L'apocalypse de Jean - 1 - Pascal Patry praticien en psychothérapie, thérapeute et astropsychologue à Strasbourg 67000

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L'Apocalypse de Saint Jean
Rudolf Steiner

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Sommaire

Conférence publique, Nuremberg, 17 juin 1908 :
La science de l’esprit, l’Évangile et l’avenir de l’humanité.
Première conférence, Nuremberg, 18 juin 1908 :
L’Apocalypse, description de l’initiation chrétienne.
Deuxième conférence, 19 juin 1908 :
La nature de l’initiation.
Les premier et deuxième Sceaux.
Troisième conférence, 20 juin 1908 :
Les Lettres aux sept communautés.
Quatrième conférence, 21 juin 1908 :
Les sept Sceaux et leur ouverture.
Cinquième conférence, 22 juin 1908 :
L’évolution de l’homme et l’évolution cosmique de la Terre.
Les vingt-quatre Vieillards et la Mer de cristal.
Sixième conférence, 23 juin 1908 :
L’homme aux époques lémurienne et atlantéenne.
Le Mystère du Golgotha.
Conférences 7 à 12

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Conférence publique, Nuremberg, 17 juin 1908 :
La science de l’esprit, l’Évangile et l’avenir de l’humanité.

Nuremberg pourra célébrer l’automne prochain un beau centenaire. Car c’est à l’automne de 1808 qu’elle a accueilli dans ses murs un des plus grands esprits d’Allemagne ; un de ceux dont certes on ne parle pas beaucoup aujourd’hui, dont les œuvres sont encore moins bien comprises, mais qui, lorsqu’il sera compris un jour, sera d’une grande importance pour la vie de l’esprit humain. Il est certes difficile à comprendre, et c’est pour­quoi il s’écoulera bien quelque temps avant que les hommes ne le comprennent. C’est à l’automne de 1808 que Hegel est devenu directeur du Lycée royal de Nuremberg.

Hegel a émis une affirmation que nous pouvons peut-être, aujourd’hui justement, prendre pour point de départ de nos considérations. Il a dit que la pensée humaine la plus profonde est liée à l’incarnation du Christ, à sa per­sonne historique, extérieure ; et que ce qui fait la grandeur de la religion chrétienne, c’est que, si profonde qu’elle soit, elle peut être comprise facilement par la conscience exté­rieure, et qu’en même temps elle l’incite à une étude plus approfondie. Elle est accessible à n’importe quel niveau de culture, et en même temps répond aux exigences les plus hautes. Telles sont les paroles de Hegel, le philosophe allemand. Que la religion chrétienne, le message de l’Évangile, soit compréhensible à chacun, quel que soit son niveau de conscience, nous l’avons appris depuis près de deux millé­naires. Qu’il fasse appel aux pensées les plus profondes, à un approfondissement majeur des enseignements de la sagesse humaine, ce sera l’une des tâches du courant spiri­tuel anthroposophique, de la science de l’esprit, de le montrer, lorsque celle-ci aura été saisie dans sa significa­tion la plus juste, dans ses impulsions les plus intimes, et qu’elle sera devenue le maître de la vie humaine. Ce serait mal comprendre l’étude d’aujourd’hui que de croire que l’anthroposophie, la science de l’esprit, est sous quelque rapport une nouvelle religion, et qu'elle veut mettre une nouvelle confession religieuse à la place d’une ancienne. Pour éviter tout malentendu, on aimerait même dire : si un jour la science de l’esprit est comprise comme il faut, on verra clairement que, tout en étant le soutien le plus ferme, le plus sûr, de la vie religieuse, elle n’est pas elle-même une religion, et que par conséquent elle ne peut en aucun cas s’opposer à une religion. Mais par ailleurs, elle peut être l’instrument, le moyen par lequel expliquer et rendre compréhensibles les sages enseignements, les vérités les plus profondes et les secrets les plus graves et les plus riches de vie des religions.

C’est s’éloigner peut-être un peu trop que de prendre, pour décrire le rapport entre l’anthroposophie et les docu­ments de telle ou telle religion - et aujourd’hui nous aurons affaire aux documents chrétiens -, que de prendre la comparaison suivante : entre l’anthroposophie et les textes sacrés, le rapport est le même qu’entre les vérités mathématiques et les documents qui, au cours de l’histoire, sont apparus sous la forme de livres ou de manuels. Nous avons un livre très ancien qu’en fait seul étudie de près celui qui est familiarisé avec l’histoire des mathématiques : c’est la géométrie d’Euclide. Elle contient pour la première fois, sous une forme propre à l’enseignement, ce que les enfants apprennent déjà à l’école aujourd’hui. Mais combien peu de ces enfants ont conscience que tout ce qu’ils appren­nent sur les droites parallèles, sur le triangle, sur les angles, etc., se trouve dans cet ancien livre, et fut là, pour la première fois, donné à l’humanité ! À bon droit, on éveille en l’enfant la conscience que l’on peut par soi-même comprendre ces choses, que si l’esprit humain met ses forces en action et les applique aux formes dans l’es­pace, il est capable de comprendre ces formes sans tenir aucun compte de cet ancien livre. Mais celui qui n’a peut-être pas connu celui-ci et a assimilé l’enseignement des mathématiques et de la géométrie, s’il en prend connais­sance un jour, saura le comprendre et apprécier à sa juste valeur ce qu’a donné à l’humanité l’homme qui, le pre­mier, a proposé ce livre à son esprit.

On aimerait caractériser de semblable façon le rapport de la science de l’esprit avec les documents religieux. Ses sources sont telles qu'elle ne doit être limitée à aucun document, à aucune tradition, quand son impulsion est bien comprise. La connaissance courante du monde sen­sible nous procure le savoir dont dispose l’humanité par le libre usage des forces humaines ; de même, les forces et les facultés spirituelles, suprasensibles, endormies dans l’âme, nous fournissent la connaissance du monde suprasensible, invisible, qui sous-tend le monde sensible tout entier. De même que l’homme, lorsqu’il se sert de ses organes sen­soriels, est capable de percevoir ce qui lui apparaît exté­rieurement, et qu’il est capable de relier, de rattacher entre elles ses perceptions grâce à son intelligence, de même, lorsqu’il se sert des méthodes que lui transmet la science de l’esprit, il est capable de voir au-delà du décor de la réalité sensible, là où résident les causes spirituelles, où s’activent et travaillent les êtres que l’œil sensible ne voit pas, que l’oreille sensible n’entend pas, mais bien l’oreille suprasensible. La source, la source indépendante et libre du savoir spirituel, c’est donc le libre usage des forces humaines, même si, chez une grande partie de l’hu­manité d’aujourd’hui, ces forces suprasensibles som­meillent encore ; et de même, c’est le libre usage des forces orientées vers le monde sensible qui est à la source du savoir extérieur. Lorsque d’une façon quelconque on est entré en possession de connaissances qui atteignent la réa­lité au-delà du monde des sens, l’invisible au-delà du visible, on peut, armé de ce savoir suprasensible, comme on l’est du savoir sur les objets et les événements exté­rieurs, et comme le géomètre se reporte à l’ouvrage d’Euclide, se reporter aux traditions, aux livres, aux docu­ments qui l’ont communiqué aux hommes au cours de l’histoire. On peut alors le contrôler d’un point de vue analogue à celui du géomètre actuel qui contrôle la géo­métrie d’Euclide. On peut alors apprécier et reconnaître la vraie valeur des anciens documents. Et pour celui qui suit cette voie, qui réellement, armé des connaissances sur le monde suprasensible, aborde les documents de la révéla­tion chrétienne, ils ne perdent vraiment rien de leur prix. Bien au contraire, ils brillent à ses yeux d’un éclat plus vif qu’à ceux de l’âme qui ne fait que croire. Ils montrent qu’ils contiennent des richesses plus profondes que ne le pressentait l’homme autrefois, avant d’avoir acquis la connaissance anthroposophique.

