Les profondeurs cachées de la vie de l’âme - Pascal Patry astrologue et thérapeute à Strasbourg 67000

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Les profondeurs cachées de la vie de l’âme

En travaux

Rudolf Steiner - Berlin, 23 novembre 1911

Lorsque, dans une région quelconque, un tremblement de terre devient perceptible, quand donc la terre elle-même s’agite sous les pieds des humains, une certaine crainte, une angoisse, un sentiment de frayeur se manifestent chez la plu­part des humains qui ressentent la chose. Si l’on s’enquiert des causes d’un tel sentiment de frayeur, il faut les chercher là surtout où nous pouvons dire que non seulement l’homme se trouve devant l’inconnu, devant ce qui vient de quelque part sans qu’il puisse bien s’expliquer la chose, sans qu’il s’y soit attendu - mais ce sentiment de frayeur provient d’autre chose encore, de l’impression qu’ont alors les hommes, à l’instant où l’événement dure encore, en se demandant combien de temps cela va durer et quelles choses encore pourraient advenir, montant de ces profondeurs inconnues.

Un sentiment semblable - même si peut-être, dans la vie courante, l’homme ne le considère pas comme tel -, il peut souvent l’avoir même devant ce qui repose dans les profon­deurs de la vie de l’âme, comparé à toute l’existence consciente, à toutes les représentations et les sensations conscientes, un sentiment qui peut parfois monter, à la manière d’un tremblement de terre, des profondeurs cachées de notre âme. Devant les pulsions, les désirs, mais aussi les humeurs et les inhibitions inexplicables de l’existence qui interviennent souvent dans notre vie consciente, aussi des­tructeurs qu’un tremblement de terre, l’homme, si bien qu’il croie se connaître, restera dans une attente imprécise : Qu’est-ce qui peut bien encore monter des zones souterraines de mon âme ?

Car l’être humain qui plonge un peu profondément en lui-même remarque bientôt qu’en fait, toute la vie des représentations qui se déroule dans la conscience, et notamment tout ce qu’il domine entre le moment du réveil et celui de l’endormissement, ce sont les vagues frissonnant à la surface de la mer, mais la force par laquelle elles s’élèvent, et même la manière dont elles jouent, il faut tout d’abord les attribuer à des profondeurs ignorées de la perception ordi­naire. Ainsi en est-il chez l’homme de la vie de la représenta­tion. Cela seul devrait suffire à faire réfléchir ceux qui constamment, puisant à ce qu’ils appellent la science expéri­mentale, élèvent des objections contre ce qui est exposé dans ces conférences sur la science de l’esprit. Celle-ci est obligée de voir dans l’être humain une créature qui n’est pas aussi simple qu’on veut le voir souvent, et la vie elle-même peut fournir une sorte de preuve extérieure de cette complexité de la nature humaine telle que l’homme peut journellement la percevoir.

La science de l’esprit doit se représenter l’homme constitué non seulement de ce que voit tout d’abord l’œil extérieur, ou de ce que l’anatomie et la physiologie extérieures peuvent perce­voir et analyser en lui, et de ce que l’on peut connaître par les méthodes scientifiques ; la science de l’esprit doit considérer tout ce qui peut être ainsi constaté et acquis par la perception extérieure et la science extérieure, donc le corps physique de l’homme, en le comparant à ses éléments constitutifs supé­rieurs, suprasensibles. De ces derniers, il faut dire qu’ils ne sont accessibles qu’à cette connaissance dont il a déjà été parlé ici sous forme d’esquisses dans la conférence sur le thème « La mort et l’immortalité » et dans d’autres, et dont nous conti­nuerons de parler dans les conférences suivantes.

Il faut que la science de l’esprit, puisant à ses observations directes et aux résultats de l’investigation qui ne peuvent être obtenus dans le monde sensible, et ne sont accessibles qu’à ce qu’on peut à bon droit nommer la conscience clairvoyante, place auprès du corps physique visible, extérieur - on ne sera pas heurté par un mot qui, comme les autres, doit seulement servir à désigner les choses - ce que l’on peut appeler le corps éthérique ou corps de vie, l’élément constitutif suprasensible de l’homme le plus proche.

Et si la science de l’esprit reste strictement sur le terrain de la science extérieure, selon laquelle le corps physique contient des forces et des substances qui se trouvent également dans le milieu physique et sont actives dans ce corps physique aussi bien que dans son environnement physique, elle doit souli­gner aussi que l’activité originale de ces forces et de ces substances physiques ne se manifeste en réalité dans ce corps physique que quand l’homme a franchi la porte de la mort, tandis que, durant toute la vie passée dans le monde physique, ces forces et ces substances sont insérées dans les forces supérieures du corps éthérique ou corps de vie, qui est en quelque sorte le lutteur s’opposant à la désagrégation des forces et des substances physiques, désagrégation qui commence dès qu’avec la mort le corps éthérique abandonne le corps physique. Comme nous pourrons nous en convaincre aussitôt dans l’étude d’aujourd’hui, ce n’est pas une contra­diction vis-à-vis de l’expérience multiple et vraie de la vie que de parler d’un tel corps supérieur de l’homme à côté du corps physique ; car dans la vie se révèlent partout les distinctions, la double nature de l’homme, dans la mesure où il est détenteur de ce corps physique qui contient tout ce que possède aussi l’environnement physique, et où ce corps physique est impré­gné par le corps éthérique ou corps de vie.

Mais ensuite, cette science de l’esprit doit voir clairement que tout ce qui se passe au sein de notre vie consciente doit être mis en opposition avec toutes les vertus agissantes et les forces qui subsistent encore en l’homme quand la conscience est éteinte, comme c’est le cas en l’homme endormi dans la vie courante.

Car selon la logique, il serait absurde de vouloir prétendre que tout ce qui, au moment du réveil, se déroule depuis le matin dans la vie mouvante de l’âme : pulsions, désirs, représentations et idées -, que tout cela prend nais­sance de bonne heure au réveil et disparaît le soir au moment de l’endormissement sans laisser de traces. Dans ce que nous avons de l’homme sous les yeux quand le sommeil est inter­venu, nous avons bien le corps physique et tout ce qui maintient celui-ci dans l’activité du monde physique, c’est-à-dire le corps physique et le corps éthérique ou corps de vie ; mais, strictement distinct de ce dernier, nous avons ce que nous appelons le corps astral, le véritable porteur des phénomènes de conscience.

Mais au sein de ce qu’est ce porteur des phénomènes de conscience, il nous faut, si nous voulons vraiment comprendre la vie de l’âme, distinguer entre ce qui est pour ainsi dire constamment en notre pouvoir, ce qui peut être constamment dominé par la force de notre vie pensante et de nos décisions voulues. Il faut distinguer rigoureusement cela de ces réalités dont on a pu dire que, montant comme une onde des profondeurs insondables de la vie de l’âme, elles donnent à la vie de notre âme son tempéra­ment, sa coloration et son caractère, quelque chose sur quoi nous n’avons pas de pouvoir et qui n’est pas maîtrisé par nous. Il nous faut distinguer entre tout ce qui emplit la vie de notre âme au sens le plus large, qui vit en nous effectivement depuis les premiers jours de notre vie et jusqu’à ceux de la vieillesse, qui fait de nous des gens doués ou non doués, des bons ou des méchants, des êtres possédant un sens esthétique et le sentiment de la beauté, ou qui n’ont aucun sens pour ce qui est beau - mais qui n’est pas lié à ce que nous pouvons penser enclos dans notre conscience intelligente, dans le monde de nos sentiments et dans celui de notre volonté : il nous faut le distinguer de ce qui est par ailleurs la vie consciente de notre âme. C’est pourquoi, en ce qui concerne cette vie de l’âme, et si nous parlons le langage de la science de l’esprit, nous distinguons tout d’abord deux éléments : une vie de l’âme élargie ou, comme on a pris récemment l’habitude de l’appeler parce qu’on ne peut plus en nier l’existence : une vie de l’âme subconsciente, et ce qui est la vie consciente de notre âme, qui touche déjà au domaine de ce que nous maîtrisons par les pensées, les impulsions volontaires, les jugements touchant le goût ou d’autres.

