Voie – Symbolisme
Voie – SymbolismeTraditionnellement, il faut entendre par « voie », voie d'éveil à la réalité, à ce qui est. Il est néanmoins très difficile de définir ce que les différentes traditions de sagesse entendent par « voie ».Ce terme peut y désigner à la fois la recherche de la vérité, l'attitude du chercheur, le chercheur lui-même, la méthode pour accéder à la sagesse, la connaissance de la réalité, la réalité en soi.On peut dire que « voie » désigne tout cela à la fois, mais pourtant il faut rajouter immédiatement qu'elle n'est rien de tout cela. Si le mot chinois tao est généralement traduit par « voie », l'intuition que désigne un tel terme ne se réduit nullement au seul taoïsme.Cette intuition correspond à ce qui se découvre dans l'ensemble des enseignements de sagesse, que l'on retrouve dans toutes les sociétés traditionnelles. La vacuité de ce mot renvoie à l'être humain lui-même. « Voie » exprime le sentiment qui vient habiter un être humain lorsqu'il se découvre comme étant « en recherche », sans pouvoir en aucune façon donner un contenu, un but ou une forme, à cette recherche. Voie exprime une attitude d'attention à ce qui advient et d'écoute intérieure, attitude qui naît en l'être humain lorsqu'il se réalise comme étant essentiellement « chercheur ».Par « voie », il faut entendre la possible transformation d'un être individuel. Elle est acheminement d'un niveau de conscience noyé dans l'empirique, correspondant à l'ordre stabilisé du moi, jusqu'à l'ouverture et la reconnaissance de la réalité transcendantale, que désigne le terme « soi ». « Voie » répond à une force psychique de réalisation de soi.Ainsi, ce terme ne désigne pas un contenu de savoir ou une forme de connaissance, mais une expérience. Elle réalise une mise en expérience de la réalité que nous croyons être. Aucun texte ayant trait à la voie ne permet de faire l'économie de cette expérience de soi-même qu'est la connaissance de soi. Elle porte une exigence « expérientielle » (J. Masui), personnelle, unique. « Ce n'est pas tant la connaissance de la vérité qui est nécessaire, c'est la découverte de la voie intérieure qui nous permettra d'en faire l'expérience » (C. G. Jung, Problèmes contemporains de l'âme).Ce qu'exprime énigmatiquement un terme aussi neutre que « voie » ne peut pas plus être donné et reçu rationnellement qu'il ne peut se plier à une attitude volontariste. En ce sens, l'image du chemin qu'induit ce terme est trompeuse, car elle laisse croire à un but et à un itinéraire préétablis. Or la voie n'est autre qu'un simple accompagnement, qu'une adhésion au cheminement en train de s'accomplir.Dans une telle recherche, tout se joue au présent. « Ici et maintenant » est tout l'enseignement, rappellent inlassablement les maîtres de sagesse. La voie tend à instaurer en la conscience un « état de recherche » — ce qu'un maître zen appelait « une mobilité immobile ».C'est-à-dire une présence à la réalité intérieure comme à la réalité extérieure, une façon d'accompagner sa propre marche, une attitude qui soit à la fois vigilance et relâchement, confiance et prudence, engagement total et réserve. Il ne s'agit donc pas de trouver quelque chose, mais de trouver en soi une attitude juste.La voie n'est pas « conscience de » mais « conscience à », attention disponible à ce qui est en train d'être. Il s'agit uniquement de laisser advenir les choses. La voie apparaît vide d'intention.Pour la philosophie « sapientielle », l'accomplissement que désigne le mot « voie » est on ne peut plus simple : il consiste à être présent instant par instant à ce que nous faisons, quoi que nous fassions. Or c'est là, sous son apparence triviale, une demande qui, dans la pratique, s'avère suprêmement difficile.L'expérience seule fait découvrir combien tout l'être s'oppose à cette élucidation et refuse une telle simplicité d'attitude. Entre cette demande, reçue comme un conseil de conduite d'une extrême simplicité, et l'expérience déconcertante de la complexité psychique qu'elle révèle se déploie la voie dans sa totalité.Elle revient à reconnaître et à éprouver la réalité humaine comme un paradoxe : bien que pouvant formuler une telle finalité de conscience, elle se montre incapable de l'accomplir.Ce paradoxe, l'ego le vit comme un insupportable défi. Il fera tout pour intellectualiser chaque pas, chaque expérience, chaque obstacle. Et c'est pourquoi on peut dire de la voie qu'elle est « aphilosophique », en ce qu'elle ne procède pas du mental.L'ouverture à cette réalité que désigne la voie naît d'un constat à l'effet plus ou moins violent selon les circonstances et les traits personnels, le constat de notre inachèvement, de notre inaccomplissement, de notre ignorance.C'est par un tel choc que s'inaugure la recherche d'une connaissance authentique. Cet inachèvement ne se comprend pas, il s'éprouve. Échappant au mental, la voie désigne la possibilité en l'expérience humaine d'un champ métaphilosophique d'expérience ou de conscience.La voie exprime ainsi un « retour » à un état antérieur à la constitution de l'ego, état de spontanéité créatrice par-delà les opposés. Il s'agit pour l'être humain de réintégrer son attitude la plus naturelle. « Le maître ne cherche plus mais trouve [...]. L'homme, l'artiste, l'œuvre forment un tout » (H. Herrigel, Le Zen dans l'art chevaleresque du tir à l'arc).---Alain Delauney - Chercheur au collège international de philosophie.
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