Mais il nous reste encore à voir clairement le sens d’une question si nous voulons adopter l’attitude juste vis-à-vis du rapport de l’anthroposophie avec les documents reli­gieux. Demandons-nous donc : Qui comprend le mieux la géométrie d’Euclide, celui qui peut traduire littéralement le texte du livre et qui, sans avoir d’abord pénétré l’esprit de cette géométrie, veut en transmettre le contenu, ou celui qui, ayant d’abord compris la géométrie, sait la retrouver dans l’ouvrage ? Imaginons un simple philo­logue devant le livre, et qui ne comprendrait rien à la géo­métrie : que d’erreurs il commettrait s’il voulait en dévoiler l’esprit ! C’est ce qu’ont fait pour les documents religieux un grand nombre de gens, même de ceux qui étaient appe­lés à en approfondir le sens véritable. Ils ont abordé ces textes dans l’ignorance de toute autre source possible de connaissance à propos du suprasensible. Cela nous vaut aujourd’hui des commentaires très scrupuleux, des expli­cations rassemblant toutes les connaissances historiques, sur l’origine des documents par exemple, mais qui sont de même valeur que celles que donnerait de la géométrie d’Euclide quelqu’un qui ne serait pas géomètre.

La connaissance en matière de religion - nous ne vou­lons pas l’oublier - est quelque chose que l’on ne peut acquérir qu’à l’aide de notions acquises par la voie de la science de l’esprit, bien que celle-ci ne soit qu’un levier de la vie religieuse, et non une religion elle-même. Ce qui caractérise le mieux la religion, c’est le contenu du cœur humain, de la sensibilité humaine, de cette somme de sen­sations et de sentiments par lesquels l’homme élève le meilleur de son âme réceptive vers les forces et les entités suprasensibles. Le caractère de la religion d’un être humain dépend du feu de ce contenu de son âme, de la force de ces sensations, de la nature de ces sentiments, de même que la manière dont un homme aborde un tableau dépend de la chaleur qui bat dans sa poitrine et de son sens de la beauté. Le contenu de la vie religieuse, c’est certes ce que nous appelons le monde spirituel, suprasensible. Mais pas plus que la sensibilité esthétique, artistique, n’est-ce que nous appelons l’appréhension spirituelle des lois internes de F art - bien qu’elle en stimule la compréhension -, cette sagesse, cette science qui conduit dans les mondes spiri­tuels n’est la même chose que la religion. Elle donnera au sentiment religieux plus de gravité, plus de grandeur, plus de dignité et plus de richesse, mais elle ne veut pas être elle-même une religion pour qui la comprend bien, quoi­qu’elle puisse conduire vers la religion.

Si maintenant, de ce point de vue de la science de l’es­prit, nous voulons comprendre la force et l’importance, le sens et l’esprit de la révélation religieuse chrétienne, il nous faut pénétrer très loin dans la vie spirituelle. Il nous faut du regard remonter à un passé infiniment lointain, en d’autres termes nous reporter même à l’époque qui a pré­cédé la religion dans l’humanité, et chercher à voir com­ment elle est née. Y a-t-il eu sur terre un temps qui précéda la religion ? Oui, il y eut autrefois sur terre une époque où la religion n’existait pas ; la science de l’esprit, elle aussi, doit le confirmer, bien que dans un tout autre sens que la sagesse matérialiste. Que signifie pour l’humanité la reli­gion ? Elle fut et sera encore longtemps pour les hommes ce que le mot exprime déjà. Car le mot religion signifie : union de l’homme avec le divin, avec le monde spirituel. Et dans l’essentiel, les époques religieuses sont celles où l’homme aspirait à cette union avec le divin, soit en pui­sant à un savoir ou à un certain sentiment, soit parce qu’il sentait que sa volonté ne peut être forte que lorsque la force divine l’imprègne. Les temps où l’homme, pour ainsi dire, pressentait en lui-même plutôt qu’il ne possédait un savoir extérieur, dans lesquels il pressentait plutôt qu’il ne contemplait le monde suprasensible ou le sentait présent autour de lui, voilà les époques religieuses de notre Terre. Et auparavant, il y en eut d’autres où il n’avait pas besoin de ce lien, et n’avait pas cette soif de l’union avec le monde suprasensible, spirituel, parce qu’il le connaissait aussi bien que l’homme d’à présent connaît le monde des objets sensibles. A-t-il besoin aujourd’hui d’être persuadé que les pierres, les arbres, les animaux existent ? A-t-il besoin de quelque document, d’un enseignement qui lui confirme ou lui fasse pressentir qu’il y a des pierres, des plantes, des végétaux ? Non, car il les voit, il les contemple autour de lui, et c’est pourquoi il n’a pas besoin d’une « religion » des choses sensibles. Imaginons un homme qui vivrait dans de tout autres mondes, armé de tout autres organes des sens, de toutes autres facultés de connaissance, qui ne verrait ni les pierres, ni les plantes, ni les animaux parce qu’ils seraient invisibles pour lui, un homme qui serait informé de l’existence des pierres, des plantes, des animaux par des documents ou par quelque autre moyen : que serait pour lui ce qui est pour vous réa­lité visuelle, expérience, savoir immédiat ? Ce serait pour cet homme sa religion. Si quelque part un livre lui disait : il y a des pierres, des plantes, des animaux, ce serait pour lui sa religion, car il ne l’aurait jamais vu.

Il y a eu pour l’homme un temps où il a vécu au milieu des entités et des réalités spirituelles sur lesquelles le ren­seignent aujourd’hui les religions et les doctrines sacrées.

Le mot d’évolution rend aujourd’hui dans de nom­breux domaines de la conception du monde un son magique, et pourtant il n’est appliqué par les savants qu’aux faits matériels, extérieurs. Pour celui qui regarde le monde à la lumière de la science de l’esprit, tout, tout est en évolution, et avant tout la conscience humaine. L’état de conscience dans lequel vous vivez, grâce auquel, lorsque vous vous éveillez le matin, vous voyez et comprenez le monde sensible grâce à vos organes sensoriels, cet état de conscience s’est développé à partir d’un autre. Dans le langage de la science de l’esprit, nous l’appelons la claire conscience de veille, et elle s’est développée à partir d’un autre, d’un très ancien état de conscience que nous appelons conscience imaginative obscure. Nous remon­tons certes ici à des états évolutifs anciens de l’humanité, dont une anthropologie extérieure ne dit rien, pour la rai­son quelle n’utilise que les sens et les méthodes ration­nelles. Elle croit que, dans un passé très reculé, l’homme aurait passé par des états qui en fait seraient semblables à ceux des animaux actuels.