Quoi que l’on puisse penser de ce qui par ailleurs impose­rait que l’on répartisse l’entité humaine en ces quatre élé­ments, on devra déjà au moins accorder que, pour l’étude de la vie, il est nécessaire - parce que l’expérience parle dans ce sens - de distinguer tout d’abord ces quatre éléments en l’homme. Lorsqu’on s’attache d’un esprit sans œillères et disponible à ce que propose la vie, on trouve partout les faits attestant ce qui vient d’être formulé par la science de l’esprit, et qui tout d’abord peut sonner comme une affirmation. C’est ce qui apparaît en particulier quand on regarde de près les précisions qu’elle apporte. On trouve avant toute chose que, puisant à ses connaissances, elle doit attribuer au corps éthérique ou corps de vie non seulement les forces qui imprè­gnent l’organisme de façon telle que, de simple structure physique, il devient ce corps qui est le porteur de la vie de notre âme. Nous trouvons en lui non seulement ces forces organisatrices, nous trouvons ancré en lui - les résultats de la science de l’esprit le montrent - ce que nous devons attribuer à notre mémoire, ce qui représente nos souvenirs.

Car nous ne devons pas chercher le porteur de la mémoire dans ce qui a été précédemment appelé le corps astral, mais bien dans le corps éthérique, moins proche de la vie de notre âme, plus étroite­ment uni au corps physique, auquel il est si fortement lié dans la vie ordinaire qu’il le reste quand l’être humain abandonne avec son Moi et son corps astral le corps physique et sombre dans l’inconscience, comme dans le sommeil. Il nous faut chercher la mémoire et tout ce que nous portons en nous-même, qui n’est pas toujours vraiment présent à notre conscience, mais que nous devons puiser dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme, dans un corps éthérique sur lequel repose notre corps physique au sens de la science de l’esprit. S’il en est ainsi, et que cette affirmation trouve une justification, il faudrait admettre qu’on doive penser le corps éthérique, porteur de la mémoire, autonome en un certain sens vis-à-vis du corps physique, qu’il doive dans la vie ordinaire donner la preuve de son autonomie, par exemple par l’autonomie de la mémoire vis-à-vis du corps physique.

Au cas où les hypothèses de la science de l’esprit qui viennent d’être formulées seraient justes, que devrait-il appa­raître en ce qui concerne nos rapports avec le monde extérieur et la manière dont notre Moi accueille les impressions conscientes de la vie de l’âme venues du monde extérieur ? En tout ce qui touche ce domaine, il nous faut, hommes vivant dans le monde physique, nous référer tout d’abord à nos organes des sens, qui sont des organes physiques, et à notre intelligence, qui est liée à l’instrument du cerveau. C’est pourquoi nous pouvons dire : tout ce qui constitue pour l’homme son image du monde, la somme de ce qui fait le champ de sa conscience quotidienne, est dépendant du corps extérieur, de la santé et de la maladie de ce corps extérieur, mais surtout d’organes sensoriels bien formés et sains et d’un cerveau bien développé.

Existe-t-il un droit de dire que ce qui repose en notre être intérieur comme dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme, qui ne peut y être puisé que par le souvenir, et donc fait partie de la mémoire, n’est pas dépen­dant de l’organisation extérieure dans la même mesure que la vie quotidienne consciente, mais repose davantage dans l’être intérieur, en dessous du seuil de ce qui est dépendant des sens et de l’instrument du cerveau ? Si c’est le cas, on pourrait avec un certain droit dire qu’au sein de l’organisation corporelle physique, le corps éthérique de l’homme mène une existence autonome, une existence qui peut être intérieurement intacte parce qu’elle est autonome vis-à-vis des dommages extérieurs frappant l’organisation corporelle.

Une question intéressante peut être posée à la vie : les phénomènes ordinaires de la conscience, qui impliquent notre dépendance vis-à-vis de la santé du cerveau, se déroulent-ils tout à fait parallèlement aux processus de mémorisation, ou bien la mémoire a-t-elle en un certain sens un comportement autonome et se révèle-t-elle comme indépendante quand le corps physique ne peut plus être le porteur des perceptions ? Interrogeons la vie, et voyons quelle réponse elle donne. Nous nous trouvons alors devant un fait étrange que chacun peut contrôler parce qu’on en trouve trace dans la littérature.

Tous les contenus de la science de l’esprit sont d’abord puisés à la source de la conscience clairvoyante. Mais ensuite, ils ne sont tout d’abord, pour les autres humains, que des hypothèses. Cependant, on peut, devant les résultats présentés, interroger la vie pour savoir si elle peut elle-même en apporter la confirmation.

Nous mentionnerons à titre d’exemple une personnalité connue de tous par son destin tragique : Friedrich Nietzsche. Après que, durant sa maladie, la dernière catas­trophe se fut longuement préparée, il vécut l’irruption rapide de la démence. Son ami Overbeck, qui était à l’époque professeur à Bâle et est mort il y a quelques années, vint le chercher à Turin et, dans des conditions difficiles, l’amena à Bâle.

Un livre intéressant de Bernoulli nous raconte ce qui suit. Je laisse de côté les différents épisodes du voyage de Turin à Bâle, pour me limiter au fait qui a particulièrement frappé Overbeck. Nietzsche n’éprouvait aucun intérêt pour ce qui se passait autour de lui et qui, de ce fait, pénétrait dans la sphère de sa conscience ordinaire ; à peine consacrait-il quelque attention ou impulsion volontaire à ce qui se passait. Il se laissa aussi facilement emmener à l’hôpital, où il rencontra une connaissance de longue date, qui était en même temps le directeur de cet hôpital.

Lorsque Nietzsche, qui n’avait plus aucun intérêt pour le monde extérieur, entendit prononcer le nom de cet homme, quelque chose s’éveilla en lui et, à la grande surprise de son ami Overbeck, il entreprit aussitôt de poursuivre une conversation qu’il avait eue de nombreuses années auparavant avec ce médecin. Il la reprit exactement au point où elle avait été interrompue sept années auparavant ! C’est avec cette fidélité que travaillait la mémoire, alors que les instruments de la perception exté­rieure, le cerveau, l’intelligence, la conscience ordinaire, étaient détruits, de sorte qu’il passait, inattentif et indiffé­rent, devant tout ce qu’il aurait pu percevoir et dû observer si tout ce qui est lié à la conscience ordinaire lui avait été fidèlement conservé. Nous voyons là - à le toucher du doigt - comment dans l’organisme détruit continue d’agir ce à quoi il nous faut à bon droit attribuer une certaine autono­mie.

Mais poursuivons. Grâce à une expérience que la nature elle-même nous a proposée avec tant de fidélité, nous pouvons discerner les rapports entre les choses, si nous disposons d’un don d’observation suffisamment étendu. Lorsqu’ensuite Nietzsche fut emmené à Iéna, et qu’Overbeck et d’autres personnes lui rendirent visite, il apparut également qu’on pouvait parler avec lui de tout ce qu’il avait vécu et étudié dans les années précédentes, mais jamais de ce qui se passait autour de lui au moment présent même, et dont l’observation et la perception étaient liées à l’instrument du corps physique. Par contre, ce qu’il faut nommer dans le langage de la science de l’esprit le corps éthérique actif et autonome, le porteur de la mémoire, lui était conservé, indépendant, dans une très grande mesure.

Et l’on pourrait joindre à cet exemple d’innom­brables autres de même nature. Certes, il est exact que celui qui veut absolument penser en matérialiste peut dire que, dans ce cas, certaines parties du cerveau étaient restées intactes, celles qui étaient justement porteuses de la mémoire. Mais celui qui fait une telle objection verra bientôt qu’en face de l’expérience réelle, de l’observation sans parti pris de la vie quotidienne, elle se révèle insuffisante. C’est ainsi que der­rière le corps physique nous voyons le corps éthérique ou corps de vie, que grâce à la science de l’esprit nous identifions comme le porteur de la mémoire.

