Autobiographie chapitre 22 - Pascal Patry astrologue et thérapeute à Strasbourg 67000

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RUDOLF STEINER



Autobiographie

CHAPITRE XXII

J’avais trente-six ans révolus lorsque prit fin mon séjour à Weimar. Depuis une année déjà, une profonde transformation s’était amorcée dans mon âme. À mon départ de Weimar je la ressentis comme une étape déci­sive. Elle était totalement indépendante des circonstances extérieures de ma vie qui, elles aussi, se trouvèrent considérablement modifiées. Jusque là j’avais accès de plain-pied aux expériences pouvant être vécues dans le monde de l’esprit ; mais j’avais éprouvé les plus grandes difficultés à saisir, au moyen de la perception, le monde sensible. C’était comme si j’étais incapable de répandre assez profondément dans les organes des sens la vie intérieure de mon âme pour unir à elle toute la richesse de ce que vivaient ceux-ci.

Cela changea complètement à partir du début de ma trente sixième année. Ma faculté d’observer les choses, les êtres et les processus du règne physique se trans­forma, se fit plus précise et plus pénétrante, aussi bien dans le domaine scientifique que dans celui de la vie pratique. Auparavant, mon âme s’appropriait sans peine les vastes synthèses scientifiques entrevues grâce à une compréhension spirituelle ; mais percevoir par le moyen des sens et conserver le souvenir de cette perception me coûtait les plus grands efforts. Maintenant, tout changea. Une attention, jusque là inconnue, pour les données sensibles, s’éveilla en moi. J’attachai une plus grande importance aux détails ; il me semblait que le monde sensible avait à révéler quelque chose que lui seul peut dévoiler. Je considérai comme un idéal de le connaître uniquement à travers ce que lui-même expri­mait, en excluant ce que l’homme y ajoute, soit par la pensée, soit par tout autre contenu susceptible d’appa­raître dans son âme.

Je m’aperçus que ce changement dans mon existence se réalisait chez moi à un âge bien plus avancé que chez d’autres. Mais je vis aussi que cela entraînait pour la vie de l’âme certaines conséquences bien précises. Je trou­vai que ceux dont la sensibilité psychique passe de bonne heure du monde de l’esprit à l’expérience du règne physique, ne parviennent à saisir, dans toute leur pureté, ni le monde spirituel ni le monde physique. Instinctive­ment ils confondent sans cesse d’une part ce que les choses disent à leurs sens, et d’autre part les expé­riences intérieures suscitées par l’esprit et dont l’âme a également besoin pour élaborer les « représentations » de ces choses.

M’efforçant de pénétrer le sensible avec précision, je vis un monde nouveau s’ouvrir à moi. Cultiver une attitude objective, libérée de toute subjectivité, dans le face à face avec le monde sensible, cela me permettait de découvrir un domaine qui échappe à la contempla­tion en esprit.

Mais cela projetait, en retour, sa lumière sur le monde de l’esprit. En effet, tandis que le monde sensible, dans l’acte perceptif, dévoilait lui-même sa propre nature, apparaissait le pôle sur lequel l’acte cognitif venait prendre appui pour saisir, après l’avoir dégagé du sen­sible, le spirituel dans toute sa particularité.

Il s’ensuivit un effet très profond sur ma vie de l’âme, étant donné que cette mutation se faisait sentir dans le domaine de la vie sociale. Face aux manifestations de l’être humain, ma faculté d’observation s’efforçât de réaliser une perception pure et objective. J’évitais scru­puleusement de critiquer les actions des hommes, et je m’efforçais d’écarter tout sentiment de sympathie ou d’antipathie dans mes rapports avec eux ; je voulais simplement « laisser agir sur moi l’homme tel qu’il est ».

Je découvris bientôt qu’une pareille observation du monde conduit véritablement dans le monde spirituel. Lorsque l’on observe le monde physique, on sort entiè­rement de soi-même ; et de ce fait, c’est avec une faculté d’observation spirituelle accrue que l’on parvient à nouveau dans le monde de l’esprit.

