Vies successives et karma

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Vies successives et karma

Pascal Patry astrologue et thérapeute à Strasbourg 67000
Publié par Pascal Patry dans Anthroposophie · 25 Août 2022
Tags: Viessuccessivesetkarma
Vies successives et karma
Rudolf Steiner
Berlin, le 15 février 1906
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Dans le monde, il existe des énigmes, et ceux qu’elles intriguent aimeraient en savoir plus long sur l’agencement, sur la trame de l’existence.

Ces énigmes, en voici des exemples : Quelle est l’origine des substances et des forces ? L’origine de la vie ? Quelles sont les causes finales dans la nature ? D’où provient ce que nous appelons la conscience ? Comment faut-il voir le problème de l’origine du langage ? Le problème de la volonté libre ?

Ces questions se posent nécessairement dès qu’on s’efforce de comprendre la vie en profondeur, et une intelligence qui progresse, qui se cultive, ne peut les évoquer avec indifférence.

Toutefois, d’autres questions doivent avoir la préémi­nence par rapport à celles-ci, étant donné qu’elles nous touchent de plus près et concernent la condition humaine.

Au premier abord elles n’ont pas un caractère théorique ou scientifique, mais elles s’imposent, elles nous demandent d’élever le regard au-dessus des nécessités de la vie, au-dessus de ce qui est transitoire, vers ce qui ne passe pas.

Ces questions, on les rencontre à chaque pas, partout dans le monde elles se posent à nous comme des énigmes.

Si on y répond, on fait plus que satisfaire des intérêts théoriques ou scientifiques ; en elles on trouve force, courage et assurance dans la vie, on trouve l’espérance en un avenir fécond pour le genre humain, pour la personne humaine.

Ces questions vitales surgissent dès qu’on observe ce qui se passe autour de soi dans l’existence terrestre. Nous voyons en effet telle personne naître avec peu de dons, une faible constitution ; selon toute probabilité, en raison de ses talents limités, elle va traîner jusqu’à sa mort une vie pauvre et souffreteuse.

La famille, les circonstances la condamnent à la misère sans qu’il y ait de sa faute. Telle autre personne, du fait aussi de sa famille, est sûre de mener une vie favorisée, heureuse ; qu’elle ait des dons et des aptitudes, et on peut prédire qu’elle réalisera des choses remarquables.

De tels exemples et d’autres observables chaque jour, à toute heure, en tout moment pour qui sait voir avec un regard neuf, posent les vrais problèmes de l’existence. Les grands penseurs, les fondateurs de nouvelles conceptions du monde ont depuis toujours tenté de les résoudre.

Or, ces énigmes exigent une solution nouvelle à chaque époque nouvelle.

Ce n’est pas que les vérités anciennes aient cessé d’être vraies, il n’est pas question de cela, mais c’est que l’être humain pense et sent d’une autre manière, car la façon dont l’âme ressent les choses se métamorphose bien plus qu’on ne croit ; les questions qu’on se pose ne sont pas nouvelles, ce sont les anciennes questions qui sont posées d’une manière nouvelle.

La conception de la vie proposée par la théosophie ou science spirituelle, introduite depuis trente ans dans les pays de civilisation, tente de résoudre les énigmes de l’existence d’une façon qui puisse satisfaire l’âme de l’homme moderne.

Deux notions maîtresses de la science spirituelle feront l’objet de cette conférence qui veut répondre aux questions soulevées.

Ce sont l’idée du karma, la grande loi de la destinée, et celle de la réincarnation ou des vies terrestres successives.

Ces deux idées de la science spirituelle se proposent de répondre aux énigmes de l’existence à la manière dont répondent aux questions la recherche scientifi­que et la recherche en général, c’est-à-dire en s’appuyant non sur une foi, mais sur la connaissance, sur le savoir.

La science spirituelle ne diffère pas des autres sciences sous ce rapport. La différence serait peut-être que pour comprendre et pénétrer les vérités scientifiques, il est nécessaire d’avoir des connaissances préalables ; même la vulgarisation scienti­fique exige presque toujours un certain savoir de base.

En revanche, la conception théosophique du monde peut réellement être à la portée de tous, depuis le cœur simple et naïf qui n’est en mesure de comprendre que par le sentiment, jusqu’au plus savant, voire au plus grand sage ; ces derniers mettront d’abord la science spirituelle à l’épreuve du doute, mais s’ils ont la patience et la persévérance nécessaires pour y pénétrer progressivement, ils y trouveront de quoi se satisfaire.

Tous ressentiront, en plus de cette satisfaction, une libération intérieure due à ce qu’ils ont longtemps vainement aspiré à une lumière ; ils trouveront enfin réponse à leur problème, et qui connaît ce sentiment sait quelle joie intime il procure ; ils remarqueront un changement dans leur vie.

L’essentiel en effet n’est pas ce qui satisfait la soif de connaissance, mais ce qui donne de l’assurance dans la vie et qui parle à l’âme tout entière, pas seulement à une partie de son être.

Puisque nous abordons aujourd’hui des questions telle­ment importantes et fondamentales, laissez-moi vous dire tout de suite dans quel sens il faut comprendre ce que dit la science spirituelle au sujet de la vie.

On objecte souvent à l’investigateur spirituel qu’il n’apporte pas de preuves de ce qu’il avance sur les mondes spirituels supérieurs et toutes ces choses qui, au premier abord, sont impénétrables aux sens ordinaires ; mais l’objection fait montre d’une grande incompréhension.

Il n’y a qu’une façon d’y répondre : personne n’est obligé de prendre ces informations pour des articles de foi ; l’investigateur demande seulement qu’on lui prête une attention confiante. Il n’existe pas en science spirituelle de preuves du même ordre que celles qui sont réclamées d’ordinaire.