Dans des conférences antérieures, il a été indiqué com­ment nous avons à nous représenter selon la science de l’esprit le rapport de l’homme avec les animaux. L’être humain n’a jamais été comparable à l’animal actuel. Il ne descend pas d’êtres semblables aux animaux d’aujour­d’hui. Les formes d’évolution par lesquelles il a passé se révéleraient, si nous voulions les décrire, très dissem­blables. Les animaux d’aujourd’hui sont comme des êtres restés à des stades antérieurs d’évolution, qu’ils ont laissés se figer. L’homme a dépassé ses stades antérieurs, les ani­maux, eux, ont régressé. Nous voyons donc dans le monde des animaux des frères attardés des hommes, mais qui ne sont plus revêtus de ces formes antérieures. Ces formes d’évolution anciennes ont existé à une époque où régnaient sur terre d’autres conditions de vie, dans les­quelles les éléments n’étaient pas distincts les uns des autres comme aujourd’hui, où l’homme n’était pas doté d’un corps comme aujourd’hui, et était pourtant un homme. Il a pu attendre, au sens figuré du mot, le moment de son évolution où il pourrait descendre dans la chair, le moment où cette matérialité charnelle serait telle qu’il pourrait y développer la force actuelle de l’esprit. Les animaux n’ont pas pu attendre, ils se sont figés à un stade antérieur ; ils se sont chargés de chair plus tôt qu’il n’eût fallu. C’est pourquoi ils ont dû rester en arrière. Nous pouvons ainsi nous représenter que l’être humain a vécu dans d’autres conditions et dans d’autres formes de conscience qu’aujourd’hui. En les observant à travers les millénaires, nous les trouverions toujours différentes. Ce que nous appelons aujourd’hui pensée logique, intellect et entendement ne s’est développé que plus tard dans l’hu­manité. Des forces humaines qui aujourd’hui déclinent déjà étaient beaucoup plus puissantes, par exemple la mémoire, qui était dans le passé infiniment plus dévelop­pée qu’aujourd’hui. Le développement d’une civilisation de l’entendement a fait notablement régresser la mémoire.

Celui qui porte aujourd’hui sur le monde le regard d’un sens pratique quelque peu développé peut reconnaître aujourd’hui encore que ce qui est affirmé conformément à la science de l’esprit n’est pas sans fondement. On pourrait dire : Si cela est vrai, les hommes actuels qui, par quelque hasard, sont arriérés, devraient faire apparaître que leur mémoire précisément est moins retardée. Ils devraient aussi révéler que lorsqu’on s’efforce de développer l’intellectualité d’êtres artificiellement retardés, leur mémoire en souffre. On a pu observer dans cette ville un cas caracté­ristique de cette nature.

Le professeur Daumer, dont on ne saurait assez esti­mer la valeur, a bien observé ce cas sur la personne d’un être qui fut pour beaucoup une énigme, et qui, arrivé un jour à Nuremberg de façon mystérieuse, est mort à Ansbach de façon non moins mystérieuse ; le même être dont un écrivain dit, pour esquisser ce que sa vie a de mystérieux, que lorsqu’on l’enterra, c’était un jour où d’un côté du ciel, à l’horizon, le soleil se couchait, et où de l’autre, à l’opposé, la lune se levait. Vous le savez, je parle de Kaspar Hauser. Si vous laissez de côté toutes les contro­verses que ce cas a engendrées, si vous ne tenez compte que de ce qui s’est avéré en toutes circonstances, vous sau­rez que cet enfant trouvé qui, parce qu’on ne savait pas d’où il venait, fut nommé l’enfant de l’Europe, ne savait ni lire ni écrire lorsqu’on le trouva. À l’âge de vingt ans, il ne disposait d’aucun acquis dû à l’intellect, mais, chose curieuse, il avait une mémoire prodigieuse. Lorsqu’on commença à l’instruire, lorsque la logique pénétra dans son âme, sa mémoire faiblit. Cette modification de l’état de conscience fut encore liée à autre chose : à l’origine, il était d’une sincérité innée presque inconcevable, et c’est précisément sur ce point de la sincérité qu’il s’égara de plus en plus. Plus il prenait goût à l’intellectualité, et plus la sincérité faiblissait.

Nous pourrions étudier bien des choses en approfon­dissant cette âme artificiellement retardée. Et celui qui s’appuie sur la science de l’esprit ne considère nullement comme mal fondée la tradition populaire en laquelle nos érudits n’ont pas foi, et selon laquelle Kaspar Hauser, encore ignorant de tout, ignorant du fait qu’il existait des êtres faits tout autrement, exerçait une étrange influence sur les bêtes furieuses amenées devant lui. Celles-ci se sou­mettaient à lui avec la plus grande douceur. De lui, quelque chose émanait qui avait pour effet d’apaiser l’ani­mal furieux prêt à se jeter sur un autre. Comme je le disais, et parce qu’un pareil cas se présente que la science de l’es­prit permet de comprendre, nous pourrions pénétrer dans la nature de cette personnalité si énigmatique, et vous auriez alors devant vous un cas qui vous montrerait que tout ce qui paraît inexplicable dans la vie ordinaire trouve, grâce à la science de l’esprit, son explication dans des faits d’ordre spirituel. Certes, de tels faits ne sont pas accessibles à la spéculation philosophique, mais uniquement à l’ob­servation spirituelle ; mais ils sont compréhensibles pour la pensée logique et sans œillères.

Tout cela ne devait être dit que pour vous montrer comment vous pouvez accéder à cette idée que l’actuel état de conscience s’est développé à partir d’un autre, très ancien, dans lequel l’homme ne se trouvait pas en contact direct avec les objets perçus par les sens, comme nous aujourd’hui, mais avait en revanche un lien avec les faits et les êtres spirituels. Il ne voyait pas la forme physique de l’autre, qui d’ailleurs, à cette époque, n’existait pas comme elle est aujourd’hui. Lorsqu’un être s’approchait de lui, quelque chose comme une image de rêve s’élevait dans son âme. La forme et la coloration de cette image lui mon­traient si cet être avait pour lui de la sympathie ou de l’an­tipathie. Une telle conscience percevait les faits spirituels, et par là le monde de l’esprit. Tout comme il vit mainte­nant avec des êtres de chair et d’os, l’homme vivait en ces temps, lorsqu’il dirigeait son regard sur lui-même et se voyait lui-même âme et esprit, parmi des êtres spirituels. Ils étaient présents pour lui. Il était esprit parmi les esprits. Bien qu’il n’ait été doté que d’une sorte de conscience de rêve, les images qui s’élevaient en lui avaient un lien vivant avec son environnement. C’était le passé durant lequel l’homme vivait encore dans un monde spirituel dont il est descendu plus tard, afin de se créer un vêtement de chair perceptible aux sens, adapté à la conscience qui lui convient aujourd’hui. Les animaux existaient déjà physi­quement, alors que l’homme percevait encore les régions spirituelles. Il vivait à ce moment parmi des êtres spiri­tuels, et pas plus que vous n’avez besoin de preuves pour être convaincus de l’existence de la pierre, des plantes et des animaux, l’homme de ces origines n’avait besoin d’un témoignage quelconque pour être convaincu de l’existence des êtres spirituels. Il vivait parmi les esprits et les dieux, et c’est pourquoi il n’avait pas besoin d’une religion. C’étaient alors les temps préreligieux.

Puis l’homme est descendu, sa forme précédente de conscience s’est métamorphosée en l’actuelle. Il ne voit plus planer dans l’espace des couleurs et des formes ; pour lui, les couleurs recouvrent la surface des objets. Dans la mesure où il apprit à orienter ses sens vers le monde exté­rieur, celui-ci s’étendit comme un voile - la grande maya - devant le monde spirituel, et il fallut qu’à travers ce voile l’homme reçoive le message de ce monde spirituel. La reli­gion était devenue nécessaire.