Ainsi donc, à cette époque, le monde spirituel et le monde sensible étaient apparus à mon âme dans toute leur opposition. Mais je n’eus pas l’impression que ce contraste demandait à être neutralisé par quelque dé­marche philosophique, aboutissant à un « Monisme » par exemple. J’eus plutôt le sentiment que le fait de développer dans l’âme la conscience de cette opposition signifiait « comprendre la vie ». Là où les contrastes sont neutralisés règne l’inanimé, la mort. Là où il y a de la vie, ce contraste existe et donc agit-, la vie elle-même conduit sans cesse au dépassement de ces con­trastes en même temps qu’elle en engendre de nou­veaux.

En conséquence, je ressentis le besoin intérieur non pas de me consacrer à une compréhension théorique et intellectuelle de l’univers, mais bien plutôt d’accéder à un vécu immédiat de son côté énigmatique.

Afin d’établir, par ma méditation, le juste rapport avec le monde, je ne cessai de placer devant mon âme cette certitude : ce monde est plein d’énigmes. La con­naissance voudrait les déchiffrer. Mais elle cherche la plupart du temps à trouver dans le contenu de la pensée la solution de l’énigme. Or, je dus convenir que ces énigmes ne se résolvent pas au moyen de pensées. Celles-ci conduisent l’âme sur la voie des solutions, mais elles ne contiennent pas la réponse. Dans le monde réel naît une énigme ; elle apparaît sous forme sensible ; sa solu­tion, de même, sera issue de la réalité. Quelque chose se manifeste, qui est processus ou être, et qui repré­sente la solution cherchée.

Je me disais encore ceci : l’être humain mis à part, l’univers entier est une énigme, l’énigme proprement dite ; et l’être humain en est lui-même la solution.

Je pouvais donc penser : l’homme est, à chaque ins­tant, en mesure de dire quelque chose de cette énigme universelle. Mais le contenu de sa réponse se tiendra toujours dans les limites de la connaissance qu’il aura pu acquérir de lui-même en tant qu’être humain.

L’acte de connaissance devient ainsi un processus se déroulant dans la réalité. Des questions surgissent dans l’univers ; les réalités apportent des réponses. Pour l’homme, la connaissance n’est autre chose que sa parti­cipation au dialogue que se livrent les êtres et les évé­nements du monde spirituel et du monde physique.

Dans mes écrits publiés jusqu’à cette époque, j’avais déjà fait allusion à tout cela ; certains passages étaient même assez explicites. Mais les heures que je consacrai maintenant à la connaissance méditative des principes de l’univers constituèrent pour la vie de mon âme une expérience d’une grande intensité. Et chose principale : l’intensité de cette expérience psychique résultait de l’objectivité avec laquelle je m’étais adonné, dans un calme inaltérable, à l’observation sensible. Un monde nouveau m’était révélé par là : de la connaissance conte­nue dans mon âme je dus extraire la contre-expérience psychique pour rétablir l’équilibre avec les données nouvelles.

Dès que je m’abstenais de penser à l’essence du monde sensible et que je me contentais de le contempler au moyen des sens, une énigme devenait réalité, dont l’homme seul détenait la solution.

En moi vivait l’enthousiasme pour ce que j’ai appelé plus tard une « connaissance conforme à la réalité ». Il m’était particulièrement évident que l’homme, en pos­session de cette « connaissance conforme à la réalité », ne peut se cantonner dans un coin quelconque de l’univers pendant qu’autour de lui se déroulent l’être et le devenir. Elle devint pour moi un élément qui con­cerne non seulement l’homme, mais encore l’être et le devenir de l’univers. De même que la racine et le tronc d’un arbre ne forment pas un tout achevé tant que l’on ne considère pas la fleur, son accomplissement, - de même l’être et le devenir de l’univers ne constituent pas véritablement une réalité s’ils ne se prolongent pas jusqu’à la connaissance dont ils deviennent ainsi le contenu.

M’appuyant sur cette conviction, je ne cessais de répéter chaque fois que cela me semblait justifié : l’homme n’est pas un être qui élabore pour lui-même le contenu de la connaissance, mais celui qui fait de son âme la plate-forme où l’univers parvient, du moins par­tiellement, à l’expérience de son existence et de son deve­nir. S’il n’y avait pas la connaissance, le monde resterait inachevé.