Ceux qui les demandent ignorent le caractère spécial et le sens particulier des vérités de cette science. Ses preuves sont fournies par la vie, non seulement par la vie observée à l’aide des sens - les yeux, les oreilles, le toucher -, mais encore la vie dans toute l’étendue de son registre, y compris les éléments spirituels les plus élevés.

Si donc un auditeur dit à l’investigateur : Je ne crois pas à tout cela, qui peut être un produit de l’imagination dû à vos fantasmes -, ce dernier lui rétorquera : Très bien, il vous est loisible de croire que la science spirituelle est enseignée par des imposteurs ; il existe toutefois un moyen terme entre la foi aveugle et l’incrédulité, qui consiste à écouter sans parti pris.

Je vais vous donner un exemple un peu gros. Vous montrez à quelqu’un une carte d’Asie Mineure, et il déclare qu’elle ne représente pas ce pays-là, que c’est vous qui vous le figurez.

On ne peut que lui répondre : libre à vous de le penser ; néanmoins, remarquez bien ce que je vous ai montré, prenez-en bonne note et gravez-le dans votre mémoire. Quand vous arriverez là-bas, vous verrez que les choses sont bien ainsi.

Il en va de même des enseignements de la science spirituelle.

Il n’est demandé à personne d’en faire l’objet d’une foi.

La vie lui fournit des preuves en suffisance pour peu qu’on l’observe attentivement et sans prévention, même en ce qui concerne l’au-delà, l’existence après la mort.

Aux vieilles questions, il faut répondre d’une façon nouvelle.

Jusqu’en plein XVIIe siècle, non seulement le gros de la population, qui était superstitieuse, mais tous les gens instruits, même dans les sciences, étaient convaincus que les animaux inférieurs, y compris les vers de terre, naissaient de la boue des rivières.

C’était une croyance universellement répandue. On était loin de penser qu’un lombric doit provenir d’un autre lombric, croyant qu’il était issu de la vase.

C’est le savant italien Redi qui a formulé la loi suivante : le vivant ne peut provenir que du vivant ; jamais le vivant ne naîtra de l’inanimé. Le lombric ne provient pas du limon, mais du lombric qui l’a engendré.

Elle est récente, cette connaissance. C’est ainsi que progresse l’humanité par rapport à la vérité. Quiconque croirait aujourd’hui encore que les vers proviennent de la terre passerait pour bien peu intelligent.

Ce que Redi a proclamé à l’époque, échappant de justesse au sort qui a frappé Giordano Bruno, fait partie de la science et de sa conception de la nature.

Les habitudes de pensée d’alors se refusaient à admettre que le vivant procède du vivant ; celles de notre temps opposent la même résistance à l’idée de réincarnation.

Certains entrent littéralement en fureur en présence des vérités de la science spirituelle, tout comme le faisaient jadis ceux qui ne voulaient pas reconnaître l’origine des vers de terre.

Le fondement de la science spirituelle est tout aussi solide lorsqu’elle affirme que ce qui est psycho-spirituel ne peut provenir que de l’âme et de l’esprit.

Si d’ici deux siècles la bêtise ne l’emporte pas sur la saine raison, nul doute que la vérité de la science spirituelle se sera imposée dans tous les milieux comme l’a fait la vérité de la science naturelle.

L’âme et l’esprit ne peuvent provenir que de l’âme et de l’esprit. Qu’est-ce à dire ? C’est l’âme et l’esprit qui se manifestent quand nous sommes en présence de la destinée, tel qu’elle dépend de réalités extérieures, des dispositions, des capacités, et du caractère en général.

Si l’on observe les particularités délicates, intimes, d’une âme humaine en devenir, on voit grandir en l’enfant quelque chose qui ne peut pas davantage provenir du non psychique, du non spirituel, que le lombric de la vase ; ceux qui le nient ne perçoivent que ce qui est grossièrement matériel.

Certes, le nez de Schiller, ses cheveux roux et d’autres traits de sa physionomie s’expliquent par l’hérédité corporelle, de même que les particules de carbone et d’oxygène du ver de terre proviennent du carbone et de l’oxygène ambiants. Les éléments inanimés du lombric proviennent des éléments inanimés de la nature environnante, et les particules physiques de notre organisme proviennent de l’environne­ment physique.

Or les dons de Schiller, son talent, nous ne les expliquons pas davantage par son milieu que nous n’expliquons le ver de terre par la vase. Nous avons pris Schiller en exemple seulement parce qu’il est frappant, mais tout homme, même le plus fruste, tend à éliminer progressivement au cours de son évolution ce qui a un caractère grégaire. Il est impossible de déduire de l’hérédité physique ce qui est individuel.

On peut le constater aisément même en n’observant pas finement les choses. Essayez de sentir ce que veut dire dans ce domaine le mot de Goethe : « Mystérieuse sous la pleine clarté du jour, la nature ne se laisse pas enlever son voile, et ce qu’elle ne veut pas révéler à ton esprit, tu ne le lui arracheras pas de force à l’aide de leviers et de vis. » [1].

La pince et le microscope ne sont donc ici d’aucun secours.

Considérez un enfant dans les premiers mois et les premières années de sa vie. Son visage porte l’empreinte de ce qu’il a reçu de son père, de sa mère, de ses aïeux.

Ce qui s’exprime est le caractère humain en général, le caractère du groupe, de l’ethnie, de la famille. On dira que la douceur des traits vient du père, de la mère, de l’oncle ou de la tante.

Mais à mesure que l’enfant grandit, on voit s’opérer en lui une métamorphose remarquable que celui dont les sens sont affinés est absolument en mesure d’observer.

