steiner après le Congrès de Noël, en 1924, et portant sur le sens profond du chemin initiatique rose-croix : « Ce qui caractérise l’impulsion rose-croix est que ses esprits les plus éclairés aspiraient ardemment à rencontrer Michaël. Ils ne le pouvaient que comme en rêve. Depuis la fin du dernier tiers du XIXe siècle, les hommes peuvent rencontrer de façon consciente l’esprit Michaël » (GA 233a, 13 janvier 1924).Nous pouvons donc admettre en toute certitude que le maître a ouvert à Rudolf Steiner une voie de développement spirituel qui devait mener, à plus ou moins longue échéance, à une rencontre consciente avec Michaël dans le monde spirituel contigu à la Terre. Dix ans de travail intérieur intensif seront nécessaires à Rudolf Steiner pour que cette expérience suprasensible puisse se présenter pleinement à son âme et détermine ainsi tout son chemin ultérieur.Conformément à une loi objective d’évolution intérieure de l’être humain, ce n’est qu’après avoir atteint sa vingt-huitième année - le moment où l’âme d’entendement et d’intériorité s’éveille - qu’il put s’élever en toute conscience dans cette sphère du monde spirituel vers lequel, de l’autre côté (c'est-à-dire de haut en bas), Michaël descendit en vue de la préparation à sa mission. « C’est ainsi que j’ai dû rester à l’intérieur de ce monde derrière le voile, avec toute mon âme d’entendement et d’intériorité, dans cette région de Michaël, j’ai dû vivre ce qui s’y déroulait » (GA 240, 12 août 1924). Rudolf Steiner décrivit ainsi ce qui se jouait à ce moment-là dans cette sphère du monde spirituel, et dont il était lui-même témoin : « Des phénomènes impressionnants se déroulaient derrière un voile, qui tous se regroupaient autour de l’être spirituel que nous dénommons Michaël. Il y avait de puissants fidèles de Michaël [...], mais également de puissantes forces démoniaques influencées par Ahriman qui se rebellaient contre ce qui devait venir dans le monde avec Michaël » (ibid.).C’est ainsi que Rudolf Steiner put vivre dans une vision spirituelle directe, entre sa vingt-huitième et sa trente-cinquième année, la puissante imagination qu’il décrivit plus tard à maintes reprises, sous des angles très différents, dans ses conférences anthroposophiques, à savoir l’imagination de Michaël qui combat le dragon ahrimanien.Mais, dans l’évolution spirituelle d’un homme, que signifie être témoin de ce combat ? Dans un sens très concret, et non pas dans un sens abstrait, cela revient à prendre sans délai la décision de prendre part au combat aux côtés de Michaël. Mais cela n’est possible que si le lien avec les forces de Michaël existe non seulement dans le penser et dans le ressentir, mais également dans les profondeurs du vouloir. Une telle pénétration de l’impulsion de Michaël a une conséquence très réelle pour l’homme lui-même, à savoir que s’éveille dans son âme l’aspiration à aider Michaël là où le combat contre le dragon ahrimanien devient particulièrement difficile.Pour bien saisir ce domaine de la civilisation où se déroule aujourd’hui au plus fort ce combat entre les forces michaéliennes et les forces anti-michaéliennes, nous devons caractériser, même si ce ne peut être que brièvement, la situation actuelle de Michaël par rapport à l’évolution de la Terre dans son ensemble.Selon les recherches de Rudolf Steiner en science de l’esprit, Michaël est depuis l’origine le régent dans notre cosmos de tout ce qu’on peut qualifier d’intelligence cosmique ou d’ensemble des pensées créatrices des hiérarchies spirituelles divines. En tant que serviteur cosmique du Christ, Michaël vit son parcours du Soleil à la Terre au tournant des âges, auquel suivit l’événement le plus important de l’évolution de la Terre : le Mystère de Golgotha, la mort et la Résurrection du Dieu dans le corps humain. Depuis, le Christ est intimement hé à l’humanité tout entière et agit en tant que nouvelle force spirituelle ou nouvelle impulsion sur la Terre, lui conférant ainsi son sens le plus élevé.Ce sens le plus élevé ne pourra toutefois être pleinement atteint que lorsque l’humanité, après avoir traversé une époque l’émancipant des êtres spirituels qui la dirigent, se tournera en toute liberté vers une nouvelle connaissance consciente du Christ et du Mystère de Golgotha, commençant alors à réaliser sa destination spirituelle sur la Terre. Pour donner aux hommes une telle possibilité de se développer spirituellement en toute liberté, Y intelligence cosmique, gérée par Michaël dans les mondes spirituels, commença à descendre progressivement sur la Terre, dès le tournant des âges. Il s’ensuivit (dès les VIIIe ou IXe siècles après Jésus-Christ) que les hommes eurent de plus en plus l’impression qu’ils pouvaient désormais forger eux-mêmes leurs pensées et ne les recevaient plus des mondes supérieurs sous la forme d’inspirations d’entités spirituelles. Ce processus d’émancipation de tout genre de conduite par le monde spirituel atteignit son paroxysme à l’époque de l’âme de conscience (elle commença en 1 413). Le sentiment de totale indépendance par rapport au monde spirituel s’est depuis lors définitivement affermi, se basant sur cette conviction intérieure inébranlable : je crée mes pensées moi-même, je suis totalement indépendant dans mon activité de penser et je me perçois comme une personne libre et autonome. C’est justement ce qui caractérise l’époque de l’âme de conscience, que l’homme se sent désormais globalement libre et indépendant du monde spirituel, jusqu’à la possibilité de le renier complètement. Cette possibilité est aussi une conséquence liée au fait que l’intelligence cosmique de Michaël devint peu à peu terrestre, une intelligence purement humaine, qui est à l’entière disposition de l’homme individuel.Le changement radical qui en a découlé pour la position de l’humanité dans l’univers eut encore une autre conséquence majeure : plus l’humanité s’émancipa du monde spirituel, plus les esprits ahrimaniens s’intéressèrent à l’humanité, l’ensemble de ces esprits constituant, dans le monde spirituel jouxtant la Terre, le « corps » suprasensible du dragon, de l’adversaire de Michaël. C’est notamment au début de l’époque de l’âme de conscience, dont le développement est lié à la dominance d’un intérêt prononcé pour le monde des sens physiques (l’âme de conscience étant apparentée au corps physique humain), qu’il devint pour la première fois possible au dragon ahrimanien de dominer pleinement l’évolution de la Terre et de l’entraîner dans une direction purement ahrimanienne qui lui est totalement étrangère. Pour atteindre cet objectif, il devait être inculqué au plus grand nombre possible de personnes l’idée que seul le monde physique perçu par les sens extérieurs était réel, que le monde spirituel n’existait point ou que, s’il devait malgré tout exister quelque part, il ne pouvait en aucun cas être accessible à la connaissance humaine, mais uniquement être l’objet d’une croyance naïve (Kant).Tel était le plan d’Ahriman pour l’humanité : l’inciter à ne se servir de l’intelligence naguère cosmique de Michaël et désormais devenue sienne que dans le sens restreint de n’appréhender que le monde des sens physiques. Le développement de la science au cours des derniers siècles et la propagation des divers progrès techniques qui s’y rattachent et qui conditionnent aujourd’hui finalement le monde civilisé dans son ensemble, prouvent à quel point l’humanité a succombé à l’influence d’Ahriman. Ahriman est ainsi parvenu à usurper au plus haut point les efforts autonomes de la connaissance qui s’étaient initialement manifestés grâce à l’union de l’intelligence michaélique avec l’évolution de la Terre, et à les orienter exclusivement vers l’investigation du monde sensible ainsi que vers la tendance à réaliser un profit optimal grâce au développement de la technologie moderne. L’activité d’Ahriman au cours des premiers siècles de l’époque de l’âme de conscience a été considérablement facilitée par le fait que Michaël n’a pu intervenir dans le cours des événements tel qu’il a été décrit, vu qu’il attendait, dans les mondes supérieurs, l’année 1879, qui devait marquer le début de sa régence dans l’évolution de la Terre. Ahriman avait donc déjà réussi dans une grande mesure, jusqu’à cette date, à s’emparer de l’intelligence cosmique dans les âmes humaines, pour l’utiliser comme arme majeure contre Michaël durant sa nouvelle régence.Rudolf Steiner décrivit ultérieurement cette situation dans les termes suivants : « Les puissances ahrimaniennes jubilaient déjà dans certains corps humains parce que Michaël ne pourrait plus reprendre son intelligence cosmique, qui était descendue sur la Terre. Et cette jubilation a été particulièrement intense au milieu du XIXe siècle, où Ahriman croyait déjà que Michaël ne retrouverait pas son intelligence autrefois cosmique qui avait trouvé le chemin du ciel vers la Terre. » Et il poursuivit : « Il s’agit de quelque chose de grand, de gigantesque ! » (GA 240, 19 juillet 1924).Tout ceci peut constituer la base d’une compréhension juste de ce que signifiait pour Rudolf Steiner son engagement aux côtés de Michaël dans le combat contre le dragon, et cela dans un domaine particulièrement difficile pour Michaël, là où il avait besoin de l’aide humaine. Car telle était sa situation dans le domaine de la science actuelle, là où les forces d’Ahriman pouvaient agir dans des proportions importantes, vu qu’il combattait contre Michaël avec les propres armes de ce dernier à qui il les avait enlevées - avec l’intelligence cosmique venue sur la Terre. La tâche qui incomba à Rudolf Steiner à partir de son entrée consciente dans la sphère spirituelle de Michaël, et où il fut témoin de son combat contre le dragon ahrimanien, était d’arracher à Ahriman l’épée de l’intelligence cosmique et de la rendre à Michaël.Comme ce sera expliqué dans un autre chapitre (voir chap. 7), La philosophie de la liberté constitua le premier pas vers cet objectif. La réalisation de ce premier livre michaélique juste au début de l’époque de la conduite de l’humanité par Michaël est un mystère que nous ne pouvons appréhender qu’en tenant compte de la rencontre de Rudolf Steiner avec Michaël dans le monde spirituel, avec toutes les conséquences qui en découlent. Le sous-titre de ce livre est « Traits fondamentaux d’une vision moderne du monde. Résultats de l'observation de l’âme selon la méthode scientifique ». Dans le sens de ce qui a été dit jusque-là, on peut comprendre ce sous-titre de la manière suivante : ce livre expose les « traits fondamentaux » de la vision michaélique du monde à l’époque actuelle, dont le trait le plus caractéristique est le lien entre l’ésotérisme (« résultats de l'observation de l’âme ») et l’exotérisme (« méthode scientifique »), qui présentent l’être humain dans sa totalité comme un être cosmique et tellurique qui conquiert sur la Terre son individualité libre, créant ensuite, sur le chemin de l’expérience intuitive du penser - c'est-à-dire en rendant à Michaël l’intelligence cosmique qui lui avait échappé -, un nouveau lien conscient et libre avec l’univers spirituel.Dans la troisième et dernière partie du livre intitulée « Les questions ultimes » et dans son unique chapitre « Les conséquences du monisme », Rudolf Steiner écrit : « L’être humain ne peut trouver que par une expérience de penser intuitive son existence autonome de totalité au sein de l’univers. Le penser détruit l’apparence du percevoir et insère notre existence individuelle en tant que membre dans la vie du cosmos » (GA 4, p. 240). Et Rudolf Steiner décrit à la fin de sa vie le même processus ; cette fois, par contre, non pas d’un point de vue terrestre, mais d’un point de vue cosmique et spirituel : « Les cœurs doivent devenir les aides de Michaël dans la conquête de l’intelligence tombée du ciel sur la Terre. Tout comme l’antique serpent dut être écrasé par Michaël, l’intelligence devenue serpent [c'est-à-dire l’intelligence dont s’est désormais entièrement saisi le dragon ahrimanien et qui a pris, dans l’âme humaine, "la forme d’un serpent" lui ressemblant] doit être conquise, spiritualisée par Michaël » (GA 240, 20 juillet 1924). La philosophie de la liberté se termine par les termes marquants : « Il est libre. » Ils s’appliquent à l’homme actuel qui s’acquitte de sa tâche à l’égard de Michaël, le « héros spirituel de la liberté » dans les mondes suprasensibles, comme le caractérisait Rudolf Steiner (GA 233a, 13 janvier 1924).La philosophie de la liberté, que Rudolf Steiner écrivit à l’âge de 33 ans et qui peut constituer, pour l’homme moderne, un appui inébranlable dans la lutte contre le dragon ahrimanien aux côtés de Michaël, n’était que le premier pas sur le chemin décrit. Car il ne suffisait pas, pour apporter une aide réelle à Michaël dans son combat, de montrer le chemin menant à cet objectif et de l’étayer d’un fondement scientifique solide, mais il était nécessaire de le suivre personnellement jusqu’au bout. Se rendre soi-même dans le royaume du dragon ahrimanien pour lui reprendre l’épée de l’intelligence michaélique que ce dernier avait dérobée, et l’utiliser ensuite dans l’esprit de Michaël pour ainsi réaliser le passage des sciences de la nature à la science de l’esprit, tel devait être le chemin de Rudolf Steiner par la suite.Deux individualités, ou plus exactement deux personnages d’importance profondément symbolique, encadrent, comme deux colonnes imposantes placées sur son chemin, l’entrée de ce que Rudolf Steiner qualifia plus tard, rétrospectivement, de « descente aux enfers ». Il s’agit d’Ernst Haeckel et de Friedrich Nietzsche.Rudolf Steiner a rencontré en la personne de Haeckel un savant moderne qui fit de la théorie de l’évolution un bien culturel de l’humanité. Haeckel était toutefois en même temps un exemple classique de savant qui ne développait ses conceptions scientifiques du monde que sur la base d’observations fondées sur les sens physiques et sur la base d’expériences pratiques. C’est à partir de ces données purement matérialistes et à l’aide des faits scientifiques ainsi établis qu’il essaya de démontrer, avec un enthousiasme enfantin et naïf, qu’il n’y avait ni dieu, ni esprit, ni immortalité de l’âme, mais que tout ce qui existait avait une origine scientifiquement démontrable et purement naturelle. La théorie de Haeckel comportait, d’une part, la conception de l’évolution générale la plus avancée dans son développement et son fondement scientifique, car elle constituait à cette époque le fruit le plus noble de la recherche objective de la vérité poursuivie par la science, conséquence de l’usage fait par l’homme de l’intelligence michaélique. Mais elle était, d’autre part, le témoignage le plus évident de la mainmise d’Ahriman sur cette quête de la vérité et de sa transformation en fondement d’un matérialisme et d’un athéisme absolus. « La théorie de Haeckel est grandiose, et Haeckel est le plus mauvais commentateur de cette théorie », écrivit Rudolf Steiner sur ce dernier (in GA 262, p. 124, Traduit). Il ne pouvait effectivement y avoir « de meilleure base scientifique de l’occultisme » que la théorie de Haeckel, car cette théorie offrait la possibilité de tirer « les conclusions les plus hautement spiritualistes » (ibid., Traduit).Mais Haeckel lui-même ne pouvait parvenir à ces conclusions, car Ahriman s’était déjà trop fortement saisi de lui-même, et avec lui de l’ensemble des sciences de la nature de la deuxième moitié du XIXe siècle. Et c’est justement en la personne de Haeckel que l’épée de l’intelligence michaélique se dirigea avec une force et une génialité particulières contre Michaël lui-même. Rudolf Steiner fit l’expérience, à travers l’œuvre et la personnalité de Nietzsche, de ce à quoi devait nécessairement conduire un développement aussi unilatéral de la science, et ce non seulement dans le domaine de la vision du monde, mais surtout dans la vie réelle.Comme chacun le sait, Nietzsche était connu dans le monde philosophique et littéraire comme une personnalité douée d’un esprit exceptionnel (voir par exemple son livre La naissance de la tragédie à partir de l’esprit de la musique). En même temps, il se demandait invariablement quelles étaient les forces prédominantes et déterminantes de l’époque dans laquelle il vivait, révélant ainsi qu’il souhaitait être pleinement en phase avec son temps. Après des années de quête, il reconnut finalement ces forces prédominantes dans les sciences de la nature, tout particulièrement dans la faculté d’en démontrer les thèses au moyen de l’observation et de l’expérience. Et c’est ainsi que Nietzsche, après avoir trouvé une réponse à sa question, devint finalement, dans la seconde moitié de sa vie, un adepte fervent de la science moderne et précisément dans le sens de Haeckel, de cette science dont l’objectif est d’instaurer un matérialisme et un athéisme radical. « Dieu est mort », ces paroles célèbres de Nietzsche qui caractérisaient le début de toute une époque étaient une conséquence directe de son orientation vers une vision scientifique du monde. Ce qui, chez Haeckel, se limitait au domaine purement scientifique, Nietzsche l’étendit plus tard dans sa philosophie à l’ensemble de l’existence morale et spirituelle de l’homme et conduisit la théorie de Haeckel à son aboutissement logique.Il est important de mentionner ici deux qualités majeures de Nietzsche qui le distinguent fondamentalement de la majorité de ses contemporains, voire même des hommes d’aujourd’hui : il s’agit de sa sincérité absolue envers lui-même et de son courage, pour ne pas dire son audace, d’aller logiquement jusqu’au bout des nombreuses idées qui lui traversaient l’esprit dans le domaine des sciences, et d’oser ainsi ce à quoi même des coryphées reconnus ne purent se résoudre, ni avant ni après lui.Nous allons citer ici deux exemples concrets. Il est connu que Newton, dont les lois étaient fondées sur une conception purement mécaniste de l’univers, était un homme profondément croyant. Il commentait la sainte Écriture et était dévot dans la vie quotidienne au point d’enlever son chapeau dès que quelqu’un prononçait le mot « Dieu » en sa présence. Et malgré cela, c’est justement lui qui, dans une très grande mesure, fraya le chemin conduisant au triomphe définitif du matérialisme au sein des sciences - non seulement par ses conceptions sur la construction de l’univers, mais également par sa théorie des couleurs, raison pour laquelle Goethe se confronta aussi résolument avec celle-ci - et cela entraîna le fait que de nombreuses personnes se servirent de l’intelligence de Michaël dans un sens purement ahrimanien.Un deuxième exemple tiré de l’histoire russe : le fondateur de la physiologie moderne, Pavlov, membre de l’Académie, était également profondément croyant et allait même tous les dimanches à l’église. Dans la vie quotidienne, il essayait en revanche de prouver, au moyen d’expériences sur les animaux, que tout ce que l’homme vit dans son âme se réduit à une somme de réflexes déterminés par des processus mécaniques, chimiques, électriques, etc., de l’organisme humain, et posait ainsi le fondement du rejet « scientifiquement fondé » de l’âme et de l’esprit avec toutes les conséquences qui en résultent.Newton ainsi que Pavlov, et avec eux bon nombre de leurs contemporains, se trouvaient ainsi dans un état de clivage intérieur qui confinait, par moments, à la maladie psychique. Et le fait que la plupart des présumés « croyants » ne remarquent pas, aujourd’hui encore, le clivage de leur conscience n’est qu’une conséquence de leur mauvaise foi intérieure et d’une appréhension inconsciente d’aller jusqu’au bout de la pensée de ce qui résulte en réalité de la position de la science actuelle.Cependant, c’est Nietzsche qui tira cependant ces conclusions pour nos innombrables contemporains. Car après avoir reconnu comme exacts les résultats de la science « haeckelienne » sur l’origine et le développement de l’univers et de l’homme, il dut également reconnaître l’impossibilité de les concilier avec toute conception de Dieu, d’esprit ou encore de n’importe quelle réalité suprasensible connue du monde occidental à cette époque grâce aux sources de la tradition chrétienne de l’Église. Autrement dit, après avoir reconnu sans réserve comme seule vérité la vision scientifique du monde en raison des preuves expérimentales irréfutables et de la force de persuasion logique qui la corroborent, il devait tôt ou tard se lancer dans une critique véhémente du christianisme historique - et il ne connaissait que celui-ci - comme étant la cause principale d’une culture du passé antiscientifique - irrationnelle -, totalement étrangère au mode de penser scientifique. Les conséquences de cette critique sur le plan moral se révélèrent particulièrement inquiétantes. Après s’être radicalement détaché de tous les commandements éthiques du christianisme traditionnel, Nietzsche tenta de fonder une nouvelle « morale » à partir des conceptions scientifiques de son temps, mais elle ne pouvait être que purement ahrimanienne. Et c’est ce qui le fit aboutir à la catastrophe totale de son existence.Car à partir du moment où l’homme prend au sérieux les résultats de la science (et c’est ce que fit Nietzsche), à savoir que notre Terre et avec elle l’ensemble du système solaire - on pourrait dire aujourd’hui toute notre galaxie - ne sont que des particules de poussière dans l’univers sans limites et qui, dans le mouvement éternel et absurde de la matière, apparaissent et disparaissent constamment - sans parler de l’absurdité de l’existence de la personnalité humaine individuelle ou encore de l’humanité, dans une telle vision du monde -, il ne peut qu’aboutir aux mêmes conclusions que Nietzsche, lequel les a formulées ouvertement dans ses œuvres tardives, s’il est suffisamment courageux et honnête pour regarder en face cette terrible réalité. Ce qui revient à dire qu’avec une telle vision de l’univers et de l’homme, il ne peut finalement rester qu’une totale amoralité pour la vision éthique du monde. La justifier sous forme d’un culte de la volonté absolument égocentrique qui aspire au pouvoir et à la domination aux dépens des autres, des plus faibles, en les menant consciemment à leur perte, plein de mépris pour toute forme de pitié - c’est ce qui préoccupa Nietzsche durant les dernières années de sa vie.La vision du monde antimorale et dressée contre l’esprit, dont Nietzsche fit finalement sa conviction définitive et inébranlable, se trouvait malgré tout dans son âme en totale contradiction avec la haute spiritualité de son être véritable, la spiritualité qui s’était si clairement manifestée dans ses premières œuvres. Et comme Nietzsche était toujours réellement préoccupé de ne pas seulement penser, mais également de vivre les idées qui l’habitaient, un conflit insoluble survint dans son âme non seulement entre des idées différentes, mais aussi entre les forces spirituelles opposées qui étaient derrière, qui vivaient dans son âme tourmentée et qui la déchiraient de plus en plus.Ce qui se déroulait dans l’âme de Nietzsche n’était autre que la révolte contre l’ordre moral de l’univers et en même temps contre le noyau spirituel de son être propre. Et cela ne pouvait que conduire à l’inéluctable tragédie : à la folie ou à l’autodestruction. Pour Nietzsche, c’est la première qui l’emporta. Son Je quitta finalement son enveloppe corporelle, après l’aliénation de sa conscience de penser terrestre.Et c’est ainsi que Rudolf Steiner le vit lors de son unique rencontre personnelle avec lui : l’âme de Nietzsche, libérée de ses insupportables souffrances provoquées par les terribles contradictions psychiques, planait librement au-dessus de son corps, de nouveau imprégnée de la lumière spirituelle à laquelle il avait toujours aspiré, et reliée uniquement par un fil très mince à l’enveloppe physique qui sombrait toujours plus profondément dans la nuit (voir GA 28, II, chap. XVIII).Le destin profondément tragique de Nietzsche fournit à Rudolf Steiner une nouvelle preuve frappante du problème fondamental de la science moderne matérialiste : « C’est ainsi que le problème des sciences de la nature m’apparut sous une forme nouvelle précisément à travers l’activité de Nietzsche » (GA 28, II, chap. XVIII). Car les œuvres de la dernière période du philosophe se révélèrent comme n’étant rien d’autre qu’un jugement radical sur la civilisation moderne, dans la mesure où elle s’appuyait soit sur la spiritualité du passé admise par soumission à l’autorité, ou, par opposition à elle, essayait de produire une nouvelle vision du monde, uniquement sur la base d’un développement scientifique unilatéral et matérialiste. Nietzsche se fit le héraut de cette conception du monde vers la fin de sa vie, suivant jusqu’à l’extrême ses résultats, pour finalement s’effondrer lui-même face à cet insoutenable manque de perspective. Son « destin était de vivre tragiquement l’époque scientifique de la dernière moitié du XIXe siècle et de se briser à son contact » (GA 28, II, chap. XVIII).C’est pourquoi les propos tenus par Rudolf Steiner sur Nietzsche durant les différentes périodes de sa vie, par écrit ou oralement, ne sont pas contradictoires. Il put écrire en toute franchise que l’orientation spirituelle de Nietzsche était « à l’opposé » de la sienne (GA 28, II, chap. XVIII), et évoquer simultanément combien il « pouvait l’admirer sans réserve » (ibid.), tandis qu’il rédigeait son livre Friedrich Nietzsche, un homme en lutte contre son temps. « J’étais fasciné par la manière dont l’esprit se manifestait chez Nietzsche » (ibid.), l’esprit qui cherchait à résister en son for intérieur à l’effondrement définitif de toute morale et de toute culture, qu’il décrivait comme la conséquence inéluctable du triomphe définitif de la science matérialiste. La totale « transmutation de toutes les valeurs » entreprise par Nietzsche devait soit détruire tous les appuis moraux dans le monde, ou connaître une nouvelle, libre et consciente compréhension de l’esprit comme couronnement.C’est dans ce sens que nous pouvons comprendre aussi les propos de Rudolf Steiner dans une lettre de 1 894 à Pauline Specht, selon laquelle il a « retrouvé ses propres sentiments dans chaque phrase » à la lecture de L’Antéchrist de Nietzsche (GA 39, p. 238), c'est-à-dire le vécu de ce qui soit entraîne l’humanité dans l’abîme ahrimanien, soit la conduit sur le chemin michaélique de La philosophie de la liberté qui parut la même année et présente justement cette élévation lumineuse de l’esprit que Nietzsche cherchait de tout son être sans toutefois la trouver. « Il chercha dans cette époque [des sciences de la nature matérialistes], mais ne put rien y trouver. Ce que j’ai vécu en lui n’a pu que me conforter dans la conception selon laquelle toute quête axée sur les résultats des sciences de la nature devait trouver l’essentiel non pas en eux, mais à travers eux dans l’esprit » (GA 28, chap. XVIII, p. 30, Traduit ; ital. R. Steiner).Rudolf Steiner put ainsi vivre tout le tragique de la confrontation entre les impulsions michaéliques et ahrimaniennes dans le combat intérieur de Nietzsche à la fin du XIXe siècle, et voir en toute clarté son propre chemin, qu’il lui incomba désormais de suivre. En suivant ce chemin avec Nietzsche jusqu’au bout, il accéda directement à l’abîme béant ahrimanien dans lequel Nietzsche s’était précipité et dans lequel il devait maintenant lui-même descendre, armé de la clairvoyance consciente qu’il avait acquise.S’il n’avait pas écrit antérieurement La philosophie de la liberté, le fruit le plus important de la première phase de sa participation au combat de Michaël contre le dragon, son chemin intérieur sur les traces de Nietzsche aurait pu lui être funeste. D’un autre côté, le vécu du destin tragique de Nietzsche lui montra clairement l’urgence de la tâche qu’il s’était lui-même assignée en entrant dans la sphère de Michaël. Car « c’est là, derrière les coulisses, derrière ce voile ténu, dans la région de Michaël, qu’étaient soulevées les grandes questions de la vie » (GA 240, 12 août 1924). Et l’une des plus importantes se présenta à Rudolf Steiner en considérant le destin tragique de Nietzsche avec tout son sens symbolique. Le sort futur de l’humanité lui apparut comme dans un miroir global, une humanité qui, comme Nietzsche, devait basculer inéluctablement dans la folie ou dans l’autodestruction si elle continuait à suivre les sciences de la nature conquises par Ahriman. Une