Mais il existe aussi un stade entre l’époque qui précède la conscience religieuse et celle de la conscience religieuse proprement dite, un stade intermédiaire. C’est de là que datent les mythologies, les légendes, les traditions popu­laires parlant des mondes spirituels. C’est une érudition superficielle ignorante des véritables faits spirituels que celle qui prétend que les personnages de la mythologie allemande ou nordique, de la mythologie grecque, que tous les textes parlant des dieux et des actes divins sont des inventions de l’imagination populaire. Ce ne sont pas des inventions. Le peuple ne prend pas quelques nuages qui passent pour de petits moutons. Qu’il le fasse, c’est une fable de nos érudits actuels, pleins d’une vive imagination dans ce domaine. La vérité est tout autre. Les anciennes mythologies, les anciennes légendes, sont les derniers ves­tiges, les derniers souvenirs laissés par la conscience prére­ligieuse. La tradition a conservé ce que les hommes voyaient eux-mêmes. Ces hommes qui décrivent Wotan, Thor, Zeus, etc., l’ont fait parce qu’en eux subsistait un souvenir de ce qu’ils avaient vécu autrefois. Des bribes, des fragments arrachés à ce que l’on avait vécu, voilà ce que sont les mythologies.

Cet état de conscience intermédiaire se manifestait encore autrement ; à l’époque où les hommes étaient déjà intelligents, disons même très intelligents, il y en a tou­jours eu qui, au moins dans des états exceptionnels - appelez-les extase ou folie, comme vous voulez -, étaient capables de voir les mondes spirituels, de percevoir encore ce qu’avaient perçu autrefois la majorité des êtres humains. Ceux-là rapportaient avoir encore vu eux-mêmes quelque chose du monde spirituel. Ces récits s’ajoutaient aux sou­venirs et ainsi naissait une foi vivante. Ainsi se fit une tran­sition vers l’état religieux proprement dit.

Et comment fut préparé le stade religieux proprement dit dans l’humanité ? Grâce aux moyens et aux voies trou­vés par l’homme pour développer son être intérieur de façon telle qu’il put à nouveau voir et contempler les mondes dont il est issu, et qu’il avait perçus autrefois dans un état de conscience nébuleux. Nous abordons ici un chapitre qui, aux yeux de bien des hommes modernes, ne contient que bien peu de données vraisemblables, le cha­pitre des « initiés ». Qu’étaient donc les initiés ? C’étaient des hommes qui développaient par certaines méthodes leur âme et leur esprit de façon telle qu’ils pouvaient à nouveau pénétrer dans le monde spirituel. L’initiation, cela existe ! En toute âme sommeillent des forces et des facultés suprasensibles. Il vient, ou tout au moins il peut venir pour tout homme, le grand moment, le moment solennel où ces forces s’éveillent. Ce moment, nous pou­vons l’évoquer intérieurement en nous représentant ce que fut par ailleurs l’évolution de l’humanité. En employant les mots de Goethe, nous pouvons dire : Notre regard porte vers un passé lointain dans lequel l’homme physique ne possédait pas d’œil physique ni d’oreille physique comme aujourd’hui. Nous nous reportons en arrière à ces temps dans lesquels, aux endroits où se trouvent aujour­d’hui ces organes, il y avait des organes « indifférents » qui ne pouvaient ni voir ni entendre. Pour l’homme physique, un temps vint où ces organes aveugles se développèrent et devinrent des points lumineux, où ils se perfectionnèrent peu à peu, jusqu’à ce que la lumière devienne pour eux une réalité. Il vint de même un moment où l’oreille de l’homme fut assez développée pour que le monde jus­qu’alors muet se manifeste par des sons et des harmonies. De même que le soleil, grâce à ses forces, a travaillé à modeler ses yeux dans son organisme, l’homme aujour­d’hui peut vivre selon son esprit, de sorte que les organes de son âme et de son esprit, aujourd’hui indifférents, se développent de façon analogue. L’instant peut survenir, il est déjà survenu pour beaucoup, où leur âme et leur esprit se transforment comme un jour s’est transformée leur organisation physique. De nouveaux yeux et de nouvelles oreilles apparaissent à travers lesquels, issus de l’environ­nement spirituellement obscur et muet, brille la lumière et résonnent les sonorités. Un développement est possible qui conduit aussi à s’adapter à la vie dans les mondes spi­rituels. C’est cela, l’initiation. Et dans les écoles des Mystères, les méthodes conduisant à cette initiation sont mises à la portée des humains tout comme le sont, dans le monde extérieur, les méthodes appliquées, disons, dans les laboratoires de chimie ou de recherche biologique. La différence entre celles de la science extérieure et celles de l’initiation, c’est seulement le fait que la première doit mettre au point des instruments et des appareils annexes. Mais pour celui qui veut devenir un initié, il n’y a qu’un unique instrument qu’il lui faut développer, c’est lui-même, avec toutes ses forces. De même que dans le fer peut être latente une force magnétique, dans l’âme humaine sommeille, latente, la force de pénétrer dans le monde spirituel de la lumière et des sons. C’est ainsi que vint le temps où la vision normale ne perçut plus que le monde physique-sensible, et où les guides de l’humanité étaient de ces initiés dont le regard pouvait pénétrer dans les mondes spirituels, et qui pouvaient communiquer et expliquer les réalités du monde spirituel dans lequel l’homme avait vécu autrefois. Où conduit le premier degré de l’initiation ? Comment se présente-t-il à l’âme humaine ? Ne croyez pas que cette évolution ne comporte que spéculation phi­losophique, que concepts subtilement élaborés et raffine­ments intellectuels. Les notions que l’homme possède sur le monde sensible extérieur se transforment en celui qui accède au monde spirituel. Désormais, il ne comprend plus à l’aide de concepts aux contours fixes, mais grâce à des images, à des Imaginations. Car il grandit en s’adap­tant au processus spirituel qui a engendré la Création. Seuls les objets du monde sensible sont déterminés, ont les contours rigides que nous leur connaissons. Au sein de la Création universelle, vous ne trouvez pas d’animal aux formes figées. Vous avez comme fondement quelque chose comme une image dont peuvent naître les différentes formes extérieures, une réalité vivante, un organisme. Il faut s’en tenir rigoureusement à la parole de Goethe : « Tout ce qui passe n’est que symbole. » C’est par des images que l’initié apprend tout d’abord à connaître et à comprendre, qu’il apprend à s’élever dans le monde spiri­tuel. Il faut alors que sa conscience devienne plus mobile que celle qui nous sert à comprendre le monde sensible qui nous environne. C’est pourquoi l’on nomme ce stade du développement la conscience imaginative. Il conduit l’homme à nouveau dans le monde spirituel, mais non par une voie nébuleuse. Cette conscience sacrée est limpide et claire comme l’est la conscience de jour elle-même. L’homme s’en trouve enrichi en ajoutant à la conscience de veille celle du monde spirituel. Il vit donc, au premier stade de l’initiation, dans la conscience imaginative. Et ce qu’apprenaient dans les mondes spirituels ceux qui étaient ainsi initiés, il en a été fait communication à l’humanité dans les traditions et les documents, tout comme il a été fait communication à celle-ci, par Euclide, de la science ordinaire de la géométrie. Nous savons ce que contiennent ces documents, nous le reconnaissons lorsque nous remontons à leur source, c’est-à-dire à la vision des initiés.