Ce qui vient du père, de la mère, de la grand-mère et ainsi de suite appose sur le petit corps une sorte d’empreinte collective qu’on voit par la suite se métamorphoser et adopter une forme due à l’être intérieur.

Dans les traits du visage s’exprime peu à peu ce qui vit dans le for intérieur et ne peut provenir ni du père ni de la mère. Plus le caractère individuel, s’élevant fortement au-dessus de ce qui appartient au groupe, vit dans l’âme, plus fortement celle-ci agit dans le corps et le remodèle.

Peut-il réellement être expliqué par l’hérédité, le visage d’un grand penseur, d’un grand bienfaiteur de l’univers qui, agissant de son propre mouvement, enrichit le monde d’un apport nouveau ?

C’est le visage qui montre le mieux de quelle manière la personne s’élève au-dessus de ce qui n’appartient qu’au groupe. En chaque être humain se révèle le noyau spirituel de l’être, lequel ne procède pas de l’hérédité, mais choisit cette hérédité pour y naître.

Du moment que ce noyau ne se rapporte pas au père, à la mère ou aux ancêtres, il faut pouvoir le mettre en rapport avec un élément spirituel. L’âme et l’esprit proviennent de l’âme et de l’esprit. Ici doit intervenir l’idée d’évolution, l’idée des incarnations successives.

L’être qui imprime ses traits à l’enfant a déjà été présent, a vécu plusieurs fois dans un corps. L’âme et l’esprit s’expliquent alors de la même façon que s’explique la provenance du lombric à partir d’un autre lombric et non à partir de la vase.

L’imperfection qui a existé dans le passé, nous ne pouvons pas nous étendre à son sujet dans cette conférence. Comment la science spirituelle explique-t-elle qu’il y ait différents degrés de perfection dans le domaine de l’âme et de l’esprit ?

De même que, selon Haeckel, le minuscule hématozoaire est né dans des conditions d’existence primitives et que l’animal, à sa suite, s’est formé en développant la forme physique extérieure, nous pouvons dire d’une âme parfaite qu’elle a évolué peu à peu à partir d’une âme imparfaite qui s’est perfectionnée progressivement.

L’être humain primitif, à l’âme enfantine, imparfaite, présente une forme semblable à celle que nous avons dû prendre dans le passé, afin de nous élever à la forme plus spirituelle qu’elle a maintenant.

Comparez donc sous le rapport de l’âme le cannibale qu’a rencontré Darwin à un Européen moyen ; ce dernier a la notion du bien et du mal, du juste et de l’injuste, du vrai et du faux ; l’autre, Darwin voulut lui faire comprendre qu’il ne devait pas manger ses semblables, que c’était mal et qu’on n’avait pas le droit de le faire.

Le cannibale le regarda bizarrement et lui dit : « Mais comment peux-tu savoir cela ? Il aurait d’abord fallu que tu en manges. C’est après que nous savons s’il était bon ou mauvais. »

Vous avez là une âme encore imparfaite qui au cours de l’évolution deviendra de plus en plus parfaite. L’âme ne commence pas à exister à la naissance du bébé ; elle s’est développée d’abord au cours d’incarnations imparfaites, où elle n’a saisi par exemple du bien et du mal que ce qui était ou non agréable au palais.

Elle évolue de degré en degré, elle avance, apprenant toujours à travers de nombreuses incarna­tions, jusqu’au point où nous en sommes arrivés.

Notre âme, nous la portons en nous, douée des aptitudes et des forces qui sont les nôtres, affectée de la destinée qui est la nôtre. Nos vues seront plus exactes quand nous reviendrons dans notre prochaine incarnation ; chaque fois que nous reviendrons sur la terre, nous paraîtrons avoir progressé vers la perfection, et nous parviendrons au degré où nous serons aptes à nous élever à une existence plus haute, plus divine - dont nous ne parlerons pas davantage aujourd’hui.

On peut certes expliquer l’existence par d’autres lois que celle de la réincarnation, toutefois celle-ci est seule à pouvoir résoudre les énigmes de la vie. Un noyau d’être se manifeste en tout homme et passe par des vies nombreuses et répétées.

Le matérialisme considère que l’esprit et l’âme ne sont que des superstructures, qu’ils sont formés à partir de l’orga­nisme, que le langage et les représentations ne font que développer et perfectionner ce que possède déjà l’animal ; un matérialiste vous expliquera que l’idéal moral le plus élevé, les sentiments religieux les plus sacrés sont le produit de votre organisation corporelle.

Mais c’est exactement l’in­verse : tout ce qui dort dans l’âme, le noyau éternel de l’être, a édifié et modelé son corps par étapes successives. Ce qui est corporel-physique provient de l’âme et de l’esprit ; c’est ce qu’enseigne la conception du monde de la science spirituelle qui deviendra pour vous de plus en plus claire à mesure que vous l’approfondirez.

Elle ne s’appuie pas sur la foi ; certes, une brève conférence ne peut en donner qu’une esquisse privée des développements qui seraient nécessaires, mais cette science repose sur des bases aussi fermes et solides que toute science. Elle travaille avec les mêmes méthodes que la science du sensible, mais celle-ci se cantonne au monde physique alors qu’elle étudie le monde spirituel.

L’être humain est formé d’une nature supérieure et d’une nature inférieure, et lorsqu’il franchit la porte de la mort, sa nature inférieure est rendue aux éléments auxquels elle appartient, à la terre pour la partie corporelle, à d’autres éléments pour d’autres parties. Tout comme l’espèce Lis doit passer par le stade de la graine et revêtir sans cesse de nouvelles formes pour exister en tant qu’être vivant, le noyau éternel qui est en l’homme adopte de façon renouvelée un corps humain, une forme humaine.