alternative à ce terrible avenir ne pouvait consister qu’à transformer la science « haeckélienne », qui avait conduit Nietzsche à sa perte, en une véritable science de l’esprit.Telle était la question fondamentale à laquelle Rudolf Steiner se vit confronté suite à sa rencontre avec Haeckel et Nietzsche, la question de la spiritualisation des sciences de la nature ou de leur transformation en une science de l’esprit comme instrument majeur de Michaël dans son combat contre le dragon ahrimanien.Pour conclure ce sujet, il faut encore ajouter quelques mots sur la polarité spécifique entre Haeckel et Nietzsche, une polarité qui est en rapport direct avec l’action des forces ahrimaniennes dans la civilisation actuelle. Pour caractériser Haeckel, Rudolf Steiner, dans son autobiographie, mettait l’accent sur sa tendance à la perception du monde extérieur : il « ne pouvait supporter que les impressions perçues par les sens, et non pas les pensées qui se manifestent dans les choses et les processus [...] Il s’absorbait dans l’optique des sens. Il cessait de développer l’activité de l’âme là où il devait commencer à penser, et préférait fixer ce qu’il voyait avec le pinceau. Telle était la nature propre de Haeckel » (GA 28, I, chap. XV). Nietzsche, en revanche, ne pouvait se livrer au monde de la perception : « Mais il ne pouvait créer qu’à travers son âme propre » (GA 28, II, chap. XVIII), car il ne se sentait chez lui que dans le monde des concepts.Cela explique aussi pourquoi précisément Haeckel et Nietzsche s’avérèrent être les deux colonnes encadrant le chemin de Rudolf Steiner vers le royaume du dragon. Les intentions d’Ahriman se manifestent clairement dans ces deux destinées, à savoir barrer l’accès à la vraie connaissance tant du monde de la nature que de celui de l’esprit, telle qu’elle est décrite dans La philosophie de la liberté. Au lieu de chercher en lui-même des concepts spirituels correspondant à ses perceptions scientifiques, Haeckel se contenta d’une interprétation matérialiste primitive de ces dernières, tandis que Nietzsche, enterré pour ainsi dire vivant dans le monde des conceptions matérialistes, rejeta en dernier ressort, à la fin de sa vie, la possibilité même d’une perception spirituelle.C’est ainsi que fut indiquée à Rudolf Steiner l’orientation de la suite de sa propre évolution, à travers les destins de Haeckel et de Nietzsche : témoigner de la teneur de La philosophie de la liberté, précisément dans le monde ahrimanien, en surmontant le matérialisme dans les perceptions comme chez Haeckel, et l’athéisme dans le penser comme chez Nietzsche dans sa période tardive, pour ainsi vaincre la puissance du dragon dans ce monde ahrimanien et ouvrir la voie vers une connaissance consciente et libre du monde spirituel, c'est-à-dire fonder la science de l’esprit.Nous abordons ainsi la période la plus dramatique de la vie de Rudolf Steiner où, pour accomplir sa mission, il dut descendre en toute conscience dans le royaume du dragon ahrimanien pour lui arracher l’épée de l’intelligence michaélique qu’il avait dérobée et la remettre au service de Michaël. Car ce que la science de la nature semble être, encore aujourd’hui, pour la plupart des hommes : une théorie qui leur explique les différents phénomènes naturels, était tout à fait autre chose pour Rudolf Steiner, qui pouvait demeurer en pleine conscience dans le monde spirituel, c’était pour lui la rencontre avec les êtres spirituels - et ce dans leur propre sphère suprasensible - qui visent à guider l’évolution de la science sur terre dans un sens unilatéralement matérialiste.Dans son Autobiographie, Rudolf Steiner parle du dur combat intérieur qu’il dut mener dans son âme durant sa période dite de Berlin (dans les dernières années du XIXe siècle) : « Pour celui qui ne vit pas, comme moi, dans le monde de l’esprit, l’immersion dans une orientation du penser [dans le cas présent celle de la science de la nature] correspond simplement à une activité de pensées. Pour celui qui fait l’expérience du monde de l’esprit, ce monde signifie quelque chose d’essentiellement différent. Il est mené auprès d’êtres du monde de l’esprit qui veulent qu’une telle orientation du penser [celle de la science matérialiste] soit la seule à régner. L’unilatéralité dans la connaissance n’est alors pas uniquement la cause de l’égarement abstrait ; ce qui est l’erreur dans le monde des hommes y est une relation vivante en esprit avec des êtres. J’ai parlé ultérieurement d’êtres ahrimaniens lorsque je voulais montrer dans cette direction [...] Elles vivent dans un monde qui jouxte directement le monde sensible » (GA 28, II, chap. XXVI, Traduit).Rudolf Steiner, qui avait déjà vécu consciemment de nombreuses années dans le monde spirituel, dut alors pénétrer dans une nouvelle région de ce dernier, la région qu’il appela plus tard la « région du seuil » du monde spirituel, où se rencontrent deux mondes : le monde terrestre (exotérique) et le monde spirituel (ésotérique). C’est pourquoi les êtres ahrimaniens y séjournent aussi, lesquels ne sont pas uniquement porteurs de l’erreur (du mensonge) dans le monde des hommes, mais porteurs aussi des forces de la mort. Plus tard, Rudolf Steiner nomma souvent Ahriman, dans ses conférences anthroposophiques, le prince de la mort.La présence et l’action des forces de la mort au seuil du monde spirituel font que toute conscience individuelle s’y efface inévitablement. C’est la raison pour laquelle ni l’occultisme oriental ni le mysticisme chrétien traditionnel ne connaissent cette région du seuil, car ils l’évitent soigneusement lors du passage dans le monde spirituel. La conscience individuelle s’éteint dans cette région, car les êtres ahrimaniens y demeurant « absorbent » immédiatement l’intelligence michaélique, le fondement de la conscience de soi acquis par l’homme sur terre, lorsqu’il tente de pénétrer consciemment dans cette région. « [...] de tels êtres existent », disait Rudolf Steiner à leur égard. « Ce sont les êtres ahrimaniens. Ils ont tout à fait la prédisposition à aspirer en eux tout ce qui se détache des dieux comme intelligence. Ils sont prédisposés à unir à leur être propre la somme de toute l’intellectualité. Ils deviennent par là les intelligences les plus grandes, les plus englobantes et les plus pénétrantes du cosmos » (GA 26, p. 102, Traduit). L’intelligence cosmique, qui est au pouvoir des êtres ahrimaniens au seuil du monde spirituel, tombe ainsi sous l’emprise des forces de la mort pour devenir une intellectualité sans vie, abstraite, avec laquelle les esprits ahrimaniens tentent d’imprégner la conscience terrestre de l’homme sous forme de pensées mortes, matérialistes, inaptes à saisir quelque chose de spirituel. L’humanité court donc en fin de compte le risque de subir le terrible destin de Nietzsche, si elle continue à progresser dans le sens de la science « haeckélienne » unilatérale.Rudolf Steiner décrit cette situation « du point de vue de Michaël » de la façon suivante : « Mais Michaël voit aussi combien le danger que l’humanité tombe au pouvoir des puissances ahrimaniennes devient de plus en plus grand. Il sait que pour lui, il foulera toujours Ahriman aux pieds ; mais pour l’homme aussi ? » (GA 26, p. 103, Traduit ; ital. R. Steiner) C’était une des « grandes questions vitales [...] qui se posaient dans la région de Michaël précisément dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix » (GA 240, 12 août 1924) et que Rudolf Steiner perçut, alors qu’il était témoin du combat de Michaël contre le dragon. Pour ne pas répondre à ces questions de façon théorique et abstraite (c'est-à-dire dans le sens d’Ahriman), mais pratique et spirituelle (c’est-à-dire dans le sens de Michaël), il dut se rendre lui-même dans cette région spirituelle dangereuse.Mais comment était-il possible d’accéder au royaume de la mort de la conscience individuelle sans que celle-ci s’éteigne, c'est-à-dire sans mourir ? Cela n’était possible qu’en parvenant à entrer dans la région du seuil tout en gagnant simultanément, en toute conscience, l’accès aux sources immortelles, éternelles, du christianisme, aux forces de résurrection triomphant de la mort que le Christ a introduites dans l’évolution de la Terre en se liant à celle-ci par le Mystère du Golgotha. La seule solution au problème auquel Rudolf Steiner se vit confronté consistait « à s’immerger lui-même dans le christianisme, à savoir dans le monde où le spirituel en parle » (GA 28, II, chap. XXVI, Traduit) et à le vivre ainsi comme la plus haute réalité dans le monde spirituel. Cela ne signifiait rien d’autre que la rencontre consciente avec le Christ dans le monde suprasensible.Pour toutefois parvenir à cette rencontre sur le chemin de l’initiation moderne, il dut mener tout d’abord un dur combat contre les puissances ahrimaniennes qui tendaient de toutes leurs forces à empêcher la pénétration de la lumière du Christ dans leur monde de l’ombre. Portant un regard rétrospectif sur cette période de sa vie, il parla d’une grande « épreuve de l’âme » et évoqua le « combat intérieur contre les forces démoniaques » qu’il dut mener en s’exposant aux « tempêtes » qui sévissaient au-delà de son « vécu extérieur ». « J’ai dû à cette époque sauver ma vision spirituelle dans des tempêtes intérieures » (GA 28, II, chap. XXVI, Traduit).Rudolf Steiner écrivit plus tard sur le résultat de ces combats : « A aucun moment je ne suis tombé sous l’emprise de ce monde avec mes propres idées. Pas même dans l’inconscient. Car je veillais scrupuleusement à ce que toute ma connaissance soit acquise avec une conscience lucide » (ibid. ; italique R. Steiner). Il pouvait donc ainsi pleinement réaliser les principes de la connaissance michaélique, qu’il avait exposés dans La philosophie de la liberté, également dans le domaine d’Ahriman. Et il devait, à plus ou moins longue échéance, rencontrer le Christ dans ce domaine, s’il poursuivait le chemin décrit. « Mais le Christ sera là ; il vivra, par son grand sacrifice, dans la même sphère où vit aussi Ahriman. L’homme pourra choisir entre le Christ et Ahriman » (GA 26, p. 104). Il ne sera toutefois possible de faire, dans ce cas, le bon choix que si l’homme ne succombe pas aux tentations d’Ahriman, qui sont particulièrement fortes dans ce domaine, avant la rencontre avec le Christ. Pour que cela ne se produise pas, l’homme a besoin de l’aide de Michaël, c’est-à-dire de la voie de la connaissance décrite par Rudolf Steiner dans La philosophie de la liberté.« Les hommes dont le regard est ouvert au monde suprasensible qui jouxte immédiatement le monde visible », écrivit Rudolf Steiner, « perçoivent Michaël et les siens [...] œuvrant à ce qu’ils voudraient faire pour les hommes. Ces hommes [dont fait partie en tout premier lieu Rudolf Steiner lui-même] voient que l’homme, en pleine liberté, doit être, par l’image de Michaël dans la sphère d’Ahriman, détourné d’Ahriman vers le Christ [...] Car comprendre Michaël signifie aujourd’hui trouver le chemin du Logos, que le Christ vit [de manière suprasensible] parmi les hommes sur la Terre » (GA 26, pp. 104 sq., 110). Ces paroles, que Rudolf Steiner a écrites à la fin de sa vie sous une forme objective et stricte selon la science de l’esprit, retracent en fait ses propres expériences dans le monde suprasensible à la fin du XIXe siècle. Elles attestent que l’homme, aujourd’hui, « trouve aussi la voie qui conduit au Christ [...] par le lien qu’il noue avec Michaël » (GA 26, p. 124).Si l’on résume l’importance de la rencontre de Rudolf Steiner avec Nietzsche pour l’histoire des idées, on peut dire que ce dernier s’est précipité avec une audace incroyable et un grand courage dans le royaume d’Ahriman, sans s’être forgé auparavant l’épée du nouveau penser michaélique, et il devint, pour cette raison, une victime du maître illégitime de ce monde. Dans un même temps, Nietzsche ouvrit, sans s’en rendre compte lui-même, le chemin du christianisme de l’avenir, en particulier dans ses œuvres tardives, où il se détournait, de la façon la plus radicale, du christianisme historique. Car pour chercher le Christ non pas dans les cieux, selon la méthode traditionnelle, mais dans le royaume d’Ahriman, c'est-à-dire non pas avant, mais après le Mystère du Golgotha, il est nécessaire de changer radicalement toute l’orientation de sa propre quête, comme Nietzsche l’a fait. C’est ainsi seulement qu’il est devenu possible de se rapprocher du Christ absolument sans condition préalable. Les fondements du nouveau christianisme de l’avenir ne devaient pas être établis sur la base de traditions et de survivances du passé, mais par une perception directe du Christ dans le monde supérieur, c'est-à-dire « par le fait de s’être tenu spirituellement devant le Mystère du Golgotha », vécu « dans une célébration de la connaissance au plus haut degré intime et solennelle » (GA 28, II, chap. XXVI, p. 131, Traduit) et à laquelle on peut accéder par un mode de penser vif à l’extrême et spiritualisé au plus haut degré - en réalisant de façon concrète le principe fondamental de la connaissance de La philosophie de la liberté.La tragédie de Nietzsche a été qu’il a en réalité cherché le Christ dans le royaume d’Ahriman, mais qu’il n’a pu le trouver sans l’aide de Michaël, c’est pourquoi il s’est précipité dans l’abîme. Rudolf Steiner, par contre, armé des forces de Michaël au moment où il pénétra dans ce monde ténébreux, put suivre jusqu’au bout le chemin emprunté par Nietzsche après l’avoir suivi dans l’abîme, et put s’en relever, comme un initié chrétien d’une nature toute nouvelle, comme un initié qui pouvait - pour la première fois - réunir en lui-même le principe de la liberté et le principe de l’amour.Il n’existe donc ainsi en réalité aucune contradiction entre les propos tenus par Rudolf Steiner sur Nietzsche en 1 894 et en 1924. Car il s’agit, dans le premier cas, d’une description du chemin de Nietzsche, suivi également par Rudolf Steiner, de l’intérieur, du point de vue donc du chemin dont le but n’avait pas encore été atteint à cette époque, et dans le deuxième cas, d’une description de ce chemin à la lumière de la connaissance acquise du Christ, de l’extérieur, c'est-à-dire de son point culminant si l’on considère rétrospectivement le chemin parcouru. Bien plus, si nous comprenons qu’il ne s’agit pas ici d’une « contradiction », mais de l’expérience la plus importante de l’initiation moderne, nous pouvons alors comprendre aussi le chemin michaélique vers le Christ, qui conduit par le royaume de la mort à une vision consciente et à une participation consciente au processus de résurrection.« Il est libre », c’est par ces paroles michaéliques que Rudolf Steiner termina La philosophie de la liberté. Pour lui-même, qui avait réellement vécu cette liberté et avait pu la sauvegarder même dans le royaume de l’adversaire principal de celle-ci, Ahriman, tout le chemin accompli se terminait par les paroles qu’il a vécues comme la réalité spirituelle la plus élevée : « L’homme sera libre et c’est pourtant en intime communauté avec le Christ qu’il poursuivra à travers le cosmos son chemin de vie selon l’esprit » (GA 26, p. 105 ; ital. R. Steiner).Seul celui qui s’est montré apte à porter dans le royaume des ténèbres d’Ahriman le flambeau lumineux de la liberté conquise par lui-même sur terre peut aspirer à cette « intime communauté avec le Christ » ; celui qui, comme Rudolf Steiner, est descendu de son plein gré dans cette région du monde spirituel où aboutissent, devant l’abîme du monde, toutes les voies de l’esprit et de la matière, et où vivent non pas les esprits lumineux des hiérarchies, mais les êtres démoniaques du mensonge et de la mort. Celui qui est capable, comme serviteur intrépide de Michaël, de pénétrer dans cette région, et qui porte en son âme l’expérience enthousiaste de La philosophie de la liberté, peut faire l’expérience, dans ce monde de la mort, de la semence de la nouvelle terre et du nouveau ciel (Apoc. 21,1) qui sont portés par l’Être qui est véritablement « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6), mais avant tout la source intarissable des forces de résurrection qui peut également se déverser dans le royaume d’Ahriman.Ce que l’auteur de La philosophie de la liberté exprima de nombreuses années plus tard n’était pas seulement une vérité suprême, mais c’était également une réalité vécue personnellement : « Que nous puissions être des êtres libres, nous le devons à un acte d’amour divin [le Mystère du Golgotha]. Nous pouvons ainsi en tant qu’hommes nous sentir comme des êtres libres, mais nous ne devons jamais oublier que nous sommes redevables de cette liberté à l’acte d’amour du dieu » (GA 131, 14 octobre 1911).Nous avons ici, pour ainsi dire, le phénomène originel du chemin initiatique de Rudolf Steiner, qui commença par l’enseignement reçu par le Maître rose-croix, le représentant du courant central du christianisme ésotérique, qui le conduisit ensuite à faire l’expérience de Michaël dans le monde suprasensible, l’Esprit du temps de notre époque, et de lui à la rencontre personnelle avec l’entité du Christ.« Ce qui comptait pour l’évolution de mon âme, c’est de m’être tenu spirituellement devant le Mystère du Golgotha, dans une célébration de la connaissance au plus haut degré intime et solennelle » (GA 28, II, chap. XXVI, Traduit). Par ces quelques mots, Rudolf Steiner évoque, dans son autobiographie, l’événement central de sa vie.Pour réellement comprendre l’importance de cette expérience sur le chemin initiatique chrétien moderne suivi par Rudolf Steiner, il faut prendre en considération ses trois degrés principaux, connus dans la science de l’esprit comme ceux de l’imagination, de l’inspiration et de l’intuition. Au premier degré, les images des êtres spirituels se révèlent à l’élève, l’un des premiers à en faire partie étant aussi l’être suprasensible appelé le « petit gardien du seuil » (voir GA 10). Au second degré, celui de l’inspiration, le disciple de la science de l’esprit ne voit pas uniquement les images, mais les actes d’êtres spirituels. Ce second degré le conduit à la rencontre du « grand gardien du seuil ». Faire l’expérience de Michaël dans son combat contre le dragon n’est également possible qu’au degré de l’inspiration. Enfin, au degré de l’intuition, le disciple saisit l’être intérieur proprement dit des entités perçues par lui dans les mondes spirituels. « Ce [grand] Gardien se transforme pour la perception de l’élève en science de l’esprit en la figure du Christ » (GA 13, p. 380).Si nous jetons maintenant un regard en arrière sur le phénomène originel de l’initiation de Rudolf Steiner sur la base de tout ce qui a été dit jusqu’à présent, on peut dire que son travail intérieur pendant la période entre sa rencontre avec le Maître rose-croix et son expérience de Michaël était orienté vers la transformation du « petit gardien du seuil » dans le monde de l’imagination (1880-1889) ; pendant la période qui a suivi - entre la rencontre suprasensible avec Michaël et l’expérience du Christ (1890-1899) -, il a consisté à suivre inspirativement les instructions du « grand gardien du seuil » 16, et de la fin du siècle jusqu’à sa mort, son activité a consisté à servir le Christ sans discontinuer, en liaison intuitive permanente avec son être solaire.Une telle expérience du Christ au niveau de l’intuition permet de distinguer clairement deux aspects desquels on peut dire, selon La philosophie de la liberté, qu’un élément est en rapport avec le concept et l’autre avec la perception, et que ce n’est qu’ensemble qu’ils constituent une connaissance totale de l’entité du Christ. Au premier élément correspond l’expérience du Christ en tant que « Je cosmique » ou le « divin Je suis ». Le Christ est alors, devant l’initié, comme une entité dans laquelle « chaque Je humain trouve son fondement originel » (GA 13, p. 287). Au second élément correspond l’expérience de l’importance centrale du Mystère du Golgotha pour toute l’évolution de la Terre. A ce sujet, Rudolf Steiner écrit : « Lorsque de la sorte le Christ est reconnu par l’intuition dans le monde spirituel, alors devient également compréhensible ce qui s’est déroulé sur la Terre au plan historique au cours de la quatrième époque postatlantéenne de l’évolution terrestre » (ibid., p. 380 sq., Traduit). L’homme sait alors, par sa propre expérience spirituelle, que « l’événement de Palestine est au point central non pas pour l’évolution physique de l’humanité seulement, mais aussi pour l’ensemble des autres mondes spirituels auxquels appartient l’homme » (ibid., p. 286).Ce n’est que par l’union de ces deux éléments de l’unique événement du Christ que peut s’opérer une véritable union d’être (communion) avec lui. Car la caractéristique la plus importante de la connaissance intuitive réside - selon la description de la science de l’esprit - dans la possibilité de ne faire qu’un avec l’autre être sans se perdre soi-même. Et, dans un même temps, le degré de l’intuition permet à l’initié de comprendre le mystère de l’esprit qui pénètre le principe physique du monde et peut le transformer. Ainsi, l’intuition ouvre aussi à l’initié la porte pour connaître le Mystère du Golgotha qui constitue la base pour surmonter la mort dans le monde de la matière par la force du Christ ressuscité.Rudolf Steiner put ainsi, par la rencontre personnelle avec le Christ au sommet de son initiation, concrétiser, au degré élevé de l’intuition, les paroles de l’apôtre Paul « Non pas moi, mais le Christ en moi », c'est-à-dire la fusion entière et totale de son Je individuel avec son principe cosmique, le Je cosmique du Christ. Car le Christ est le seul être de tous les mondes qui puisse entrer dans le Je humain sans l’effacer, mais qui, au contraire, accroît à l’infini les forces et les capacités individuelles de celui-ci, car l’être du Je cosmique est identique à celui de l’homme. C’est de là que provient le « ressenti profond de l’âme » au moment de la rencontre avec le Christ que Rudolf Steiner décrit ainsi : « Le Christ me donne ce qui fait de moi un être humain » (GA 26, p. 122). Et à un autre endroit : « Tu peux accéder à la dignité humaine ; mais il y a une chose que tu ne dois pas oublier, c’est que ce que tu es [en tant qu’être doué du Je], tu le dois à celui qui t’a rendu ton archétype humain par la rédemption au Golgotha ! » (GA 131, 14 octobre 1911). Cette expérience décisive se fait lorsque le Je humain est en mesure de vivre intuitivement dans le Christ le « grand modèle de l’homme pour la Terre » (GA 13, p. 380) en s’unissant à la vie terrestre du Je cosmique. « Car seul un Je a accès à un autre Je » (GA 13, p. 117, Traduit).La nature de la communion spirituelle avec le Christ dans l’intuition consiste pour l’homme à accueillir dans son propre Je le Je cosmique du Christ, lequel, en s’unissant avec le Je humain, le traverse pour ainsi dire et y laisse son empreinte comme un signe vivant de la présence immuable du Christ en lui.Cela permet également de comprendre en quoi consistait réellement le fait « de s’être tenu spirituellement devant le Mystère du Golgotha », décrit par Rudolf Steiner dans son autobiographie. Car sa propre expérience spirituelle lui permettait d’apporter son témoignage, après avoir vécu son expérience avec le Christ dans l’intuition et, de là, être à nouveau descendu dans la sphère de l’imagination : « Oui, vraiment, il est possible de parvenir à l’imagination du mont sur lequel la croix était dressée, cette croix où fut attaché un dieu dans un corps humain, un dieu qui a accompli cet acte délibérément - c'est-à-dire par amour -, afin que la Terre et l’humanité puissent atteindre leur but » (GA 131, 14 octobre 1911).Le fait de s’être tenu spirituellement devant le Mystère du Golgotha a permis aussi à Rudolf Steiner de pénétrer au fond de l’essence des Mystères du Saint Graal qui ont leur origine sur la colline du Golgotha et qui ne peuvent entièrement se révéler qu’en ce « lieu du crâne » de l’évolution de la Terre. Comme il l’écrivit à la fin de sa vie, la coupe sacrée recèle depuis le début le « secret du Golgotha » (GA 26, p. 223). C’est pourquoi « s’être tenu spirituellement » devant elle signifie pour l’initié la réception du contenu du Graal, qui lui donne « à notre époque [...], à partir de l’âme de conscience [...] à la lumière de l’activité de Michaël, une nouvelle et pleine compréhension du Mystère du Golgotha » (ibid.). Rudolf Steiner parlait dans son autobiographie de la « célébration de la connaissance » avec laquelle s’acheva sa communion spirituelle avec la coupe sacrée, ce qui se produisit pour la première fois à l’époque de l’âme de conscience - au moment de la régence de Michaël dans l’humanité. Rudolf Steiner a ainsi atteint, dans le processus de sa propre initiation, le degré où il put lui-même accueillir dans son propre Je individuel, « à la vue » de la coupe sacrée (GA 109, 11 avril 1909), un double du Je macrocosmique du Christ, et, en recevant cette communion, devenir lui-même le porteur de cette copie « dans une célébration de la connaissance au plus degré intime et solennelle ».Les paroles suivantes de Rudolf Steiner doivent donc être considérées, malgré leur forme objective basée sur la science de l’esprit, également dans leur dimension autobiographique des plus personnelles : « Si les âmes se laissent enflammer pour la compréhension de tels mystères par la science de l’esprit, si nos âmes s’emploient à une telle compréhension, les âmes acquerront la maturité pour connaître le Mystère du Je du Christ à la vue de cette coupe sacrée, du Je éternel auquel chaque Je humain peut accéder. Ce mystère, il existe - les hommes n’ont qu’à se laisser inciter par la science de l’esprit à comprendre ce mystère comme une réalité, pour recevoir le Je du Christ à la vue du Saint Graal. Pour cela, il est nécessaire de comprendre ce qui est advenu comme un fait, de l’accepter comme un fait. » Car « ce n’est qu’ainsi que les hommes apprendront à comprendre dans quelle mesure Jésus-Christ est le grand exemple de l’humanité » (ibid.). Ce n’est que grâce à cette expérience que Rudolf Steiner put, au moyen de la science de l’esprit fondée dès lors par ses soins, poser les bases permettant aussi à d’autres hommes de pouvoir recevoir à l’avenir une copie du Je du Christ. Il en parla ainsi ultérieurement : « Préparer les hommes à rendre leur âme mûre afin qu’un nombre toujours croissant d’hommes puisse désormais aussi recevoir en eux une copie de l’entité du Je du Christ-Jésus fait partie de la mission intérieure du courant spirituel universel [de l’anthroposophie] » (GA 109, 7 mars 1909).Tout cela peut contribuer à éclairer les phases suivantes du développement de l’anthroposophie sur la Terre, dont il sera question par la suite. Car ce n’est qu’en considérant que « le fait de s’être tenu spirituellement devant le Mystère du Golgotha » a également constitué pour Rudolf Steiner une réelle initiation aux Mystères du Graal, à savoir qu’il a accueilli dans son propre Je une copie du Je du Christ provenant de la coupe sacrée, que nous comprenons aussi qu’il ait pu nommer, dans un sens très concret, la science de l’esprit fondée alors par lui-même une « science du Graal » (GA 13, p. 392), et que les initiés modernes - en tout premier lieu lui-même - puissent être qualifiés d’« initiés du Graal » (ibid.).Nous avons ainsi en tout quatre étapes de métamorphose qui se reflètent dans l’évolution de l’anthroposophie sur la Terre : l’initiation de Rudolf Steiner aux Mystères du Saint Graal a lieu vers 1 899. Cela a pour conséquence essentielle le fondement de l’anthroposophie ou de la « science du Graal » moderne par lui-même, qu’il exposa sous la forme la plus complète dans son livre La science de l’occulte dans ses grandes lignes - l’ouvrage fut achevé en 1909. Suivit en 1913 la pose de la pierre de fondation du Johannesbau, comme fut tout d’abord appelé le premier Goetheanum, dont les formes rendaient pour la première fois visibles, également au regard extérieur, la teneur des pensées de la « science du Graal ». C’est aussi pourquoi il ressort de plus en plus nettement d’une étude approfondie des formes du Johannesbau que ce bâtiment présente de nombreux aspects d’un temple du Graal moderne. Enfin, en 1923, cette métamorphose atteint son point culminant au Congrès de Noël : l’apparition du nouveau Graal michaélique sur terre et sa remise à tous les disciples de la science de l’esprit.