En intensifiant la connaissance de la réalité de l’uni­vers je trouvais toujours davantage la possibilité de pro­téger la connaissance humaine contre l’idée courante d’après laquelle l’homme élaborerait simplement une copie de l’univers. Selon moi et l’idée que je m’étais faite de la connaissance, l’homme est le co-créateur de l’univers ; il ne se contente pas du rôle de simple copiste créant quelque chose dont l’univers pourrait fort bien se passer sans pour autant rester inachevé.

À la suite de cela je vis également plus clair en ce qui concerne la « mystique ». La participation de l’homme au devenir de l’univers se dépouilla de l’imprécision du sentiment mystique et atteignit un niveau de lucidité où se révélèrent les idées. Le monde sensible, contemplé en tant que tel, à son état pur, est dans un premier temps dépourvu de toute qualité idéelle, comme la racine ou le tronc sont dépourvus de fleurs.

La fleur ne constitue pas un quelconque dépérissement obscur de l’existence végétale, mais une métamorphose de cette existence ; - de même, dans l’homme, le monde idéel se rapportant au monde des sens ne constitue pas l’ingé­rence mystique et obscure de quelque élément indéter­miné, mais une métamorphose de l’existence sensible. La connaissance vivant dans l’âme humaine doit être spirituellement aussi claire que les objets et phénomènes physiques soumis à la lumière du soleil.

La voie dans laquelle je m’engageai alors correspon­dait à une expérience intérieure parfaitement limpide. Par contre, pour parvenir à l’exprimer, je dus affronter d’immenses difficultés.

La fin de mon séjour à Weimar fut consacrée à la rédaction de mon livre « Goethe et sa conception du monde », et à la préface du dernier tome que j’éditai dans le cadre de la « Littérature Nationale Allemande » de Kürschner. Je pense plus particulièrement à l’intro­duction rédigée pour les « Aphorismes en prose » de Goethe, et je compare mes idées d’alors avec les réfle­xions contenues dans « Gœthe et sa conception du monde ».

Un regard superficiel peut être tenté de cons­truire certaines contradictions entre ces deux écrits datant pourtant à peu près de la même époque. Mais si l’on s’efforce de percer la surface pour saisir ce qui vit en profondeur, si l’on considère que les formulations ne font que refléter mes conceptions sur les graves pro­blèmes traitant de l’existence, de l’âme et de l’esprit, alors, loin d’y voir des contradictions, on découvrira les signes de ma lutte pour trouver la forme d’expression juste. Il s’agissait pour moi de traduire en concepts phi­losophiques mes expériences dans le domaine de la connaissance et des relations de l’homme avec l’univers, puis les énigmes qui surgissent, ainsi que leur solution dans le domaine de la réalité.

Environ trois ans et demi plus tard, lorsque j’écrivis mon livre « Théories philosophiques du XIXe siècle », bien des choses avaient évolué. Je pus alors tirer profit de mon expérience dans le domaine de la connaissance, pour caractériser certains courants philosophiques appa­rus au cours des temps.

Il est des ouvrages que l’on récuse parce qu’en eux se reflète la lutte inhérente à toute quête intime. À la lumière de ce qui vient d’être exposé ici, il serait plus juste de dire : parce que la vie de l’univers prolonge sa propre lutte jusque dans l’âme humaine, qui en est l’expression. Partant d’une telle attitude critique, la connaissance ne parviendra jamais jusqu’à la réalité authentique, - j’en suis sûr. Cette conviction s’était récemment confirmée, alors qu’en théorie j’y pensais depuis longtemps.

Par suite du changement survenu dans la vie de mon âme, je réalisai des expériences intérieures d’une portée considérable. Ce que je vécus intérieurement me fit découvrir la nature même de la méditation et son impor­tance pour la connaissance du monde spirituel. Certes, j’avais déjà précédemment mené une vie méditative, mais le mobile était d’ordre intellectuel : la méditation favorisait l’élaboration d’une conception du monde conforme à l’esprit. Or maintenant je ressentais en profondeur comme une nécessité, une exigence existen­tielle de pratiquer la méditation. Ma vie intime, parve­nue à ce niveau, avait besoin de la méditation, comme l'organisme, à un certain degré de son évolution, a besoin de la respiration pulmonaire.