La loi de la réincarnation de l’être décrit que l’évolution sur le plan spirituel offre l’image supérieure, le pendant de ce qui se passe sur le plan terrestre ; elle conduit à déceler en l’homme ce qui, par sa finesse, risque d’échapper au regard. Le noyau de l’être humain est fait d’une essence triple, sa nature est triple.

Dans le tréfonds de l’être repose ce qui, à notre époque, est très peu développé encore et n’existe qu’en germe chez la plupart de ceux qui vivent dans les pays de civilisation. Nous appelons Homme-esprit (ou Atma) ce centre intime le plus profond de l’être ; il est encore invisible chez la plupart des humains, même au regard de l’âme.

La deuxième partie du noyau spirituel humain est Bouddhi, l'Esprit de vie dans notre terminologie.

Ce deuxième élément trouve à s’exprimer dans l’âme de ceux qui sont à la pointe de l’évolution, ceux qui conduisent les hommes, qui sont des guides de l’humanité. D’une certaine manière, nous pouvons décrire l'Esprit de vie en disant ceci : le Bouddhi dans toute sa gloire et sa majesté était présent chez les fondateurs des anciennes religions, Hermès, Bouddha, Zoroastre ; il vivait dans une mesure exception­nelle dans le Christ Jésus.

Si je veux faire comprendre ce que signifie le Bouddhi dans le monde spirituel, je ne puis y arriver que par comparaison. À défaut de percevoir le spirituel, il faut le saisir dans un symbole, enchâsser l’éternel dans le périssable, puisque « tout ce qui passe n’est que symbole », comme l’a dit Goethe.

Représentez-vous, dans la vie physique ordinaire, que la force productrice normale soit unie à l’amour - non un amour qui reçoit, mais un amour qui est don total -, et vous avez le Bouddhi.

Le meilleur symbole emprunté à la nature est celui de la poule couveuse ; grâce à la chaleur vitale de son propre corps, elle engendre comme par magie une vie nouvelle en sacrifiant à celle-ci, par une qualité d’amour particulière, son existence propre.

Transposez cela dans le spirituel ; c’est une individualité qui développe d’une manière spirituelle une force capable d’impulser les grandes virtualités de progrès existant dans la nature humaine pour faire avancer l’évolu­tion de l’humanité. La manière christique d’éprouver, de ressentir, celle qui dans les pays d’Occident répand depuis deux mille ans ses bienfaits dans le sentiment, dans le cœur, n’est-ce donc pas la force fondamentale qui provient du Christ, celle qui vivait en lui ? Ne l’a-t-il pas introduite dans le monde de la manière la plus sublime ?

Elle représente dans le spirituel l’amour qui se donne et qui crée jusque dans le sensible - qui crée, non un être humain, mais un amour spirituel issu de la sagesse cosmique qui l’engendre de siècle en siècle.

Unissez en pensée cet élément à la nature humaine, et vous obtenez ce que notre mystique appelle le Christ, la mystique grecque Chrestos, la mystique de l’Orient Bouddhi, l’Esprit de vie au comble de sa puissance. Si vous pressentez, même faiblement, ce que peut éprouver celui qui produit spirituellement une force capable d’être incorporée à l’humanité et d’impulser la vie spirituelle, représentez-vous la vraie béatitude de la poule qui couve, unie à la pleine clarté de l’esprit, à une conscience lumineuse : c’est le Bouddhi. En une certaine mesure, il est présent en tout homme, au moins en germe.

La troisième force de l’âme est celle par laquelle nous comprenons l’univers, nous le concevons.

Il serait insensé, celui qui prétendrait tirer de l’eau d’un récipient alors que celui-ci n’en contiendrait pas. Dire tout à la fois que l’homme puise la sagesse dans l’univers et qu’il n’y a pas de sagesse en l’univers, n’est-ce pas également insensé ? L’astronome cherche à concevoir et à calculer la sagesse du cosmos.

L’univers ne peut être compris que par la sagesse. Si la sagesse n’était pas contenue dans l’univers, comment donc l’y trouverait-on ? Jamais nous ne pourrions la trouver si elle n’était pas donnée.

La sagesse par laquelle nous voulons concevoir l’univers est celle-là même qui l'a créé. Voilà le troisième élément qui parcourt la totalité de l’univers. C’est le Manas. La meilleure traduction de ce mot serait : la sagesse naissant du sein de l’univers.

Ce troisième élément, c’est notre Moi spirituel. Les trois ensemble, Atma, Bouddhi, Manas, constituent le noyau le plus profond de l’être humain, ce qui passe d’une incarnation à l’autre.

Dans les tribus sauvages, cette triade existe aussi à un degré inférieur, mais n’est développée qu’imparfaitement ; elle l’est à un niveau plus élevé chez les humains actuels de type courant ; un niveau plus élevé encore caractérise un grand guide de l’humanité.

L’être humain traverse les vies successives ; il passe par le stade de la culture spirituelle, puis il atteint celui où il guide les hommes, non seulement par son idéal, mais par sa sainteté, tels François d’Assise, saint Bernard et bien d’autres. Voyant de quelle façon les humains qui se côtoient vivent chacun leur évolution, le disciple pourra se faire une idée claire du passage par les diverses existences.

Ce que nous venons d’évoquer trouve une expression dans la personne tout entière pour celui dont le regard sait voir finement les choses. J’ai dit que le noyau de l’être n’existe qu’en germe dans l’individu normalement développé et qu’il se perfectionnera de plus en plus.

Or, ce que nous développons aujourd’hui en nous à partir de ce noyau, nous a créés et modelés dès le commencement. Nous voyons ainsi comment l’être triple, le noyau de l’être, travaille en l’être humain d’abord inconsciemment, puis de façon consciente.