Lorsque nous considérons l’homme sous un autre aspect, celui de sa vie intérieure, nous voyons que dans la vie quotidienne il perçoit vraiment comment, montant de pro­fondeurs inconnues, des ondes s’élèvent dont il n’est pas aussi conscient, quand il porte le regard sur la vie de son âme, que de ce qu’il domine avec son intelligence, avec ses sensations et ses impulsions volontaires. Parmi les choses qui nous montrent que des profondeurs inconnues de notre âme - dans la mesure où cette âme s’étend au-delà du champ de notre conscience - un travail s’accomplit qui atteint jusqu’à la conscience, parmi ces choses se trouve la vie de rêve, à laquelle nous avons déjà fait allusion et qui est si importante pour la compréhen­sion totale de l’homme. Dans leur déroulement chaotique, dans leur ondoiement apparemment déréglé, les rêves suivent pourtant des lois subtiles et intimes, et ils sont, comme nous le verrons tout de suite, un élément de ce qui joue dans les régions inconscientes de la vie de l’âme et ne s’en élève que comme par à-coups, effleurant les régions supérieures, mais sans se laisser dominer par le pouvoir de l’homme. Il n’est jamais dans ma manière de donner dans ces conférences quelque chose qui soit simplement une construction, je me tiens, comme on le fait aussi dans le champ de la science, à ce qui est tiré de la vie, de l’expérience courante ou aussi de l’expérimentation orientée par la science de l’esprit. Qu’il existe une science du rêve comme il existe une physique et une chimie, cela, les humains le savent à peine dans le public ; pourtant cette science du rêve a déjà mis au jour d’innombrables faits présents dans les profondeurs cachées de la vie de notre âme.
Nous raconterons tout d’abord un rêve très simple qui nous laissera peut-être une impression étrange, mais qui est carac­téristique pour celui qui veut pénétrer plus avant dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme.

Une paysanne rêva un jour qu’elle se trouvait sur le chemin de la ville et en route vers l’église. Elle rêve avec une grande précision qu’elle arrive à la ville, qu’elle entre à l’église où le prêtre se trouve en chaire et prononce son sermon. Elle entend distinctement le sermon, et elle éprouve un sentiment merveil­leux à entendre le prêtre parler avec ferveur un langage qui touche les cœurs. Mais ce qui lui fait une impression tout particulièrement profonde, c’est le geste par lequel il étend les mains. Ce geste indéfini, qui fait sur beaucoup d’hommes une impression bien plus profonde encore que ce qui est précis, fit sur elle une impression très profonde. Il se passa alors quelque chose d’étrange. Dans son rêve, la personne du prêtre se transforma tout à coup, ainsi que sa voix, et finalement, après que le rêve eut passé par de nombreuses phases intermédiaires, il apparut que, des belles paroles d’abord prononcées par le prêtre, il ne restait plus rien. Il ne parlait plus comme avant, sa voix s’était changée en un chant de coq, et lui-même était devenu un coq avec des ailes. La femme se réveille : dehors, devant sa fenêtre, le coq chantait !

Ce rêve, si nous l’étudions, nous montre beaucoup de choses. Premièrement, que si nous voulons l’expliquer, nous ne pouvons plus nous servir des représentations de temps habituelles. Ce que celles-ci expriment quand nous nous reportons à la vie de veille, nous ne pouvons pas l’appliquer au rêve. Car sans aucun doute, comme il vous paraîtra bien explicable si vous vous référez à vos propres rêves, la dormeuse a dû se représenter le contenu du rêve comme s’étendant sur un temps prolongé ; car elle rêvait tous les pas qu’elle faisait pour aller à la ville, pour entrer à l’église, elle voyait le prêtre monter en chaire, elle entendait le sermon, etc. Pour tout cela, on aurait besoin d’un long temps dans le monde physique. Le chant du coq n’a certainement pas duré aussi longtemps. C’est cependant cela qui l’a réveillée. Ce que ce chant du coq a fait naître dans son âme vient se joindre au déroulement à rebours du rêve, aux images du rêve. Son regard porte alors sur un monde qu’elle croit avoir vécu. Ce monde s’emplit d’images qu’elle emprunte à la vie ordinaire. Mais le fait qui déclenche, la cause extérieure : le chant du coq, est de courte durée. Si nous l’envisageons extérieurement, nous obtenons comme cause pour ce que la femme a vécu dans son âme un temps très court par rapport à la durée des expériences du rêve telle que la femme se la représente.

Si la science de l’esprit nous dit que de l’endormissement au réveil l’être humain n’est pas dans son corps physique et dans son corps éthérique, mais qu’avec son corps astral et son Moi il est en dehors de ceux-ci, dans un monde qui n’est pas visible aux yeux extérieurs, qui est suprasensible, il nous faut nous représenter concrètement que cette femme a été arrachée à cette vie par le chant du coq. Ce serait une représentation sans fondement que de penser l’homme présent dans ce monde de l’endormissement jusqu’au réveil sans qu’il y vive des expé­riences aussi bien que dans le monde physique. Mais ces expériences sont nécessairement de nature purement psychi­que. Quand la femme se réveille, c’est que le chant du coq a retenti, et en s’éveillant elle parcourt du regard intérieur ce qu’elle a vécu. Il ne faut pas du tout concevoir que les images vécues, tout ce que le rêve fait apparaître devant elle, elle l’a vraiment vécu pendant son sommeil ; il nous faut comprendre
- et c’est seulement alors que nous comprenons vraiment ce qu’est le phénomène de la vie de rêve - que la femme n’est en fait pas capable de discerner ce qu’elle a vécu jusqu’au matin, jusqu’au moment du réveil.

Mais lorsqu’approche le moment du réveil, la jonction soudaine de la vie du sommeil et de la vie de veille lui fait voir qu’elle a vécu quelque chose - non pas ce qu’elle a vécu. Et c’est ce qui l’amène à insérer dans la vie du sommeil des images qui sont des symboles d’expériences, mais sont puisées à la vie quotidienne. Comme si la femme rassemblait en images ce qu’elle a souvent vécu le jour, les disposait sous son regard et en recouvrait les expériences faites dans le sommeil. C’est pourquoi le cours du temps perçu n’est pas ce qu’il était en réalité ; ces représentations qui sont tirées comme un rideau devant la vie du sommeil, apparais­sent dans leur cours dotées de la même durée que celle des images quand elles doivent être perçues physiquement, exté­rieurement. Il nous faut donc dire que les images du rêve, sous beaucoup de rapports, sont un décor, un voile jeté sur ce que l’homme vit dans son sommeil, plutôt que ce qui nous le découvre. Il est important, certes, que le rêve, par les images que l’homme lui-même interpose devant sa vie de sommeil, soit quelque chose qui se passe, mais il n’est pas la reproduc­tion de ce qui se passe ; il indique seulement que quelque chose a été vécu dans le sommeil. On peut en donner pour preuve que les rêves des humains sont bien différents suivant la nature de la vie de leur âme. Chez un être que tourmente tel ou tel acte accompli pendant le jour où une mauvaise conscience, d’autres images de rêve apparaîtront que chez celui qui peut, durant le sommeil, baigner dans ce que son âme, en parvenant dans le monde suprasensible, peut emporter de joies et de félicités devant une œuvre accomplie dans un sens favorable, ou nées de ce qui donne un sens à sa vie. Les qualités des expériences, non pas les expériences elles-mêmes, proviennent de ce qui se passe dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme. Le rêve devient particulièrement le traducteur de ces profondeurs cachées quand nous le voyons se présenter de la façon suivante. Nous allons prendre ici pour exemple de cette « traduction » un rêve que j’ai déjà raconté ici dans un autre contexte, rêve qui s’est reproduit chez un être rythmiquement, périodiquement, suscité par une expérience faite dans la jeunesse.

L’intéressé avait, encore élève, fait montre d’un certain talent de dessinateur ; c’est pourquoi le professeur, au moment où il allait bientôt quitter l’école, lui avait donné à faire un dessin particulièrement difficile. Tandis que l’élève, habi­tuellement, pouvait dessiner dans un certain délai plusieurs copies, il n’arrivait pas, avec celui-là, et parce qu’il traitait les détails avec beaucoup de précision, à le terminer en toute une année ; il dessinait et dessinait, mais n’achevait pas. Le terme décisif de la fin de l’année arriva, alors que de ce travail, qui aurait dû être accompagné de bien d’autres, seule une partie relativement réduite était terminée. On peut se représenter que, sachant qu’il ne le terminerait pas, l’élève ressentit une certaine angoisse, de la peur. Mais cette peur vécue à l’époque n’était rien comparée aux états d’angoisse qui désormais, régulièrement, après que se furent écoulées un nombre défini d’années, réapparurent constamment dans une expérience de rêve ! Après un nombre d’années pendant les­quelles le rêve ne s’était pas produit, l’intéressé rêva qu’il était encore élève, que son dessin n’était pas achevé, et ressentit à nouveau de l’angoisse. Cette expérience de la peur devenait de plus en plus intense dans le rêve jusqu’au moment où il se réveillait. Et quand le rêve était apparu, il se reproduisait peut-être une semaine plus tard. Puis il ne revenait pas durant des années ; puis il revenait, se répétait une semaine plus tard, et ainsi de suite.