1. L’expérience du Graal par Rudolf Steiner2. La création de la « science du Graal », La science de l’occulte dans ses grandes lignes3. La construction du Temple du Graal, le Johannesbau4. L’apparition du Graal, le Congrès de Noël
Ce n’est qu’en retenant cette expérience centrale du chemin initiatique de Rudolf Steiner et, dans le même temps, la finalité de la science de l’esprit qu’il a fondée, que nous pouvons comprendre toutes les facultés spirituelles inhabituelles qui se sont manifestées chez lui dans les années qui ont suivi.Rudolf Steiner caractérisa l’essence de ces facultés de manière tout à fait objective dans La science de l’occulte dans ses grandes lignes comme suit : « L’impulsion du Christ [dans le sens de la science de l’esprit moderne], bien comprise, agit en ce sens que l’âme humaine qui l’accueille se ressent comme un membre d’un monde spirituel à l’extérieur duquel elle s’était trouvée exclue auparavant, se reconnaît et se comporte en tant que tel » (GA 13, p. 394). Ce qui signifie que l’homme qui a accueilli en son âme (en son Je) le Je cosmique du Christ peut désormais s’élever dans le monde spirituel à tout moment tout en conservant pleinement sa conscience terrestre.Cela explique également les facultés spirituelles de Rudolf Steiner, que de nombreux contemporains trouvaient assez inconcevables. Car il pouvait non seulement évoluer librement sur les différents plans et dans les différentes sphères des mondes suprasensibles, mais il pouvait également les décrire à l’aide de concepts terrestres, avec la même précision et tout aussi concrètement qu’Ernst Haeckel par exemple avec ses observations faites au cours de ses nombreuses expéditions. Mais tout cela n’était possible que parce que le Je de Rudolf Steiner était constamment imprégné des forces du Je cosmique du Christ lorsqu’il s’élevait ainsi vers les mondes suprasensibles. Car « l’être humain se sent grâce au Christ élevé au-dessus de la simple existence terrestre quand il se sent ne faire qu’un avec l’environnement stellaire de la Terre et avec tout le spirituel-divin que l’on peut connaître dans cet environnement stellaire » (GA 26, p. 122). C’est ainsi que Rudolf Steiner caractérisa cette faculté de l’initié par le Christ d’être en rapport conscient avec le cosmos spirituel entier. Et une deuxième faculté encore est étroitement liée à cette dernière. Grâce à elle, Rudolf Steiner pouvait, tandis qu’il s’entretenait avec une personne ou donnait une conférence - c'est-à-dire tandis qu’il vivait en toute conscience une situation concrète sur le plan terrestre -, s’élever parallèlement vers le monde spirituel, y procéder à des recherches spirituelles complexes et en traduire les résultats instantanément en mots et images intelligibles pour l’homme. Autrement dit, cette deuxième faculté, qui consistait à rester conscient sans discontinuer, lui permettait à chaque instant de franchir de nouveau le triple abîme de l’oubli, du sommeil et de la mort dans les deux sens, l’abîme qui sépare le monde sensible et le monde spirituel. Car cet abîme n’existe plus pour celui qui a accueilli en son Je les forces du dieu qui a surmonté la mort par sa Résurrection.L’expérience du Christ au degré de l’intuition relie ainsi l’initié non seulement avec les hauteurs (« l’environnement stellaire » autour de la Terre), mais aussi avec les bas-fonds du monde et lui révèle comment les forces du Je cosmique ont vaincu le pouvoir de la mort dans l’existence terrestre lors du Mystère du Golgotha. Il devient ainsi possible à l’initié, qui porte en lui une copie du Je du Christ, de puiser des forces de résurrection à partir de son lien spirituel avec le Christ. La présence du Je cosmique dans son propre Je devient pour lui une source des forces triomphant de la mort dont l’accès n’est devenu possible que grâce à l’acte de sacrifice du dieu sur le mont du Golgotha.Ces deux éléments, qui ensemble constituent le Mystère vivant du Christ : dans ses hauteurs avec la descente du Je cosmique du Soleil vers la Terre (le baptême), et dans ses profondeurs avec la victoire sur la mort dans le monde de la matière (le Mystère du Golgotha), ont existé séparément durant de nombreux siècles dans l’existence de l’humanité au niveau de l’histoire des idées. Le mystère solaire du Christ, son lien avec tout le macrocosme en tant que Logos solaire, faisait partie du christianisme cosmique dont le gardien dans le monde spirituel était l’archange solaire dirigeant, Michaël. Sur terre par contre, et en particulier dans les cercles du christianisme ésotérique (rose-croix), c’est l’autre face du mystère qui était gardée : le mystère de la mort et de la résurrection du dieu qui s’était fait homme au Golgotha.L’union de ces deux courants du christianisme cosmique et du christianisme ésotérique par l’instauration des nouveaux Mystères chrétiens sur terre était désormais - comme nous le verrons - la mission principale de Rudolf Steiner. C’est pourquoi son destin (karma) l’a tout d’abord amené, pendant sa préparation à l’accomplissement de sa mission, à sa rencontre avec le Maître rose-croix et, ensuite, à la perception de Michaël dans la sphère spirituelle la plus proche de la Terre. Il était ainsi préparé, en faisant l’expérience du Christ au degré de l’intuition, à jeter les fondements de cette union. Car les deux aspects s’unissent tout naturellement en un tout indissociable dans l’expérience intuitive du Christ, étant donné que seule la connaissance intuitive est en mesure de saisir simultanément l’aspect cosmique et ésotérique (terrestre) du Mystère universel du Christ. Après avoir vécu, dans l’intuition, la « naissance » et la « mort » du Christ dans l’existence terrestre par lesquelles l’innatalité et l’immortalité du principe du Je se sont révélées à lui, c'est-à-dire le noyau éternel du principe du Je, Rudolf Steiner put pénétrer jusqu’à l’expérience des forces de résurrection émanant du Mystère du Golgotha qui constituent la synthèse la plus haute du christianisme cosmique et ésotérique.Il a lui-même attiré l’attention sur ce point à la fin de sa vie : « Et de même qu’on pouvait dire en d’autres circonstances : l’anthroposophie est une expérience de Noël, de même on peut dire que l’anthroposophie est elle-même, dans son action globale, une expérience de Pâques, une expérience de résurrection, liée à l’expérience du tombeau » (GA 233a, 22 avril 1924).Cela explique également les remarques vives de Rudolf Steiner au sujet du christianisme (d’Église) officiel dans les dernières années de la fin du XIXe siècle. Il exposa plus tard les raisons de sa prise de position : « Lorsque j’écrivais le mot "christianisme" à cette époque, j’avais à l’esprit la théorie de l’au-delà qui agissait dans les confessions chrétiennes [...] Ma vision spirituelle s’opposait à cela » (GA 28, II, chap. XXVI).L’enseignement des Églises chrétiennes portant sur « l’au-delà » du monde spirituel (et, par voie de conséquence, sur le fait qu’il est inaccessible à la connaissance au sens scientifique) par opposition à « l’ici-bas » du monde de la nature qui est exploré par la science, a certainement constitué, pour les hommes, l’obstacle majeur à la compréhension du Mystère du Golgotha. Car son essence consiste justement en cela que le Christ a, une fois pour toutes, franchi l’abîme qui sépare les mondes spirituel et naturel. Par la Résurrection, le Christ a tout d’abord spiritualisé les forces naturelles de son corps physique et a ensuite, à partir de la Pentecôte, amené le ciel même (les forces du dévachan) sur la Terre. Dans les termes de Rudolf Steiner : « À partir de l’événement de la Pentecôte, l’entité du Christ a vécu ce qui pour elle signifiait la même chose que pour l’homme son passage dans le monde des esprits [dévachan] : l’émergence dans la sphère terrestre. Et au lieu de venir dans un dévachan, dans une région spirituelle, comme l’homme après la mort, l’entité du Christ a fait le sacrifice d’ouvrir pour ainsi dire son ciel sur la terre, de le chercher sur terre » (GA 148, 3 octobre 1913). Chercher ce « nouveau ciel », dont il est également question à la fin de l’Apocalypse, sur la Terre, c'est-à-dire participer à sa réalisation sous la conduite du Christ, telle est dès lors la tâche de chaque vrai chrétien. Et c’est dans ce sens que Rudolf Steiner a agi dès le début en présentant partout, dès ses premiers articles et livres, un monisme spirituel, et rejetant ainsi résolument toute division du monde unitaire en sphères qui s’opposent, une division en un monde naturel « d’ici-bas » scientifiquement connaissable mais dépourvu de tout esprit, et un « de l’au-delà », un monde donc de l’esprit ou de la révélation non connaissable par des méthodes scientifiques. Car si l’humanité persistait dans cette erreur fatale, elle continuerait à être condamnée à une incompréhension totale de la vérité christique centrale, la vérité selon laquelle le Verbe divin lui-même « s’est fait chair » au tournant des âges, surmontant ainsi la dualité de la division en deux de l’univers unitaire, en un monde d’ici-bas et un de l’au-delà. Le fait qu’il ait suivi rigoureusement le chemin du monisme spirituel ou, ce qui revient au même, le chemin de La philosophie de la liberté, conduisit Rudolf Steiner à une expérience personnelle du Mystère christique central et, ensuite, à fonder sur cette base la science de l’esprit moderne qui unit les deux sphères.Avant de nous consacrer à l’anthroposophie, le support actuel de l’impulsion de résurrection, sous l’angle de son évolution sur la Terre, nous devons encore considérer une particularité des facultés spirituelles de Rudolf Steiner, même si ce n’est que brièvement, une particularité qui suscite aujourd’hui encore, même parmi les anthroposophes, de nombreux malentendus.Celui qui étudie de façon approfondie le livre de Rudolf Steiner Autobiographie, sera tout d’abord frappé par deux intentions de son auteur. Premièrement, il veut montrer qu’au cours de sa propre évolution spirituelle, de sa plus tendre enfance jusqu’à la fin de sa vie, à l’époque où il a écrit le livre, aucun changement fondamental ne s’est produit dans sa conception du monde, et cela veut dire qu’il n’y a pas eu de contradictions, de ruptures intérieures ou de « changements de cap », mais un développement continu, sans jamais perdre de vue les objectifs qui en résultaient. Il écrivit à ce sujet : « Je n’évoluais pas, comme beaucoup le croient, en vertu de contradictions. Si c’était le cas, je l’admettrais volontiers. Mais ce ne serait pas la réalité de mon évolution spirituelle. J’évoluais de telle sorte que j’ajoutais de nouveaux domaines à ce qui vivait dans mon âme » (GA 28, II, chap. XXX).Deuxièmement, l’intention de l’auteur voulant montrer au lecteur que son évolution spirituelle était avant tout basée sur des efforts individuels et conscients et qu’à aucun moment elle lui a été tout simplement « offerte » d’en haut, se retrouve comme un fil conducteur dans toute son autobiographie. Rudolf Steiner a sans aucun doute apporté dans cette vie des facultés individuelles remarquables, issues de ses incarnations antérieures. Mais ce qui était particulièrement important pour lui dans son autobiographie était de spécifier que ce n’étaient pas ces facultés qui étaient essentielles, mais ses propres efforts individuels, sa quête et ses combats intérieurs, c'est-à-dire toutes les expressions les plus diverses de sa personnalité terrestre concrète dans son aspiration continuelle et inébranlable vers le spirituel.Les fondements ésotériques de ce que Rudolf Steiner exposa sous une forme plus exotérique dans son livre Autobiographie ont déjà été présentés dans ce chapitre. Son motif central, qui relie tout ce qui a été relaté en un tout cohérent, c’est le lien permanent de Rudolf Steiner avec le monde spirituel, dans lequel il se sentait chez lui, comme il le disait lui-même, et ce dès sa plus tendre enfance. « Car la réalité du monde spirituel était pour moi aussi sûre que celle du monde sensible [...] Mais je dois également dire : j’aimais vivre dans ce monde. Car j’aurais perçu le monde sensible comme un monde de ténèbres spirituelles s’il n’avait pas reçu la lumière de cet autre côté » (GA 28, I, chap. 1). Le lien permanent avec le monde spirituel, les efforts conscients, s’intensifiant et s’amplifiant sans cesse, du Je individuel qui aspirait à la plus haute connaissance, conduisirent aussi Rudolf Steiner à vivre les expériences occultes spirituelles qui constituent le phénomène primordial de son initiation, dont la culmination fut la réception de l’image du Je cosmique du Christ dans son propre Je.C’est dans cet événement central de la vie de Rudolf Steiner que se trouve aussi la clef pour comprendre son être intérieur. C’est à partir de ce point central que tout ce qu’il dit plus tard dans ses conférences sur « L’économie spirituelle » prend toute sa signification : que, dans le passé, des hommes karmiquement prédisposés recevaient dans leurs enveloppes corporelles les copies de corps éthériques et astrals des grands initiés, voire du Christ-Jésus lui-même. Recevoir une copie du Je du Christ est par contre tout à fait autre chose. Car tout ce qui a trait au principe du Je ne peut se passer que pleinement consciemment et est toujours une conséquence du travail spirituel du Je humain lui-même. Nous avons déjà décrit comment Rudolf Steiner atteignit ce degré dans sa biographie. Le chemin vers cet objectif élevé est devenu accessible pour l’humanité, grâce à la science de l’esprit qu’il a fondée. Et ce n’est que parce qu’il l’a lui-même vécu qu’il a pu préparer le chemin aussi pour d’autres.La vie de Rudolf Steiner est ainsi l’exemple étonnant d’une évolution constante d’un Je individuel à qui il devient possible de s’unir à son image originelle cosmique la plus haute, en travaillant consciemment à ses enveloppes corporelles. C’est pourquoi - bien qu’il y ait aussi d’autres avis parmi les anthroposophes - on peut dire ici en toute certitude : le caractère particulier de l’initiation de Rudolf Steiner consiste justement en ceci que tout ce qu’il a atteint dans la vie, il l’a fait sur la base du principe de l’évolution du Je humain individuel, et non pas parce qu’il portait en lui le corps éthérique ou astral de l’un des anciens initiés auquel il aurait été redevable de l’un ou l'autre de ses acquis, qui ne seraient pas dus à ses efforts. Rudolf Steiner a effectivement formé lui-même, du début à la fin, toutes ses enveloppes à l’aide des forces de son propre Je conscient de soi.Il serait tout aussi impossible et absolument contraire à l’esprit de la Philosophie de la liberté d’avancer la théorie selon laquelle le Je de Rudolf Steiner aurait été entièrement ou partiellement « investi » par un autre Je. Car cela entraîne toujours un changement radical dans la biographie d’un homme, comme c’est par exemple le cas dans l’incarnation d’un bodhisattva. Et Rudolf Steiner veut justement montrer dans son autobiographie - même si ce n’est que sous une forme plus exotérique - qu’aucun changement notoire n’est advenu dans sa biographie. Ne pas comprendre cela revient à ne pas comprendre le nerf central de sa Philosophie de la liberté et à ne pas voir qu’il n’a pas fait qu’écrire ce livre, mais qu’il l’a vécu. Et seul le fait qu’il l’ait vécu ainsi, qu’il l’ait réalisé dans sa vie, l’a amené, au changement de siècle, à cette rencontre personnelle avec le Christ comme phénomène primordial de l’initiation chrétienne moderne.Ce que Rudolf Steiner avait ainsi acquis, puis transmis à l’humanité sous la forme de l’anthroposophie n’a été possible que parce qu’il ne portait dans ses enveloppes corporelles, dès le tout début, que les forces issues de ses propres incarnations antérieures et sur lesquelles il travailla avec son Je propre, et non pas avec l’appui de forces provenant d’autres Maîtres de l’humanité. C’est pourquoi il put aussi dire dans le sens ésotérique le plus profond : tout ce dont je parle dans mes conférences et tout ce que j’écris dans mes livres provient uniquement de mes propres investigations spirituelles et non d’un Maître occulte quel qu’il soit, ni d’êtres supérieurs du monde spirituel. Rudolf Steiner l’a toujours souligné et répété, dès le début de son activité au sein de la Société Théosophique. Il écrivit plus tard à ce sujet : « Personne n’ignorait que je ne présenterais au sein de la Société Théosophique que les résultats de ma propre vision de chercheur. Car je le disais à chaque occasion qui s’y prêtait » (GA 28, II, chap. XXX ; ital. R. Steiner).Le dieu du Je humain lui-même, le Christ, constitue la seule exception au développement caractérisé. En s’unissant au Je humain, il n’en fait pas son instrument inconscient, mais, au contraire, lui insuffle ce qui, dans l’ésotérisme chrétien, est appelé le Saint-Esprit, lui donnant ainsi la possibilité de réaliser l’adage central du christianisme ésotérique, le « Non pas moi, mais le Christ en moi », sans perdre son Je individuel. Et cela entraîne chez l’homme, comme nous l’avons vu à l’exemple de Rudolf Steiner, une intensification pratiquement illimitée de ses forces spirituelles. « Mais il [le Christ] a envoyé aux hommes l’entité divine qui n’efface pas la conscience du Je, vers laquelle on s’élève non pas par la contemplation, mais justement dans un esprit non contemplatif [car cette entité est immanente à la conscience humaine contemplant le monde spirituel]. Il a envoyé le Saint-Esprit à l’humanité » (GA 214, 30 juillet 1922).Mais que se passe-t-il chez l’initié qui a, dans ce sens, assimilé les forces du Je cosmique du Christ et est considéré digne de vivre ce qu’on appelle être rempli de l’Esprit saint dans l’ésotérisme chrétien ? Rudolf Steiner décrivit cet état de manière très objective à partir de sa propre expérience : « Et celui qui est donc illuminé, qui, en d’autres termes, a accueilli en lui le Saint-Esprit dans le sens de l’ésotérisme chrétien, parle dès lors dans un autre sens. Comment parle- t-il ? Il parle de telle sorte qu’il n’exprime pas son opinion lorsqu’il parle de Saturne, du Soleil, de la Lune, des différents éléments constitutifs de l’être humain, des processus de l’évolution de l’univers [...] Lorsqu’une telle personne parle de Saturne, c’est Saturne qui parle en elle. Lorsqu’elle parle du Soleil, c’est l’entité spirituelle du Soleil qui parle en elle. Elle est l’instrument ; son Je [terrestre] s’est effacé, c'est-à-dire est devenu impersonnel en de tels instants, et c’est le Je universel cosmique qui se sert d’elle comme instrument pour parler à travers elle. C’est pourquoi on ne peut parler d’avis ou d’opinions dans le cas des réels enseignements ésotériques issus de l’ésotérisme chrétien. Ce ne serait pas juste, au sens le plus élevé du terme. Ils n’existent pas ici » (GA 103, 31 mai 1908). Cela nous amène à comprendre pourquoi nous rencontrons si souvent l’expression « par Rudolf Steiner » à l’époque de l’anthroposophie. Comme par exemple dans le sous-titre du premier Drame-Mystère : « Un mystère rosicrucien par Rudolf Steiner », ou dans le programme du Congrès de Noël : « Pose de la Pierre de fondation de la Société anthroposophique internationale par Rudolf Steiner », etc. Il résulte très clairement de tout cela que, dans la mesure où de tels enseignements « sont effectivement issus de l’ésotérisme chrétien », c'est-à-dire qu’ils ont pour fondement l’union du Je humain avec le Je cosmique conduisant à l’illumination par le Saint-Esprit, il ne peut s’agir d’une médiumnité, mais uniquement d’une réalisation plus élevée et plus parfaite de ce qui est exposé dans La philosophie de la liberté. Là où par contre une telle union consciente avec le Christ n’existe pas, nous avons affaire à diverses formes de médiumnité ou de possession par différents êtres du monde spirituel, bons ou mauvais. Rudolf Steiner a évoqué à maintes reprises dans ses conférences H. P. Blavatsky comme exemple de médium classique, qui, à cause de ses facultés extraordinaires de médium, n’était pas en mesure de reconnaître l’être du Christ. Car il n’est pas possible de parvenir au Christ réel, et non à une hallucination, par une voie médiumnique.Mais c’est bien là que surgit la plus grande difficulté lorsqu’il s’agit de tenter de comprendre l’individualité spirituelle de Rudolf Steiner et ces facultés toutes nouvelles dont il fît preuve durant sa vie. Car lorsque toutefois non seulement différentes entités des hiérarchies, mais également de grands Maîtres de l’ésotérisme chrétien parlaient par Rudolf Steiner et que de rares auditeurs vivaient réellement leur présence suprasensible dans son entourage, le risque était grand d’identifier son individualité spirituelle exceptionnelle, son Je, aux Maîtres qui à ce moment-là parlaient et agissaient à travers lui.Ce qui se passait en réalité dans de tels cas reposait entièrement sur les possibilités de l’initiation chrétienne moderne grâce auxquelles Rudolf Steiner pouvait garder, sans discontinuer, sa conscience de soi ainsi que le contrôle de toutes les situations, jusqu’au moindre détail « terrestre » des plus insignifiants. Autrement dit, même lorsqu’une entité étrangère, des hiérarchies ou celle d’un autre homme, parlait par Rudolf Steiner, son Je imprégné du Christ était totalement présent. C’est même justement sa participation consciente au processus qui permettait à d’autres êtres de se manifester à travers ses différentes enveloppes et de présenter ainsi une forme concrète d’action commune entre les hommes et les êtres du monde spirituel. Rudolf Steiner a ainsi commencé, durant sa propre vie, la réalisation de l’idéal et de l’objectif le plus élevé dans l’évolution de la Terre qui consiste en ce que « les hommes doivent [...] coopérer avec les dieux » (GA 240, 19 juillet 1924).Lorsque Adolf Arenson, lors d’une conférence, voyait réellement comment le bodhisattva Maitreya œuvrait par Rudolf Steiner et qu’Élisabeth Vreede pouvait percevoir comment Zarathoustra œuvrait par lui au cours de l’une des leçons ésotériques, leurs témoignages ne se contredisent en aucune manière. Ils ne font en fait que compléter et élargir notre compréhension de l’entité spirituelle de Rudolf Steiner comme individualité tout à fait particulière qui ne peut en aucun cas, dans sa particularité et son unicité, être confondue avec une autre. Pour que cela ne se produise pas, il faut toujours tenir compte de la spécificité du phénomène primordial de son initiation consistant en une communion (intuitive) intime avec le Christ, le dieu du Je humain.Comme nous l’avons vu, seule cette union avec le Christ permet à Rudolf Steiner de pénétrer, pleinement conscient, dans le royaume de la mort où séjourne le dragon, pour l’amener, en vertu du dieu ressuscité, à rendre l’épée de l’intelligence michaélique qu’il avait dérobée, et à la mettre au service de Michaël-Christ, en fondant la science de l’esprit sur terre, qui est en mesure de percevoir l’esprit vivant partout dans le monde physique.Rudolf Steiner a décrit ce processus de nombreuses années plus tard de façon objective : « Et plus l’initié moderne, devant l’âme duquel le monde de la sphère supraterrestre a surgi, s’imprégne de ce que tout le monde aujourd’hui appelle science, plus il sent son âme dépérir. Les sciences sont, pour l’initié moderne, le tombeau de l’âme ; vivante, elle se sent déjà liée à la mort, lorsqu’il acquiert des connaissances sur le monde à la manière de la science moderne. Et il ressent fréquemment ce mourir de façon profonde et intense » (GA 214, 27 août 1922). Pour l’initié moderne, cela constitue la première étape de la descente « aux enfers » à laquelle sont liés tous les combats intérieurs contre les esprits ahrimaniens que Rudolf Steiner a décrits dans sa biographie. Pour échapper à la « mort de l’âme » dans cette sphère, liée à la perte de la conscience du Je, il faut trouver la transition du pôle de la mort au pôle de la résurrection. Et Rudolf Steiner enchaîne ainsi : « Si nous savons, en tant qu’initiés modernes, nous pénétrer du Christ tel qu’il est passé par le Mystère du Golgotha, si nous comprenons les paroles de Paul dans leur sens le plus profond, le plus intime : "Non pas moi, mais le Christ en moi", le Christ nous accompagnera alors également dans cette mort » (ibid.), l’homme trouvera alors, dans la mort, l’esprit qui, de l’univers de la nature extérieure, commencera à lui parler. « Si nous nous laissons accompagner par le Christ, nous portons nos pensées mortes [issues de la science de Haeckel] en compagnie du Christ dans le monde des étoiles, dans le monde du Soleil, de la Lune, des nuages, des montagnes, des fleuves, des minéraux, des plantes et des animaux, nous les portons dans l’ensemble du monde physique humain, tout devient vivant dans la contemplation de la nature, et l’Esprit vivant, qui nous guérit, qui nous ramène de la mort à la vie, le Saint-Esprit, comme surgissant d’un tombeau, se dégage de tous les êtres. Et nous nous sentons accompagnés par le Christ, de nouveau animés de ce que nous avons vécu comme étant la mort. Nous sentons l’Esprit vivant, guérissant, qui nous parle par tous les êtres de ce monde. C’est ce que nous devons de nouveau acquérir par une connaissance spirituelle, par une nouvelle connaissance initiatique. Nous comprendrons alors le Mystère du Golgotha comme étant le sens profond de toute l’existence terrestre » (ibid.). Car « notre connaissance reste morte, reste elle-même un péché si nous ne sommes pas ressuscités par le Christ de telle sorte que l’Esprit, l’Esprit vivant nous parle de nouveau par la nature entière, par toute l’existence cosmique [...] Car ce qui sinon serait une science morte [de même qu’un art et une religion morts] sera ressuscité par l’Esprit vivant » (ibid.).Nous voyons donc également ici de quelle manière le Saint-Esprit œuvre doublement en l’homme, selon le double mystère du Christ. D’une part, il maintient les forces du Je individuel et permet de réaliser la parole « Non pas moi, mais le Christ en moi », d’autre part, il révèle sa propre action dans tous les processus de la nature. Il en résulte que tout ce qui, antérieurement, paraissait mort dans la nature, est alors vivifié, empli des manifestations de l'Esprit. Il s’avère par là que le plus important est que l’initié ressente, à ce degré de l’initiation, que, dans les deux cas, aussi bien à l’intérieur de son Je que partout dans le monde, un seul et même esprit agit, qui relie l’homme à l’ensemble du monde - sans qu’il perde sa conscience individuelle du Je.Rudolf Steiner décrivit d’un point de vue un peu différent ce processus de transformation des sciences modernes de la nature en une vraie science de l’esprit, dans une conférence faite un an et demi plus tard : « Si vous étudiez aujourd’hui l’haeckélisme avec tout son matérialisme et en connaissance du principe d’initiation rose-croix dont il est