Je savais déjà comment situer la connaissance con­ceptuelle courante issue de la perception sensible par rapport à la contemplation de l’esprit ; au cours de cette période de mon existence, ce qui avait été une expé­rience avant tout idéelle s’élargit à la participation de l'homme tout entier. L’expérience idéelle, qui néanmoins reçoit l’esprit véritable, constitue l’élément générateur de ma « Philosophie de la Liberté ». L’expérience à laquelle participe l’être humain tout entier contient l’esprit de façon bien plus essentielle que la seule expé­rience idéelle, laquelle se situe pourtant déjà à un niveau bien supérieur à celui accessible à la conceptualisation du monde sensible. L’expérience idéelle ne saisit pas le monde sensible, mais un monde spirituel pour ainsi dire contigu au monde physique.

Tandis que tout cela se faisait jour dans ma vie inté­rieure et y cherchait son expression, je distinguais trois genres de connaissance. Le premier est celui de la con­naissance conceptuelle puisée dans l’observation sen­sible. L’âme se l’approprie, la conserve et l’intériorise selon sa capacité de mémoire. La répétition des données à retenir a pour seul but de les mieux garder. Le second genre de connaissance accède à des concepts sans pour autant recourir à l’observation sensible ; il les élabore en toute indépendance à l’intérieur même de l’âme. Dans ce cas l’expérience constitue par elle-même la caution de l’origine réellement spirituelle des concepts ainsi acquis. La certitude de leur garantie d’une réalité spirituelle découle de la nature même de l’expérience faite ici ; cette certitude est aussi évidente que celle acquise dans le cas de la connaissance du sensible, où nous sommes sûrs d’être en face d’une réalité physique et non d’une simple illusion.

Pour cette connaissance idéelle-spirituelle, contrai­rement à ce qui est valable pour celle du sensible, il ne suffit plus de s’approprier quelque chose pour ensuite le posséder dans sa mémoire. Il faut faire de cette appro­priation un processus continuel. L’organisme ne peut se contenter de respirer quelque temps pour ensuite distri­buer cette acquisition aux processus vitaux ; de même, une appropriation comme celle résultant de l’expérience sensible ne peut suffire dans le cas de la connaissance idéelle-spirituelle. Elle exige la possibilité d’un échange permanent et vivant entre l’âme et l’univers, objet de la connaissance. Le moyen en est la méditation dont le rôle a été mis en évidence par la démarche idéelle. Il y a longtemps que je cherchais à réaliser cet échange, bien avant qu’intervienne cette mutation dans ma vie inté­rieure (au cours de ma trente-cinquième année).

Dorénavant, la méditation devint une nécessité vitale pour mon âme. Je connus en cela le troisième type de connaissance. Non seulement il me faisait pénétrer plus profondément dans le monde de l’esprit, mais il m’of­frait également une union plus intime avec lui. Poussé par une nécessité intérieure, je devais, toujours à nou­veau, placer au centre de ma conscience un genre bien défini de représentations.

C’était le suivant :

Lorsque mon âme intériorise des représentations tirées du monde sensible, mon expérience immédiate ne peut être tenue pour réelle qu’aussi longtemps que l’objet ou le processus est soumis à l’observation sensible. Tant que j’observe, les sens me garantissent la vérité de la chose observée.

Il n’en est pas de même lorsque j’entre en rapport avec des entités ou des processus du monde de l’esprit au moyen de la connaissance idéelle-spirituelle. Dans ce cas tout acte perceptif peut faire l’expérience immé­diate suivante : la durée de la chose perçue dépasse le temps de l’acte perceptif. Si, par exemple, on fait l’ex­périence du « Moi » humain en tant qu’essence la plus intime de l’être, on sait, grâce à l’expérience contem­plative, que ce « Moi » existait déjà avant la vie sur le plan physique et qu’il existera encore après. Le contenu de cette expérience, le « Moi » le révèle directement, au même titre que l’acte perceptif reçoit de la rose la révélation directe de sa couleur.