Pour comprendre cette étrange expérience de rêve, il faut étudier par ailleurs la vie de cet homme. Étant élève, il avait un certain talent de dessinateur qui se développa progressive­ment tout au long de l’existence, par étapes, par degrés. Quand on observait les choses avec précision, il apparaissait que son talent de dessinateur s’était développé, qu’il était mieux doué encore chaque fois que l’expérience du rêve était intervenue à nouveau, annonçant la progression de ses talents de dessina­teur. Si bien que l’on pouvait toujours dire : le rêve est réapparu, et ensuite cet homme s’est senti tout particulière­ment habité, imprégné par des facultés plus développées lui permettant de s’exprimer par le dessin. C’est là une expérience extrêmement intéressante qui peut intervenir dans le monde des faits que vit un homme. Mais comment la science de l’esprit peut-elle expliquer une telle expérience ?

Si nous prenons appui sur ce qui a déjà été dit ici dans les dernières de ces conférences, à savoir qu’en l’homme vit le noyau central, suprasensible, de son être, qui travaille constamment à modifier ses forces intérieures, mais aussi sa physionomie extérieure, si nous tenons compte de ce noyau central de l’être, entité suprasensible, qui est présent en l’homme, qui est le fondement de sa nature, alors nous devrons dire : pendant toute la vie, ce noyau central de l’être travaille en l’homme à l’instrument de son corps, à toute son organisa­tion, car on a besoin de celle-ci si l’on veut développer constamment de nouvelles facultés, qui sont en quelque sorte liées aux habiletés extérieures. Ce noyau central de l’être transformait l’organisation corporelle de telle sorte que l’homme devenait toujours plus habile, toujours plus réceptif vis-à-vis des formes et de tout ce qui, parmi les facultés, détermine celle du regard du dessinateur et celle de s’exprimer par des formes.

Le noyau central de l’être humain œuvre dans le corps, et aussi longtemps qu’il le fait, que son activité se déverse dans ce corps, il ne peut pas se manifester à la conscience. Toutes ses forces sont consacrées à la transformation de l’organisation corporelle, et elles apparaissent alors sous la forme des facultés - dans le cas présent celle du dessinateur.

C’est seulement quand un certain degré est atteint, et que l’homme est trans­formé de telle sorte qu’il peut faire affleurer cette transforma­tion à sa conscience, quand donc il devient capable de mettre consciemment en œuvre ses facultés nouvellement acquises, c’est seulement à l’instant où le noyau central de son être pénètre dans sa conscience que l’homme peut savoir ce qui se passe en lui, ce qui travaille en bas dans les profondeurs cachées de son âme. Mais dans notre cas, il y a un état intermédiaire. Lorsque l’homme ignore encore complètement que, dans les phases où il ne progresse pas extérieurement, le noyau central de l’être travaille à développer ses talents de dessinateur, tout reste en bas dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme. Mais le moment venu où le noyau central de l’être doit pénétrer dans la conscience, cette situation devient perceptible dans la vie singulière du rêve, qui revêt cette forme parce que le noyau central intérieur est parvenu à un certain achèvement dans le développement des facultés.

Ce rêve est donc chaque fois une preuve que quelque chose a été atteint. Jusqu’au moment où il survient, les forces de l’âme ont travaillé en bas dans les profondeurs cachées, dans l’intérieur du corps, pour y faire cristalliser progressivement les facultés. Mais ensuite, avant que ces forces puissent se manifester grâce à la conscience, après qu’elles se sont affermies assez pour que l’organisation corporelle achève d’atteindre le niveau néces­saire, une transition se crée. Elle n’apparaît pas pleinement tout d’abord à la conscience, elle gagne la semi-conscience de l’état de rêve. À travers le rêve, ce qui est caché dans la vie de l’âme pénètre dans les parties conscientes de celle-ci.

D’où, après le rêve, la progression constante de cette faculté, que le rêve, de façon si caractéristique, exprime symboliquement. Nous voyons ainsi effectivement comment le noyau central de l’être humain peut œuvrer d’une part en bas, dans les profon­deurs de l’organisation corporelle sensible et suprasensible, mais ensuite, quand l’homme a pu parvenir jusqu’à un certain degré à le faire s’élever jusqu’à la conscience, que ce noyau interne de l’être a, dans son travail, atteint un certain achèvement, comment il s’exprime d’abord dans une expé­rience de rêve, et comment son activité se métamorphose dans les forces qui se manifestent dans la vie consciente. Nous avons donc une correspondance entre ce qui est en bas et ce qui se déroule en haut, dans la vie consciente, et nous voyons aussi pourquoi tant de choses ne peuvent pas affleurer à la vie consciente, parce que ne peut pas y pénétrer ce dont l’homme a encore besoin pour tout d’abord donner forme aux organes et transformer les facultés qui doivent devenir ensuite les instru­ments utilisés dans la vie consciente.

Nous pouvons dire que toute la vie durant, on peut observer comment le noyau central de l’être humain accomplit son travail dans l’organisme. Durant l’enfance, au cours du développement progressif de l’intérieur vers l’extérieur, c’est le même noyau interne de l’être qui travaille en lui avant l’apparition de la conscience de soi, jusqu’au moment qui marque la limite des souvenirs, ce moment jusqu’auquel l’homme peut plus tard remonter dans sa mémoire, et c’est le même noyau de l’être qui accomplira aussi plus tard son œuvre. L’ensemble de l’entité humaine est pris dans une constante transformation. Ce que l’homme vit dans son âme, il le vit tantôt de telle façon qu’il n’en sait rien, mais que cela œuvre en lui-même, et tantôt de telle façon que cette activité créatrice cesse, mais en revanche pénètre dans le champ de l’activité consciente. Tel est le lien entre ce que nous avons dans les zones supérieures de la conscience et ce qui repose en nous dans le subconscient, dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme.

Ces profondeurs cachées de la vie de l’âme parlent vraiment souvent un tout autre langage, en déployant une tout autre sagesse que ce dont l’homme ne peut que rêver dans la sphère de sa conscience. Que celle-ci ne puisse être imaginée comme coïncidant avec ce que nous appelons la raison dans les choses, celle que la conscience humaine reflète en quelque sorte, nous pouvons le déduire du fait que l’activité raison­nable, le pouvoir de la raison, nous apparaît aussi là où nous ne pouvons supposer dans le même sens un éclairage donné par la raison, comme c’est le cas chez l’homme. Si sous ce rapport nous comparons l’homme avec les animaux, nous trouvons que le premier n’a pas le privilège de l’activité de la raison, mais bien celui de l’autre lumière que jette la conscience sur cette activité. Lorsque nous voyons le castor ou la guêpe occupés à leurs constructions, nous voyons dans ce qu’ils accomplissent - et nous pouvons ici embrasser du regard l’horizon tout entier de l’activité animale -, nous voyons bien que là règne la raison, et qu’au fond c’est la même raison que l’homme utilise lorsqu’il éclaire à l’aide de sa conscience une partie de l’activité de la raison dans le monde. Mais à l’aide de sa conscience, il ne peut éclairer qu’un fragment de cette activité dans le monde, et c’est une activité de la raison infiniment plus ample qui imprègne notre vie subconsciente. Alors ce ne sont pas seulement les conclusions inconscientes et l’élabora­tion des concepts qui sont l’œuvre de la raison dont un scientifique comme Helmholtz lui-même a fait état, mais, sans que l’homme y participe, la raison accomplit ici une œuvre pleine d’art et de sagesse.

On peut ici attirer l’attention sur un chapitre que j’ai déjà mentionné et que j’aimerais intituler « Du philosophe et de l’âme humaine », à propos duquel je pense en particulier à ceux parmi les philosophes du XIXe siècle qui furent essentielle­ment pessimistes. Le philosophe a de préférence à faire avec ce que nous appelons la raison, l’activité de compréhension consciente, et il n’accepte rien qu’il ne puisse examiner avec l’aide de l’activité de compréhension. Quand nous prenons des philosophes comme Schopenhauer, Mainländer, Eduard von Hartmann, nous constatons qu’ils partent de l’idée qu’en face de tout ce que l’homme sait lorsqu’il prend une vue d’ensemble de la vie manifeste de son âme, les maux, les souffrances et les douleurs sont de beaucoup plus importants que les joies et le bonheur. Eduard von Hartmann a établi un calcul intéressant par lequel il montre avec beaucoup d’esprit que, dans le monde, les souffrances et les douleurs prédomi­nent. Il rassembla en une somme toutes les souffrances et les douleurs que l’homme doit subir, somme à soustraire de la totalité de ce que l’homme peut vivre de joie et de bonheur. Lorsqu’il soustrait du bonheur et des joies les souffrances et les douleurs, ce qui prévaut dans son calcul, ce sont ces dernières. Aussi le philosophe dit-il, se fondant sur cette opération de l’entendement, et avec un certain droit : si la souffrance et la douleur prédominent dans le monde, alors la vie ne peut être considérée que d’un œil pessimiste. L’intelligence exécute donc cette opération dans la personne du philosophe et prononce le jugement dans sa vie consciente : le monde doit être considéré comme mauvais jusqu’à un certain degré.