question ici [qui conduit à l’expérience du Christ décrite ci-dessus], étudiez-le et laissez-vous imprégner de ce que sont les méthodes de connaissance à partir de Comment parvient-on à des connaissances des mondes supérieurs ?, [...] apprenez tout ce qu’on peut apprendre par la science extérieure, présentez-le ensuite aux dieux et vous obtiendrez ce qui est dit sur l’évolution dans mon livre La science de l’occulte » (GA 233a, 13 janvier 1924). Le contexte global de la conférence révèle en toute clarté que les « dieux » évoqués ici ne sont autres que Michaël et les esprits des hiérarchies qui le servent.Si l’on réunit les deux citations énoncées, on obtient une description de la naissance de la science de l’esprit sur la Terre. Après avoir suivi, dès sa 19e année, la voie d’initiation rose-croix, Rudolf Steiner vit, une douzaine d’années plus tard (vers 1 892), une rencontre avec Michaël en tant qu’Esprit du temps dans le monde spirituel attenant à la Terre, et perçoit dans sa sphère la question fondamentale de l’époque de son règne qui vient juste de débuter, la question de la suite du destin de l’intelligence cosmique descendue sur terre et qui, dans les siècles passés, a été en grande partie dérobée par Ahriman (à l’exception de la science de Goethe qui, jusqu'aujourd’hui, n’a pas été reconnue par la culture européenne).Pour résoudre cette question centrale de toute l’époque michaélique, Rudolf Steiner pénètre dans le royaume d’Ahriman, le royaume de la mort qui se trouve, dans un sens occulte, derrière toute la civilisation moderne née du développement tumultueux de la science matérialiste des derniers siècles. Dans ce royaume, sur le chemin décrit ci-dessus, a eu lieu la rencontre de Rudolf Steiner avec le Christ, à la suite de laquelle il peut alors libérer « en compagnie du Christ » l’intelligence cosmique tombée sous l’emprise d’Ahriman, pour la rendre ensuite, partant de sa liberté humaine, à Michaël et aux dieux qui lui sont attachés et pour recevoir d’eux en retour la teneur du livre La science de l’occulte dans ses grandes lignes, qui constitue le fondement de la science moderne de l’esprit. Après s’être vu confier cette tâche de la sphère de Michaël, encore à l’époque de Weimar, Rudolf Steiner put l’assumer à la fin du siècle, pour rencontrer ensuite dans le monde spirituel, en réponse à son acte libre, le « regard approbateur » de l’Esprit du temps qui dit alors : « C’est juste, c’est légitime devant la direction du cosmos » (GA 233a, 13 janvier 1924). Car à l’époque actuelle de sa régence, Michaël représente, comme Esprit du temps, le Saint-Esprit vis-à-vis de l’humanité, et accomplit la mission de ce dernier dans l’évolution de la Terre. Ce n’est qu’ensuite que Rudolf Steiner put procéder sur terre au fondement de l’anthroposophie, en puisant aux sources du Saint-Esprit, tout en plaçant en son centre la voie d’initiation rose-croix moderne.C’est ainsi que fut fondée la science de l’esprit au début du XXe siècle. Elle est née de la synthèse du courant des rose-croix et de celui de Michaël, ou aussi du christianisme ésotérique et du christianisme cosmique, d’une synthèse qui fut réalisée à l’époque de l’âme de conscience grâce à l’union d’un Je humain avec le Je cosmique du Christ. Rudolf Steiner put alors dire, lorsqu’il se présenta devant l’humanité comme Maître souverain rose-croix et comme envoyé moderne de Michaël au début du XXe siècle, que « la science de l'esprit d’orientation anthroposophique » qu’il avait fondée n’était pas seulement une continuation du rosicrucisme traditionnel, mais un nouveau rosicrucisme du XXe siècle33 ou un rosicrucisme de la nouvelle époque de Michaël qui s’est entièrement imprégné de son impulsion cosmique.On peut représenter l’initiation de Rudolf Steiner, qui a précédé la fondation de la science de l'esprit, de la façon suivante :C’est dans ce sens qu’il faut comprendre aussi les paroles suivantes prononcées par Rudolf Steiner après le Congrès de Noël : « Le monde doit à nouveau en venir à pouvoir intégrer le principe de l’initiation en tant que tel dans les principes de la civilisation. Car ce n’est qu’ainsi que l’homme, ici-bas, peut imprégner son âme de ce qui lui permettra de se présenter devant Michaël afin que le regard approbateur le touche : c’est conforme au monde » (GA 233a, 13 janvier 1924). Nous avons ici une indication directe concernant la tâche la plus importante de la science de l'esprit aujourd'hui : introduire dans la civilisation actuelle le principe de l’initiation rose-croix moderne telle qu’elle est décrite dans les livres et conférences anthroposophiques fondamentaux de Rudolf Steiner, afin que les hommes, au cours de la nouvelle époque de Michaël, puissent rencontrer ce dernier de la bonne façon dans le monde spirituel et que leurs actes sur terre, accomplis en suivant consciemment la voie de l’initiation rose-croix, soient approuvés par Michaël et qu’il puisse les intégrer dans le cosmos entier. « Michaël porte ainsi dans le cosmos ce que sont les actes terrestres des hommes, de sorte qu’ils deviennent des actes cosmiques » (ibid.). C’est seulement ainsi que la civilisation actuelle peut quitter la voie ahrimanienne sur laquelle elle se trouve, car le dragon ahrimanien est parvenu, au cours des siècles derniers, à contrôler l’intelligence michaélique se dirigeant vers la Terre. Et « d’aucune autre manière ! » Car « sauver la civilisation du déclin est étroitement lié à la compréhension de Michaël » (GA 240, 19 juillet 1924) et à « la volonté de Michaël qui n’est autre que ce qui précède la volonté du Christ, la force du Christ, pour implanter d’une manière juste cette force du Christ dans la vie terrestre » (GA 238, 28 septembre 1924).Ce n’est qu’en accédant à une telle compréhension des tâches de l’Esprit du temps que l’on peut parvenir au renforcement nécessaire de la volonté au sein de la civilisation actuelle pour devenir un véritable collaborateur et assistant de Michaël dans son action cosmique au service du Christ, dont nous avons un modèle dans la biographie de Rudolf Steiner. « La volonté est alors de ce fait affermie, l’homme intégré dans le développement spirituel du monde. L’homme devient alors ainsi un collaborateur de ce qui doit être intégré dans l’évolution de l’humanité et de la Terre par Michaël, et qui commence maintenant à l’époque de Michaël » (GA 233a, 13 janvier 1924). Car seule la liaison avec Michaël offrira à l’homme la possibilité de résister activement, dans la civilisation actuelle, aux forces ahrimaniennes dont l’influence, à la veille de l’incarnation d’Ahriman sur terre, grandira de plus en plus.Cette union du christianisme rose-croix et du christianisme michaélique dans la science de l’esprit servit également de base à l’union des courants des Mystères des bergers et des rois dans cette même science, renouvelés selon l’Esprit du temps michaélique. Dans des conférences ultérieures, Rudolf Steiner les dépeignit comme des voies ésotériques saturniennes et lunaires sur lesquelles on peut aborder, sous des angles différents, le Mystère central du soleil spirituel (voir GA 243, 21 août 1924). Elles doivent toutefois, à la lumière des nouvelles révélations de Michaël-Christ, être également réunies sur le terrain de la science de l’esprit. Car l’expérience de l’esprit agissant partout dans la nature grâce aux forces du Christ correspond à la voie renouvelée des bergers, et l’élévation de la science moderne dans le monde des dieux avec la force du Christ, pour ensuite recevoir d’eux les images de l’évolution du monde, correspond à la voie renouvelée des rois.Il découle de l’historique de la science de l’esprit sur terre présenté dans ce chapitre que son origine doit être cherchée dans le fait que le Je individuel d'un homme moderne a été imprégné de la force cosmique du Je universel du Christ :
Le Je individuelAu Je des mondesUnissent
Le Je individuel acquiert ainsi des facultés entièrement nouvelles qui laissent déjà, dès maintenant, entrevoir la prochaine étape de l’évolution de l’humanité. Un tel Je peut alors descendre, pleinement conscient, dans le royaume de la mort et en ressortir vainqueur, car il a trouvé l’accès aux forces de Résurrection du Christ. Et il peut ainsi rendre à Michaël l’intelligence cosmique qui avait jadis quitté sa sphère. Cette intelligence délivrée devient elle-même, dans le Je d’un tel homme, le support des forces de résurrection qui, sur ses ailes, peuvent se répandre sur l’ensemble de la civilisation moderne et ainsi la transformer progressivement.Le Je individuel de Rudolf Steiner, empli des forces universelles du Je du Christ, est la source humaine de la science de l’esprit, à partir de laquelle cette dernière se répand aujourd’hui dans le monde. C’est à elle que l’homme doit de pouvoir, pour la première fois depuis la naissance du christianisme, établir un lien conscient avec les forces de résurrection. La science de l’esprit, d’un point de vue ésotérique, n’est ainsi rien d’autre, dès son origine, que le message michaélique de la résurrection qui s’adresse à la pleine conscience de chaque homme, à son Je individuel tel qu’il apparaît aujourd'hui dans l’âme de conscience.Rudolf Steiner distingue trois périodes (voir GA 257 et 258) dans le processus de propagation de la science de l'esprit dans le monde, dont chacune, comme chez tout être vivant, a une durée de sept ans et un caractère propre ainsi que des particularités spirituelles.Les sept premières années, qui englobent la période de 1902, année où Rudolf Steiner prit la direction de la section allemande de la Société Théosophique, à 1909, où il acheva la rédaction de La science de l’occulte dans ses grandes lignes, furent principalement consacrées à la présentation des fondements de la science moderne de l’esprit. C’est aussi la période où il écrivit d’autres ouvrages fondamentaux de la science de l’esprit : La théosophie, Comment acquérir des connaissances sur les mondes supérieurs ? et Chronique de l’Akasha.En ce qui concerne la particularité de ce premier septénaire, il est à noter : grâce aux recherches dans le domaine de la science de l’esprit, il est devenu possible pour l’humanité, et ce pour la première fois dans l’ensemble de son évolution, de comprendre les mondes supérieurs de manière approfondie, précise et objective, de la même manière que la science des siècles derniers avait appréhendé le monde de la réalité perceptible par les sens. Chaque homme de bonne volonté a désormais la possibilité de penser le contenu suprasensible du monde sous des formes qui, dans leur essence, ne diffèrent pas de celles de la science. C’est ainsi que furent posées les bases permettant de triompher au sein de l’humanité, dans le domaine de la connaissance, des conséquences de ce qu’on appelle la « chute originelle ». Car la chute originelle a rendu l’homme incapable d’appréhender le suprasensible par des méthodes scientifiques. Du fait qu’il ne peut saisir que le matériel à partir de ces méthodes et qu’il ne peut que croire au spirituel sur la base de telle ou telle tradition reçue, l’homme, de nos jours, est inéluctablement et tragiquement en voie de devenir intérieurement de plus en plus semblable à ce qu’il est en mesure de comprendre, c'est-à-dire qu’il est en voie de s’assimiler à la matière.« Tu ressembles à l’esprit que tu comprends, non à moi ! » déclare l’Esprit de la Terre à Faust qui l’avait invoqué, provoquant ainsi en lui effroi et confusion. Mais l’humanité, qui ne reconnaît depuis des siècles que le monde physique sensible, est aujourd’hui directement exposée au danger de la matérialisation de son être intérieur, et aucune des traditions religieuses héritées ne pourra l’aider à y échapper. En d’autres termes, l’humanité, après avoir perdu, depuis bien des siècles, la juste compréhension de l’esprit, s’achemine peu à peu vers la perte de son âme, ce qui ne peut en définitive que la conduire inéluctablement à l’union totale et définitive avec la matière. Le matérialisme, comme Rudolf Steiner le disait à cet égard, est une doctrine erronée, mais il présente le terrible danger de devenir réel. Dans l’Apocalypse, le danger de perdre non seulement tout contact avec le monde spirituel - ce qui s’est pratiquement déjà produit avec l’humanité - mais également la spiritualité de l’âme elle-même, est appelé la « seconde mort » (Apoc. 20,6).La science de l'esprit est appelée à détourner ce danger mortel de l’humanité terrestre, et ce à l’aide de son instrument majeur : l’intelligence cosmique de Michaël, qui fut arrachée à Ahriman et orientée vers la connaissance du monde suprasensible. Le fondement de la spiritualisation du principe intellectuel même, grâce auquel l’homme est un être conscient sur terre, est ainsi posé. Suite à une telle spiritualisation du principe intellectuel, l’homme est en mesure d’accéder en pleine conscience au monde spirituel et de surmonter ainsi définitivement la chute originelle sur le plan de la connaissance. « C’est ainsi qu’il faut penser aujourd'hui à un idéal de l’humanité, à la réparation de cette chute originelle sur la voie de la spiritualisation de la connaissance, sur la voie de la reconnaissance du contenu spirituel du monde [...] Le moment historique est donc venu, à notre époque [l’époque de l’âme de conscience], où le plus haut idéal de l’humanité doit être de s’élever du péché spirituellement. L’évolution de l’humanité ne peut se poursuivre sans cela » (GA220, 21 janvier 1923). La science de l'esprit est appelée à aider les hommes à franchir ce pas, et ce non pas de manière abstraite, mais par une réelle compréhension de l’esprit qui se manifeste dans le monde autour de l’homme et, avant tout, en lui-même. Ce n’est qu’en se percevant comme un être spirituel parmi d’autres êtres spirituels qu’il peut trouver le courage intérieur dont il a besoin pour connaître l’esprit dans le cosmos. « L’homme s’est éloigné des dieux à cause de la chute morale originelle. Il doit retrouver la voie des dieux par le chemin de la connaissance. L’homme doit transformer sa descente en une ascension [...] L’homme doit s’enhardir à suppléer peu à peu, par la force de sa connaissance, la chute originelle en s’élevant du péché, en parvenant à s’élever du péché à partir de ce qui peut lui advenir par une véritable connaissance de la science de l’esprit des temps modernes » (ibid.). Cela contient également une indication concernant la tâche principale de la science de l'esprit aujourd'hui : établir la base permettant de vaincre le péché originel, tout d’abord dans la connaissance - afin que le processus puisse se dérouler consciemment chez l’homme dès le tout début -, et ensuite dans tous les autres domaines de la vie, y compris les domaines pratiques.Du point de vue ésotérique, vaincre le péché originel dans le domaine de la connaissance est hé au fait que les forces de résurrection qui se sont déversées dans l’évolution de la Terre à travers le Mystère du Golgotha et qui, inaltérables, agissent depuis lors en elle, sont également apportées dans ce domaine. Rudolf Steiner a consacré le premier septénaire de son action anthroposophique à cette tâche. Depuis, chaque homme peut réellement entrer en rapport avec les forces de résurrection qui agissent objectivement dans le monde, à l’aide des résultats de la recherche de la science de l'esprit - même si cela n’a tout d’abord lieu que dans une mesure très restreinte -, s’il les intègre à son mode de penser avec le sérieux adéquat accompagné d’une activité intérieure.Rudolf Steiner a concentré les résultats spirituels de cette recherche contenus dans les nombreuses conférences, cycles et cours qu’il a donnés durant ce premier septénaire, dans un livre qui constituait non seulement un bilan essentiel, mais aussi, comme nous l’avons vu, l’unique esquisse achevée de l’ensemble de la conception anthroposophique du monde. Ce n’est que dans ce livre que nous trouvons les cinq orientations fondamentales de la science de l'esprit :
1. La structure spirituelle de l’homme2. L’investigation de la vie dans le monde suprasensible entre deux incarnations (réincarnation et karma)3. L’évolution de la Terre et de l’homme4. Les fondements de la christologie anthroposophique (la connaissance de l’entité cosmique du Christ et l’importance centrale du Mystère du Golgotha pour toute l’évolution de la Terre)5. La voie initiatique moderne.
Toutes les recherches ultérieures en science de l’esprit entreprises par Rudolf Steiner sont ainsi liées à ce livre : « Tout ce que j’ai pu dire depuis lors », écrivit-il dans sa préface à l’édition de 1925, « se présente, si on l’insère dans ce livre au bon endroit, comme un élargissement de l’esquisse faite à l’époque » (GA 13).Indépendamment de sa continuation de la ligne du premier septénaire, le deuxième septénaire a un caractère tout autre dans la vie de la science de l'esprit (voir GA 258, 15 juin 1923). La première représentation des Drames-Mystères de Rudolf Steiner à Munich en marque le début - ce qui avait marqué celui de l’art de la récitation -, ainsi que les efforts pour créer un cadre architectonique approprié pour ces Drames, ce qui conduisit finalement, le 20 septembre 1913, à la pose de la pierre de fondation du Johannesbau à Dornach. Tous les arts plastiques furent renouvelés selon les sources de la science de l'esprit au cours de son édification : l’architecture, la peinture, la sculpture, et une nouvelle technique de fabrication de vitraux de couleur fut élaborée. L’eurythmie fut fondée en 1912, la forme d’art la plus jeune sur la Terre et en même temps la « préférée » du fondateur de l’anthroposophie.Parallèlement à l’évolution des différentes formes d’art durant la deuxième période (jusqu'au début de la Première Guerre mondiale en août 1914 qui modifia de façon décisive l’orientation de ce septénaire), Rudolf Steiner accorda une attention toute particulière à l’approfondissement de la christologie anthroposophique. C’est à cette époque que les cycles de conférences fondamentales sur les Évangiles ont lieu ainsi que toute une série de considérations spécifiques sur les différents aspects cosmiques et terrestres des « Mystères christiques », énoncées avant tout dans les conférences sur les préfigurations du Mystère du Golgotha et les recherches sur le Cinquième évangile. Ce qui constitue toutefois le noyau spirituel de ce septénaire, c’est l’annonce, à partir de janvier 1910, du Christ éthérique par Rudolf Steiner, couronnée à la fin du septénaire par la conférence du 6 février 1917. Rudolf Steiner annonça, à l’époque, que cet événement suprasensible, le plus important du XXe siècle, avait commencé en 1909, et précisa alors à maintes reprises que la mission essentielle de la science de l’esprit consiste dans l’annonce et la préparation de cet événement (il en parla souvent durant toute la durée du septénaire), et que tout ce qu’elle contient n’est autre que le langage du Christ éthérique lui-même, dans lequel l’humanité peut aujourd’hui apprendre à communiquer avec lui pour obtenir de lui des réponses et de l’aide dans toutes les situations les plus diverses de la vie. Également durant le troisième septénaire, Rudolf Steiner a abordé le sujet de la seconde venue éthérique du Christ, même si ce n’était pas aussi fréquent. Ce sujet transparaît ainsi comme un fil conducteur à travers l’ensemble des conférences de Rudolf Steiner depuis 1910 jusqu’à ses dernières conférences en septembre 1924 (voir GA 346).Si l’on compare le caractère du premier septénaire avec celui du deuxième, on peut se rendre compte que les forces de résurrection, qui avaient été portées avant tout dans le domaine du penser durant le premier septénaire, commencent à pénétrer dans le domaine du ressentir. C’est tout particulièrement à travers les arts nouveaux qui puisent leur inspiration directement dans le monde spirituel que les conséquences de la chute originelle purent aussi être surmontées dans ce domaine. Le cœur de l’homme, un organe nouveau de la connaissance spirituelle, doit devenir le centre de ce processus.Les considérations artistiques et imaginatives sur les Évangiles, sur la base de la science spirituelle, sont étroitement liées à cette tâche, tout comme les autres communications des vérités fondamentales du christianisme ésotérique. Si l’homme moderne les intègre dans son âme, il peut développer assez rapidement la nouvelle faculté de la compréhension par le cœur des vérités de la science de l’esprit, c’est-à-dire cette seule forme particulière de compréhension morale à partir de laquelle il est possible aujourd’hui de s’approcher de l’expérience du Christ éthérique.C’est au cours de la troisième période (1917-1923) que l’impulsion spirituelle commença finalement à imprégner peu à peu les forces de la volonté, du fait que diverses activités pratiques furent fécondées par la science de l’esprit, ce qui conduisit à la fondation de mouvements appelés « filles » de l’anthroposophie. Rudolf Steiner donna des impulsions à différents domaines de la science, à cette époque : les fondements d’une nouvelle médecine des Mystères furent posés et la pédagogie Waldorf fut fondée, le mouvement de la triarticulation de l’organisme social fut créé, le « Mouvement pour un renouveau religieux » (La Communauté des chrétiens) fut soutenu, et, finalement, des impulsions furent données au développement de nouvelles méthodes en agriculture et en pédagogie thérapeutique.D’un point de vue ésotérique, il était alors aussi devenu possible, à cette époque, de transformer, à partir d’impulsions purement spirituelles, les domaines les plus variés de la civilisation moderne. Les forces de résurrection purent alors peu à peu pénétrer dans le domaine de la volonté humaine. Même s’il ne s’agissait que des tout premiers pas dans cette direction, il devint malgré tout possible pour l’humanité de travailler consciemment à partir de l’esprit, et les premières graines de la résurrection furent implantées dans la volonté humaine.En résumé, on peut dire du développement de la science de l’esprit d’orientation anthroposophique pendant ces trois septénaires : le Je de Rudolf Steiner imprégné du Je cosmique du Christ constitua la source humaine de sa genèse. C’est de cette source que les forces de résurrection, qui veulent agir sur la Terre à partir d’impulsions anthroposophiques, peuvent peu à peu imprégner le penser, le ressentir et le vouloir des hommes. En pénétrant dans leurs âmes, elles peuvent opérer une spiritualisation (christianisation) du monde intérieur de l’homme. Car celui qui s’efforce aujourd’hui d’imprégner les forces de son âme - le penser, le ressentir et le vouloir - des impulsions de la science de l'esprit, offre à son âme, de la manière la plus efficace, la possibilité d’être transformée en ce qu’on a appelé de tout temps, dans l’ésotérisme chrétien, l’image microcosmique des forces de la Sophia, de la sagesse divine (voir GA 103, 31 mai 1908).Sa représentante sur terre est aujourd'hui l’entité Anthro-pos-Sophia. C’est pourquoi on peut considérer ce processus du devenir non seulement du point de vue humain, mais également du point de vue de cette entité suprasensible. Et là aussi, l’expérience du Christ vécue personnellement par Rudolf Steiner à la fin du XIXe siècle constitue la source humaine de son développement terrestre. Le Je de Rudolf Steiner empli du Christ fut la porte par laquelle Anthropos-So-phia pénétra dans le domaine astral de l’humanité pour la première fois. Cela se produisit au cours du premier septénaire de son développement terrestre, l’objectif étant qu’un certain nombre de personnes ayant les dispositions karmiques requises puissent assimiler le contenu de la science de l'esprit dans leur âme (leur corps astral). Au cours du deuxième septénaire, Anthropos-Sophia pénètre dans le domaine éthérique et peut, grâce aux nouvelles formes d’art et à une compréhension approfondie du Mystère du Christ par les hommes, imprégner les forces du corps éthérique de l’homme. Il est donc tout à fait légitime que Rudolf Steiner commence précisément à cette époque (1 910) de parler du Christ éthérique. Enfin, durant le troisième septénaire, Anthropos-Sophia commence à travailler à la transformation de la culture terrestre directement dans le monde physique sensible, à travers les hommes qui lui sont liés. Comme nous l’avons vu, cette dernière étape de sa descente « sur la Terre » se manifesta chez les hommes qui la servaient (les anthroposophes) de telle manière que l’impulsion des nouveaux Mystères imprégna progressivement les âmes dans le domaine du vouloir, pour pénétrer dans la civilisation actuelle à travers leurs actes.Une rencontre et une confrontation de l’impulsion des nouveaux Mystères avec le « prince de ce monde » et son escorte étaient toutefois inévitables. Car à partir de ce moment-là, l’impulsion des nouveaux Mystères pénètre objectivement là où le pouvoir du dragon ahrimanien est aujourd’hui particulièrement grand. L'opposition manifestée à l’égard de l’anthroposophie dans le monde sensible depuis cette époque s’est ainsi considérablement accrue, elle s’est même de plus en plus souvent traduite par une hostilité manifeste. Les premiers signes d’une telle recrudescence d’hostilité apparurent certes déjà antérieurement, tout particulièrement après la pose de la pierre de fondation du Johannesbau, dans lequel les nouveaux Mystères devaient obtenir leur premier centre visible sur le plan physique. Mais maintenant, dans la troisième période, l’opposition venant de l’extérieur devint plus agressive et plus ciblée. Ce qui ne s’est que peu à peu manifesté au cours du deuxième septénaire, là où l’art anthroposophique fit son apparition dans le monde, atteint dans un certain sens son paroxysme au cours du troisième septénaire, lorsque les forces du dragon qui ont envahi la civilisation moderne perçoivent la pénétration des forces de l’esprit dans leur propre domaine et se dressent contre l’anthroposophie et son fondateur.L’activation des forces ahrimaniennes s’est tout d’abord manifestée sous forme d’attaques incessantes contre Rudolf Steiner dans la presse, suivies de deux attentats perpétrés par des adhérents du mouvement national-socialiste en pleine croissance, à Munich et à Elberfeld (les 15 et 17 mai 1922). À la suite de cela, Rudolf Steiner ne fit plus de conférences publiques en Allemagne, car les organisateurs n’étaient plus en mesure d’assurer sa sécurité personnelle lors de ses interventions.Ces attaques visant Rudolf Steiner avaient été précédées de l’échec du mouvement pour la triarticulation sociale, et l’histoire de l’après-guerre en Europe suivit son cours fatal qui conduisit en Allemagne à la tragédie de 1933.L’échec du mouvement pour la triarticulation sociale fut suivi de l’insuccès des deux « cours universitaires » (1 920 et 1 922) durant lesquels il apparut que les participants, au lieu