Je n’ai fait tout à l’heure que mentionner la physionomie du penseur où s’exprime l’être intérieur, mais ce ne sont pas seulement les traits, ce sont les gestes, c’est la mobilité du visage où s’exprime l’être profond. En l’enfant, tout cela se forme progressivement avec plus ou moins de force à partir de ce qui agit en lui.

L’investigation spirituelle proprement dite, qu’on appelle occultisme, permet de connaître le rapport entre l’être inté­rieur triple et son expression extérieure dans le corps qui en est l’instrument.

L’occultiste - c’est ainsi qu’on le nomme - dit que chez l’homme, individu masculin, le Moi spirituel (Manas) s’exprime d’abord dans les traits du visage. Bouddhi prend forme dans l’organe de la parole, vit dans la voix, préparant et présageant des étapes futures.

Atma, le troisième élément, vit chez l’homme dans le geste, le mouvement des mains J’ai dit que le deuxième élément, Bouddhi - le Christ, nous venons de le voir - vit dans les organes de la parole et dans la voix. La mystique chrétienne exprime cela de la manière la plus profonde dans l’Évangile de saint Jean où il est écrit : « À l’origine était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et un dieu était le Verbe. »

La parole est désignée par saint Jean comme étant le Christ.

Chez la femme, il en va un peu autrement. Cela n’enlève rien à ce que dit la théosophie au sujet de l’égalité absolue des sexes : Atma, Bouddhi et Manas sont les mêmes chez l’homme et chez la femme. Ils ne déterminent pas le sexe de la personne, mais sa morphologie, sa forme extérieure.

Manas intervient chez la femme dans la parole, Bouddhi dans les gestes des mains et Atma dans le corps en son entier. Nous avons là ce qu’on appelle les différences occultes entre la forme corporelle masculine et féminine, mais non pas des différences dans le noyau de l’être humain homme ou femme.

Comment cette idée de la réincarnation se situe-t-elle par rapport à la loi du karma ? Le mot karma dérive (ou du moins est en relation avec lui) du mot sanscrit « kamoti », qui signifie faire, effectuer.

C’est exactement la même racine que le latin « creare », faire, créer. Karma ou création, c’est la même chose en deux langues différentes. Essayons maintenant de bien comprendre ce que signifie karma. En allemand, on le traduirait par activité, action. Recourons à un exemple simple. Imaginez que vous accomplissez une certaine tâche du matin jusqu’au soir. Puis vous allez vous coucher et vous dormez toute la nuit.

Quand vous vous réveillez le lendemain matin, si vous vous dites : Ce que j’ai fait hier ne m’intéresse pas, aujourd’hui je repars à zéro -, vous dites une bêtise. La seule chose possible est de reprendre le matin ce que vous avez interrompu la veille au soir et de vous dire : c’est là le travail que j’ai dû arrêter hier et qu’aujourd’hui je continue. Qu’est-ce que cela signifie ?

Simplement ceci : par mon travail d’hier, j’ai déterminé mon destin d’aujourd’hui. Cet exemple contient entièrement la notion de karma. Chacun de nous façonne son destin à venir.

Prenons un autre exemple. Certains animaux se réfugient dans de sombres cavernes. Il se passe alors le phénomène suivant : ils perdent la vue. Les sucs nourriciers sont attirés vers des parties du corps autres que les organes de vision et la conséquence en est que ces animaux deviennent aveugles. Que signifie alors le fait qu’ils ne produisent plus que des générations de descendants aveugles ?

Il faut, reconnaître que cette perte de la vue résulte du fait que ces animaux ont été confinés dans l’obscurité. À quoi est due cette modification dans leur nature ? Au changement survenu dans leur habitat. Or le karma n’est rien d’autre que l’action que le passé opère sur l’avenir pour en déterminer le sort.

La cause et l’effet dépendent toujours l’un de l’autre. Au cours d’une vie terrestre, entre la mort et une nouvelle naissance, on entre dans une vie nouvelle. C’est la même chose que lorsque nous nous réveillons et reprenons le travail laissé la veille.

Ce qui a été semé dans une précédente vie terrestre, nous en récoltons les fruits dans la nouvelle existence.

Si dans une vie antérieure nous avons accumulé les causes d’un destin contraire, l’effet en est retombé sur l’existence suivante. Si nous avons fait du tort à quelqu’un, nous le verrons resurgir et nous rendre la pareille.

Si l’on me fait du mal dans cette vie-ci, j’ai tout lieu de supposer que j’ai connu cette personne dans une vie antérieure et que j’ai moi-même été à l’origine de ce que l’on me fait subir aujourd’hui.

Ainsi la grande loi du karma rend plus clair, plus explicable le sort de chaque individu, et la lourde énigme vitale à laquelle nous sommes sans cesse confrontés s’allège et s’éclaire. Je puis maintenant comprendre pourquoi tel individu est né dans des conditions misérables et pourquoi, sans l’avoir mérité, il doit subir un sort si contraire.

Le cas est le même pour celui qui n’a pas bien fait son travail un jour. La mauvaise préparation de la veille compromet le travail d’aujourd’hui. Cela revient à dire que l’on s’est préparé dans une vie antérieure les ennuis, les désagréments actuels.

On sait bien que toute chose a son effet. Ce que je fais actuellement de bien ou de mal exercera son action dans une vie prochaine. Nous recevons la même leçon des étoiles et du soleil dont nous percevons les effets dans le cosmos. Il en est de même dans le cosmos des esprits et des âmes.

Les actes que nous accomplissons présentement trouveront leur complément dans une vie future.

Saint Paul dit à bon droit : Dieu ne permet pas que l’on se moque de lui ; vous récolterez ce que vous aurez semé.

Saint Paul était un initié qui savait bien pourquoi il parlait ainsi. Il énonçait la grande loi cosmique qui dirige la destinée humaine.