Ainsi en fut-il au sein de l’humanité jusqu’à l’appari­tion de la plus haute entité qui ait jamais cheminé sur la Terre, du Christ Jésus. Un élément nouveau intervint alors dans l’évolution. Si nous voulons que nous soit bien clair ce en quoi consiste l’essentiel de cet élément nouveau dont le Christ Jésus fit don à l’humanité, il nous faut considérer que dans tous les centres d’initia­tion préchrétiens, l’initiation nécessitait pour l’homme un isolement complet du reste de l’évolution humaine, et un travail accompli sur son âme dans les lieux les plus secrets. Et surtout, il nous faut voir clairement que, dans la conscience de l’homme, il subsistait encore, lorsqu’il s’élevait à nouveau vers le monde spirituel, un reste de l’ancienne conscience imaginative, de la simple conscience de rêve. Il fallait que l’homme fuie ce monde des sens pour pouvoir pénétrer dans le monde spirituel. Cela n’est plus nécessaire aujourd’hui, et c’est ce qu’a provoqué l’apparition du Christ Jésus sur la Terre. Du fait que le principe du Christ est entré dans l’humanité, l’être central, le point central du monde spirituel a été une fois présent dans un être humain sur cette Terre, ce même être qu’aspiraient à retrouver tous ceux qui culti­vaient une vie religieuse, qui ont contemplé dans les centres d’initiation, qui ont quitté la voie du monde sensible pour pénétrer dans le monde spirituel. L’être dont il a été annoncé que l’homme voit en lui son entité la plus haute, a pris place dans l’histoire avec le Christ Jésus. Et celui qui comprend quelque chose de l’authen­tique science de l’esprit sait que tout enseignement reli­gieux donné avant l’apparition du Christ est une Annonce du Christ Jésus.

Lorsque les anciens initiés voulaient parler de l’être le plus sublime qui leur était accessible dans le monde spiri­tuel, et en qui ils pouvaient contempler la source originelle de toutes choses, ils ont parlé du Christ Jésus sous les noms les plus différents. Il nous suffit de nous remémorer un seul exemple, celui de l’Ancien Testament, qui est aussi une Annonce. Nous nous souvenons que Moïse, alors qu’il devait conduire son peuple, reçut cette mission : Dis à ton peuple que ce que tu dois faire, le Seigneur, ton Dieu, te l’a indiqué. Moïse dit alors : Comment les gens me croi­ront-ils, comment pourrai-je les convaincre ? Que dois-je leur dire s’ils me demandent : Qui t’a envoyé ? - Et il lui est mandé : Dis que c’est le « Je suis » qui t’a envoyé. Lisez et comparez, aussi exactement que vous le pouvez, avec le texte original. Vous verrez de quoi il s’agit là. Le « Je suis », qu’est-ce que cela veut dire ? « Je suis », c’est le nom de l’entité divine, du principe-Christ de l’homme, de l’entité dont il ressent en lui une goutte, une étincelle quand il peut dire « je suis ». La pierre ne peut pas dire « je suis », la plante ne peut pas, l’animal ne peut pas dire « je suis ». L’homme est le couronnement de la Création parce qu’il peut se dire à lui-même « je suis », qu’il peut prononcer un mot qui n’a de sens que pour celui qui le dit. Par ce mot « je », vous ne pouvez nommer que vous-même. Aucun autre ne peut vous nommer en disant « je ». L’âme s’adresse ici à elle-même dans ce mot auquel n’accède qu’un être qui ne parvient à l’âme par aucun sens extérieur, par aucune voie extérieure. Ici, le Dieu parle. C’est pourquoi le nom « Je suis » a été donné à la divinité qui remplit l’univers. « Dis que le “Je suis” t’a dit cela ! » - voilà ce que Moïse devait répondre à son peuple.

Ce n’est que lentement que les hommes apprennent à comprendre complètement le sens profond de ce « Je suis ». Les humains ne se sont pas tout de suite ressentis comme des individualités. Vous pouvez encore le voir dans l’Ancien Testament : à cette époque les humains ne se res­sentaient pas encore comme des individus. Les membres des tribus germaniques aussi, même dans les premiers temps du christianisme, ne se ressentaient pas comme tels. Pensez aux Chérusques, aux Teutons, etc., aux tribus ger­maniques qui vivaient dans le pays qui est aujourd’hui l’Allemagne. Le Chérusque avait plutôt le sentiment d’être une partie du moi de la tribu. L’individu n’aurait pas pro­noncé avec autant de fermeté qu’aujourd’hui : « je suis ». Il se sentait enclos dans un organisme composé de tous ceux qui étaient du même sang que lui.

Chez les hommes de l’Ancien Testament, ce lien du sang englobait un très large cercle. L’individu se sentait porté par tout le peuple qui était pour lui gouverné par un moi. Il savait ce que signifiait « moi et le Père Abraham sommes un », car il remontait à travers les générations jus­qu’à Abraham. Il se savait protégé, lorsqu’il voulait dépas­ser son moi individuel, en le Père Abraham, par tout le sang, porteur extérieur du moi du peuple, du moi collec­tif, et qui coulait à travers les générations.

Si maintenant nous comparons avec les mots chargés pour tout adepte de l’Ancien Testament d’une si haute signification ce que le Christ Jésus a apporté, nous proje­tons comme la lumière d’un éclair sur tout le progrès qui fut accompli par l’évolution du christianisme. « Avant qu’Abraham fût, était le « Je suis ». » Que signifie : avant Abraham était le « Je suis » ? - Telles sont en effet la tra­duction et l’interprétation justes de ce passage de la Bible. Il signifie : Remontez le cours des générations, vous trou­verez en vous-même, dans votre propre individualité, quelque chose de plus durable encore que ce qui coule à travers toutes les générations liées par le sang. Avant vos ancêtres, il y avait le « Je suis », cette entité qui pénètre en tout être humain, dont toute âme humaine peut faire en elle-même l’expérience directe. Non pas moi et le Père Abraham, non pas moi et un père temporel, mais moi et le Père spirituel qui n’est lié à rien d’éphémère, nous sommes un. « Moi et le Père sommes un. » En tout indi­vidu il y a le Père. Le principe divin vit en lui, quelque chose qui était, qui est, qui sera.

Après avoir, au long de presque deux millénaires, com­mencé seulement en réalité à ressentir la force de cette impulsion cosmique, les hommes reconnaîtront pleine­ment, dans les temps futurs, ce que signifie pour l’huma­nité le « saut » qui s’est produit dans l’évolution, dans la mission de la Terre. Ce qu’on ne pouvait reconnaître qu’en dépassant l’existence individuelle, en saisissant l’esprit de tout un peuple, c’était ce que cherchaient à atteindre les initiés d’autrefois.

Lorsque dans le monde ordinaire quelqu’un entendait cela, il disait : le Je est quelque chose d’éphémère qui com­mence avec la naissance et finit avec la mort. Mais s’il était initié aux secrets des Mystères, il voyait en ce que l’autre ressentait la même chose que ce qui coule à travers le sang des générations, ce qui est un être véritable ; il y voyait l’es­prit de sa tribu. Il pouvait contempler ce qui n’est acces­sible que dans le royaume de l’esprit, mais non dans la réalité extérieure. Il pouvait contempler un dieu qui pas­sait à travers le sang des générations. Se trouver face à face avec ce dieu, cela n’était possible que dans les Mystères.