de s’appliquer à féconder les différents domaines scientifiques à partir de la source vivante des nouveaux Mystères, commencèrent au contraire à transférer les habitudes du penser matérialiste du monde extérieur dans l’anthroposophie, un danger auquel sont exposées aujourd'hui encore de nombreuses initiatives anthroposophiques.Ce troisième septénaire fut marqué, en plus des attaques ennemies accrues venant de l’extérieur, par des problèmes croissants au sein de la Société Anthroposophique fondée à Noël 1 912. Ces difficultés se manifestèrent sous forme de nombreux conflits internes entre les différents membres, entre les divers courants karmiques intervenant parmi eux, entre les générations et les groupes de diverses professions. Mais pourquoi tous ces hommes, attachés à l’anthroposophie, et qui avaient travaillé ensemble durant tant d’années, ne purent-ils soudain plus maintenir l’unité intérieure ?D’un point de vue ésotérique, il y avait deux raisons essentielles à cela. D’une part, en raison du développement toujours croissant des initiatives anthroposophiques d’ordre pratique dans le monde extérieur, la pression ahrimanienne venant de la civilisation extérieure sur les porteurs de ces initiatives augmenta si fortement que leurs forces spirituelles et leur lien intérieur avec les nouveaux Mystères s’avérèrent de plus en plus fréquemment comme étant insuffisants, de sorte que les forces destructrices extérieures purent commencer à s’infiltrer dans la Société Anthroposophique même. D’autre part, la pénétration de l’impulsion des nouveaux Mystères dans la sphère de la volonté des hommes qui lui étaient liés n’engendra pas uniquement le courage et l’enthousiasme de porter les fruits pratiques de la science de l’esprit dans le monde, mais elle raviva également dans leurs âmes un ancien karma de vies antérieures non réalisé, ce qui conduisit à de nombreux conflits.Ces problèmes extérieurs et internes atteignirent leur tragique paroxysme lorsque le premier Goetheanum prit feu. Après que le feu eut été mis par des adversaires irréductibles de l’esprit vivant, il brûla jusqu'aux fondations dans la nuit de la Saint-Sylvestre 1 922. La Société, déchirée par les conflits, n’avait pas trouvé les forces spirituelles et la vigilance intérieure nécessaires pour entourer le Goetheanum d’une enveloppe de protection et le préserver ainsi de la tragédie. Rudolf Steiner pouvait maintenant dire, en regardant quotidiennement les ruines du Goetheanum détruit par les ennemis, qu’elles étaient un symbole effroyable non seulement de la véritable situation au sein de la Société Anthroposophique, mais également de l’ensemble de la civilisation d’après-guerre.C’est ainsi que commença l’année 1923, la plus dure dans la vie de Rudolf Steiner. Il était désormais très clair que la Société Anthroposophique constituait effectivement l’obstacle majeur à la poursuite de la réalisation des Nouveaux Mystères dans le monde.Aux nombreux problèmes évoqués ici s’en ajouta encore un autre, que Rudolf Steiner lui-même aborda ouvertement dans ses conférences en 1923 : l’opposition vis-à-vis de lui-même parmi les membres de la Société Anthroposophique. « Durant cette troisième période commença à se former ce que j’appellerais une opposition intérieure contre ce que j’ai moi-même à faire dans la Société Anthroposophique, une certaine opposition intérieure. La plupart sont naturellement surpris lorsque je parle de cette opposition intérieure, car ils n’en sont pas conscients, du moins bon nombre d’entre eux. Mais je dirais : c’est d’autant plus grave. Car cette opposition intérieure s’est fortement manifestée à travers les sentiments, justement au cours de la troisième période » (GA 258, 16 juin 1923).Comment pouvons-nous comprendre ce phénomène incroyable : une opposition des élèves vis-à-vis de leur instructeur spirituel ? Le fait que de nombreux anthroposophes n’aient aucunement eu conscience de cette opposition, mais qu’ils la portaient plus ou moins consciemment dans leurs sentiments, c'est-à-dire dans les couches plus profondes de leur âme, tandis qu’ils se considéraient, dans leur conscience de jour, comme des hommes voués à la cause anthroposophique, joue sans aucun doute un rôle important. Du point de vue développé dans ce chapitre, la raison principale d’une telle opposition venait de la situation occulte générale à laquelle la Société Anthroposophique arriva peu à peu durant le troisième septénaire. Cette situation était, à bien des égards, comparable à celle dans laquelle s’était trouvé Rudolf Steiner à la fin du XIXe siècle. Une « période d’épreuves », pleine de « tempêtes intérieures » et de « durs combats de l’âme » (GA 28, II, chap. XXVI), c’est ainsi que Rudolf Steiner décrivit cette période de sa vie. Comme nous l’avons vu, la nature de cette épreuve consista à devoir pénétrer de façon pleinement consciente dans le domaine du monde spirituel voisin de la Terre, peuplé d’êtres ahrimaniens ou des esprits de la mort. Le problème majeur était de ne pas succomber à la mort de la propre conscience individuelle en pénétrant dans ce domaine. La seule solution possible consista à se tourner, dans le monde suprasensible lui-même, vers la source spirituelle originelle du christianisme, le Mystère du Golgotha, en tant que point central des forces de résurrection triomphant de la mort. C’est ce que Rudolf Steiner avait accompli, au changement de siècle, par la voie de l’initiation moderne rose-croix chrétienne.La Société Anthroposophique se trouvait désormais, durant ce troisième septénaire, dans une situation similaire, car sa tâche était d’introduire les impulsions des nouveaux Mystères et leurs manifestations concrètes au sein des différentes initiatives pratiques dans la civilisation matérialiste moderne, dans le royaume terrestre du dragon ahrimanien. Mais la Société Anthroposophique, en tant que communauté d’hommes qui aspirait à accomplir sa tâche, était exposée au danger réel consistant en ce que les impulsions des nouveaux Mystères puissent se dissiper sous l’effet des forces du « prince de ce monde », toujours plus vigoureuses et visant à tuer tout ce qui est spirituel - de manière similaire à ce qui s’était produit dans la vie de Rudolf Steiner pendant son époque de Berlin, chez lui cependant au niveau de l’initiation. De plus en plus de membres subirent - en majorité de façon inconsciente - la pression croissante des forces des ténèbres dans leurs âmes, et il s’avéra qu’ils n’étaient pas préparés, intérieurement, à une telle épreuve. Autrement dit, l’influence du dragon ahrimanien était, dans un grand nombre de cas, plus forte que le lien des anthroposophes avec les forces de résurrection qui vivent dans le courant des nouveaux Mystères. Et cette prépondérance des forces du dragon sur les forces de Michaël dans les âmes, qui n’était généralement pas perçue consciemment, était la raison principale de l’opposition à Rudolf Steiner lui-même au sein de la Société. Intérieurement, les âmes renonçaient à continuer de suivre le chemin qui leur demandait tant d’efforts au niveau spirituel. La force de leur âme n’était pas suffisante et c’est ainsi qu’inconsciemment, la crainte du pouvoir du dragon ahrimanien dans la civilisation moderne grandit en eux. Mais comme ils n’en étaient pas pleinement conscients, cet état de fait se répercuta sur la sphère de leur volonté sous forme de résistance intérieure contre les intentions et objectifs des nouveaux Mystères.Rudolf Steiner se vit dès lors confronté à la question extrêmement difficile de la démarche à suivre face à cette situation. Comment trancher le nœud gordien tout en maintenant la liberté absolue des membres de la Société, tel que l’exige impérativement l’époque actuelle de l’âme de conscience ? Deux possibilités s’ensuivirent pour Rudolf Steiner : soit délester les membres de la Société du poids leur paraissant trop lourd de l’épreuve purement occulte qu’ils n’étaient pas prêts à porter malgré tous ses efforts. Et cela revenait à dissoudre la Société et à rendre à ses membres l’entière liberté de n’agir que de manière exotérique dans le monde et de ne se soumettre par là qu’à des épreuves et difficultés auxquelles chaque homme est aujourd'hui exposé d’une manière ou d’une autre. Mais lui-même se séparerait de ces membres, ne prendrait avec lui qu’un petit nombre d’élèves avancés, aptes à subir l’épreuve, pour fonder avec eux une nouvelle communauté strictement hermétique et semblable à un ordre. Selon certains témoins oculaires, Rudolf Steiner s’exprima encore en novembre 1923 à La Haye dans le sens d’une telle solution au problème : il parla à cette époque de fonder un ordre.La deuxième possibilité était d’un tout autre ordre. Elle impliquait une démarche dont même Rudolf Steiner ignorait les conséquences : réorganiser entièrement la Société et prendre sur soi, personnellement, la responsabilité de ses affaires, non seulement spirituelles, mais également matérielles en ce qui concerne l’organisation administrative. Mais pour pouvoir le réaliser, il devait rompre catégoriquement avec une loi occulte scrupuleusement respectée de tout temps par les vrais initiés et dont il s’était toujours fait le défenseur rigoureux.Cette loi occulte interdisait à l’instructeur occulte de mêler ses tâches purement spirituelles à la conduite extérieure des affaires terrestres de la société humaine. C’est pourquoi Rudolf Steiner n’avait accepté, en 1902, de diriger la section allemande de la Société Théosophique que si Marie von Sivers se chargeait du travail administratif et de l’organisation. Et lors de la fondation de la Société Anthroposophique, indépendante de la Société Théosophique, à Noël 1 912 à Cologne, Rudolf Steiner n’en devint même pas membre, mais ne s’accorda que le statut d’instructeur spirituel indépendant. Et maintenant, après dix années d’enseignement libre, il se trouvait confronté à la décision la plus difficile de sa vie.Et pourquoi Rudolf Steiner a-t-il pris la décision « dans les dernières semaines » précédant le Congrès de Noël et « après un dur combat intérieur » (GA 260, 24.12.1 923) de se lier tout entier à la Société Anthroposophique ? La réponse à cette question est d’une part évidente. Même si, dans un ordre ésotérique fondé par lui-même, le contenu ésotérique avait été purement anthroposophique, cette démarche aurait signifié un repli par rapport au développement général de la science de l'esprit des vingt et une années passées, un abandon de nombreuses tâches michaéliques du présent, et avant tout de la plus importante : l’union des principes ésotérique et exotérique au sein de la civilisation moderne. Car la fondation d’un ordre aurait conduit à la séparation définitive et irrémédiable des deux principes. D’autre part, la fondation d’un tel ordre spirituel n’aurait en principe rien constitué de nouveau dans l’histoire des courants occultes. De tels cercles fermés, fondés sur une discipline stricte, ont existé de tout temps, et le fait de se tourner vers de telles formes traditionnelles qui n’étaient justifiées que dans le passé (avant le début de l’époque de l’âme de conscience, et en particulier avant le début de la régence actuelle de l’Esprit du temps michaélique) aurait signifié une nette régression pour l’évolution des nouveaux Mystères. C’est ainsi que Rudolf Steiner dut reconnaître qu’une telle démarche, compte tenu des « signes du temps », n’était pas possible, c'est-à-dire compte tenu du pouvoir de Michaël dirigeant l’humanité actuellement. Il mit cet aspect en évidence lors du Congrès de Noël en liaison avec le § 4 des statuts : « La Société Anthroposophique n’est pas une société secrète ; elle est, au contraire, entièrement publique » (GA 260) par ces mots : « Il est ressorti des statuts, dont le contenu s’avère d’une nécessité interne, qu’il nous faut agir, en ce qui concerne la Société Anthroposophique, au vu et au su de tous. Les signes du temps présent, mes chers amis, nous montrent que cette attitude est la seule possible. L’époque actuelle ne supporte rien qui soit plongé dans une quelconque atmosphère de secret » (GA 260, 26 décembre 1923, 1985, p. 92, Traduit ; ital. R. Steiner).Les vraies raisons toutefois qui ont amené Rudolf Steiner à choisir la deuxième voie et à se lier entièrement, c’est-à-dire jusqu’à son propre karma, à la Société Anthroposophique étaient encore bien plus profondes. En 1922, il répondit à la question de Walter Johannes Stein, portant sur sa tâche principale durant cette incarnation, par deux mots : « réincarnation et karma » 42. Car cet enseignement constitue aujourd'hui le centre des nouveaux Mystères. Il en est ainsi, car nous vivons à une époque où quelque chose d’extrêmement significatif se produit dans le monde spirituel contigu à la Terre, où le Christ éthérique agit d’une tout autre façon depuis le XXe siècle : Il devient le seigneur du karma de l’évolution de la Terre. « En vérité, c’est là quelque chose qui commence au XXe siècle et se poursuivra jusqu’à la fin de la Terre. Le Jugement commence à partir de notre XXe siècle, c'est-à-dire la mise en ordre du karma » (GA 130, 2 décembre 1911, p. 236, Traduit). La communication du savoir chrétien sur le karma et la réincarnation est ainsi ce que la science de l'esprit a de plus important à faire de notre temps. Rudolf Steiner a évoqué la source de ce nouvel enseignement sur la réincarnation par les mots suivants : « [...] aujourd'hui le Christ vivant est, depuis les mondes spirituels, l’enseignant vivant de la réincarnation » (GA 118, 15 mai 1910).C’est la raison pour laquelle Rudolf Steiner avait voulu commencer ses premières conférences ésotériques en 1902 sur le sujet « Exercices karmiques pratiques ». Mais il fut confronté à une telle frayeur et à une attitude tellement négative vis-à-vis de lui-même dans les milieux dirigeant la Société Théosophique de l’époque qu’il renonça aux conférences (voir GA 240, 24 août 1924). Par la suite, il dut attendre, selon ses propres paroles, trois fois sept ans (ibid.), et ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il recommença à aborder ce sujet, après que les démons, qui l’avaient empêché de parler ouvertement des résultats de ses recherches dans le domaine de la science spirituelle sur ce sujet, furent réduits au silence grâce au Congrès de Noël (GA 240, 12 août 1924). Les quatre-vingt-deux conférences sur le karma que Rudolf Steiner tint jusqu’à son alitement en sont un témoignage impressionnant. Et elles n’étaient pourtant que le début du puissant courant de révélation venant de cette sphère du monde spirituel où le Christ agit aujourd'hui comme seigneur du karma.Le développement des nouveaux Mystères sur terre n’avait toutefois pas discontinué pendant les trois derniers septénaires. Une grande partie de leur contenu avait été communiquée aux anthroposophes, mais non pas de manière directe comme ce fut le cas après le Congrès de Noël. Pour pouvoir toutefois parler très ouvertement des Mystères du karma après vingt et un ans, Rudolf Steiner dut encore révéler au monde une particularité de sa mission. Elle consistait dans le fait qu’il ne s’était pas uniquement adressé aux hommes, en tant qu’instructeur spirituel, pour leur apporter un nouvel enseignement sur le karma, mais pour prendre aussi sur soi, au début de la période d’activité du Christ en tant que seigneur du karma, le destin de la Société, en plus de la direction proprement dite, par le plus grand sacrifice qu’un initié chrétien puisse apporter quant à son cheminement intérieur dans la continuation du Christ, en y liant jusqu’à son propre karma. La signification occulte de cette démarche sera traitée de façon plus approfondie dans le huitième chapitre. On peut cependant préciser dès maintenant que Rudolf Steiner ne fit pas qu’enseigner le karma et la réincarnation durant toute son activité anthroposophique, mais qu’il vécut réellement cet enseignement à la fin de sa vie, et en fit ainsi apparaître le nouveau contenu chrétien à travers son propre sacrifice lors du Congrès de Noël.« Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu » (Jn 12,27), déclara le Christ en regardant le chemin qui lui restait à faire vers le lieu du crâne du Golgotha. Et c’est pourquoi son élève, le grand initié chrétien du XXe siècle, est venu au monde. Il est venu pour révéler l’essence de son enseignement non seulement par la parole, mais aussi par les actes, pour corroborer la parole par un agir dans l’abnégation. Et cela fut alors accompli, tout comme l’action du Christ, à partir des forces les plus pures de l’acte le plus élevé que l’homme puisse accomplir dans sa liberté individuelle, cette liberté dont Rudolf Steiner parla trente ans auparavant dans son livre La philosophie de la libertéi3. « C’est seulement lorsque je suis mon amour pour l’objet que c’est moi-même qui agis » (GA 4, chap. 9, p. 160), y écrivit Rudolf Steiner. Lors du Congrès de Noël, les hommes, ses élèves, les membres de la Société anthroposophique étaient cet « objet ».Les deux paroles du Christ : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades » (Mt 9,12) et « Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ses amis » (Jn 15,13) décrivent également l’essence de l’acte de sacrifice de Rudolf Steiner lors du Congrès de Noël, qui témoigne autant d’une simple humanité que d’une profondeur ésotérique infinie.Rudolf Steiner précisa, dans l’une de ses conférences, que l’acte du Christ sur le Golgotha fut accompli non pas à partir de forces divines, mais à partir de forces purement humaines. Ce n’est pas en tant que dieu qu’il accomplit son acte majeur sur terre, mais en tant que Fils de l’homme qui, pour s’assimiler aux hommes terrestres, renonça à tout son pouvoir suprasensible (« Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père, qui mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges ? », Mt 26,53). Ce n’est qu’ainsi qu’il put donner l’image primordiale de l’évolution future, accessible à tous les hommes. « Les rédempteurs préchrétiens ont délivré l’humanité à l’aide de forces divines. Le Christ a délivré l’humanité à l’aide de forces humaines. Les forces humaines ont ainsi été présentées à nos âmes telles qu’elles peuvent être dans leur force originelle » (GA109, 11 avril 1909). Rudolf Steiner suivit également ce chemin de l’abnégation et du don de soi lorsqu’il prit la décision la plus importante de sa vie sans l’aide des hiérarchies spirituelles divines qui avaient guidé, à partir des mondes spirituels, le mouvement anthroposophique dès le début, et de même sans le conseil des Maîtres du christianisme ésotérique avec lesquels il était lié en permanence. Et tandis que, lors de la première École ésotérique (1904-1914), il se référait toujours aux Maîtres qui étaient derrière lui, il réalisa le Congrès de Noël lui-même entièrement seul, avec les seules forces de son Je individuel, et plaça ainsi le Congrès de Noël dans le monde comme son propre acte originel, l’acte du nouveau Maître de la sagesse et de l’harmonie du ressenti, et en même temps comme le principe le plus élevé pour tous ses vrais élèves. C’est pourquoi il répondit, après cet événement, à la question d’Ita Wegman portant sur sa relation avec Christian Rosenkreutz, le dirigeant du courant du christianisme ésotérique dans son ensemble, par cette imagination : un autel dans le monde spirituel et, devant cet autel, Christian Rosenkreutz et Rudolf Steiner - côte à côte44. Cette imagination nous montre le degré de développement spirituel que Rudolf Steiner avait atteint à cette époque. Par son action lors du Congrès de Noël, il s’était élevé, du degré de l’élève du Maître rose-croix qu’il avait été dans sa jeunesse, à celui d’un Maître dirigeant de la Loge Blanche, de collaborateur et ami de Christian Rosenkreutz.Nous pouvons maintenant essayer de comprendre un autre secret lié au Congrès de Noël, à savoir : pourquoi Rudolf Steiner fut-il, dans ce cas, mis en présence d’une énigme de la vie, impénétrable même à son regard clairvoyant, lui qui, semblait-il, savait tout ? Lorsqu’il se résolut à accomplir l’acte le plus important de sa vie « pour lequel il était venu au monde », il ignorait les conséquences de sa démarche, juste à ce moment le plus important, et il en parla ouvertement très souvent ultérieurement. Il ne savait pas quelle influence cette décision aurait sur ses élèves, sur le développement de la science de l’esprit qu’il avait fondée, et finalement aussi sur lui-même. Pourquoi en était-il ainsi, et pourquoi Rudolf Steiner voulait-il que tous ses élèves le sachent ? Il faut en chercher la réponse dans sa Philosophie de la liberté. C’est ici, dans la deuxième partie (« La réalité de la liberté »), que nous trouvons une caractéristique des actes libres de l’homme, effectués par intuition morale. Lorsque l’homme accomplit ses actions et n’en puise l’impulsion qu’à cette source, non seulement il est libre, mais il apporte en plus, par de telles actions, quelque chose d’entièrement nouveau dans le monde. Rudolf Grosse qualifia de tels actes de « hiérarchiques », car ils révèlent pour la première fois des qualités qui seront propres aux hommes en tant que représentants de la dixième hiérarchie de la liberté et de l’amour à l’avenir (voir GA 110). L’homme apporte effectivement quelque chose d’entièrement nouveau au monde, quelque chose qu’il n’y a jamais eu nulle part avant son acte, chaque fois qu’il agit sous l’effet des impulsions de l’intuition morale. C’est pourquoi aucun être au ciel (dans les hiérarchies du cosmos) ni sur terre ne peut connaître auparavant les conséquences d’un tel acte. Même un initié, quel que soit le degré qu’il ait atteint, ne peut en connaître les conséquences. Car lorsqu’il accomplit un tel acte, il « crée à partir du néant » au sens le plus vrai du terme. Cette impossibilité fondamentale de prévoir les conséquences constitue justement la caractéristique essentielle d’une action issue de l’intuition morale et la distingue d’une action ordinaire. Autrement dit, chaque action accomplie par intuition morale contribue à l’élaboration de la nouvelle Terre et du nouveau cosmos de l’amour dans le futur, dont il est question dans le dernier chapitre de La science de l’occulte dans ses grandes lignes.La description de la création du monde par les Elohim au début de la Bible peut nous aider à comprendre de tels actes « hiérarchiques ». Ce qui frappe dans cette description, c’est que les esprits sublimes créèrent tout d’abord la lumière et que, regardant ce qu’ils avaient créé, ils purent reconnaître que c’était bien. Il s’agit de deux actes tout à fait distincts : l’acte de création et celui de la connaissance qui s’ensuit sur lequel son appréciation peut être fondée : « Et Dieu [les Elohim] dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne. Alors Dieu sépara la lumière des ténèbres » (Genèse 1,3-4).Le fait que Rudolf Steiner n’ait pas eu connaissance des conséquences de sa propre action, des résultats de son sacrifice, révèle que nous avons ici affaire à son acte le plus libre, à un acte qu’il a accompli par la plus pure intuition morale. Et il en résulte que le Congrès de Noël n’est autre que la réalisation au plus haut degré de « La philosophie de la liberté » dans la vie de Rudolf Steiner, et il voulait que ses élèves le comprennent.La décision de diriger personnellement la Société et de s’unir à elle jusque dans ses formes extérieures en en assurant la responsabilité non pas uniquement sur le plan spirituel, mais également sur le plan économique et administratif, constituait un danger très concret. Ce danger, décrit à maintes reprises par Rudolf Steiner après le Congrès de Noël comme un « risque », un « dilemme » ou encore une certaine « éventualité » (négative), était lié au fait que la loi interdisant à l’initié d’unir son destin à des formes terrestres de la communauté humaine quelles qu’elles soient avait été transgressée. « Prendre la décision, quelques semaines avant le Congrès de Noël, de pouvoir assurer moi-même la direction de la Société Anthroposophique représentait dans un certain sens un risque » (GA 240, Londres, 24 août 1924, p. 314, Traduit). La nature de ce risque consistait en ce que les puissances spirituelles qui avaient guidé, des mondes spirituels, le mouvement anthroposophique dès le tout début et transmis leurs révélations à l’humanité par l’intermédiaire de Rudolf Steiner, n’acceptent pas son sacrifice et aient pu rompre tout lien avec lui sur terre. Rudolf Steiner lui-même parla de cette « éventualité » lorsqu’il déclara que « les sources qui doivent sous-tendre la recherche du monde spirituel » pourraient tarir (GA 236, Dornach, 22 juin 1924, p. 338, Traduit), que « ces puissances spirituelles qui dirigent le mouvement anthroposophique dans le monde spirituel auraient pu se retirer » (GA 240, Arnhem, 18 juillet 1924, p. 176, Traduit), ce qui aurait eu pour conséquence que « les révélations spirituelles [...] auraient pu s’amenuiser ou cesser » (GA 260a, Paris, 25 mai 1924, 1988, p. 6, Traduit). Mais malgré le fait qu’une telle issue ait pesé comme un cauchemar au-dessus de la Société Anthroposophique (GA 240, Torquay, 12 août 1924, p. 252, Traduit), Rudolf Steiner prit sciemment le risque de voir tarir « les révélations réelles sur le contenu des connaissances spirituelles » (ibid., p. 250, Traduit), ce qui voulait dire qu’il prit le risque de voir arriver la fin du développement de l’anthroposophie sur la Terre. Cela signifie qu’au moment où il se décida pour cette démarche risquée, il était prêt à se sacrifier non pas seulement lui-même, mais également son œuvre la plus précieuse, la plus importante : l’anthroposophie.Une question délicate se pose alors : Qu’est-ce qui pouvait être encore plus important pour Rudolf Steiner que ce qui constituait l’essentiel de sa vie, l’anthroposophie ? On peut bien trouver une réponse, aussi difficile que cela puisse paraître, lorsqu’on se réfère au principe le plus élevé de tous les Mystères chrétiens : la vie sur la Terre du Christ-Jésus. Car c’est dans la vie du maître divin que se trouve la clef pour comprendre les actions de son élève terrestre.Rudolf Steiner a déclaré à maintes reprises dans ses conférences que ce n’est pas un nouvel enseignement qui est à la base du christianisme, mais un seul et unique acte du dieu sur la Terre : le Mystère du Golgotha. L’apôtre Paul y fit déjà allusion lorsqu’il énonça : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine et vaine aussi votre foi » (I Cor. 15,14). La mort et la résurrection du dieu qui s’est fait homme (de l’Homme-Dieu), c’est ce Mystère central qui contient tout l’enseignement, toute l’essence du christianisme47. Et il est particulièrement important, pour bien comprendre cet acte déterminant du Christ, qu’il n’en avait pas besoin pour lui-même, qu’il n’était pas nécessaire pour lui de venir sur la Terre et de