Il est bon de se représenter comment agit cette loi. Si vous avez suivi d’autres conférences que j’ai faites, vous savez déjà ce que je voudrais évoquer ici.

Quand nous observons l’être humain du point de vue de l’esprit, il ne nous apparaît pas comme un corps physique, car nous savons que ce corps physique n’est qu’une partie d’une entité plus importante.

Comprenons ce que Saint Paul appelle le corps spirituel et que nous appellerons le corps éthérique.

Ce corps éthérique est comme projeté par le corps physique, ou plutôt c’est au contraire le corps physique qui est une projection du corps éthérique. C’est le second élément de l’entité humaine.

Le troisième élément est le corps astral, tout ce que l’on porte en soi de plaisir et de peine, de joie et de souffrance, d’instincts, d’élans, de passions et de désirs ; tout ce qu’offre un être humain qui est devant nous, mais que nous ne voyons pas seulement avec nos organes de perception physique.

Que voyons-nous de lui ? Évidemment la couleur de sa peau, et, pour l’observation physique, les os, les muscles, les nerfs. Le plaisir et la souffrance, les instincts, désirs, passions que cet être renferme en lui, nous ne les percevons pas.

C’est là ce qu’on appelle le corps astral. Avec lui commence la nature spirituelle de l’homme que nous appelons le moi, le porteur de notre conscience personnelle.

Il est le support des éléments que j’ai décrits comme Moi spirituel (Manas), Esprit de vie (Bouddhi) et Homme-esprit (Atma).

L’animal possède un corps astral. Il ressent le plaisir, la joie, la souffrance.

Quant à ce qui prend une configuration chez les maîtres de l’humanité et qui est en germe chez tous les hommes, c’est le noyau éternel de l’être humain qui passe d’incarnation en incarnation.

Quand l’individu vient à mourir, que reste-t-il de lui, qu’est-ce qui disparaît ? Le corps physique que les yeux voient et que les mains touchent est rendu à la terre.

Le corps éthérique se répand dans l’universel éther de vie très peu de temps après la mort. Le troisième élément est le corps astral, sur lequel l’individu a déjà travaillé. Prenez une âme qui vit dans un être cultivé ; elle est pourvue d’un noyau intérieur et d’une abondance d’instincts, de passions, etc.

Comparez-la à celle d’un homme primitif qui en est au premier degré de réincarna­tion. Les éléments supérieurs n’ont pas encore agi sur lui ; la vie instinctive est encore animale. Que peut faire le noyau spirituel de cet être, sinon travailler constamment à ennoblir les passions animales ?

L’homme cultivé se distingue du primitif en ce que son corps astral n’a plus d’instinct bestial.

À la mort de cet individu, quand l’âme entre dans le monde spirituel, la part d’instinct qui restait en elle se découvre. S’il s’agissait d’un homme qui venait de s’incarner pour la première fois, les passions animales sont à l’état sauvage ; peut-être est-ce un cannibale ; ses actions engendrent des conséquences.

L’homme commence à comprendre ce qu’il a fait. Il se dit : ce que je fais aux autres, on peut me le faire aussi, et je peux être dévoré. Une première lueur de conscience s’allume en lui ; elle est encore brumeuse, mais il se met à purifier ces instincts, à se former un jugement qui émane de son noyau spirituel.

À l’incarnation suivante, il retrouvera le jugement dont le germe a été déposé. Il se sera affiné. Il continuera à épurer ses passions, ses instincts, s’élevant ainsi d’incarnation en incarnation.

Que se passe-t-il en vérité à la mort ? On peut le comprendre sans qu’il soit pour cela nécessaire d’être clairvoyant. Il suffit de réfléchir à ce qu’on fait tout au long de sa vie.

À l’aide du corps physique, on a connu par exemple des sensations de goût au contact de la nourriture. Cette impression agréable qui flattait le palais était de nature psychique, mais le palais, lui, était physique. Si l’on n’avait pas d’organes physiques, on n’aurait pas pu avoir d’impres­sion psychique.

Sans oreille physique on ne peut pas entendre ; sans œil on ne peut pas voir. Tout ce que nous percevons ne nous est procuré que par les sens physiques. L’être humain actuel ne peut rien percevoir sans les sens. Il leur est lié. Il a l’habitude de satisfaire les désirs auxquels les organes sensoriels apportent une réponse.

On a gardé l’habitude d’avoir des désirs, des jouissances, mais les moyens de les satisfaire, la langue, les yeux, les oreilles manquent. Après la mort on ne les a plus.

Après la mort, on se trouve donc dans un état de conscience qui oblige à se déshabituer de tout ce que réclamaient les organes sensoriels. L’âme ne doit plus rechercher ces satisfactions ; elle doit se dépouiller des joies qu’elle a connues sur terre uniquement au moyen des sens physiques.

C’est ce qui est appelé, dans la doctrine théosophique, kamaloca. Nous l’appelons le purgatoire, le feu purificateur. Il n’est pas faux de comparer ce qu’on ressent alors à une soif brûlante, à un sentiment brûlant de manque. Tel est l’état d’après la mort. L’organe n’est plus là pour apaiser l’âme assoiffée.

Lorsqu’au cours des années l’âme s’est déshabituée de ses rapports avec le physique dans le kamaloca, elle vit dans le monde spirituel auquel elle appartient en tant qu’âme, et c’est là qu’elle emporte son fruit de vie. La terminologie de la science spirituelle appelle ce monde devachan ou pays des esprits.

Qu’emporte ainsi l’âme ?

Les désirs et les passions sont maintenant épurés de tout élément physique ; ils sont spiritualisés. Tout ce qui a été acquis sur terre pendant l’incarnation est ainsi emporté dans le devachan et élaboré en vue d’une nouvelle incarnation terrestre. Les expériences qui ont été faites sont transmuées en forces de vie. L’expérience de la vie trouve son prolongement.