Ceux qui le comprenaient pleinement, les disciples intimes qui entouraient le Christ Jésus, avaient conscience qu’un être de nature spirituelle, divine, se tenait devant eux, vivant dans une personnalité humaine charnelle. Ils sentirent qu’en le Christ Jésus était présent le premier être humain individuel portant en lui un esprit comme autre­fois seules des masses collectives d’hommes le ressentaient en elles, et comme il ne pouvait être sinon contemplé que dans le monde spirituel par les initiés. Il était le « premier-né » parmi les hommes.

Plus l’être humain s’individualise, plus il peut devenir porteur d’amour. Là où le sang enchaîne les hommes les uns aux autres, ils aiment ce que ces liens du sang les pous­sent à aimer. Lorsque l’individualité est accordée à un être, lorsque cet être couve et nourrit l’étincelle divine qui est en lui, les impulsions de l’amour, les ondes de l’amour peu­vent aller d’un homme à un autre dans la liberté du cœur. Une impulsion nouvelle est ainsi venue enrichir l’ancien lien d’amour qui dépendait de la consanguinité. Peu à peu, celui-ci se transforme en un lien d’amour fraternel qui, pas­sant d’âme à âme, finira par englober l’humanité tout entière dans un commun amour. Mais c’est le Christ Jésus qui est la force, la force vivante par laquelle, dans l’histoire manifestée aux yeux extérieurs, l’humanité est devenue une communauté de frères. Et les hommes comprendront qu’ils doivent voir dans ce lien de l’amour fraternel le christia­nisme accompli, le christianisme spiritualisé.

On dit facilement aujourd’hui : la théosophie doit rechercher le noyau de vérité commun à toutes les reli­gions, car toutes les religions ont le même contenu. Ceux qui parlent ainsi, qui ne comparent les religions que pour y chercher ce qu’elles ont de semblable dans l’abstrait, ne comprennent rien au principe de l’évolution. Ce n’est pas en vain que le monde évolue. Il est vrai que chaque reli­gion contient la vérité, mais en évoluant de forme en forme, elle se développe vers des formes supérieures. Vous pouvez certes, si vous voulez approfondir suffisamment vos recherches, trouver aussi dans les autres religions les enseignements du christianisme. Car il n’a pas apporté de nouvelles doctrines. Mais l’essentiel dans le christianisme, ce n’est pas la doctrine. Prenez les fondateurs de religions préchrétiennes. Ce qui importe chez eux, c’est ce qu’ils ont enseigné. Imaginez qu’ils soient restés inconnus, et qu’ait subsisté ce qu’ils ont enseigné. Ç’aurait été suffisant pour l’humanité. Tandis que, pour le Christ Jésus, ce qui importe, c’est qu’il ait existé, c’est qu’il ait vécu sur cette Terre dans un corps physique. Ce n’est pas la foi en son enseignement, mais la foi en sa personnalité qui est l’élé­ment décisif, c’est que l’on ait vu en lui le premier-né parmi ceux qui peuvent mourir, et à qui on demande : Dans la situation dans laquelle je me trouve, ressentirais-tu, toi aussi, les choses comme je les ressens ? Penserais-tu aussi comme je pense maintenant, voudrais-tu aussi comme je veux ? - L’important, c’est que sa personnalité soit le grand modèle vis-à-vis duquel ce qui importe, ce n’est pas d’écouter ses enseignements, mais de le regarder lui-même, de voir comment il a agi. C’est pourquoi les disciples intimes du Christ Jésus disent tout autre chose que les élèves et les disciples des autres fondateurs de reli­gions, qui disent : Le maître a enseigné ceci, il a enseigné cela. - Mais les disciples du Christ, eux, disent : Nous ne vous parlons pas de mythes subtilement élaborés ni de pré­ceptes ; nous vous disons ce que nos yeux ont vu, ce que nos oreilles ont entendu. Nous avons entendu la voix, nos mains ont effleuré la source de la Vie, afin d’être en com­munion avec vous. - Et le Christ Jésus lui-même dit : Vous serez mes témoins à Jérusalem, en Judée, jusqu’à la fin du monde. - Ces paroles expriment quelque chose de très important : Vous serez mes témoins jusqu’à la fin du monde - c’est-à-dire : il y aura de tout temps des hommes qui, comme ceux de Judée et de Galilée, pourront dire par un savoir instinctif qui était le Christ au sens de l’Évangile.

Au sens de l’Évangile, qu’est-ce que cela signifie ? Rien d’autre, sinon qu’il était dès le commencement le principe qui vivait en toute création. Il le dit : Si vous ne croyez pas en moi, croyez au moins en Moïse ; si vous croyez en Moïse, vous croyez en moi, car Moïse a parlé de moi. - Nous l’avons déjà vu, Moïse a parlé de lui en disant : Le « Je suis » me l’a dit. - Mais alors ce « Je suis » n’était jusque-là perceptible qu’en esprit. Que le Christ soit apparu visible dans le monde, homme parmi les hommes, c’est ce qui fait toute la différence entre l’Évangile du Christ et la révéla­tion divine par d’autres religions. Car dans celles-ci, la connaissance spirituelle était tout entière orientée vers ce qui était alors hors du monde. Désormais, avec le Christ Jésus, était apparu dans le monde quelque chose qui devait être compris sous la forme même d’une manifestation sen­sible. Que ressentirent les premiers disciples comme étant l’idéal de leur sagesse ? Non plus seulement de com­prendre comment les esprits vivent au pays des esprits, mais comment le principe le plus élevé a pu être présent sur terre dans la personnalité historique du Christ Jésus.

Il est beaucoup plus facile de nier la nature divine de cette personnalité que de la ressentir ainsi. C’est en cela que se distingue de ce qu’on appelle le christianisme inté­rieur, le christianisme ésotérique, une certaine doctrine des débuts du christianisme : la Gnose. La Gnose admet­tait bien la divinité du Christ, mais elle n’avait jamais pu s’élever jusqu’à reconnaître que le Verbe s’est fait chair et est demeuré parmi nous, comme le souligne l’auteur de l’Évangile selon Jean, qui dit : Il ne faut pas considérer le Christ Jésus comme quelque chose qui n’est discernable que dans l’invisible, mais comme le Verbe qui est devenu chair et a habité parmi nous. Vous devez savoir qu’avec cette personnalité humaine, une force est apparue qui agira jusque dans le plus lointain avenir en tissant autour de la Terre la force d’un amour spirituel réel, qui agit et vit en tout ce qui anime l’avenir. - Et si l’homme se confie à cette force, il pénètre dans le monde spirituel d’où il est descendu ; il s’élèvera de nouveau jusqu’au plan où accède déjà aujour­d’hui le regard de l’initié. Il se dépouillera de tout ce qui est lié aux sens en pénétrant dans le monde spirituel.

De même que le disciple qu’on initiait dans le passé pou­vait jeter un regard rétrospectif sur la vie spirituelle des temps passés, ceux que l’on initie au sens christique du terme acquièrent, en participant aux impulsions du Christ Jésus, la faculté de voir ce que deviendra notre monde ter­restre si les hommes agissent dans l’esprit de ces impulsions. Comme on peut jeter un regard rétrospectif sur les états pas­sés, on peut, à partir de l’apparition du Christ sur la Terre, voir dans l’avenir le plus lointain. On peut dire : La conscience se transformera encore, telle sera la position de l’homme entre le monde spirituel et le monde sensible. Alors que l’ancienne initiation orientait vers le passé, vers une sagesse antique, l’initiation chrétienne conduit à dévoi­ler l’avenir au néophyte. Ce qui est nécessaire, c’est que l’homme ne soit pas seulement initié pour ce qui relève de sa sagesse, de sa sensibilité, mais qu’il le soit pour sa volonté. Car c’est ainsi qu’il sait ce qu’il doit faire, les buts qu’il doit se fixer pour l’avenir. L’homme ordinaire, l’homme de la vie sensible, se fixe un but pour l’après-midi, pour le soir, pour le lendemain matin. L’homme spirituel est capable, guidé par les principes spirituels, de se fixer des buts lointains qui stimulent sa volonté et vivifient ses forces. Fixer ainsi des buts à l’humanité, c’est concevoir le christianisme dans son ésotérisme au sens véritable, au sens le plus élevé, dans l’es­prit du principe christique des origines. C’est ainsi que l’a compris celui qui a formulé le grand principe de l’initiation de la volonté, qui a écrit l’Apocalypse. On comprend mal l’Apocalypse si l’on ne voit pas qu’elle apporte l’impulsion qui va vers l’avenir, vers l’activité, vers l’action.