subir les humiliations et les souffrances jusqu’à la mort infamante sur la croix, entre les deux brigands. Et malgré tout, le Christ prit cette décision, alors que lui-même « aurait pratiquement pu se tenir à l’écart de l’évolution de l’humanité » (GA 131, 14 octobre 1911). Mais pourquoi le Christ prit-il cette décision, la décision de ne pas se tenir à l’écart de l’humanité, mais de s’unir à elle entièrement et sans restriction, d’endosser son karma jusqu’à la fin des temps48 ? « Quel genre d’acte était- ce ? C’était un acte d’amour divin ! » émit Rudolf Steiner. « Nous devons être conscients du fait qu’aucune sensation humaine n’est tout d’abord en mesure de ressentir l’intensité de l’amour dont il fallait faire preuve pour prendre la décision pour un dieu, pour lequel il n’y avait pas nécessité, d’œuvrer dans un corps humain [...] dieu [...] a accompli cet acte de son plein gré - c'est-à-dire par amour [...] afin que la Terre et l’humanité puissent atteindre leur but » (ibid.). Cet « acte d’amour », l’acte du dieu, consistant à sacrifier sa liberté divine par amour infini et par pitié pour l’humanité, et à supporter de plein gré les limites de la condition humaine jusqu’à la « mort humiliante », Rudolf Steiner l’a qualifié de « grand idéal » (ibid.), un idéal dont se sont toujours inspirés et dont s’inspireront toujours les vrais initiés chrétiens. Et ils s’en inspireront, au mépris du fait que sa réalisation leur vaudra les pires souffrances49. Dans ses conférences sur le Cinquième évangile, Rudolf Steiner dit : « Qu’est-ce qui est à l’origine de l’existence terrestre du Christ ? Elle est le fruit d’une immense souffrance, d’une souffrance qui dépasse toute conception humaine de la souffrance [...] Le dieu est peu à peu devenu homme. L’entité du Christ vit disparaître son contenu divin, comme quelqu’un qui voit son corps se désagréger progressivement dans d’infinies souffrances [...] C’était le chemin de la Passion du dieu. Un chemin d’infinies souffrances pour le dieu devenu homme, auxquelles s’ajouta cette souffrance face à l’humanité qui était devenue ce qu’elle était justement à l’époque du Mystère du Golgotha » (GA 148, 3 octobre 1913).Si nous considérons cette « image originelle », nous devons nous faire une conception tout autre de l’idée que l’on se fait très souvent de la notion de liberté. On pense généralement, et ce dans un sens purement superficiel, que l’objectif majeur pour y accéder consiste à surmonter des obstacles et des restrictions agissant de l’extérieur. En réalité, cela n’est que le premier et le plus élémentaire degré de liberté que chacun ressent lorsqu’il passe de l’enfance à l’adolescence. À l’âge mûr, on s’en fait une tout autre image. L’homme sait alors, par sa propre expérience, que les véritables ennemis de la liberté ne surgissent pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, des profondeurs de l’être propre qui n’ont pas encore été saisies par le Je, et où abondent, pour cette raison, concupiscences, préjugés, antipathies et passions. Les surmonter, tel doit être alors le but de tous les efforts du Je conscient qui aspire à la vraie liberté. Chaque homme devrait être libre à l’époque actuelle, qui est celle de l’âme de conscience. « Car la "liberté" est un fait qui est donné de façon immédiate à tout homme qui se comprend lui-même dans la période actuelle de l’évolution de l’humanité » (GA 26, p. 106. Traduit). Cependant, tout homme qui aspire à réaliser durant sa vie ce « fait » qui lui est donné, reconnaîtra tôt ou tard, s’il suit le chemin décrit dans La philosophie de la liberté, qu’il existe encore une autre liberté, plus élevée, qui consiste justement à sacrifier sa propre liberté pour que d’autres hommes accèdent à la liberté. C’est ainsi que le Christ sacrifia de son plein gré, en se faisant homme, la liberté qui lui était initialement propre en tant qu’être divin, et il offrit ce sacrifice pour que l’humanité puisse, dans le futur, devenir la dixième hiérarchie, la hiérarchie de la liberté et de l’amour.« Et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jn 8,32), dit le Christ. Mais la vérité dont il est question ici est le Christ lui-même, qui dit de lui : « Je suis la vérité » (14,6). Ce qui veut dire : Connaissez le Mystère vivant du Christ, connaissez le Mystère du Golgotha, et cette vérité vous rendra libres, en même temps aptes à sacrifier votre liberté pour qu’elle puisse éclore dans les âmes des autres hommes. Mais il ne s’agit pas d’assimiler ce que le Christ a apporté à l’évolution de la Terre dans son ensemble comme quelque chose de fini et à acquérir dans une passivité intérieure, mais au contraire comme une possibilité de développement entièrement nouvelle qui est donnée à tous les hommes de bonne volonté et qui peut conduire l’humanité à son but final : devenir la dixième hiérarchie.« Depuis les jours de Jean le Baptiste, et maintenant à plus forte raison, c’est par la volonté que le royaume des cieux peut être trouvé ; ceux qui concentrent leur volonté peuvent l’appréhender librement » (Mt 11,12 ; trad. allemande d’Emil Bock), dit le Christ, et par ces mots il souligna la nécessité d’un rapport entièrement libre de l’homme avec le « royaume des cieux » agissant désormais sur la Terre. Ces paroles furent prononcées encore à l’époque de l’âme de raison. Aujourd’hui, à l’époque de l’âme de conscience, toute intervention de la volonté doit être précédée d’une connaissance des vrais motifs de l’action, car ce n’est qu’alors que cette intervention peut vraiment être libre. L’humanité est entrée aujourd’hui dans l’époque où la vérité du Christ doit vraiment être comprise, ce qui est possible grâce à la christologie anthroposophique, et elle doit alors être concrétisée en toute liberté individuelle du Je se connaissant soi-même, lequel aspire, suite à la connaissance de soi-même, à réaliser alors le haut principe originel qui lui a été montré par la révélation du Je cosmique sur la colline du Golgotha.Si nous tentons maintenant de considérer la vie et l’action de Rudolf Steiner à la lumière de ce grand archétype originel, une réponse à la question que nous nous posons se dégage clairement, une réponse qui - en fait - est déjà contenue dans ce qui vient d’être formulé. Ce qui, pour Rudolf Steiner, était encore plus important dans sa vie que l’anthroposophie qu’il avait développée sur la Terre, c’étaient les hommes, les hommes concrets avec toutes leurs qualités et leurs défauts, dont le karma les avait conduits à lui pour être ses élèves dans cette incarnation. Et c’est pour ces hommes concrets, qui portaient dans leur âme une prédisposition karmique pour l’anthroposophie, issue de leur vie avant la naissance, et sur le karma desquels Rudolf Steiner parla de façon approfondie dans ses conférences après le Congrès de Noël, qu’il était prêt à effectivement tout sacrifier : sa liberté, son anthroposophie et aussi sa vie.Louis Werbeck l’a également exprimé dans ses paroles de remerciement adressées à Rudolf Steiner au nom des participants au Congrès de Noël : « Nous savons que [...] cette grande action est consacrée aux hommes [...] Tout pour les hommes - c’est ce qui est inscrit au-dessus de cette œuvre immense de toute une vie » (GA 260, 1999, p. 288. Traduit). Et Marie Steiner écrivit dans son premier « appel à la concertation » (Noël 1 942) : Nous n’avons pas le droit de repousser les âmes en quête [de l’anthroposophie] pour lesquelles il [Rudolf Steiner] a choisi délibérément la voie du martyre : par amour pour l’humanité, pour une humanité dans l’errance totale. L’amour devint en lui connaissance - et peut, un jour, le devenir en nous si nous empruntons cette voie » (Hella Wiesberger, p. 417), c'est-à-dire si nous suivons le même chemin que Rudolf Steiner a suivi jusqu’au dernier souffle de sa vie en suivant le Christ, et qu’il continue indubitablement à suivre, que ce soit dans les mondes spirituels ou sur la Terre. C’est pourquoi Marie Steiner conclut son second « appel à la concertation » (en 1943) par les paroles de la Méditation de la Pierre de fondation, consciente que c’est en elles qu’il faut chercher, à l’époque comme aujourd'hui, la source des forces de guérison et de renouvellement de la Société anthroposophique.L’expression « L’amour devint en lui connaissance » met en évidence l’essence même du sacrifice offert par Rudolf Steiner au Congrès de Noël. La plénitude de son amour et l’immense compassion ressentie pour l’humanité lui ont fait prendre le plus grand risque de sa vie, sans qu’il en connaisse les conséquences, sans savoir si le monde spirituel accepterait son sacrifice, ne suivant que l’archétype divin de tous les vrais initiés chrétiens, du Maître de tous les Maîtres.Et le monde spirituel répondit à son acte, il répondit en acceptant pleinement son sacrifice et en considérant dès lors cet acte hiérarchique libre accompli par un homme terrestre « avec une bienveillance encore plus grande ». Rudolf Steiner en a témoigné lui-même : « Depuis la fondation de la Société anthroposophique au Goetheanum, les puissances spirituelles desquelles nous recevons nos révélations nous regardent constamment en toute bienveillance, avec une bienveillance encore plus grande qu’auparavant » (GA 240, Torquay, 12 août 1924 p. 251 sq.). Il évoqua cette réponse du monde spirituel, la qualifiant de « réalité extrêmement significative » (GA 239, Paris, 23 mai 1924, p. 89), ainsi que ce qui s’ensuivit, à savoir que « les dons du monde spirituel [...] se sont considérablement accrus depuis ce Congrès de Noël » (GA 260a, Londres, 24 août 1924, p. 371).Quelles sont les « puissances spirituelles » qui acceptèrent le sacrifice de Rudolf Steiner dans les mondes spirituels et qui y répondirent par de plus grands « dons » (révélations) ? Dans une conférence du 13 janvier 1924, il déclara : « Et cela vient du fait que Michaël s’occupe le plus de ce que les hommes créent à partir du spirituel. Il vit dans les conséquences de ce que les hommes ont créé [...] Michaël transporte ainsi l’acte terrestre des hommes dans le cosmos pour qu’il devienne un acte cosmique » (GA 233a). Et il ne parle pas à l’homme par des mots, mais par le regard : « C’est exact, c’est juste, devant la direction du cosmos » (ibid.). Ce sont Michaël et les esprits qui le servent qui acceptèrent le sacrifice de Rudolf Steiner au Congrès de Noël, qui recueillirent le contenu spirituel de son acte libre dans leur royaume, où il devint un acte cosmique dont les fruits revinrent ensuite sur la Terre en tant que révélations nouvelles, évoquées ultérieurement par Rudolf Steiner, après le Congrès de Noël.Pour bien comprendre la métamorphose qui s’opère ici, nous devons nous tourner de nouveau vers l’archétype divin de tous les vrais Mystères chrétiens dont Rudolf Steiner parla dans ses conférences sur le Cinquième évangile : « Cette épreuve de la souffrance [du Christ-Jésus] donna naissance à l’esprit qui fut déversé sur les apôtres à la fête de la Pentecôte. De ces souffrances est né l’amour cosmique qui régit tout, [...] qui vécut le moment de l’impuissance suprême, divine, pour donner naissance à l’impulsion que nous connaissons comme impulsion du Christ dans la suite de l’évolution de l’humanité » (GA 148, 3 octobre 1913). Tel était le chemin sur lequel les forces de résurrection, qui surmontent la mort, se déversèrent dans l’évolution de l’humanité. Et c’est uniquement ce chemin - même si ce n’en était que la copie microcosmique humaine - que Rudolf Steiner put suivre pour porter les forces de résurrection dans le Congrès de Noël, l’impulsion de l’esprit vivant directement dans le domaine social comme point central ésotérique et en même temps comme fondement spirituel de la Société Anthroposophique Universelle. Comment pouvons-nous comprendre l’essence de cet événement ?Le problème majeur du troisième septénaire dans l’évolution du mouvement anthroposophique sur terre a déjà été énoncé plus haut : le devoir de porter la lumière du nouvel ésotérisme chrétien dans le monde extérieur, dans les ténèbres de la civilisation matérialiste moderne qui se densi- fient de plus en plus, auxquelles s’associe le danger de voir peu à peu l’ensemble du mouvement tomber sous l’emprise des forces de la mort qui y agissent. C’est justement cette intensification des forces de la mort dans la Société Anthroposophique qui s’y immisçaient de plus en plus de l’extérieur, qui fut la raison pour laquelle Rudolf Steiner vers 1923, comme il le dit lui-même, ne put plus diriger le mouvement anthroposophique à l’intérieur de la Société Anthroposophique, car cette dernière s’avéra être l’obstacle majeur au développement du premier. La seule possibilité de résister à la croissance des forces de la mort dans la Société consista à la relier directement à la source des forces de résurrection, c'est-à-dire en la modifiant de telle sorte que sa base spirituelle et son centre spirituel puissent devenir quelque chose qui, de par sa nature, ne soit pas issu de la civilisation présente où le « prince de ce monde » (Ahriman) règne, mais du royaume suprasensible du Christ. Et cela devait se faire en concordance absolue avec le caractère fondamental de l’époque actuelle de Michaël, c'est-à-dire en respectant strictement le principe de la liberté humaine individuelle. Il s’agissait alors de mettre quelque chose au centre de la vie spirituelle de la Société nouvellement fondée, auquel ses membres ne pouvaient accéder qu’en toute liberté, sur la base de la compréhension qu’ils avaient eux-mêmes acquise à partir de l’essence spirituelle des événements, c'est-à-dire par les efforts conscients de leur propre Je. Seul l’amour pour l’anthroposophie et leur propre maître, qui plaça le Congrès de Noël au centre de la vie anthroposophique, put contribuer à inciter à la recherche d’une telle connaissance.Pour comprendre ce qui se passa réellement, il faut se référer aux paroles du Christ : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18,36) que Rudolf Steiner a très souvent évoquées dans ses conférences et qu’il qualifia de paroles « significatives, déterminantes » (GA 175, 13 mars 1917). Il livra le commentaire suivant au cours d’une conférence : « Le royaume du Christ-Jésus n’est pas de ce monde, mais il doit agir dans ce monde, et les âmes des hommes doivent devenir les instruments [conscients de soi]50 de ce royaume qui n’est pas de ce monde » (GA 175, 6 février 1917). Ce qui signifie qu’il doit exister quelque chose dans le monde terrestre qui, de par son essence, provient du royaume du Christ (du royaume de la Résurrection), auquel toutefois l’homme ne peut accéder qu’en toute liberté, et qui puisse lui servir de base à la réalisation de ses tâches spirituelles dans le monde où règne normalement le « prince de ce monde ». Rudolf Steiner évoqua ce point, en rapport avec les paroles du Christ précitées, dans une autre conférence : « Son royaume est tel que l’esprit régnera ici sur terre » (GA 218, 19 novembre 1922). Cet esprit anima dès le début le Congrès de Noël, ce qui sera développé dans le chapitre suivant. C’est pourquoi Rudolf Steiner formula également la tâche des anthroposophes après le Congrès de Noël de la façon suivante : « [...] intégrer avec courage dans le monde ce qui, des révélations de l’esprit à l’âge de lumière qui a commencé et qui fait suite à la fin du kali-yuga, est nécessaire au développement des hommes » (GA 260a, p. 219).Mais pour assumer cette tâche avec succès, il fallait que la possibilité soit donnée, dans la Société même, de vaincre les forces de la mort qui s’y insinuent et qui viennent de la civilisation actuelle dans laquelle cette Société doit opérer. Et Rudolf Steiner créa cette possibilité au Congrès de Noël en lui donnant la Pierre de fondation comme base suprasensible de son action terrestre.Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, cette Pierre de fondation émane directement de la sphère du Christ qui se situe dans la périphérie spirituelle (éthérique) de la Terre, comme source intarissable des forces de résurrection depuis le Mystère du Golgotha. C’est là que Rudolf Steiner l’a formée, à partir des plus hautes forces du macro- cosme rendues accessibles à l’homme par l’Ascension du Christ. La Pierre de fondation, comme représentante de Son « royaume » suprasensible qui « n’est pas de ce monde », est ainsi appelée à devenir la base d’une nouvelle communauté humaine dont la tâche consiste à agir à l’intérieur de la civilisation actuelle qui a été aujourd'hui presque entièrement conquise par le « prince de ce monde ». En en faisant le fondement de la Société Anthroposophique pour que « dans l’action future de la Société Anthroposophique nous puissions prendre solidement appui sur cette Pierre de fondation » (GA 260, 1985, p. 49), Rudolf Steiner introduisit un principe fondateur de communauté entièrement nouveau dans l’évolution de l’humanité. Grâce à lui, il devint possible, pour la première fois, d’allier harmonieusement le travail ésotérique et exotérique sur le plan social, la base d’une communauté humaine fut posée, une communauté qui peut agir dans le monde à partir de forces ne provenant pas de ce dernier, mais du royaume suprasensible du Christ. Car l’essence de la Pierre de fondation qui lui a été donnée comme fondement de son action intérieure et extérieure est liée, de façon indissociable, à la substance du Christ qui agit sur l’évolution globale de la Terre et qui constitue, pour la Société Anthroposophique, la source des forces de résurrection, de sorte qu’elle peut vraiment, avec ces forces, entrer dans le royaume de la mort de la civilisation actuelle pour y accomplir sa mission michaélique et ainsi sa prédestination sur la Terre.Seules les communautés humaines qui procèdent de ce nouveau principe fondateur de communauté pourront effectivement, à l’avenir, être vraiment chrétiennes. La Société Anthroposophique est aujourd'hui appelée à constituer un archétype de ce développement, si elle reconnaît vraiment l’importance de ce qui lui a été donné au Congrès de Noël.Les paroles de Rudolf Steiner dans sa conférence tenue la veille de la Saint-Michel en 1923, décrivant ce que Michaël attend aujourd’hui des hommes qui veulent le servir, prennent dans ce contexte une importance toute particulière : « Et si [...] la confiance dans le spirituel fonde une telle disposition de l’âme qu’elle conduit à ressentir ce spirituel comme quelque chose d’aussi réel que le sol sous nos pieds, au sujet duquel nous savons que, s’il n’était pas là, nous ne pourrions mettre les pieds sur terre, nous avons alors une notion dans notre âme de ce que Michaël attend en fait de nous » (GA 223, 28 septembre 1923). Cette caractérisation est d’autant plus frappante que Rudolf Steiner donna, déjà trois mois plus tard, la Pierre de fondation aux membres de la Société Anthroposophique lors du Congrès de Noël, laquelle devait justement devenir pour eux ce sol spirituel dont il est question ci-dessus. Notre rapport à la Pierre de fondation est ainsi un véritable témoignage de notre fidélité à l’égard de Michaël, dans le sens exposé par Rudolf Steiner dans la conférence mentionnée. Car si nous avons cette « grande confiance en l’esprit », nous savons également ce qu’est la « force de Michaël » dans l’homme (ibid.). Et c’est justement cette force dont nous avons besoin aujourd'hui pour fonder, au sein d’une civilisation anti-spirituelle, une nouvelle communauté - vraiment chrétienne - qui veuille, à notre époque, soutenir Michaël dans son combat contre le « prince » ahrimanien « de ce monde ».Le rapport à la Pierre de fondation a, dans un autre sens encore, une importance centrale pour l’avenir de la Société Anthroposophique. Car la Société Anthroposophique ne sera apte à former le « corps » (GA 260a, p. 219) terrestre pour le mouvement anthroposophique que si elle s’appuie imperturbablement sur ce fondement spirituel, en s’insérant totalement, en vue de ce but, dans la civilisation actuelle - jusqu'à se faire enregistrer au registre du commerce -, sans courir le risque de tomber sous l’emprise des forces de la mort qui agissent en elle, c'est-à-dire de se muer en une association extérieure, dénuée de tout contenu spirituel.C’est pourquoi il fut nécessaire de procéder à son enregistrement à la fin de son processus d’incarnation sur terre, non pas à cause de considérations extérieures quelconques, mais à partir de « l’esprit entier de la Société Anthroposophique » telle qu’elle était devenue à travers le Congrès de Noël. « Il sera alors nécessaire », déclara Rudolf Steiner dans ce contexte le 29 juin 1924, « que cette Société Anthroposophique, sous l’impulsion de l’esprit entier de la Société Anthroposophique telle qu’elle existe actuellement, fonctionne en tant qu’association enregistrée, enregistrée au registre du commerce, donc une institution qui, extérieurement, est censée tout représenter ici à Dornach » (GA 260a, p. 503). Une solution toute nouvelle au problème fondamental lié à l’action de la Société Anthroposophique au sein de la culture contemporaine se dessine ici. Comparée à la première Société Anthroposophique qui exista pendant dix ans - de 1913 à 1923 - et qui n’était, selon les paroles de Rudolf Steiner, qu’une société de gestion externe de la sagesse anthroposophique, la nouvelle Société, fondée lors du Congrès de Noël, devait élargir les limites de son action aussi bien vers le haut - vers l’esprit - que vers le bas - vers la matière - pour assumer sa mission dans le monde ; elle devait être totalement exotérique (ouverte), reliée au monde extérieur jusqu’à l’enregistrement juridique, et profondément ésotérique, recelant en elle la réelle possibilité de trouver l’accès aux forces de résurrection qui agissent dans la sphère terrestre spirituelle, la Pierre de fondation donnée à la Société étant leur représentante.Le dessein d’enregistrer la Société Anthroposophique fondée lors du Congrès de Noël était ainsi indissociablement lié à la nécessité existentielle pour elle de s’appuyer sur la Pierre de fondation suprasensible. Car ces deux voies de développement ne sont que deux aspects différents - exotérique et ésotérique - d’un ensemble que Rudolf Steiner appela, dans le même contexte, « une constitution unitaire » qui s’oriente parallèlement vers le haut et vers le bas, et étant ainsi capable d’unir l’esprit (la Pierre de fondation et l’École ésotérique), l’âme (la Société Anthroposophique) et le corps (l’association enregistrée sur le plan juridique) en un ensemble unitaire. C’est la raison pour laquelle Rudolf Steiner parla, le 29 juin 1924, non pas une seule fois, mais à deux reprises, de la nécessité d’enregistrer la Société Anthroposophique nouvellement fondée, mettant ainsi l’accent sur l’importance de cette démarche : « Il faudra donc que la Société Anthroposophique Universelle existe comme association enregistrée au registre du commerce. » Car son enregistrement constitue, sur le plan spirituel, l’acte clôturant son incarnation (la création de son « corps » terrestre) dans la civilisation contemporaine, sans lequel elle ne peut assumer sa mission en son sein.Il est clair que toute « incarnation », d’un point de vue suprasensible, est comparable à la mort, c’est pourquoi une telle union avec le royaume de la mort (l’enregistrement) entraîne un risque énorme pour l’impulsion spirituelle. D’un autre côté, il serait impossible, sans union réelle avec les forces de la mort, de vivre les forces de résurrection, dont le centre et la source sont représentés par la Pierre de fondation dans la sphère sociale de la Société Anthroposophique. Car il est impossible d’accéder à la résurrection sans prendre en soi les forces de la mort.Tout ce qui a été dit jusqu’ici nous permet à présent de nous approcher du mystère du départ prématuré de Rudolf Steiner du plan physique. Comme on le sait, durant sa dernière maladie Rudolf Steiner parlait à maintes reprises d’un rétablissement imminent. Il espérait donc jusqu’au dernier moment que les conditions nécessaires pour cela seraient suffisamment remplies par la Société Anthroposophique. Car après son union au karma de celle-ci lors du Congrès de Noël, Rudolf Steiner n’appartenait plus dans la même mesure qu’auparavant à lui-même, mais dépendait à présent, après avoir sacrifié de plein gré sa propre liberté, du degré - de la part des membres - de compréhension de la responsabilité qu’il avait endossée vis-à-vis du monde spirituel.Concernant l’engagement qu’il avait pris pour les membres de la Société, du fait que lors du Congrès de Noël il avait fait une certaine « promesse » aux puissances spirituelles qui ont un lien avec celui-ci (Michaël et les esprits qui le servent), il s’exprima plus tard : « Il existe aussi dans un certain sens une promesse vis-à-vis du monde spirituel. Cette promesse sera tenue de manière indéfectible, et on verra qu’à l’avenir les choses se feront telles qu’elles avaient été promises vis-à-vis du monde spirituel » (GA 240, 18 juillet 1924, p. 176, Traduit). Sans doute, la condition première pour que Rudolf Steiner puisse tenir sa promesse était que les membres de la Société Anthroposophique acceptent de manière générale l’impulsion ésotérique du Congrès de Noël. Et le maître était garant devant l’Esprit du temps que la nouvelle impulsion spirituelle serait accueillie par ses disciples. Cela supposait en tout premier lieu qu’ils la comprennent vraiment, et cela non de manière théorique, mais dans le sens des nouveaux Mystères de la volonté - autrement dit, qu’ils participent consciemment et en toute liberté au développement de l’impulsion spirituelle qui s’était déversée dans le mouvement anthroposophique.Au Congrès de Noël, Steiner s’exprima à ce sujet comme suit : « La Pierre de fondation, nous l’avons posée ici. Sur cette Pierre de fondation doit être érigé l’édifice dont les différentes pierres seront les travaux accomplis par chacun dans tous nos groupes dehors dans le vaste monde » (GA 260, 1999, p. 272). Et après le Congrès de Noël : « Celui-ci [le Congrès de Noël] n’acquerra son contenu que grâce à la vie dans les différents domaines de la Société, il n’est une réalité que par ce qui se fait à travers lui, qui se fait continuellement par lui dans la vie de la Société Anthroposophique. Le Congrès de Noël ne sera réel que par ce qu’il deviendra par la suite [...] La question de savoir si en tant que Congrès de Noël il sera efficace dans la vie dépendra de la question de savoir s’il a une continuation [...] Formellement, nous avons prononcé la clôture, mais à vrai dire, ce Congrès de Noël ne devrait jamais être clôturé, il devrait toujours continuer dans la vie de la Société Anthroposophique » (GA 240, p. 117, Traduit).Si donc ce qui avait été accompli par Rudolf Steiner lors du Congrès de Noël avait été accepté par les esprits dirigeant l’époque présente (voir plus de détails aux chapitres II et III), ce qui signifie que - dans ses termes - il « peut être considéré comme entièrement réussi » (GA 260a, 1988, p. 7, Traduit), sa réalisation dans la Société Anthroposophique ne dépendait plus de lui-même, mais de ses membres. C’est pourquoi, dans ses conférences dans les différentes villes après le Congrès de Noël, il parlait maintes fois de la nécessité que ce qui s’était passé à ce moment fût vraiment compris. Et comme condition d’une telle compréhension de l’essence spirituelle du Congrès de Noël, Rudolf Steiner indiquait avant tout « la bonne volonté », « le don de soi [...] et une compréhension profonde des membres pour Anthroposophie et la vie anthroposophique » (GA 240, 6 février 1924, p. 120, Traduit).Nous voulons donner ici encore deux autres exemples : « On devrait prendre conscience que, de ce fait, la Société Anthroposophique a acquis à vrai dire un caractère ésotérique ; qu’elle n’est plus à vrai dire une association comme une autre, mais quelque chose qui veut être soi-même anthroposophie dans ses actions. Elle ne le pourra que si cela est vraiment compris partout » (GA 260a, Prague, 29 mars 1924, p. 182 sq.). Et le 22 juin 1924 à Dornach : « Aujourd’hui on peut dire : dans le monde spirituel la décision a été prise que précisément depuis ce Congrès de Noël les sources du monde spirituel sont plus ouvertes qu’avant, qu’il y a là les bases, si elles sont comprises par la Société, afin d’approfondir le mouvement anthroposophique pour l’essentiel » (GA 236, p. 332, Traduit).Ainsi, Rudolf Steiner attirait encore et encore l’attention sur la condition première dont dépend le destin du Congrès de Noël dans le monde terrestre, alors qu’en même temps il laissait aux membres de la Société la pleine liberté de la respecter, la remplir ou non. Mais ce qui pour les membres de la Société était une question relevant de la liberté individuelle se présentait pour Rudolf Steiner, qui était hé par la promesse faite au monde spirituel, tout autrement. Pour lui, ce n’était pas une question de compréhension, mais une question de vie ou de mort - la question de savoir s’il pouvait mener à terme ce qu’il avait commencé sur terre ou s’il devait quitter le plan physique pour continuer là où cela était possible, sans manquer à la promesse faite au monde spirituel.Ici nous nous approchons des vraies raisons du fait que sa maladie s’était déclarée si soudainement. Ita Wegman, qui en tant que médecin traitant de Rudolf Steiner était souvent auprès de lui pendant les derniers mois de sa vie terrestre et qui a ainsi pu avoir de nombreuses conversations personnelles avec lui, a plus tard rapporté publiquement les paroles suivantes de Rudolf Steiner : « [...] ce qui paralyse, c’est l’inconscience, l’incompréhension des hommes » (An die Freunde, p. 101). Et dans son journal elle nota, sur la base de conversations avec Rudolf Steiner : « L’incompréhension entrave : maladie aussi par incompréhension, par opposition » (Zeylmans, t. I, p. 319 sq.). L’évocation ici d’une opposition est caractéristique et profondément tragique. Car après le Congrès de Noël, ne pas comprendre celui-ci signifiait déjà de l’opposition spirituelle ! Rudolf Steiner lui-même y fit ouvertement référence dans une conférence du 23 mai 1924 à Paris, lorsqu’il parla du Congrès de Noël : « Ces forces adverses se servent, pour avoir un impact sur terre, de ceux parmi les hommes qui font opposition à cette action positive du spirituel, que ce soit à l’intérieur de la Société Anthroposophique elle-même ou à l’extérieur contre l’anthroposophie » (article de Ita Wegman, Zeylmans, t. III, p. 74). Par « action positive », Rudolf Steiner entendait à cette époque avant tout le développement de l’impulsion du Congrès de Noël, dans l’esprit duquel il menait depuis lors tout son travail. Durant son dernier séjour en Angleterre, en août 1924, il répondit à une question de Dunlop au sujet de sa santé : « [...]