Représentez-vous exactement la différence entre une expérience et une force de vie. Quand une âme apprend par expérience qu’il n’est pas possible de manger son semblable sans s’exposer soi-même à un sort pareil, ce qu’elle expérimente ainsi doit se transformer en force, en voix intérieure qui lui dit : « Tu ne dois pas manger ton semblable. » Cette volonté, cette voix de la conscience rend l’homme toujours plus parfait au fur et à mesure de ses incarnations. Le vécu se transforme en vouloir, en conscience morale.

Voilà ce qui s’accomplit dans le devachan. Dans le kamaloca on se purifie, dans le devachan on transforme le vécu en force pour la prochaine vie terrestre, on l’incorpore à sa nature intérieure indivi­duelle. On peut déjà se rendre compte, lorsqu’on observe une âme très primitive, que dans ses gestes, dans les traits de son visage, les mouvements de sa main, c’est l’espèce qui se manifeste.

Le caractère individuel apparaît d’autant plus que les incarnations ont été nombreuses.

Qu’est-ce qui s’est ainsi transformé ? Ce sont les expériences des vies antérieures qui ont composé le caractère.

Vous pourriez encore poser la question : pourquoi ne se rappelle-t-on pas les vies passées ? - Ainsi formulée, cette question n’a pas grand sens.

C’est comme si quelqu’un disait : vous vous nommez des hommes, et voici un enfant de quatre ans qui ne sait pas calculer ; or, comme c’est un homme, la conclusion est que les hommes ne savent pas compter.

En fait, c’est une question d’évolution. Il vient toujours dans la vie d’un homme un moment où des progrès apparaissent qui avaient été atteints dans des vies antérieures.

Si l’on ne se rappelle pas comment ils furent acquis, il faut les réapprendre, en réacquérir la faculté, comme l’enfant doit réapprendre à lire, compter, écrire. Il ne faut pas laisser dans le vague les questions qui se rapportent au destin si l’on veut atteindre la perspective qui permet de se rappeler les précédentes vies terrestres.

Comment agissent les souvenirs des vies antérieures ? Ils dépendent du travail accompli par l’être humain sur le noyau spirituel de son être propre.

Plus on s’est libéré, plus on s’est rendu maître dans cette vie de ce qui provient des sens, plus s’est intensifiée la vie de l’âme, moins on est soumis aux jouissances que les sens nous procurent, et plus alors on s’approche de l’état où il sera possible de se reconnaître à des stades antérieurs. Quels souvenirs de l’existence passée viennent alors ?

Demandons-nous ce que l’homme du commun ressent ordinairement. Uniquement ce que lui offrent les sens. Et dé là, naturellement, aucun souvenir de vie terrestre antérieure ne peut venir.

L’homme peut faire l’expérience de ce qu’il a vécu dans ses vies antérieures uniquement s’il mène une vie conforme à son moi divin. En intensifiant la vie de l’esprit, on verra resurgir les souvenirs passés qu’apporte cette vie de l’esprit.

Une autre objection est généralement faite contre la doctrine du karma. On dit qu’elle n’est rien d’autre que la loi de la destinée ; les vies antérieures ne feraient que préparer le destin. Destinée et caractère seraient par là inéluctablement déterminés. Dès lors il n’est plus de liberté, plus de libre vouloir.

Nous sommes soumis à la fatalité. Mais parler ainsi ne vaudrait pas mieux que de dire : sur mon livre de caisse, je mets à gauche les sorties et à droite les entrées ; si j’additionne les deux côtés, j’obtiens un certain chiffre ; si je soustrais l’un de l’autre, j’obtiens un profit ou une perte ; si je l’ajoute à l’un des deux côtés, le bilan apparaît.

Il doit en être ainsi pour un bilan de vie. D’un côté les bonnes actions, de l’autre les mauvaises, les bêtises. On tient ainsi les comptes d’une existence comme une comptabilité commerciale. Mais imaginez un marchand qui dirait : j’ai fait ma balance annuelle, je ne peux plus rien y changer ; je ne ferai plus de nouvelles affaires, car tout ce que je ferais encore serait déterminé par les opérations antérieures.

Cela revient à dire : je ne peux plus rien faire de nouveau, car ce que j’ai accompli auparavant ne me le permet plus. Pas plus que la comptabilité n’interdit au marchand de faire de nouvelles affaires, le karma n’empêche d’accomplir de bonnes ou de mauvaises actions.

Celles-ci peuvent être inscrites du côté des entrées ou des sorties, qui s’en trouve augmenté. On dit encore : si j’aide quelqu’un qui se trouve dans le besoin, j’interviens dans son karma ; cela ne devrait pas être. Répondons : vous pouvez aider cet individu à inscrire des résultats positifs dans son karma et ainsi améliorer son bilan.

En vous abandonnant à la paresse, à la négligence, à la fatalité, vous n’inscrivez pas de résultats positifs en ce qui concerne la loi du karma. Elle est d’un autre ordre.

Un chimiste va peut-être entrer dans son laboratoire en se disant : si je mélange du soufre, de l’oxygène et de l’hydrogène en certaines proportions, d’après une loi inéluctable il apparaîtra de l’acide sulfurique.

On ne peut rien objecter à cette loi. Mais le chimiste peut renoncer à faire ce mélange. La loi n’entrave en rien sa libre volonté ; elle lui donne seulement la certitude que ce qui doit se passer va vraiment se produire. Le même mélange ne produira pas une fois de l’acide carbonique, une autre fois de l’acide sulfurique.