Dans La philosophie de la liberté, j’ai indiqué que ce calcul de l’intelligence, cette « soustraction », n’est absolument pas applicable. Car qui l’exécute, même si dans la vie ce n’est pas le philosophe, mais un homme ? Toujours la vie de l’âme consciente, manifeste. Mais ce qui est étrange, c’est que cette vie de l’âme manifeste et consciente ne décide pas de la valeur de la vie et des joies dans l’existence. C’est à nouveau ce que la vie nous montre. Même quand l’homme se livre à un pareil calcul, il n’en conclut pas que la vie est sans valeur. Par là, on doit alors savoir - j’ai dit tout à l’heure que le calcul d’Eduard von Hartmann est juste et plein d’esprit - que lorsqu’il exécute cette opération, il ne peut absolument pas en déduire un résultat dans sa conscience. Dans son Atomistique de la volonté, Robert Hamerling a déjà formulé cette pensée : il doit y avoir quelque chose de faux dans ce calcul, car en tout être vivant, et aussi en l’homme, et même quand les souf­frances prédominent, la joie de vivre est présente, et non pas l’envie d’anéantir l’existence. Cette déduction que la vie a pourtant une valeur, l’homme ne la fait pas à partir de la soustraction, il la puise à une autre source. J’ai montré dans La philosophie de la liberté que cet exemple de soustraction n’est pas utilisable parce que, dans ses profondeurs, la vie de l’âme humaine exécute un tout autre calcul.

Non pas une soustraction : cela, c’est la conscience qui le ferait. La vie inconsciente de l’âme opère une division : elle divise la quantité des joies par la quantité des douleurs, des souf­frances. Or, vous savez tous que si l’on soustrait - supposons la quantité de douleur égale à huit, et la quantité de joie aussi -, le résultat, donc dans ce cas la valeur de l’existence, serait égal à « zéro ». Mais si l’on divise au lieu de soustraire, l’opération serait : huit par huit égale un. On obtient donc toujours comme résultat un, et non pas zéro. Et si grand que soit le dénominateur, à condition qu’il ne soit pas « infini », il reste encore comme résultat une certaine envie de vivre. Cette division, l’homme la fait dans les profondeurs cachées de son âme, et le résultat qui affleure alors et lui devient conscient, c’est ce que, dans la vie de l’âme manifeste et consciente, l’homme ressent comme la valeur de l’existence, comme la valeur de la joie. Dans ce passage, j’ai démontré que ce singulier phénomène en l’homme qui, pourvu qu’il jouisse d’une nature saine, éprouve encore, même devant des souf­frances grandement prédominantes, une envie d’exister, une joie, un appétit devant le monde, n’est compréhensible que parce que dans les profondeurs de son âme il opère ce que nous pouvons nous expliquer scientifiquement comme une divi­sion.

Nous voyons donc que dans ses profondeurs, l’âme est un calculateur, et que la vie nous manifeste comment, dans le subconscient de l’être humain, règne la raison. De même qu’elle règne dans le castor par exemple tandis qu’il construit, sans nullement s’élever jusqu’à la conscience de l’animal, et aussi chez la guêpe, la raison règne dans les profondeurs de l’âme humaine, et comme la force qui dans la mer fait monter les vagues, elle s’élance vers le haut, vers la conscience où elle pénètre, cette conscience qui est dans l’existence un cercle beaucoup plus réduit que le vaste horizon de la vie de l’âme. Nous percevons alors que l’homme doit se considérer dans son ensemble comme flottant sur la mer de la vie de l’âme et de la conscience, une partie seulement de cette vie de l’âme étant en fait éclairée par la conscience, et cette partie de la vie de l’âme - la conscience de veille - baignant dans le subconscient.

Nous pouvons voir aussi dans la vie quotidienne que l’être humain est constamment orienté vers ce qui règne ainsi dans son être profond, et que la vie agit différemment chez les humains en présence des événements extérieurs. Sans que nous en ayons conscience, des choses peuvent exister en nous dans les profondeurs, vécues il y a très longtemps, oubliées de la conscience extérieure, mais qui pourtant exercent encore une action. Elles se révèlent à l’investigateur spirituel comme toujours présentes dans l’être central de l’homme et actives, même quand elles ne le sont pas sur le même mode que la conscience. Le cas suivant peut alors se produire. Chez une personne, dans les profondeurs de son être, quelque chose peut-être présent qu’elle a vécu étant enfant et qui l’a profondément touchée. Nous savons que dans l’enfance l’être humain peut être très sensible à une injustice commise dans son entourage. Supposons que l’enfant, dans sa septième ou huitième année, ait subi, du fait de ses parents ou de quelque autre personne de son entourage, à la suite de ce qu’il a fait, un jugement injuste.

Plus tard, la vie consciente de l’âme pourra recouvrir l’expé­rience. Elle peut être oubliée pour la conscience, mais rester agissante dans les profondeurs inconscientes de l’âme. Suppo­sons que cet enfant, ayant grandi, fasse par exemple à nou­veau, à seize ou dix-sept ans, l’expérience d’une injustice à l’école. Un autre enfant, qui n’est pas passé par la première expérience, pourra lui aussi, ayant grandi, subir une injus­tice analogue. Il rentre à la maison, se plaint d’avoir été victime d’une injustice, pleure, maudit peut-être aussi ses maîtres, mais par ailleurs il ne se passe rien, l’affaire est oubliée comme si elle n’avait jamais eu lieu, elle descend dans les profondeurs de l’inconscient. Le premier enfant, qui a grandi après avoir subi une injustice à sept ou huit ans et l’avoir oubliée, passera peut-être par la même expérience. Seulement, la chose ne passe pas sans laisser de traces, et peut-être aboutit-elle à un suicide de l’enfant. Quelle en est la raison ? La raison, il faut, alors que dans la vie consciente de l’âme l’expérience a été tout à fait la même chez les deux enfants, il faut la chercher dans ce qui, s’élevant des profon­deurs inconscientes et cachées, vient affleurer à la vie manifeste de l’âme.

Nous pouvons percevoir dans des cas innombrables une pareille intervention de notre vie inconsciente dans la vie consciente de l’âme. Supposons par exemple ce qui suit, qui se produit constamment, mais que malheureusement on ne remarque pas comme il faudrait. Il existe des gens qui révèlent dans toute leur vie d’adulte quelque chose d’un trait que l’on pourrait qualifier de nostalgique, qui se manifeste parfois. Et quand on leur demande de quoi ils ont la nostalgie, ils répondent que c’est justement là la chose extraordinaire : ils ne savent pas à quoi ils aspirent. Et quoi qu’on s’efforce de faire, malgré tous les motifs de réconfort qu’on peut leur proposer et qui devraient les consoler, rien ne les aide, la nostalgie subsiste. Si, à l’aide des méthodes que l’on utilise dans le travail scientifique, à l’aide de l’observation, on remonte dans le passé de ces gens, on s’aperçoit que des expériences précoces très particulières ont provoqué cette nostalgie. On trouvera alors - et toute personne qui se livre à des observations dans ce domaine pourra s’en convaincre - que dans leur prime jeunesse, l’attention et les intérêts de ces êtres ont toujours été dirigés vers quelque chose de précis qui n’avait en réalité aucun lien avec leur être profond ; ils ont été entraînés dans une sphère de l’activité intérieure, leur atten­tion a été retenue par quelque chose dont l’âme ne ressentait pas le besoin.