. qu’il ne faudrait pas appliquer à son état des représentations habituelles concernant la maladie » (Dunlop, p. 395).La situation générale s’est ensuite aggravée à vue d’œil à partir de janvier 1925, lorsqu’il s’est avéré, de manière définitive, au sens spirituel que dans la Société le degré de compréhension de ce qui s’était réellement passé lors du Congrès de Noël était clairement insuffisant. Ita Wegman écrivit à ce sujet plus tard : « Ensuite le maître est tombé malade. D’abord ce n’était qu’un épuisement physique, ensuite il s’est avéré que la maladie avait des causes plus profondes, le karma se répercutait. À partir de janvier 1925, il ne parlait plus d’épuisement, mais d’effets karmiques » (An die Freunde, p. 14 sq.). C’était un karma de la non-compréhension, de l’incompréhension, en premier lieu de l’impulsion ésotérique du Congrès de Noël, tout comme de l’esprit des conséquences les plus importantes de celui-ci : des révélations des mystères du karma et de la fondation de l’école de Michaël sur terre sous forme de la Première Classe de l’École de science de l’esprit.Cette incompréhension avait cependant aussi une conséquence purement ésotérique : l’espace spirituel qui n’était pas rempli par un travail intérieur conscient devait inévitablement ouvrir dans la Société Anthroposophique une porte aux « démons antimichaéliques », ces démons qui avaient déclaré sans conciliation possible la guerre à la nouvelle révélation michaélique venue dans le monde grâce au Congrès de Noël. Dans un premier temps, Rudolf Steiner avait, par sa décision pleine d’abnégation et le puissant contenu spirituel du Congrès de Noël, obligé les démons ahrimaniens, qui auparavant n’avaient pas permis qu’il révèle entièrement les Mystères de Michaël, de reculer et de se taire. « En réalité », ainsi Rudolf Steiner y fît-il référence dans ses conférences à Torquay, « par tout ce qu’il m’a été possible de donner à la Société Anthroposophique, notamment depuis le Congrès de Noël, par la manière dont il m’est accordé depuis ce temps d’accomplir un travail occulte [...] il s’y est ajouté ceci, c’est que les démons qui auparavant empêchaient que les choses soient dites sont réduits au silence » (GA 240, 12 août 1924, p. 266, Traduit). Mais parce que Rudolf Steiner avait lié lors du Congrès de Noël son karma à celui de la Société Anthroposophique, il ne dépendait pas de lui seul, mais aussi des membres de la Société, de ne pas permettre que les démons agissent de nouveau contre l’impulsion de Michaël, et cette fois-ci à l’intérieur de la Société même. Pour leur résister avec succès, les anthroposophes devaient garder une relation consciente avec l’essence ésotérique du Congrès de Noël, que Rudolf Steiner décrivit comme « alliance [...] avec les forces spirituelles bonnes ». Car seulement un vrai lien avec Michaël et les esprits qui le servent pouvait protéger son impulsion des puissances démoniaques sur terre. Son espoir que les membres comprennent le sérieux de la situation, reconnaissent leur responsabilité devant le monde spirituel et le montrent par une fidélité inébranlable envers le Congrès de Noël, Rudolf Steiner l’a exprimé ainsi : « Mais on peut tout à fait espérer que les forces de l’alliance que nous avons pu conclure, grâce au Congrès de Noël, avec les forces spirituelles bonnes seront à l’avenir en mesure d’évincer toutes celles parmi les forces adverses dans le domaine spirituel qui se servent quand même des hommes sur terre pour arriver à leurs fins » (GA 239, 23 mai 1924, p. 89, Traduit).Et ainsi la compréhension, mais aussi la non-compréhension du Congrès de Noël - de ce « fait mystique » placé au centre de la Société Anthroposophique - devaient avoir des conséquences occultes immédiates aussi bien pour Rudolf Steiner que pour le mouvement anthroposophique dans son ensemble. Ce danger menaçant toute l’évolution future de l’anthroposophie sur terre, Rudolf Steiner l’avait indiqué encore plus clairement dans ses entretiens avec Ita Wegman. Elle a rapporté ses paroles pleines d’un souci profond comme suit : « Ces démons anti-michaéliques, dont font partie aussi Klingsor et ses cohortes, étaient vigoureusement à l’œuvre et menaçaient avec sarcasme de se faire valoir si les impulsions de Michaël, qui avaient commencé avec tant de puissance, ne pouvaient percer [dans les âmes humaines] » (An die Freunde, p. 102).Rudolf Steiner s’est exprimé au sujet de ce danger de manière encore plus concrète dans une conversation avec Johanna von Keyserlingk lors de son séjour à Koberwitz. Rudolf Meyer, à qui celle-ci a communiqué ces paroles de Rudolf Steiner, les a rapportées de la manière suivante : « Rudolf Steiner aurait dit en juin 1924 à Johanna von Keyserlingk (1879-1966) que si le Congrès de Noël n’était pas reçu par les membres, il resterait encore un temps jusqu’à la Michaéli 1924, mais qu’ensuite les démons frapperaient » (Korrespondenz zur Konstitutionsfrage, Cahier n° 1).Et effectivement, fin septembre 1924 la maladie de Rudolf Steiner s’est aggravée au point qu’il dut mettre fin à son activité de conférencier et avec elle à son travail dans la Société. « L’attaque des démons » en tant que conséquence d’une compréhension insuffisante parmi les membres pour ce qui s’était passé avait eu lieu et en même temps la possibilité avait été manquée de créer une enveloppe protectrice autour du maître. Du fait qu’elles ne pouvaient s’approcher des enveloppes supérieures de l’initié, les forces adverses dirigèrent leur attaque contre la seule partie sans défense du maître - son corps physique. Nous en trouvons une indication de Rudolf Steiner dans une lettre à Marie Steiner : « Mais justement parce que sur le plan spirituel tout se passait sans le moindre signe de trouble même en ce qui concerne le monde physique [c’est-à-dire, toutes les attaques démoniaques ont été repoussées], les puissances adverses essaient de s’attaquer au corps physique » (GA 262, 15 octobre 1924, p. 426).Le cours ultérieur des événements montre clairement que les impulsions michaéliques données par le Congrès de Noël et poursuivies dans les conférences sur le karma et les leçons ésotériques de la Première Classe ne purent être réalisées suffisamment dans la Société Anthroposophique, ce qui avait, d’une part, pour conséquence le départ prématuré de Rudolf Steiner du plan physique et, d’autre part, une série de conflits à l’intérieur de la Société, qui éclatèrent peu après sa mort et dont les conséquences catastrophiques n’ont à ce jour pas été surmontées. Il se peut que dans ces conflits, qui ont perduré pendant des décennies, soient devenues réalité comme nulle part ailleurs les « menaces sarcastiques de se faire valoir » de la part des démons. A sa « question inquiète », ainsi se souvient Ita Wegman : « qu’arrivera-t-il si cela ne réussissait pas ? [...] la réponse fut : alors le karma agira » (An die Freunde, p. 103). Ita Wegman a par la suite commenté cette réponse : « Et ainsi, le karma a continué d’agir sans merci. - Nous savons tous combien fut douloureuse l’évolution ultérieure des événements. - Le karma exigeait le sacrifice de la mort » (op. cit., p. 103). Elle indiqua ainsi la raison première de cette tragédie, la tragédie de la non-compréhension et ses conséquences : le manque de volonté de suivre Rudolf Steiner sur la voie des nouveaux Mystères qui avait été ouverte au Congrès de Noël. La volonté manquante était aussi la racine de « l’opposition » dont il parla avant et après le Congrès de Noël. Cette opposition était la vraie raison de son départ prématuré du plan physique.Ita Wegman a pénétré de manière encore plus précise la nature des mystères qui se déployaient là dans son plan de la conférence qu’elle donna à Londres à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de Rudolf Steiner. Elle y rapporta ce qu’il avait dit dans une de leurs conversations, vraisemblablement à la fin de l’année 1924 : « Ensuite Rudolf Steiner a parlé d’une promesse qu’il avait faite envers le monde spirituel et qu’il devait tenir si les choses ne changeaient pas. Quelle était cette promesse qu’il devait honorer ? Il ne l’a jamais dit explicitement, mais j’avais l’impression que le sacrifice qu’il avait accompli pour nous en liant le mouvement anthroposophique qu’il incarnait à la Société Anthroposophique devait être mieux compris, et qu’il ne pouvait rester parmi nous que si la compréhension pour les idées du Congrès de Noël grandissait [parmi les membres]. Et lorsque cela ne semblait pas être le cas, il nous a quittés. Maintes paroles de Rudolf Steiner qu’il fallait comprendre dans le sens qu’il n’y avait quand même pas encore beaucoup de compréhension pour le Congrès de Noël parmi les membres m’ont confirmé cela » (Zeylmans, t. I, p. 315 sq.).Ainsi, le départ prématuré de Rudolf Steiner du plan physique est, d’un point de vue occulte, directement en lien avec sa fidélité « inébranlable » à la promesse occulte qu’il avait faite au monde spirituel lors du Congrès de Noël. Sur la base des différentes remarques de Rudolf Steiner, on peut essayer de s’approcher un peu plus de l’essence de cette promesse. Elle signifie au fond que, au cas où la compréhension du Congrès de Noël parmi les hommes se révélerait insuffisante et de ce fait la poursuite de son développement impossible sur la Terre, sa continuation allait avoir lieu directement dans le monde spirituel. Car « avec le Congrès de Noël l’anthroposophie est devenue, d’une affaire jusque-là terrestre, une affaire cosmique ». Et à ces paroles lourdes de sens prononcées en présence de Guenther Wachsmuth et de Ernst Lehrs, Rudolf Steiner ajouta en guise d’explication « que l’impact de l’anthroposophie sur l’humanité ne dépendait par conséquent plus de l’acceptation de celle-ci sur la Terre. Si cette acceptation ne se faisait pas, même si cela devait entraîner des conséquences très douloureuses pour la civilisation sur terre, elle exercerait, pour les hommes eux-mêmes, son action à partir d’un autre lieu, par exemple la Lune » (Lehrs, p. 268) ; autrement dit, à partir du domaine des instructeurs lunaires de la sagesse, dont Rudolf Steiner a parlé avec une insistance particulière après le Congrès de Noël, et déjà avant, pendant sa préparation spirituelle.Concernant la réalité cosmique du Congrès de Noël, qui serait sauvegardée même en cas de non-compréhension de la part des hommes sur terre, Rudolf Steiner dit dans une conférence du 18 janvier 1924 à Dornach : « Et pour quelque chose comme notre Congrès de Noël, on ne dépend pas de ce qui se passe à l’intérieur du domaine terrestre. Il ne faut donc pas que vous vous imaginiez que ce qui se volatilise par la non-réalisation des impulsions du Congrès de Noël devrait apparaître quelque part ailleurs sur la Terre. Ce n’est pas nécessaire. Cela peut chercher un nouveau lieu de refuge dans de tout autres mondes » (GA 260a, 18 janvier 1924, 1985, p. 219, Traduit). Et dans une autre conférence, du 6 février 1924 à Stuttgart, il énonça encore plus clairement cet état des choses : « Diriger son regard sur le Congrès de Noël implique une certaine responsabilité de l’âme de le rendre réel, tandis que sinon il se retirera de la Terre, il prendra la même direction que celle que j’ai décrite aujourd’hui pour les êtres lunaires [de la sagesse] » (GA 240, 6 février 1924, p. 117, Traduit). À propos des maîtres lunaires de la sagesse, Rudolf Steiner dit dans la même conférence qu’ils régulent le karma terrestre de l’humanité. On peut en conclure que les investigations sur le karma entreprises par Rudolf Steiner pendant et après le Congrès de Noël sont en lien avec leur action cosmique.Les indications sur la réalité cosmique du Congrès de Noël signifient que, si une situation devait naître, du fait de laquelle il ne serait pas possible de lui donner suffisamment réalité sur terre, Rudolf Steiner devait le développer plus en avant dans la sphère suprasensible jouxtant la Terre et donc quitter le plan terrestre, pour rester fidèle jusqu’au bout à la promesse donnée. La brève note de journal suivante d’Ita Wegman donne une indication de ce « grand mystère » : « Floraison [révélation du mystère] au Congrès de Noël. Renouveau de la Société anthroposophique] après que le point culminant a été atteint, pourquoi ne pas continuer ? Tout ce que les hommes pourraient assimiler est dit. Maintenant importance centrale dans le monde spirituel, des défunts doivent être préparés aux nouvelles incarnations terrestres, tout comme la 3e hiérarchie » (Zeylmans, 1.1, p. 292). Les derniers mots concernant les entités de la troisième hiérarchie font directement référence à la sphère lunaire attenante à la Terre, où cette tâche peut maintenant être accomplie par Rudolf Steiner en tant que continuation cosmique de l’impulsion du Congrès de Noël.Dans ses notes, Ita Wegman - un des rares témoins des derniers mois de la vie sur terre du Maître - fait état de ce point tournant décisif dans tout son comportement, qui doit être intervenu vers le début de l’année 1925. Si Rudolf Steiner lui avait auparavant toujours à nouveau parlé de son prochain rétablissement et avait partagé avec elle ses pensées sur le travail futur, tout changea soudain, comme si les dés du destin du monde avaient de manière mystérieuse été définitivement jetés. Ita Wegman à ce propos : « Mais un jour il dit que tout deviendrait différent [...] Qu’on ne l’aurait pas complètement suivi, dit-il tristement, mais quand même avec amour, comme quelqu’un qui avait pardonné et avait déjà tourné ses pensées vers des tâches de la vie plus puissantes. Ici était le point tournant, comme si une réunion céleste avait eu lieu qui aurait déterminé l’avenir, engageant Rudolf Steiner [...], qui voulait honorer sa promesse envers le monde spirituel. Engageant les membres, qui devaient choisir, en toute liberté, s’ils voulaient lui rester fidèles au-delà la mort » (Zeylmans, t. I, p. 317).Les paroles « Cette promesse sera remplie de manière indéfectible », par lesquelles s’exprime la fidélité inébranlable de Rudolf Steiner à l’égard de l’essence spirituelle du Congrès de Noël, une fidélité « jusque dans la mort37 », parlent du fait que, comme les grands Maîtres de l’humanité, il n’a plus besoin d’un passage par le dévachan après la mort (voir GA 114, 21 septembre 1909) et que, depuis son départ du plan physique, il est resté lié aux conséquences suprasensibles de son œuvre terrestre la plus importante. Après avoir assumé de plein gré le karma de la non-compréhension du Congrès de Noël et l’avoir vécu jusque dans sa maladie physique et sa mort précoce, Rudolf Steiner est entré dans la sphère spirituelle adjacente à la Terre, où le Congrès de Noël continue de vivre, à présent non pas comme un fait terrestre, mais comme un fait cosmique, et où Rudolf Steiner continue de travailler à le faire évoluer.Tout cela peut encore être exprimé autrement. Après avoir révélé aux membres de la Société Anthroposophique les secrets du karma dans leur relation avec le cosmos, Rudolf Steiner est lui-même entré dans la sphère habitée par les gardiens de ces mystères, le lieu de séjour des instructeurs lunaires de la sagesse, qui depuis des temps immémoriaux règlent les relations karmiques sur terre à partir de la sphère lunaire. Ces relations passent cependant depuis le XXe siècle de plus en plus sous l’autorité du Christ, maître du karma de l’évolution de la Terre (voir GA 130 et 131), qui dans sa nouvelle forme éthérique agit aussi à partir du monde spirituel voisin de la Terre (la sphère lunaire). Par cela, Rudolf Steiner a indiqué le domaine suprasensible avec lequel est désormais lié le Congrès de Noël, le domaine où, à notre époque, la direction du karma terrestre est dévolue au Christ éthérique. Et c’est dans ce domaine qu’agit, depuis sa mort physique, Rudolf Steiner. Là, il prend part directement à cet événement central de l’évolution de la Terre, parce qu’il a commencé déjà sur terre à proclamer le Christ éthérique et à révéler les mystères du karma, qui proviennent de la sphère suprasensible du Christ.Mais ce qui, pour Rudolf Steiner lui-même, était la prochaine étape sur le chemin de la réalisation de sa mission concernant l’humanité en général : son passage dans le monde spirituel, s’avéra être pour les destinées ultérieures de la Société Anthroposophique une vraie catastrophe. L’une de ceux qui ressentaient à l’époque son étendue tragique le plus fortement fut sans doute Marie Steiner. C’est aussi pourquoi elle écrivit dans la préface de la première édition de la transcription des sténogrammes du Congrès de Noël : « Faire le récit du Congrès de Noël est probablement l’une des tâches les plus difficiles qu’on puisse se donner. Il est à peine possible à notre compréhension limitée de percevoir la force d’impulsion à l’arrière-plan. Il fut la tentative la plus puissante d’un éducateur des hommes d’élever ses contemporains au-dessus du petit soi propre à chacun, de les éveiller à vouloir consciemment pouvoir devenir un instrument de la sage direction du monde. Cependant, ce Congrès de Noël a en même temps quelque chose d’infiniment tragique. Car on ne peut que dire : nous étions appelés, mais non pas élus. Nous n’étions pas à la hauteur de l’appel. L’évolution ultérieure a montré [...] » (GA 260, 1999, Traduit). Par « l’évolution ultérieure » qui « avait quelque chose d’infiniment tragique », Marie Steiner visait avant tout la maladie et le départ précoce de Rudolf Steiner du plan physique, laissant ainsi derrière lui sur terre son œuvre inachevée, pour la terminer dans le monde supérieur. Marie Steiner poursuit : « L’issue a montré ce que cela voulait dire pour le Dr Steiner de se charger de notre karma. C’est là que réside l’ésotérisme profond lié à cet acte sacrificiel » (ibid.).Une part essentielle de ce karma était, nous l’avons vu, le karma de la non-compréhension du Congrès de Noël. La compréhension qui aurait été nécessaire pour que Rudolf Steiner ait pu réaliser sa promesse sur la Terre s’est avérée insuffisante. C’est pourquoi ses disciples les plus proches ressentaient par rapport à tout ce qui était arrivé leur propre culpabilité de manière particulièrement forte. « Ne pouvons- nous pas au vu de ce sacrifice et de cette mort [de Rudolf Steiner] », ainsi écrivit Marie Steiner en 1942, « de laquelle nous sommes sans doute responsables tous ensemble en tant qu’individus et en tant que société - car il s’est chargé de notre karma -, ne pouvons-nous pas oublier, nous réconcilier et ouvrir toutes grandes nos portes à ceux qui cherchent ? » (Hella Wiesberger, p. 417-419, Traduit, ital. M. Steiner). Il n’est pas étonnant qu’Ita Wegman répondît à ces paroles bouleversantes et les appelât « grandes et porteuses d’avenir » (Dok p. 151). Car elle aussi, en tant que plus proche collaboratrice de Rudolf Steiner, vécut les conséquences tragiques du fait qu’il s’était chargé de plein gré du karma de la non-compréhension. Dans le plan d’une conférence en 1931 elle écrivit : « [...] mais je dois insérer moi-même ici que je souffre personnellement indiciblement du souvenir de n’avoir éventuellement pas fait tout pour la compréhension du Congrès de Noël. Et la responsabilité qui pèse sur soi de ne pas avoir vécu la dernière année de Rudolf Steiner de façon aussi éveillée que l’on l’aurait souhaité, alors que l’on était chaque heure et chaque jour autour de lui, cette responsabilité est indiciblement difficile à porter » (Zeylmans, t. I, p. 316).Dans cet aveu tragique de leur propre culpabilité personnelle vis-à-vis de Rudolf Steiner de la part de deux de ses collaboratrices les plus proches, nous avons un exemple admirable de leur véritable grandeur d’âme ainsi que de leur fidélité inébranlable au Congrès de Noël et de leur amour profond pour leur maître spirituel. Car aucun élève de Rudolf Steiner qui voue vraiment le même amour à son maître et qui, à partir de cet amour, cherche à rester fidèle à son œuvre, ne peut éviter de ressentir aussi sa part de responsabilité dans ce qui s’est passé alors, car « nous sommes sans doute responsables tous ensemble en tant qu’individus et en tant que société ».Mais quelle peut être la conséquence de l’aveu de cette culpabilité et de la douleur qu’elle entraîne ? La fidélité à l’anthroposophie et à Rudolf Steiner ne devrait pas mener à une résignation passive, mais plutôt à l’effort inlassable de comprendre ce qui à l’époque ne fut pas suffisamment compris. Car, dans cette affaire, nous sommes jusqu’à présent, comme pour rien d’autre par ailleurs, les débiteurs de Rudolf Steiner. Marie Steiner écrivit à ce sujet dans son introduction aux sténogrammes du Congrès de Noël : « Dans cette lumière tragique baigne le Congrès de Noël pour celui qui a la possibilité d’avoir une vue d’ensemble des événements. Nous n’avons pas le droit de détourner nos pensées du poids et de la souffrance de cet événement. Car de la souffrance vient la connaissance - elle naît de la douleur. Et cette douleur doit nous amener à saisir notre tâche avec une volonté d’autant plus forte (GA 260, 1999, Traduit). On peut déduire du contexte de sa préface qu’il s’agit notamment des tâches que Rudolf Steiner plaça lors du Congrès de Noël devant tous les anthroposophes. Des douleurs et souffrances que le départ précoce du maître du plan physique et notre culpabilité vis-à-vis de lui suscitent doit naître une vraie compréhension de l’événement et de celle-ci un renforcement des forces de volonté qui sont nécessaires pour accomplir les tâches qui furent données à l’époque - ainsi Marie Steiner voit-elle l’avenir du mouvement anthroposophique dans le monde. Et Ita Wegman ? Dans ses notes, elle écrivit : « Dans beaucoup d’hommes vit la question brûlante : après sa mort, Rudolf Steiner est-il encore uni à nous ? Si nous ne l’avons pas compris de son vivant, est-il possible de le comprendre maintenant, et restera-t-il un guide des hommes sur terre qui se réclament de lui, même s’il n’est pas incarné dans un corps physique ? [...] après la mort n’est agissante que la réalité. Si de tels sentiments, qui expriment de la vénération et un vrai amour, montent vers lui, s’il s’établit à nouveau un lien avec lui à partir de la liberté, il nous restera de façon réelle et restera notre guide au-delà de la mort et de la vie » (Zeylmans, 1.1, p. 317). C’est aussi pourquoi Ita Wegman cherchait jusqu’à la fin de sa vie dans le cercle restreint de ses amis et adeptes à semer inlassablement la semence d’une compréhension plus profonde du Congrès de Noël.Marie Steiner a conservé jusqu’à sa mort une relation équivalente au Congrès de Noël. Lorsque, dans la dernière année de la vie de Marie Steiner, Ehrenfried Pfeiffer lui communiqua dans une lettre d’Amérique la caractéristique peut-être la plus ésotérique du lien de Rudolf Steiner avec la Société Anthroposophique après sa mort comme conséquence du fait qu’il avait assumé le karma de la Société, Marie Steiner exprima son total accord avec