La loi nous assure un résultat certain. Il en est de même à l’égard du karma. Cette loi ne nous empêchera jamais de commettre une action, mais elle nous donne la certitude que la juste conséquence découlera de nos actes. Toute bonne action, toute action sensée aura de bons effets.

Car tout se passe d’après une loi spirituelle qui nous garantit que rien de ce que nous faisons n’est soumis au hasard. Par chacun de nos actes, nous pouvons nous insérer dans la juste ordonnance cosmique.

Cette loi du karma n’est donc pas seulement une réflexion, une théorie satisfaisante, mais elle contient la solution du problème de la vie, de l’énigme du monde.

La vie nous offre force et sécurité, et nous savons qu’en elle tout est soumis à une loi que nous arrivons toujours à mieux connaître, à déchiffrer avec plus de conscience. La science de l’esprit ne satisfait pas seulement notre soif de savoir. Elle nous donne encore autre chose : la force, le courage, la certitude. Il ne nous est pas seulement enseigné quel sort nous est dévolu, mais il nous est donné en même temps la possibilité de vivre conformément à cette destinée en réalisant une existence toujours plus accomplie.

L’enseignement de la réincarnation et du karma n’apparaît pas alors comme un dogme, une théorie, mais comme la réponse vivante, apaisante, à l’énigme de la vie humaine.

Tous ceux qui ont percé les mystères de la nature et de la vie spirituelle ont découvert plus ou moins cette loi de la destinée et cette loi de la réincarnation. Giordano Bruno en fut un défenseur, et lorsqu’après une éclipse réapparut une nouvelle période de culture spirituelle, Lessing fut celui dont la sagesse fit retentir à nouveau la doctrine de la réincarnation. Je sais que beaucoup ne se privent pas de sous-estimer Lessing, et s’ils l’entendent louer ils ne peuvent acquiescer. Il est curieux que l’on ne prenne d’un grand homme que ce qui plaît !

On se comporte ainsi envers Giordano Bruno et Goethe, à qui l’on a reproché de n’avoir eu cette idée que dans leur grand âge. Les théosophes allemands n’en sont pourtant pas moins pénétrés. Mais c’est seulement depuis quelques décennies qu’il est possible de communiquer publiquement cette idée.

Ce n’était pas possible aux temps modernes parce que la civilisation humaine avait d’autres tâches, ainsi que je l’ai dit ailleurs. Les doctrines de la réincarnation et du karma entrèrent dans l’ombre et les grands esprits ne purent plus les faire connaître qu’en symboles, en images empruntées à la vie.

Là où la vie leur semblait explicable jusque dans ses plus profondes racines, ils faisaient souvent allusion à ces vérités, à cette loi éternelle de la réincarnation qui commande nos existences entre la naissance et la mort, et ce en portant sur la vie un regard souverain.

Goethe y pensait par exemple lorsqu’il écrivait à Charlotte von Stein, à laquelle le liait une profonde affinité d’âme : « Ah, tu fus ma sœur ou bien ma femme dans des temps écoulés ! » Ainsi, comme d’autres grands esprits, Goethe a aussi entrevu la loi du karma qui nous gouverne.

Il exprime dans un poème le fait que nous venons au monde porteur de dispositions et soumis à la loi des causes et des effets :

Comme au jour qui t’a donné au monde,
À son plus haut le soleil s’offrait au salut des planètes,
Aussitôt et sans t’arrêter jamais tu as prospéré
Selon la loi sous laquelle tu fis ton apparition.
Ainsi faut-il que tu sois, à toi-même tu ne peux échapper,
Ainsi le disaient déjà sibylles et prophètes ;
Et aucun temps et aucune puissance ne morcellent
La forme signée qui en vivant se développe. [2]

Mais ce qu’il avait à dire de plus profond, il le mit en images entre autres dans le beau poème où il compare l’âme de l’homme à l’eau et le destin au vent. L’âme s’écoule de vie en vie dans le fleuve du devenir, et le destin souffle comme le vent sur ces vagues sans cesse renouvelées.

De même que chaque vague prend une forme qui dépend de celle qui l’a précédée, ainsi l’âme dépend de la forme qu’avait sa vie antérieure ; et, de même que le vent se renouvelle sans cesse, quelque chose de nouveau s’introduit chaque fois dans le livre de comptes de l’homme.

Ainsi le ressent Goethe : l’âme descend du monde spirituel, vient sur terre, remonte au ciel et revient dans une nouvelle incarnation.

L’âme de l’homme
Ressemble à l’eau :
Venant du ciel,
Montant au ciel,
Devant descendre
Sur terre encore,
Changement éternel.

Le pur filet jaillit
De la paroi
Haute et abrupte,
Puis asperge avec grâce
D’eau vaporeuse
Le rocher lisse,
Légèrement s’y pose
Et ondoie comme un voile,
Dans un murmure
Gagnant le gouffre.

Si des rochers
S’opposent à sa chute,
De dépit il écume
Et, par degrés,
Va vers l’abîme.

En son lit plat
Il glisse par les prés du val,
Et c’est dans l’onde unie d’un lac
Que tous les astres
Baignent leur face.
Le vent est pour la vague
Un amant caressant ;
Le vent jusqu’au fond mêle
Les vagues écumantes.
Âme de l’homme,
Que tu ressembles à l’eau !
Destin de l’homme,
Que tu ressembles au vent ! [3]



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Notes :

[1] - Goethe : Premier Faust, acte I, scène I. Trad. Henri Lichtenberger (N.D.E.).
[2] - Goethe : Poèmes orphiques (1 817), strophe 1. Trad. Charles Du Bos (N.D.E.).
[3] - Goethe : Chant des Esprits au-dessus des eaux (1 779). Trad. Roger Ayrault (N.D.E.).
(N.D.E.) = Note de l'éditeur.







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Pascal Patry
Praticien en psychothérapie
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