C’est pourquoi tout ce vers quoi ils tendaient dans leur âme leur est resté interdit. Leur attention était attirée vers tout autre chose que ce vers quoi on l’orientait ; alors elle fait littéralement volte-face. C’est pourquoi, plus tard, il se révèle ce qui suit. Parce que l’attention et l’intérêt n’ont pas été satisfaits autrefois, parce que l’être a toujours ressenti un besoin qui n’a jamais été nourri, les nombreuses expériences faites successivement sont transformées en une tendance, en un besoin, en quelque chose qui agit comme une passion, comme un instinct, et se manifeste comme un désir nostalgique, une aspiration imprécise. Autrefois, il eût été possible de satisfaire ce besoin - maintenant ce n’est plus possible. Pourquoi ? Parce que dans les flots de la vie de l’âme se sont tout d’abord déroulés les faits vers lesquels l’attention a été orientée sans que l’âme se soit sentie attirée. Par là, des concepts se sont fixés en l’être, et pour ce qui lui eût convenu autrefois, il ne dispose plus de facultés de compréhension. Autrefois, on n’a pas compris ce qui agit et règne dans les profondeurs de l’âme ; maintenant, il s’en est détourné, et on ne peut plus intervenir. Ce qui subsiste est quelque chose en vue de quoi son être n’était peut-être pas préparé.

Nous voyons ainsi comment, parallèlement à la vie consciente de l’homme, s’écoule un courant subconscient que nous discernons dans la vie quotidienne à travers mille cas. Comment, d’autre part, la vie consciente de l’âme plonge dans la vie inconsciente, et comment l’homme peut cependant intervenir dans les profondeurs inconscientes de la vie de l’âme, c’est ce que révèlent d’autres phénomènes. Nous abor­dons ici le chapitre de la science de l’esprit qui nous montre que la vie de l’âme atteint jusqu’au corps éthérique, lequel travaille au corps physique, et que l’homme descend en quelque sorte jusque dans ses propres profondeurs. Et qu’y trouve-t-il ? Il y trouve ce qui élargit sa propre vie au-delà de son cercle personnel étroit, ce qui le relie à l’univers tout entier ; car nous sommes unis à tout l’univers aussi bien par le corps physique que par le corps éthérique. Quand la vie de l’âme se répand dans le corps éthérique, nous pouvons, avec notre être, nous étendre à tout l’espace universel ; alors inter­vient ce que nous pouvons appeler une première annonce de l’union intime de l’homme avec le monde entier, avec ce qui n’est plus lui-même, mais l’univers. Alors nous parvenons jusqu’à la vie de l’imagination créatrice de l’homme. Et lorsqu’il plonge encore plus profondément, il dilate son être intérieur encore davantage, au-delà de ce qui l’enserre dans les conditions ordinaires de temps et d’espace ; il ressent son corps physique et son corps éthérique englobés dans l’univers entier, et dépendants de celui-ci. C’est ainsi que ce qui est extérieur à l’homme vient éclairer sa conscience lorsqu’il descend dans le corps physique.

Nous avons vu comment la vie cachée de l’âme peut venir éclairer la conscience, il nous faut, d’autre part, descendre avec notre conscience dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme. Nous les abordons quand tout d’abord nous y descen­dons par le canal de l’imagination créatrice, quand elle est une véritable, une authentique imagination créatrice, telle que Goethe la conçoit, et non pas une source de fantasmes. Et lorsque nous descendons plus profondément encore, nous atteignons ce que nous appelons les forces de clairvoyance, qui ne se limitent ; pas seulement à ce dont l’homme dispose dans le temps et dans l’espace, nous parvenons dans les lointains de l’univers, qui sinon reste tout à fait invisible.

En plongeant dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme, nous pénétrons dans le domaine de l’imagination créatrice, et au-delà dans celui de la clairvoyance, dans la région où se trouvent les réalités cachées de l’existence. Mais les points de transition, ce sont les profondeurs cachées de la vie de notre propre âme. C’est seulement en empruntant ce chemin que nous parvenons aux profondeurs cachées de l’existence, spiri­tuelles, suprasensibles, qui ne sont plus perceptibles à la conscience ordinaire, et qui sont à la source des objets du monde perceptible. Grâce à l’imagination créatrice et s’il ne pratique aucune activité fantastique, s’il puise à une vie approfondie, s’il crée en vivant de la vie des choses de telle sorte qu’à la place de la perception extérieure apparaisse l’image globale, l’être humain sent très bien - et le véritable artiste le comprendra toujours ainsi - qu’il fusionne avec les choses, que certes il n’a pas le droit de désigner comme étant la nature des choses ce qu’il exprime par l’imagination, mais que cette imagination créatrice est la voie par laquelle on peut atteindre à ce qui est plus profond que ce qu’appréhendent l’intelligence et la science extérieure. C’est pourquoi un philosophe, Froh^chammer, a désigné par le terme exclusif d’« imagination créatrice » dans les choses - agissant ainsi en homme d’esprit - ce qui est à la source du monde, ce qui est créateur. De telle sorte que, d’après ces exposés philosophi­ques, l’homme, passant de la vie consciente ordinaire de son âme aux régions du subconscient - et qui se refuserait à admettre que la vie de l’imagination fait partie des régions subconscientes ? -, s’unirait davantage à l’essence des choses, à l’imagination créatrice dans les choses, que par la seule intelligence. Bien que cette conception soit au plus haut point exclusive, on peut dire pourtant, de cette idée de l’imagina­tion conçue comme une puissance universelle créatrice, qu’elle est plus qu’une simple conception intellectuelle en harmonie avec ce qui par ailleurs apparaît mystérieusement dans le monde. Lorsque l’être humain, avec ce qu’il peut créer par l’intelligence, passe dans le monde des mille possibilités, dans le monde de l’imagination créatrice, face aux cent possibili­tés de l’intelligence, il sent certes qu’il s’éloigne de ce qui doit maîtriser la vie de tous les jours, mais aussi qu’il pénètre dans le monde qui revêt dans les profondeurs de l’âme le visage d’une possibilité infinie, vis-à-vis de laquelle ce qui est vécu dans les zones supérieures n’apparaît que comme un petit fragment. Le fondement de l’existence n’offre-t-il pas des millions de possibilités en face des réalités qui ne sont que mille, étalées à la surface de l’existence, et que nous percevons ? Il suffit de porter le regard sur les œufs de poisson que produit la vie de la mer, sur cette possibilité multiple infinie, et de voir l’aspect qu’elle prend devant les phénomènes de la vie qui en naissent, et l’on verra combien de germes, magiquement produits par la vie, sont possibles.

Et combien de ces germes deviennent-ils réalité ? Il apparaît alors combien la vie dans les profondeurs est plus riche que ce que l’on peut contempler à la surface. Il n’en va pas autrement lorsque l’homme, de ce que son intelligence peut appréhender, descend au royaume de l’imagination créatrice. Et il en va de même quand, du royaume de la réalité extérieure, nous descendons dans celui des possibilités infinies, il en va de même quand du monde de l’intelligence nous descendons au royaume magique de l’ima­gination créatrice.

Mais c’est avoir une vue trop étroite des choses que de vouloir mettre en parallèle la force universelle créatrice avec l’imagination créatrice, car l’homme certes plonge grâce à celle-ci dans les profondeurs, mais pas assez profondément pour, de là, parvenir à la réalité du monde suprasensible. Cela, il ne peut le faire qu’en développant les forces suprasensibles que nous rencontrons quand nous descendons des zones supérieures de la vie de l’âme, mais consciemment, et ce sont donc les forces qui sinon ne se manifestent qu’incons­ciemment. Cela, nous l’avons indiqué aussi : l’être humain peut plonger avec sa conscience dans les régions du subcons­cient. Lorsqu’il veut effectuer cette descente, il faut qu’il fasse de sa propre âme un instrument, un outil, afin qu’elle devienne pour la perception en esprit de l’univers un instru­ment aussi bien conçu que ceux dont se servent dans leurs laboratoires le chimiste et le physicien pour leur travail extérieur. Il faut qu’elle devienne un instrument qu’elle n’est pas dans la vie quotidienne. Alors se révèle vraie la parole de Goethe :

Mystérieuse dans le plein jour,
La nature ne se laisse pas dérober son voile.
Et ce qu’à ton esprit elle ne veut révéler,
Tes leviers ni tes vis ne peuvent l’arracher.

On ne peut pénétrer dans l’esprit avec de tels instruments et par des expériences qui utilisent les leviers et les vis, c’est-à-dire des outils extérieurs. Mais lorsqu’on éclaire avec la conscience ce qui habituellement repose dans les profondeurs cachées de l’âme, si bien que surgit à la lumière ce qui est enveloppé de ténèbres, alors on peut plonger dans ces fonds de l’esprit dans lesquels l’âme humaine, éternelle et infinie, vit avec les entités créatrices qui sont infinies aussi bien qu’elle-même. Et c’est seulement en passant en elle-même par des expériences intimes qu’elle peut se transformer en un tel instrument.