Dans une pareille méditation, qui répond à un besoin intime vital d’ordre supérieur, on prend toujours mieux conscience de cette « entité humaine spirituelle » capable de percevoir, de se mouvoir et de vivre en esprit, - et cela dans une indépendance totale de l’organisme phy­sique. C’est par la pratique de la méditation que je con­nus l’entité humaine spirituelle autonome. Mon expé­rience de l’esprit en fut substantiellement approfondie. La connaissance du sensible a besoin de l’organisme ; l’observation dirigée sur soi-même en fournit la preuve. La connaissance idéelle-spirituelle, elle aussi, dépend encore de l’organisme. À ce sujet, on voit en s’observant soi-même que, dans l’observation sensible, tout acte cognitif est lié à l’organisme ; dans la connaissance idéelle-spirituelle tout acte isolé est totalement indépen­dant de l’organisme physique Cependant pour que l’homme puisse développer une telle connaissance, il faut absolument que d’une façon générale cet organisme soit animé par des forces vitales. Quant au troisième type de connaissance, il ne peut être réalisé par l’être spirituel que s’il parvient à se libérer de l’organisme physique de telle sorte que celui-ci semble ne plus exis­ter.

Je pris conscience de tout cela grâce à la vie médita­tive décrite plus haut. D’aucuns prétendent qu’en médi­tant de la sorte on succombe à un genre d’autosug­gestion, laquelle serait à l’origine de la connaissance spirituelle. Pour ma part j’étais en mesure de réfuter efficacement cette opinion. En effet, la toute première connaissance idéelle-spirituelle m’avait déjà convaincu de la vérité de cette expérience spirituelle. Je précise bien : la toute première, non pas celle acquise par la pratique même de la vie méditative, mais celle qui était à son origine. La conscience lucide permet de déter­miner avec une parfaite exactitude la vérité ; c’est préci­sément ce que j’avais déjà fait avant même qu’il ait été question d’autosuggestion. Dans ce que la méditation avait acquis, il ne pouvait s’agir que d’une expérience portant sur quelque chose dont j’étais entièrement ca­pable de vérifier la réalité avant même d’avoir fait cette expérience.

Tout cela était lié à la modification de ma vie inté­rieure, mais fut mis en évidence grâce aux résultats d’une introspection qui, outre les expériences décrites, fut pour moi de la plus haute importance.

Je sentis que l’élément idéel de l’existence parcourue jusqu’ici s’effaçait quelque peu et cédait le pas à l’élé­ment volontaire. Pour rendre cela possible la volonté doit, durant l’acte cognitif, être capable de s’abstenir de toute attitude arbitraire ou subjective. La volonté croissait dans la mesure où diminuait l’élément idéel. Et la volonté se chargea aussi de la connaissance spiri­tuelle qui précédemment avait été presque entièrement l’affaire de l’élément idéel. Je m’étais déjà aperçu en effet que la division de la vie intérieure en pensée, sen­timent et volonté n’a qu’une signification restreinte. En réalité, la pensée contient une part de sentiment et de volonté, tout en restant elle-même prédominante. Le sentiment contient une part de pensée et de volonté, et de même il y a dans la volonté une part de pensée et de sentiment. L’expérience me révéla maintenant comment la volonté s’augmente de pensée, et la pensée s’augmente de volonté.

La méditation mène à la connaissance de l’esprit. Par ailleurs les résultats de l’introspection conduisent à renforcer l’entité spirituelle de l’homme qui est indé­pendante de l’organisme, et à consolider son existence au sein du monde de l’esprit, au même titre que l’homme physique trouve sa consolidation au sein du monde physique. On s’aperçoit simplement que cette consoli­dation de son être spirituel au sein du monde de l’esprit augmente à l’infini tant que l’organisme physique ne l’entrave pas ; la consolidation de l’organisme physique au sein du monde physique, par contre, se trouve anéan­tie au moment de la mort, dès que l’homme spirituel ne se charge pas d’entretenir cette consolidation.