Tout ce que nous avons fait passer aujourd’hui devant notre regard doit être compris dans l’esprit de la science anthroposophique. Je n’ai pu aujourd’hui qu’en donner une esquisse. Lorsque, avec l’aide de cette science, on com­prend ce qui se cache derrière le sensible, on porte un regard compréhensif sur ce qui a été annoncé dans les Évangiles et dans l’Apocalypse. Et plus l’on progresse en pénétrant dans les mondes suprasensibles, en les approfon­dissant, plus l’on perçoit la profondeur des documents chrétiens. Ils brillent d’un éclat plus haut, leur contenu apparaît plus vrai et plus profond lorsqu’on les aborde d’un regard spirituel affiné tel que peut le développer l’anthroposophie. Il est vrai que l’âme la plus simple peut pressen­tir les vérités que recèle le christianisme. Mais la conscience ne se contentera pas toujours de cette prescience, elle se développera et voudra savoir et connaître. Mais même lors­qu’elle s’élèvera vers les plus hautes connaissances, de pro­fonds mystères subsisteront pour elle dans le christianisme accessible à l’âme la plus simple comme à l’intellect le plus développé. L’initié le vit en images. C’est pourquoi la conscience naïve peut pressentir les vérités qu’il enferme ; mais l’homme exigera la connaissance, et non plus la foi. Il pourra trouver dans le christianisme un contenu pleine­ment satisfaisant quand la science de l’esprit lui donnera l’explication des Évangiles. C’est pourquoi la science de l’esprit prendra la place même des philosophies anciennes les plus évoluées. Elle portera témoignage de la belle parole de Hegel citée au début : La pensée la plus profonde est liée à la personne du Christ, historique et extérieure ; toute sorte de conscience - et là réside la grandeur du christia­nisme - peut comprendre les aspects extérieurs de ce chris­tianisme. En même temps, il fait appel à la sagesse la plus pénétrante. Le christianisme parle à tout degré de culture, mais il peut répondre aux exigences les plus hautes.

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Première conférence, Nuremberg, 18 juin 1908 :
L’Apocalypse, description de l’initiation chrétienne.

Durant une série de journées, un thème anthroposo­phique très profond, très important, va nous occuper. Avant d’aborder cette étude, laissez-moi vous exprimer ma satisfaction profonde à voir tant d’amis venus de tant de contrées d’Allemagne et même d’Europe, devant lesquels nous allons développer ici nos considérations sur ce thème profond et important. Avant toute chose, que cette satis­faction soit exprimée à nos chers amis de Nuremberg qui à coup sûr, de leur côté, ne seront pas moins heureux que celui qui vous parle de cultiver ici dans cette ville, et durant un temps relativement long, la vie anthroposo­phique en compagnie d’amis venus de l’extérieur. C’est en effet dans cette ville précisément qu’à côté d’une ardente aspiration à la connaissance des grandes vérités de la science de l’esprit, on s’est si bien appliqué, et avec une compréhension si profonde, à dépeindre ce qu’est l’atti­tude intérieure anthroposophique, ce qu’est la véritable vie anthroposophique ; cette vie anthroposophique que nous comprenons seulement quand les enseignements de la science de l’esprit ne nous sont pas de simples théories, mais deviennent pour nous ce qui imprègne d’esprit notre propre vie jusqu’au plus profond de notre âme, l’enflamme, l’élève - et qui aussi nous unit par des liens plus étroits à nos semblables, au monde entier. Sentir que tout ce qui nous apparaît extérieurement dans le monde sensible, per­ceptible à nos sens, peut être pour nous comme la physio­nomie extérieure d’une réalité invisible, suprasensible, qui en est la texture, est une chose très importante pour l’homme. À celui qui rattache l’anthroposophie à la vie, le monde avec tout ce qu’il contient apparaîtra finalement toujours plus comme l’expression, la physionomie d’une essence divine, spirituelle ; et lorsqu’il considérera le monde visible autour de lui, il lui semblera que, comme à travers les traits d’un visage, il sent ce qu’est le cœur, l’âme d’un être. Devant tout ce qui s’offre à lui dans les mon­tagnes et les rochers, dans le vêtement végétal de la terre, dans les animaux et les hommes, dans tout ce qui nous entoure, dans toutes les activités humaines, il lui semblera voir l’expression, le visage d’une réalité spirituelle, divine, sur laquelle tout repose. Cette façon de voir fait fleurir en lui une vie nouvelle ; un enthousiasme nouveau et noble l’enflamme pour ce qu’il veut entreprendre.

Laissez-moi rappeler seulement un petit exemple symp­tomatique, vécu pendant une de mes dernières tournées de conférences. Cet exemple montre que lorsqu’on le considère comme l’expression du divin, du spirituel, le cours de l’histoire du monde apparaît partout significatif et nous parle en tous lieux un nouveau langage. Il y a quelques semaines, en Scandinavie, j’ai pu percevoir com­ment la vie tout entière du Nord de l’Europe trahit encore l’écho de l’existence passée, alors que tout élément spiri­tuel était imprégné de la conscience des êtres dont les divi­nités des mythes nordiques sont le reflet. Dans ces contrées, on peut percevoir, à travers tout ce qui s’offre au regard, les échos de l’antique vie spirituelle du Nord dont les initiés des Mystères druidiques, des Mystères des Drottes, parlaient à leurs disciples. On y perçoit comme le souffle magique de la vie spirituelle du Nord, et l’on entrevoit comme l’expression de très beaux rapports karmiques. On se voit - comme cela me fut donné à Uppsala placé en quelque sorte au centre de tout cela lorsqu’on se tient devant la première traduction de la Bible, devant le Codex argenteus d’Ulfila. Il est parvenu à Uppsala comme par un étrange enchaînement de circonstances karmiques. Il était auparavant à Prague. Au cours d’une guerre, les Suédois s’en emparèrent, et il fut apporté à Uppsala où il se trouve maintenant, véritable signe parlant à celui qui peut sonder un peu le sens des anciens Mystères. Cette nature mystérique en effet, cette pénétra­tion dans le monde spirituel est, dans les anciennes civili­sations européennes, empreinte et imprégnée d’un caractère commun étrange que ressentaient profondément ceux qui, dans ces temps passés, avaient reçu cette initia­tion. Leurs cœurs étaient comme traversés du sentiment tragique que, certes, leur regard pouvait atteindre les secrets de l’existence, mais qu’à l’avenir quelque chose viendrait qui apparaîtrait comme la solution parfaite de ces énigmes. Constamment leur pensée était orientée vers une lumière plus haute dont les rayons viendraient éclairer le savoir que l’on pouvait découvrir dans les anciens Mystères. Il est per­mis de dire que prophétiquement, dans tous ces Mystères, était annoncé ce qui devait advenir : l’apparition du Christ Jésus. Le ton, l’attitude de l’attente, une atmosphère de prophétie régnaient dans tous ces Mystères nordiques.