ses propos. Elle termina sa lettre de réponse par ces paroles : « Vous avez décrit à merveille l’acte mystérique de Rudolf Steiner » (Dok., p. 274).Les propos cités ici montrent ce que les membres dirigeants de la Société Anthroposophique pensaient toujours, même après le départ de Rudolf Steiner du plan physique, de son « acte le plus grand » (Pfeiffer) et comment ils cherchaient de toutes leurs forces à rester fidèles au Congrès de Noël et continuaient d’œuvrer selon son esprit malgré toutes les difficultés et obstacles. Et là aussi, le motif principal était l’amour du maître et la volonté d’accomplir les tâches posées à partir de la vraie compréhension de ce qu’il avait accompli.Ces deux motifs peuvent aussi être observés par rapport à la participation de l’être suprasensible Anthropos-Sophia au Congrès de Noël, auquel Rudolf Steiner s’adressa deux fois pendant la pose de la Pierre de fondation du 25 décembre 1923. La première fois, il parla de la nécessité pour chaque anthroposophe d’« imprégner et vivifier son cœur par Anthroposophia », autrement dit, de la nécessité d’un amour pur et désintéressé envers elle, grâce auquel elle peut, en tant qu’être concret du monde suprasensible, entrer dans le cœur humain et le remplir avec les forces de la vie cosmique. Ici, nous avons en quelque sorte le point de départ de l’impulsion ésotérique du Congrès de Noël. Et en guise de clôture de la pose de la Pierre de fondation, Rudolf Steiner exposa que le but de celle-ci ainsi que du Congrès de Noël dans son ensemble est l’« association d’hommes pour Anthroposophia » (GA 260, 25 décembre 1923), ce qui n’est possible que grâce à une compréhension véritable de l’essence ésotérique du Congrès de Noël et un travail conscient pour réaliser ses buts spirituels. Mais pour les hommes qui recherchent une telle compréhension et qui se lient, en partant de là, en une communauté d’hommes nouvelle, il a fait son sacrifice, en leur donnant la Pierre de fondation comme base inébranlable. Ce n’est qu’en nous fondant sur elle que nous pouvons former « une vraie association d’hommes pour Anthroposophia » ; c’est-à-dire une association dans laquelle Rudolf Steiner peut aussi agir après sa mort comme nouvel « esprit de groupe » de la Société Anthroposophique, comme Ehrenfried Pfeiffer l’avait exprimé dans sa lettre à Marie Steiner.De tout cela, il ressort clairement qu’une vraie compréhension du Congrès de Noël n’est pas quelque chose de théorique, pas un nouveau savoir à son sujet ou une nouvelle sagesse anthroposophique, mais un acte intérieur réel, né d’une volonté guidée par la connaissance, volonté dans laquelle la sagesse de la connaissance est devenue amour, lequel se réalise en ceux qui déposent la Pierre de fondation au fond de leur propre cœur. Car les Mystères chrétiens fondés par Rudolf Steiner ne sont pas simplement la répétition des anciens Mystères de sagesse, mais de nouveaux Mystères de la volonté, qui ne deviennent réalité que si, de la compréhension acquise individuellement, naît un acte concret. Et cet acte consiste dans le fait de déposer la Pierre de fondation du Congrès de Noël dans sa propre âme.C’est d’ailleurs pourquoi le mot vouloir joue un rôle aussi central dans le processus de la pose de la Pierre de fondation. Avec ce mot se termine la Méditation de la Pierre de fondation, car une association d’hommes sur terre ne peut être que le résultat de leur bonne volonté - fondée sur la connaissance. Et il n’est possible de déposer la Pierre de fondation elle-même que dans les cœurs qui sont prêts, « agissant en harmonie, dans leur bonne volonté imprégnée d’amour », à « porter ensemble le vouloir anthroposophique à travers le monde » (GA 260, 25 décembre 1923, 1985, p. 50).Ainsi, nous pouvons mieux comprendre les paroles de Rudolf Steiner citées ci-dessus que le Congrès de Noël, indépendamment de son acceptation ou de son rejet par les hommes, gardera sa réalité cosmique pour tous les temps. « Si vous repensez à ce Congrès de Noël », ainsi formula Rudolf Steiner cette pensée dans une conférence faite plus tard, le 18 janvier 1924, « vous allez devoir vous dire : il y a eu là quelque chose qui venait du monde spirituel lui-même » (GA 260a, 1985, Traduit). Ce « quelque chose » est tout d’abord la Pierre de fondation, qui rayonne dans les mondes spirituels comme « forme imaginative issue de l’amour ». Et cela signifie qu’elle peut, demeurant dans la sphère suprasensible (lunaire) avoisinant la Terre - par une compréhension acquise individuellement et une bonne volonté emplie d’amour - être imprimée à partir de là à tout moment à la sphère de la Terre et réellement être déposée dans les cœurs des hommes qui la cherchent, pour que l’impulsion centrale des nouveaux Mystères puisse continuer son action sur terre.Ainsi a été indiquée la vraie compréhension du Congrès de Noël : elle ne consiste pas en des discours abstraits à son sujet, mais elle signifie l’acte spirituel de la pose de la Pierre de fondation dans le cœur humain. Car, dans un certain sens, la Pierre de fondation elle-même est le Congrès de Noël ! Et elle n’est pas présente sur la Terre ni ne continue son action sur elle lorsque telles ou telles paroles tonitruantes sont prononcées à son sujet, mais lorsque des hommes déposent en totale liberté leur Pierre de fondation dans leur cœur et lui restent fidèles par la suite dans leurs actes, de telle sorte qu’elle les conduit vers l’union avec les autres hommes qui accomplissent également cet acte par amour d’Anthropos-Sophia et de son représentant sur terre, Rudolf Steiner. Et ainsi, il n’y a eu et n’y a ni du vivant de Rudolf Steiner ni après sa mort de quelconques autres obstacles à la réalisation de l’impulsion du Congrès de Noël sur terre que ceux que nous dressons nous-mêmes dans notre âme, par nos doutes concernant la force de l’esprit qui est apparu à ce moment, par notre peur de sa réalité et par notre opposition inconsciente aux efforts intérieurs qui sont nécessaires pour que cet esprit puisse continuer à vivre et agir parmi nous.D’autre part, nous avons dans les exemples cités, dont le nombre pourrait facilement être multiplié, un témoignage réel qu’en dépit de tous les obstacles extérieurs et intérieurs, il y a eu dans la Société Anthroposophique pendant toute la durée de son existence toujours des hommes qui ont vraiment déposé la Pierre de fondation dans leur cœur et qui se sont efforcés de fonder leur travail anthroposophique sur celle-ci. Et ces membres, la plupart du temps invisibles, forment, indépendamment de leur nombre, la vraie société du Congrès de Noël, la communauté des gardiens de sa Pierre de fondation appelée à devenir à notre époque la nouvelle confrérie du Graal. Car si, dans le passé, le Graal en tant que signe de grâce suprême ne pouvait être donné qu’à un petit nombre d’élus, dans l’avenir qui a débuté avec le Congrès de Noël, tout homme de bonne volonté pourra, du fait qu’il dépose la Pierre de fondation en son cœur, entrer dans la confrérie moderne des chevaliers du Graal et devenir avec elle son gardien.Dans ce contexte, Rudolf Steiner indiqua, après le Congrès de Noël, que la vraie force de la Société Anthroposophique ne dépend pas du nombre extérieur de ses membres, mais de son lien réel avec le monde spirituel et de sa possibilité d’agir dans le monde à partir d’impulsions purement spirituelles. Car c’est cela son vrai bien - la substance spirituelle de l’anthroposophie que ses ennemis haïssent tant aujourd’hui. C’est pour cela que, lorsqu’il examina le problème des ennemis de l’anthroposophie dans le monde extérieur et donna comme exemple concret l’agir hostile à son encontre des Jésuites, Rudolf Steiner souligna particulièrement qu’à leurs yeux, « ce n’est pas le nombre qui est déterminant, mais la substance intérieure de l’anthroposophie, dont ils ne veulent absolument pas » (GA 260a, p. 185, Prague, 29 mars 1924). Car seulement lorsqu’une telle substance existe, et elle n’existe que s’il existe un vrai lien avec le monde spirituel, si dans la Société elle-même vit un sentiment réel qu’« en cet instant de l’évolution historique, le monde spirituel attend quelque chose de l’humanité, quelque chose qui doit se manifester dans les domaines les plus divers de la vie, et c’est à nous de suivre de manière claire et vraie les impulsions venant du monde spirituel » (GA 260, 26 décembre 1923, 1985, p. 95, Traduit) -, lorsque cette conscience vit, ne serait-ce que dans une petite partie de ses membres, la Société Anthroposophique pourra préserver le véritable sens de son existence sur terre. Suivre les impulsions du monde spirituel, telles qu’elles sont apparues par le Congrès de Noël, dans le cas donné signifie alors avant tout de déposer la Pierre de fondation dans son propre cœur, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent pour la vie individuelle, de même que pour la vie de toute la Société Anthroposophique.À cet endroit, on se rappelle spontanément le dialogue entre Abraham et Dieu sur la destinée de la ville de Sodome. Abraham, qui était attristé par le sort horrible imminent de celle-ci, se résolut à demander à Dieu : « Feras-tu aussi périr le juste avec le méchant ? Peut-être y a-t-il cinquante justes au milieu de la ville » (Gen. 18,22). Et Dieu lui-même dut lui promettre de ne pas faire périr la ville à cause de cinquante justes. Mais Abraham continua de demander avec ténacité, réduisant leur nombre à 40, 30, 20 et enfin à 10. Et la réponse de Dieu fut - comme chaque fois : « Je ne la fera pas périr à cause de ces dix justes. » Après quoi Dieu, puisqu’il ne voulait pas faire périr un juste dans la ville, « s’en alla, lorsqu’il eut achevé de parler avec Abraham ».Le destin déterminé par le karma atteignit la ville malgré tout. Il y avait cependant un juste en son sein - Lot qui, comme Dieu l’avait promis, fut auparavant conduit hors de la ville par des anges, avec sa famille.Cette histoire signifie que, aussi longtemps que dans une quelconque communauté humaine, peut-être pas aux yeux des hommes, mais aux yeux de Dieu [du monde spirituel], se trouvent au moins dix « justes », c’est-à-dire au moins dix personnes qui sont restées fidèles à leurs tâches spirituelles et qui ont donc sauvegardé leur lien avec le monde spirituel, l’existence d’une telle communauté est justifiée du point de vue du monde spirituel et qu’elle ne peut, de ce fait, pas sombrer. Ceci est aussi valable pour la Société Anthroposophique, qui au cours de sa longue histoire a compté et compte encore sans doute plus de « justes » qui ont déposé la Pierre de fondation dans leur âme et ont conservé, de ce fait, leur lien avec le monde spirituel dont elle est issue, que n’en compte le nombre cité dans le récit biblique. De plus, à tout moment d’autres peuvent s’y ajouter, puisque la graine peut se changer en jeune pousse et la jeune pousse en un arbre puissant, en cette « Société Anthroposophique forte, rayonnante » (GA 260, 1985, p 87, Traduit) pour laquelle Rudolf Steiner exprima à la fin du Congrès de Noël son espoir de réalisation.À l’époque de la liberté, une autre issue est cependant possible. Si au moment décisif le nombre des « justes » devait s’avérer malgré tout insuffisant, le monde spirituel pourrait faire sortir de la Société, sous sa conduite, le petit nombre qui serait resté, la Société perdant alors vraiment sa mission et, de fait, la raison justifiant son existence, en se transformant en une forme purement extérieure sans aucun contenu spirituel, tombant ainsi sous le coup de la parole : « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu » (Mt 3,10). - Cela n’exclut cependant pas qu’elle continuera d’exister extérieurement.Ainsi, nous nous sommes rapprochés du problème fondamental de la fin du siècle et de la prophétie de Rudolf Steiner à son égard sur la possibilité d’une « culmination » du mouvement anthroposophique dans le monde. De tout ce qui a été dit ci-dessus, il s’ensuit que cette culmination dépend avant tout du nombre d’hommes qui auront d’ici là réellement déposé la Pierre de fondation dans leur cœur. Car la condition la plus importante d’une telle « culmination » est que la Société Anthroposophique ait cette Pierre comme base. En tant que source des forces de résurrection dans le domaine social, la Pierre de fondation est le garant principal que la Société Anthroposophique remplit aujourd’hui sa tâche spirituelle dans le monde. Car en cette Pierre nous avons le noyau spirituel ou le point central dans lequel le mouvement anthroposophique et la Société Anthroposophique ou, ce qui est la même chose, les impulsions ésotériques et exotériques se croisent et s’interpénétrent sans cesse. Et la tâche principale qui fut donnée à tous les anthroposophes au Congrès de Noël est de les réunir.Ici, nous avons la réponse à une question cardinale concernant le destin spirituel de la Société Anthroposophique : est-il, même après le départ de Rudolf Steiner du plan physique, encore possible de réunir le mouvement anthroposophique et la Société Anthroposophique, ce dont Rudolf Steiner a parlé à plusieurs reprises en lien avec le Congrès de Noël ? Il est difficile de supposer que la possibilité d’une telle union aurait été limitée dès le départ à la présence physique de Rudolf Steiner dans la Société Anthroposophique. Il va de soi qu’une réunion de la Société et du mouvement, telle qu’elle fut réalisée par un initié de premier rang tel que Rudolf Steiner l’était, était et demeure impossible aux membres de la Société. Cependant, affirmer avec insistance dans ces conditions que son union serait, après le départ de Rudolf Steiner du plan physique, impossible en son principe, cela signifie l’opposition la plus violente aux desseins exprimés clairement par le maître, et donc, de fait, le renoncement à remplir les tâches les plus importantes qu’il plaça devant ses disciples lors du Congrès du Noël.Si par contre nous déposons, comme résultat de notre décision individuelle et par un effort intérieur libre de notre Je, la Pierre de fondation « dans le sol de nos âmes », pour que « dans l’activité future de la Société Anthroposophique nous puissions prendre solidement appui sur cette Pierre de fondation » (GA 260, 1985, p. 49), alors nous réunissons de manière réelle le mouvement anthroposophique, de la substance duquel elle a été formée, avec la Société Anthroposophique, dont elle doit devenir le fondement par notre travail anthroposophique. Autrement dit, la présence réelle du mouvement anthroposophique dans la Société Anthroposophique dépend du nombre d’hommes en son sein qui ont vraiment déposé la Pierre de fondation dans leur âme et déploient, à partir de cette source, toute leur activité anthroposophique. Car la pose de la Pierre de fondation dans l’âme ne peut se faire que par l’effort individuel du Je humain en tant qu’acte mystérique intérieur, lequel implique une promesse de fidélité vis-à-vis de cette impulsion centrale du mouvement anthroposophique. Par contre, une fois déposée dans le sol de l’âme humaine, elle ne vit pas en son sein en tant que base de son propre développement, mais comme fondement d’une nouvelle communauté humaine, car elle est un principe formateur de communautés.Dans la Méditation de la Pierre de fondation, ce processus est indiqué par l’appel triple : « Âme de l’homme ! », l’appel à la connaissance de soi adressé à l’âme individuelle. Une telle connaissance de soi mène, en cas de travail intense avec la Méditation, à ce que des forces nouvelles socialement formatrices s’éveillent dans l’âme, qui permettent de « porter ensemble le vouloir anthroposophique à travers le monde » (ibid., p. 50). Et toute la Méditation s’achève sur les paroles qui parlent des buts communs à tous les membres de la Société Anthroposophique, et de la nécessité de développer une volonté commune pour sa réalisation, partant du « nous » comme nouvelle expérience d’une communauté spirituelle entre hommes. C’est ainsi seulement qu’une vraie synthèse de l’individuel et de l’universel peut être atteinte dans la Société Anthroposophique, ce qui est la condition la plus importante pour une communauté spirituelle future. Montrer au monde cet archétype du développement social futur de l’humanité est une des tâches principales de la Société Anthroposophique au tournant des siècles.
Pour qu’évolue vers le bienCe que par nos cœursNous fondons,Ce que par nos têtesNous guidons vers le butPar notre vouloir.
La réponse à la question de savoir si la Société Anthroposophique atteindra effectivement, au changement de siècle ou plus tard, sa culmination, dépendra de manière décisive du point jusqu’auquel les deux groupes d’âmes sur terre dont le lien avec le mouvement anthroposophique est particulièrement profond, les aristotéliciens et les platoniciens, uniront leurs efforts spirituels. La structure spirituelle de la Pierre de fondation en contient l’ébauche de la possibilité. Car les aristotéliciens arrivent sur terre avec la grande faculté de spiritualiser le penser humain, pour sa transformation en lumière spirituelle qui rayonne à partir du monde terrestre dans le monde supérieur, alors que les platoniciens apportent une tout autre faculté : la faculté de l'imagination, de la compréhension imaginative du monde suprasensible. Et les uns tout comme les autres peuvent s’unir, malgré leur configuration psychique fondamentalement différente, dans leur amour commun de l'impulsion de Michaël-Christ, ainsi que dans la fidélité inébranlable envers la décision commune qu’ils ont prise encore dans le monde spirituel. Alors, les deux courants trouveront dans l’expérience intérieure de la Pierre de fondation avec son aura « aristotélicienne », rayonnant de pensées spiritualisées par la lumière, et sa forme « platonicienne », imaginative, l’union totale et harmonieuse dans sa substance d’amour qui est le fondement originel dans lequel les deux courants, les aristotéliciens aussi bien que les platoniciens, ont leurs racines. C’est en tant que telle que la Pierre de fondation fut donnée à la Société Anthroposophique. C’est vraiment un gage spirituel pour la réunion terrestre et céleste des deux courants. Car, dans sa réalité suprasensible, elle existe aussi bien dans les cœurs d’hommes terrestres que dans le monde spirituel avoisinant la Terre, visible pour toutes les âmes qui font partie dans les mondes supérieurs du mouvement anthroposophique. Ainsi, la Pierre de fondation est la base ferme qui peut encore rendre possible une culmination du mouvement anthroposophique.Une autre qualité de la Pierre de fondation de la Société Anthroposophique Universelle sera également prise en considération ici. Dans toute une série de conférences de l’automne 1919, Rudolf Steiner a toujours attiré l’attention sur l’incarnation d’Ahriman dans un corps physique qui aura lieu vers le début du troisième millénaire. Dans ce contexte, toute une série de courants à l’intérieur de la civilisation contemporaine ont été décrits, dont Ahriman se servira tout particulièrement pour amener les conditions les plus favorables à son incarnation (voir GA 191 et 193).Si l’on regarde de ce point de vue la situation générale de l’humanité au début du XXIe siècle, on peut constater presque partout le « triomphe » de tous les symptômes de l’ahrimanisation toujours croissante du monde actuel décrits par Rudolf Steiner. En regardant de plus près la Société Anthroposophique et les différentes initiatives anthroposophiques, on y observe aussi une intrusion accrue de tendances ahrimaniennes de la civilisation extérieure. Et puisque l’ahrimanisation générale se poursuivra dans tous les domaines de la culture, jusqu’à sa culmination en lien avec l’incarnation physique d’Ahriman, cette question se pose naturellement : dans quelle mesure la Société Anthroposophique actuellement existante sera-t-elle, dans un avenir proche, en mesure de résister à l’accroissement des forces ahrimaniennes dans le monde et en particulier dans son propre domaine ? Et si l’on doit y reconnaître un accroissement toujours plus fort de ces forces déjà avant l’incarnation d’Ahriman, il faut probablement en conclure que, lors de son incarnation, la Société Anthroposophique courra réellement le danger de succomber à son pouvoir séducteur. Et cela signifierait en fin de compte la victoire définitive des forces de mort à l’intérieur de la Société Anthroposophique, même si elle saura encore conserver les formes extérieures de son existence. La situation vers laquelle nous nous mouvons rappelle la situation dans laquelle la Société s’est déjà trouvée dans l’année fatidique 1 923.Comment contrer alors, de manière efficace, à l’intérieur de la Société Anthroposophique elle-même, l’accroissement général des forces d’Ahriman dans le monde ? Il n’y a qu’une seule réponse : uniquement si on lui oppose consciemment ce qui ne fait, de par son essence, pas partie de son règne. Car de son point de vue, Ahriman se présente comme le seul « prince légitime de ce monde ».C’est pourquoi tout ce qui dans la civilisation actuelle fait partie de « ce monde » - et c’est de fait toute la civilisation - se trouve inévitablement en son pouvoir. Même l’anthroposophie, dans la mesure où elle n’est accueillie que comme un savoir intellectuel et non comme un chemin pratique pour un développement spirituel, ne pourra pas protéger l’homme de ces séductions ahrimaniennes raffinées qui apparaîtront avec l’arrivée sur terre d’Ahriman. C’est justement l'intellectualisation de l’anthroposophie qui sera son outil principal dans la lutte contre le règne actuel de Michaël dans l’humanité. Cependant, Ahriman n’aura de succès que dans la mesure où les anthroposophes eux-mêmes n’ont pas la volonté de travailler de manière suffisamment intense à leur propre développement intérieur dans le sens du chemin d’initiation moderne chrétien rose-croix.À la question de savoir lequel était le plus grand danger pour l’anthroposophie à la fin du siècle, la réponse de Rudolf Steiner fut : son intellectualisation en raison du fait que les anthroposophes ne mobilisent pas suffisamment la volonté de suivre le chemin de développement spirituel tel qu’il est décrit dans le livre « Comment parvenir à des connaissances des mondes supérieurs ? ». Dans la même conversation, il appela cela la plus grande attaque d’Ahriman contre les anthroposophes. Ces paroles contiennent aussi une réponse claire à la question de savoir comment une protection individuelle contre les séductions d’Ahriman est possible. Elle ne peut être que : lorsque le chemin spirituel décrit par Rudolf Steiner en détail dans le livre cité ci-dessus et dans d’autres livres est suivi consciemment et en accord avec le but recherché et que, évidemment, un travail intensif est fait sur le contenu spirituel de la Première Classe de l’École de science de l’esprit.Mais, si le chemin d’initiation moderne ouvre la porte pour résister individuellement à Ahriman, qu’en est-il d’une communauté d’êtres humains, dans le cas présent, de la communauté des michaélites, qui veulent accomplir sur la Terre la tâche commune que Michaël leur avait jadis donnée dans l’école suprasensible ? Car ce qu’un groupe d’êtres humains uni par un idéal spirituel commun tel qu’il est contenu dans les paroles de méditation de la Pierre de fondation peut accomplir, cela ne peut être accompli par un homme seul, quel que soit son avancement sur le chemin de son propre développement spirituel. Ainsi, le but de « porter ensemble le vouloir anthroposophique à travers le monde » (GA 260, 25 décembre 1923, 1985, p. 50), qui fut posé devant tous les membres de la Société Anthroposophique Universelle nouvellement fondée lors du Congrès de Noël, ne peut en aucun cas être réalisé par un homme isolé qui, pour une raison ou une autre, ne veut pas se relier aux autres hommes. Se séparer des autres signifie dans ce cas qu’on a renoncé à atteindre le but.Et pour donner aux efforts « communs » un contenu ésotérique concret, Rudolf Steiner a donné à la Société Anthroposophique Universelle la Pierre de fondation, dont « le bon terrain… sont nos cœurs agissant ensemble en harmonie, dans leur bonne volonté, imprégnée d’amour » (ibid., p. 50, Traduit). Nous avons ici le fondement inébranlable qui permet à la communauté spirituelle moderne des serviteurs de Michaël (la communauté des michaélites) de résister ensemble aux tentations présentes et futures d’Ahriman. Car l’essence ésotérique de la Pierre de fondation ne provient pas, comme cela sera exposé au chapitre suivant, de « ce monde », où en fin de compte il ne peut y avoir de garantie de ne pas succomber aux puissances ahrimaniennes, mais d’un autre monde, dont il est dit : « Mon règne n’est pas de ce monde » et auquel ni Ahriman ni les autres puissances adverses n’ont accès.Ainsi, seul le fait de déposer individuellement la Pierre de fondation dans le cœur de chacun et, en ce qui concerne la Société Anthroposophique, de prendre ensemble appui sur elle, seront une garantie que celle-ci saura faire face, aussi à l’avenir, aux tentations d’Ahriman et qu’elle sera capable, en ne pas succombant à cette puissance démoniaque, de remplir sa tâche michaélique dans le monde. Car les forces de résurrection que les membres de la Société Anthroposophique peuvent puiser dans l’être spirituel de la Pierre de fondation issue du règne du Christ sont capables de vaincre les forces d’Ahriman également sur le plan social, et cela veut dire, dans la communauté humaine elle-même qui en a la vocation.De tout cela, il s’ensuit que, par une vraie compréhension du Congrès de Noël et lorsque nous déposons sa Pierre de fondation dans nos cœurs, nous remplissons finalement aussi notre devoir envers notre maître Rudolf Steiner, en témoignant reconnaissance et fidélité, et acquérons en même temps les forces nécessaires pour atteindre la culmination du mouvement anthroposophique. Ce faisant, on crée aussi la base spirituelle dans la Société Anthroposophique, seule base à partir de laquelle il sera possible de vaincre la puissance d’Ahriman aussi dans le domaine social, lors de sa venue en chair et en os.Après avoir considéré la signification de la Pierre de fondation - de cet héritage spirituel le plus important que notre maître nous ait laissé, non seulement pour la Société Anthroposophique présente et future, mais aussi pour le mouvement anthroposophique, nous devons nous tourner vers le mystère de sa genèse elle-même. Cet acte cultuel mystérique a été accompli par Rudolf Steiner le 25 décembre 1923. Son essence spirituelle cependant, qui n’est sujette ni au temps ni à l’espace, est devenue pour tous les temps une part inséparable des Mystères chrétiens centraux de l’humanité.___Source : Sergej O. Prokofieff - Les hommes puissent-ils l’entendre, Le Mystère du Congrès de Noël, Tome 1, Édition Pic de la Mirandole
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