Il a déjà été indiqué ici que se trouve exposé en détail dans le livre "Comment acquérir des connaissances sur les mondes supérieurs ?", comment l’homme peut obtenir par la médita­tion et la concentration ce qui conduit consciemment l’âme dans les profondeurs cachées de la vie intérieure. Lorsque sur cette voie, par un gros effort de volonté, l’homme exclut ce que perçoivent les sens, lorsqu’il peut parvenir à réprimer ce dont il se souvient habituellement dans la vie, ce que sont les motifs de préoccupation, les soucis, les émotions, etc., ce que l’âme émue lui offre, alors, le vide étant fait en son âme, il peut se maintenir en lui-même. Tous les souvenirs des perceptions extérieures sont effacés, comme normalement dans le sommeil. Mais durant le sommeil, les forces qui règnent dans les profondeurs cachées de l’âme ne sont pas assez puissantes pour plonger en celle-ci avec la conscience - ou, pour mieux dire, l’âme n’est pas encore assez forte pour projeter sur ces profon­deurs cachées la lumière de la conscience. Cela, l’homme ne peut l’obtenir que lorsqu’avec sa volonté il s’oriente vers la vie inconsciente, lorsque par exemple il s’adonne à une représen­tation précise, ou à un ensemble de représentations, disons à ce que fait normalement le subconscient. Cela doit être entièrement plongé dans la volonté. C’est la volonté qui doit déterminer ce que nous pensons, et rien d’autre n’est détermi­nant sinon l’objet devant lequel l’homme se place volontaire­ment.

Dans la méditation, l’homme place sous son regard, grâce à la volonté, le contenu d’une représentation. Lorsque longtemps il ne peut penser, contempler et se remémorer rien d’autre que ce qu’il se représente lui-même, lorsqu’il est capable de fusionner avec sa volonté, que la volonté place les pensées dans le champ de la conscience et qu’il est capable de les maintenir sous son regard spirituel, de rassembler par une attention unique toutes les forces de l’âme qui sinon sont dispersées, lorsqu’il place sa volonté au centre et qu’il a la faculté de ne pas se laisser suggestionner par une telle représen­tation, c’est-à-dire quand il reste maître de lui-même et non pas subissant la contrainte d’une représentation, qu’il peut constamment l’effacer à son gré, bref, lorsqu’il a amené son âme jusque-là et parvient à déployer une forte volonté inté­rieure - il a fait un premier pas. Mais ce ne sont pas les représentations du monde extérieur qui exercent l’action la plus forte, ce sont celles que nous appelons symboliques. Prenons par exemple la représentation de ce qu’est la « lumière » ou la « sagesse » que l’homme a en son âme : il obtiendra certes beaucoup s’il la place de par sa volonté dans sa conscience, mais pourtant il n’ira pas très loin.

Il en ira autrement s’il se dit que la sagesse est représentée symbolique­ment par la lumière, ou l’amour, symboliquement, par la chaleur, c’est-à-dire s’il choisit généralement des représenta­tions symboliques qui vivent directement dans l’âme, bref, s’il renonce à des représentations empruntées au monde exté­rieur et ne tient compte que de celles qu’il a formées lui-même, qui même n’ont pas qu’un seul sens, mais plusieurs, et qu’il s’y consacre. On peut certes dire, si l’on pense en matérialiste, qu’un tel homme se livre à des fantasmagories, car ces représentations ne signifient rien. Seulement, elles n’ont pas besoin de signifier quelque chose, il suffit qu’elles servent à éduquer l’âme afin que celle-ci puisse plonger dans les profon­deurs cachées. Quand l’être humain, observant ainsi des préceptes rigoureux, transforme son âme telle qu’elle est dans la vie journalière, où la dominent des forces extérieures, montant de sa vie cachée, qui y introduisent des représenta­tions - pour qu’en elle tout soit soumis à la volonté consciente, où toute la vie des représentations se déroule intérieurement avec vigueur, alors il vit dans la véritable méditation, dans la véritable concentration, alors, par de tels exercices, son âme se transforme. Celui qui passe par cette expérience remarque qu’elle descend dans d’autres régions. Si nous décrivons ce qu’un tel pratiquant, un tel méditant peut vivre, il apparaîtra aussitôt qu’il parvient jusqu’à son entité réelle, intérieure, centrale, à l’être central, suprasensible de l’homme.

Voici l’expérience qui peut être vécue. L’homme peut parvenir jusqu’à un point défini où il perçoit que les représen­tations qu’il cultive agissent en lui, transforment quelque chose en lui. Il cesse de savoir seulement quelque chose des pensées, d’une vie de l’âme qu’il avait jusqu’alors, il perçoit maintenant quelque chose qui, provenant de la vie de l’âme, veut gagner les lointains de l’univers, et veut agir en lui à partir des espaces universels. Il se sent alors comme ne faisant qu’un avec l’espace, mais toujours sous le plein contrôle de la conscience. A cette expérience, qui est extrêmement impor­tante, qu’il ne faut jamais négliger si la réalité du monde extérieur suprasensible doit être vécue, expérimentée, à cela vient s’ajouter autre chose. L’homme prend conscience de ceci : En toi, il se passe quelque chose, mais tu es dans l’impossibilité de te le représenter comme tu te représentes les choses dans la vie ordinaire ; tu ne peux saisir ce qui se passe en toi sous la forme nettement contournée des pensées ; tu vis une expérience qui est riche, qui a de multiples sens, mais tu ne peux pas l’introduire dans ta conscience.

Il en est comme s’il se heurtait à une résistance en voulant l’introduire dans sa conscience ordinaire. Il lui faut percevoir que derrière lui il y a une conscience élargie, mais il sent une résistance, comme s’il ne pouvait pas utiliser l’instrument de son corps comme à l’ordinaire. On perçoit alors qu’on est intérieurement quelque chose d’autre encore que ce que l’on connaît consciemment. On perçoit que l’on travaille à introduire des forces dans le corps éthérique, mais que le corps physique est là comme un bloc pesant qui ne cède pas. C’est la première expérience. Celle qui vient ensuite, lorsqu’on continue de répéter et sans cesse répéter les exercices, est celle-ci : le corps physique commence à céder, et l’on devient capable de traduire par les représenta­tions de la vie ordinaire ce que l’on vit, et qui tout d’abord ne pouvait pas être traduit, mais seulement vécu dans les profon­deurs cachées de la vie de l’âme.

Tout ce que l’on vit dans les mondes spirituels et qui est communiqué par la science de l’esprit est revêtu des idées et des concepts logiques de la vie ordinaire. Mais sous la forme qui nous apparaît ainsi, cela n’a pas été obtenu par des raisonnements logiques, ni par de quelconques jugements extérieurs émis sur les choses ; c’est obtenu par l’expérience suprasensible, par la lumière que jette la conscience dans les profondeurs cachées de l’être humain. C’est seulement après avoir été vécu dans le suprasensible que ce contenu est amené à la conscience ordinaire, parce que celui-là même qui a fait de son âme l’instrument de la perception du suprasensible a provoqué en cette âme ce qui transforme son organisme jusque dans les forces physiques et éthériques, de telle sorte qu’au moyen des concepts ordinaires cela peut être justifié et exprimé pour le monde extérieur. La science de l’esprit est communiquée sous une forme « logique ».

Si nous envisageons ces forces subconscientes qui sont en nous, nous pouvons dire : l’investigateur des âmes voit ce qui se passe là. Comme dans l’exemple exposé précédemment, où nous parlions d’une expérience de rêve répétée, il voit comment, tout d’abord, le noyau psychique de l’âme travaille en l’homme. Quand les facultés du dessinateur se manifestent, le résultat de ce travail se révèle à la conscience de l’homme. Nous voyons donc un travail s’accomplir dans le subcons­cient, puis une métamorphose et une apparition dans la conscience de ce qui œuvre dans les profondeurs. Lors de la descente consciente, l’homme vit tout d’abord consciemment dans la méditation et la concentration. La force de la volonté, appliquée aux méditations et à la concentration, provoque la transformation du corps éthérique et du corps physique. C’est nous-même qui apportons dans le champ de la conscience quotidienne ce que nous avons vécu dans le suprasensible. Il est donc possible, par l’expérimentation spirituelle, de rendre directement perceptible ce que nous observons dans la vie, mais seulement si l’homme descend dans les profondeurs cachées de son âme.