Aucune théorie épistémologique n’est compatible avec ce genre de connaissance vécue, tant que la théorie impose au savoir de l’homme certaines limites et pré­tend que les « causes premières », les « choses en soi », situées « au-delà » de ces limites, sont inaccessibles à la connaissance humaine. Je n’accordais à cette « inac­cessibilité » qu’une valeur « provisoire » ; une chose est inaccessible aussi longtemps que l’homme n’a pas déve­loppé en lui cette essence intérieure apparentée à ce qui précédemment était inconnu, et qui devient capable maintenant de s’y unir grâce à l’expérience vivante de la connaissance.

Cette faculté de l’homme, de pouvoir accéder à n’importe quel genre d’être, devint pour moi une certitude, évidente pour qui veut bien voir sous son vrai jour la situation de l’homme par rapport à l’univers. Quiconque ne peut accéder à cette conviction, n’arrivera jamais à concevoir que la connaissance ajoute quelque chose à l’univers ; il la considérera toujours comme la simple reproduction neutre d’une partie quelconque du contenu de l’univers. Tant que l’homme n’attribuera à la connaissance que la faculté de copier, il sera inca­pable de saisir en lui-même une entité qui fait de lui cette individualité pleinement consciente lui permettant de réaliser intérieurement à quel point il est intégré dans l’univers.

Je tenais à parler de la connaissance de telle sorte qu’on ne se contente pas simplement d’admettre l’exis­tence de l’esprit, mais que cela implique la possibilité pour l’homme d’y accéder au moyen de la contemplation. Il me semblait important de retenir que les « causes premières » de l’existence se situent dans le cadre même de ce qui est accessible à l’expérience totale de l’homme ; cela me paraissait bien plus essentiel que d’admettre théoriquement un élément spirituel inconnu situé dans un quelconque « au-delà ».

Ainsi s’explique mon opposition à toute philosophie pour qui la sensation (couleur, chaleur, son etc.) était seulement l’effet d’un monde extérieur inconnu se mani­festant dans la perception sensible de l’homme, alors que l’existence de ce monde extérieur était purement hypothétique. Mon expérience vivante de la connais­sance m’amenait à considérer que les idées purement théoriques, bases de la physique et de la physiologie, étaient particulièrement néfastes. L’impression de ce danger s’intensifia chez moi à cette époque. Tout ce que l’on considérait en Physique ou en Physiologie comme étant « situé derrière la sensation subjective » me cau­sait, si j’ose dire, une nausée intellectuelle.

Bien qu’imparfaites dans leur présentation, les pen­sées de Lyell, de Darwin et de Haeckel, par contre, me paraissaient contenir des indices capables d’évoluer vers une conception saine.

Selon Lyell les phénomènes de l’évolution terrestre de la préhistoire échappent à l’observation sensible ; on peut néanmoins les expliquer au moyen d’idées issues de l’observation actuelle de cette évolution. Ce principe de Lyell me semblait fécond. Je pensais que, dans son « Anthropogénie » Haeckel avait également établi des bases sérieuses au profit de la connaissance ; il proposait d’expliquer la structure physique de l’homme en la fai­sant dériver des formes animales.

Je me disais : si l’homme impose à la connaissance des limites au-delà desquelles se situeraient « les choses en soi », il se ferme tout accès au monde de l’esprit. Par contre, s’il adopte vis-à-vis du monde sensible une attitude permettant d’expliquer les phénomènes par déduction au sein même de ce monde (le devenir ter­restre actuel expliquant la géologie de la préhistoire, les formes animales celles des formes humaines), il peut être en mesure d'étendre également aux régions de l’es­prit cette « explicabilité » des êtres et des phénomènes.

Quant à mes sentiments dans ce domaine je puis dire : c’est justement à cette époque que ceci me permit d’af­fermir ma conception, alors que depuis longtemps déjà cette conviction animait mes réflexions.












Pascal Patry
Praticien en psychothérapie
Astropsychologue
Psychanalyste

5, impasse du mai
67000 Strasbourg

Mobile : 06 29 54 50 29

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