Ce que je vous ai exposé hier comme entraînement volon­taire, le seul qui convienne à l’homme d’aujourd’hui quand il veut parvenir par une formation à acquérir des forces de clairvoyance, cela s’accomplit aussi de manière naturelle en l’homme qui est favorablement disposé à ce qu’on peut appeler son travail à partir du noyau de l’âme. S’il y est prédisposé par nature, l’homme peut aussi faire descendre certaines forces dans les profondeurs cachées de l’âme. Alors une sorte de clairvoyance naturelle intervient, elle peut, aussi bien que la clairvoyance pleinement consciente que nous avons décrite, conduire à ce qui a été indiqué. Lorsque l’homme plonge ainsi dans les profondeurs de son âme et qu’il perçoit que travaille à son organisation corporelle ce qu’il a, par la méditation et la concentration, introduit dans son corps éthérique, il ne reste plus lié aux conditions d’espace et de temps comme à l’ordinaire, lorsqu’il est dans le champ de la perception extérieure - il pénètre l’espace et le temps et tout ce qui se trouve dans le monde sensible, et parvient aussi jusqu’aux réalités spirituelles qui sont le fondement des choses sensibles. Lorsque nous voyons un homme doté d’une conscience clairvoyante atteindre la nature profonde des choses, cela peut être aussi, en un certain sens, le résultat d’une prédisposition naturelle. Dans la conférence sur le thème « Le sens de la nature prophétique », il a été montré comment, chez Nostradamus, une disposition naturelle a provoqué un épanouissement des forces de clairvoyance. Comment cela intervient dans la vie, comment agit d’une manière générale la conscience élargie et ce qu’est l’activité des forces de l’âme qui dépassent le champ ordinaire de la vie consciente, on peut le lire dans un livre dont je voudrais parler ici. Il contient une très belle description de l’aspect que prend pour la science extérieure l’activité des forces cachées de l’âme et de l’esprit, et aussi du lien de ces forces spirituelles, obtenues sans entraîne­ment particulier, avec ce qui est dit dans mon livre sur les rapports de l’homme avec les mondes supérieurs. Vous trouvez cela exposé dans Le mystère de l’homme à la lumière de la recherche psychologique. Introduction à l’occultisme, de Ludwig Deinhard ; ce livre présente les deux méthodes d’investigation suprasensible, aussi bien celle qui s’appuie sur la science extérieure que celle qui se réfère à ce qui peut être obtenu par une formation réelle, par la méditation, la concen­tration, etc., pour pénétrer dans les mondes suprasensibles. Mais celui qui veut étudier avec plus d’exactitude les expé­riences que traverse l’âme, qu’il aborde ce qui est exposé dans "Comment acquérir des connaissances sur les mondes supérieurs ?".

Nous voyons ainsi comment l’âme manifeste en tout point cette étrange et impétueuse montée, semblable à un tremble­ment de terre, des forces qui règnent dans les profondeurs. Mais il apparaît d’autre part que la science de l’esprit est appelée à montrer que l’être humain peut aussi descendre au fond de son âme dans les profondeurs cachées de l’existence, expérimentalement, certes uniquement par l’expérience qu’il doit accomplir avec sa propre âme. Mais nous ne pénétrons aussi dans les profondeurs cachées, dans les fondements spiri­tuels, dans la région de l’éternel et de l’immortel, qu’en passant par les profondeurs cachées de l’âme, où nous nous saisissons tout d’abord nous-même. La science de l’esprit passe par les profondeurs cachées de la vie de l’âme pour parvenir aux profondeurs cachées du monde extérieur, du cosmos, de l’uni­vers. C’est là l’essentiel de la démarche que suivent les méthodes de la science de l’esprit.

Si nous considérons les choses ainsi, nous voyons se confir­mer pour nous dans un sens très particulier la parole de Goethe, prononcée en liaison avec une conception mal comprise de la nature, et due à Haller, qui a dit : « Au-dedans de la nature, nul esprit créé ne pénètre ; heureux celui à qui elle révèle même son enveloppe extérieure » Goethe, conscient d’être un homme qui, par une disposition naturelle, atteignait jusqu’à la frontière de la clairvoyance, dit qu’il existe un lien entre la vie consciente de l’homme et la descente dans les profondeurs cachées de la vie de l’âme, et de là jusque dans les profondeurs cachées du cosmos, le sachant lui-même par sa propre vie, par sa vie prenant part au monde extérieur, à la nature elle-même - et il répondit donc aux paroles de Haller, qui ne voulaient admettre qu’une connaissance du monde extérieur et de la surface :

ASSURÉMENT (Au physicien)
« Au-dedans de la nature » -
O philistin que tu es ! -
« Nul esprit créé ne pénètre. »
À moi et mes pareils Ne venez surtout pas Rappeler un tel mot !
Nous pensons qu’en tout lieu Nous sommes au-dedans.
« Heureux celui à qui elle révèle Même son enveloppe extérieure. »
Cela fait soixante ans que je l’entends redire,
Là-contre je maugrée, mais en secret ;
Je me dis mille et encore mille fois :
« Largement et de bon gré elle donne tout ;
La nature n’a ni noyau Ni enveloppe,
Elle est tout d’une seule fois.
Examine-toi donc le plus que tu le peux,
Pour savoir si tu es noyau ou enveloppe. »

Vraiment, nous pouvons dire qu’il y a dans le monde beau­coup de choses pleines d’énigmes, et que l’homme, avec ce qui pénètre dans sa conscience, possède à peine plus que l’enve­loppe de la vie de son âme. Cependant nous voyons, lorsque nous nous engageons dans la voie des méthodes justes, que l’être humain peut traverser l’enveloppe de la vie et pénétrer jusqu’au noyau de son âme, mais que s’il atteint les profon­deurs de son âme, il a en même temps la possibilité de pénétrer dans la vie de l’univers. C’est pourquoi nous pouvons vrai­ment dire avec Goethe :

Quand vous étudiez la nature, il faut
Observer toujours détail et ensemble :
Rien n’est au-dedans, rien n’est au-dehors ;
Ce qui est dedans est aussi dehors.

Il faut seulement que l’homme trouve lui-même le « dedans » caché ! C’est ainsi que la science de l’esprit peut donc, en orientant à sa manière vers les profondeurs cachées de la vie de l’âme, éveiller en l’homme de toutes autres sensations que la science qui n’est qu’extérieure. Elle peut certes accorder que lorsque notre regard porte sur le monde extérieur, il rencontre énigme sur énigme. Et quand notre propre être intérieur se révèle si énigmatique, on peut souvent éprouver un frisson, en percevant que les forces venues de cet intérieur agissent sur ce que nous ressentons directement, ou bien quand l’homme, dans une attente angoissée, reste en présence de ce que l’inconnu peut encore devenir et donner. Nous voyons l’homme devant le monde extérieur percevant énigme sur énigme. Mais quand nous comparons de la manière juste la vie extérieure avec la vie intérieure, nous sentons que là en bas, dans la vie de notre propre âme, des forces cachées sont actives qui ne pénètrent pas dans le cercle étroit de la conscience ordinaire, mais qui, comme lors d’un tremblement de terre, s’élèvent en direction de la surface, et sont des forces souterraines de l’âme qui affleurent à la conscience manifeste. Mais lorsque d’une part nous voyons comment, pleins d’espé­rance, nous pouvons nous ouvrir à la certitude que l’homme peut descendre dans les profondeurs de sa propre âme et y résoudre les énigmes l’une après l’autre, nous acquérons aussi l’espoir en vue de ce que promet la science de l’esprit : à savoir que non seulement les énigmes cachées de la vie de l’âme peuvent se dévoiler à nous, mais qu’en traversant notre vie intérieure et en ouvrant la porte qui mène dans le monde spirituel, l’âme humaine peut résoudre une énigme après l’autre et que des perspectives peuvent s’ouvrir devant elle quand se dévoile le grand univers. Ainsi, lorsqu’il a le courage de se saisir lui-même en tant qu’énigme et lorsqu’il s’efforce de faire de son âme un instrument de perception, l’homme parvient-il à l’espérance et à la certitude que pour lui aussi, dans la réalité spirituelle du monde, les grandes énigmes se résoudront toujours mieux pour sa satisfaction et sa sûreté devant la vie.


Pascal Patry
Praticien en psychothérapie
Astropsychologue
Psychanalyste

5, impasse du mai
67000 Strasbourg

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