Une phrase comme celle que je vais prononcer mainte­nant, il ne faut pas la mettre à la torture pour en extraire le sens, ni la penser en contours trop précis. Elle ne doit être que l’expression symptomatique d’une vérité très pro­fonde. Dans ce qui, comme un dernier vestige, nous a été transmis des traditions des anciens Mystères germaniques, dans la légende de Siegfried, est enclos quelque chose de l’attitude dont je parlais. Lorsqu’il nous est indiqué que Siegfried est réellement le représentant de l’ancienne ini­tiation nordique, lorsqu’il nous est indiqué qu’à l’endroit où il est vulnérable, dans le dos, une feuille s’était posée, celui qui peut ressentir qu’il y a là quelque chose de symp­tomatique éprouve ceci : c’est l’endroit du corps où quelque chose d’autre viendra prendre place lorsque l’être humain n’aura plus à recevoir la blessure qui frappait l’ini­tié des Mystères nordiques. C’est ce point du corps que doit recouvrir la croix du Christ Jésus, ignorée encore de l’initié des anciens Mystères nordiques. C’est ce fait qu’évoquent les anciens Mystères dans la légende de Siegfried. Ainsi se trouve indiquée symptomatiquement la concordance entre les anciennes initiations des Druides, des Drottes, et les Mystères du christianisme. C’est cela que rappelle aussi, comme par un trait expressif, la pré­sence de la première traduction en germanique de la Bible dans le monde nordique. Et qu’il y ait là comme un enchaînement de faits karmiques, c’est ce que peut expri­mer pour vous, par un symbole, le fait qu’un jour onze feuillets de ce document ont été volés et que, bourrelé de remords, le possesseur des feuillets ne voulut pas les garder et les restitua. Comme je le disais, il ne faut pas vouloir à toute force trouver une signification à ces choses, mais les considérer comme l’expression imagée des enchevêtre­ments karmiques dont la présence dans le monde nordique de la première traduction en germanique de la Bible est une expression. Et comme ce fait historique, tout ce que la vie nous propose, les grandes et les petites choses, nous apparaît approfondi et rayonnant d’une lumière nouvelle grâce à l’esprit anthroposophique qui nous fait voir dans tout ce qui est physiquement perceptible l’expression physionomique d’une vie suprasensible, spirituelle.

Que durant ce cours précisément la conviction nous anime qu’il en est bien ainsi ! Que d’elle naisse l’esprit, nais­sent les sentiments qui doivent, durant les douze confé­rences sur l’Apocalypse, emplir notre âme et imprégner nos cœurs. C’est dans cette attitude intérieure que nous voulons aborder ce cours, qui prend pour point de départ le plus profond des documents chrétiens : l’Apocalypse de Jean, parce que les plus profondes vérités du christianisme peu­vent vraiment lui être tout naturellement rattachées. Car ce document ne contient rien de moins qu’une grande partie des Mystères du christianisme, il contient la substance la plus profonde de ce que nous devons appeler le christia­nisme ésotérique. Rien d’étonnant par conséquent à ce que, de tous les documents, il ait été le plus mal compris. Presque dès le début du courant spirituel chrétien, il a été mal compris de tous ceux qui n’étaient pas de véritables ini­tiés chrétiens. Et il a été mal compris aux époques les plus diverses selon l’esprit et le style de ce que pensaient et éla­boraient ces époques. Il a été mal compris par les époques dont on peut dire qu’elles pensaient matériellement l’es­prit, par celles où les grands courants religieux ont été de force entraînés vers le fanatisme des partis, et il a été mal compris à l’époque moderne par ceux qui croyaient pou­voir résoudre les énigmes du monde dans l’esprit du maté­rialisme le plus grossièrement lié au sensible.

Les hautes vérités spirituelles révélées au début du christianisme, et à la vision desquelles étaient amenés ceux qui pouvaient les comprendre, se trouvent donc esquis­sées, autant qu’on peut le faire par écrit, dans l’Apocalypse de Jean, dite canonique. Mais dès les premiers temps de l’ère chrétienne, la pensée exotérique n’était guère capable de comprendre la substance profondément spirituelle que recèle le christianisme ésotérique. De sorte que, dès les tout premiers temps du christianisme, le courant exoté­rique a conçu qu’allaient se passer sur la scène extérieure, matérielle du monde civilisé les faits de l’évolution spiri­tuelle qui se déroulent sur le plan de l’esprit et sont discer­nables et accessibles à celui dont le regard pénètre dans le monde spirituel. Ainsi, alors que l’auteur de l’Apocalypse y formule les résultats de son initiation chrétienne, les autres ne les comprirent que dans un sens exotérique et pensèrent que ce que le grand clairvoyant a vu, et dont l’initié sait que le déroulement est spirituellement perceptible des millénaires à l’avance, devait s’accomplir à brève échéance dans la vie extérieure, sensible. C’est ainsi qu’on en vint à penser que l’auteur de l’Apocalypse aurait voulu parler d’une descente, d’un retour du Christ Jésus venant des nuages sensibles, physiques, dans un temps très proche. Comme ce retour ne se produisait pas, on en recula sim­plement la date en disant : Une ère nouvelle a commencé avec l’apparition du Christ Jésus, qui doit apporter un renouveau de l’ancienne religiosité. Mais elle durera - et l’on donnait à ce mot un sens matériel - mille ans, et alors s’accompliront sur le plan physique sensible les premiers événements décrits dans l’Apocalypse. - Et en effet, aux approches de l’an mil, beaucoup de gens attendirent l’ap­parition de quelque force hostile au christianisme, d’un Antichrist présent dans le monde sensible. Et comme cela ne se produisait toujours pas, on en recula à nouveau la date, mais en même temps les prédictions de l’Apocalypse furent élevées au rang de symboles, alors que les ésotéristes les plus matérialistes se les représentaient plus tangibles. Lorsque se répandit une vue du monde matérialiste, on développa une certaine conception symboliste de ces choses, et l’on vit dans la description des faits extérieurs des allusions symboliques.

Au XIIe siècle apparut un homme - mort au début du XIIIe - qui donna de ce document une explication mémo­rable : Joachim de Flore. Il était en effet d’avis que le christianisme recèle une force spirituelle profonde, que cette force devrait se répandre de plus en plus, mais que le christianisme extérieur avait constamment déformé dans un sens matériel ce christianisme ésotérique. Ainsi la conception de cet homme prit-elle chez plus d’un la forme selon laquelle cette matérialisation de la spiritualité du christianisme était due à un élément hostile, antichrétien, qu’il fallait chercher dans l’Église des papes. Et au cours des siècles suivants, cette conception se trouva alimentée du fait que certains ordres religieux accordaient une grande valeur au spiritualisme du christianisme, à l’élé­ment touchant la sensibilité spirituelle. Joachim de Flore trouva ainsi parmi les Franciscains des adeptes qui consi­déraient le pape comme le symbole de l’Antéchrist. À l’époque du protestantisme, cette conception fut reprise par ceux qui voyaient dans l’Église romaine une apostasie, et cherchaient le salut dans la Réforme. Ils voyaient plus nettement encore dans le pape le symbole de l’Antéchrist, et le pape, en revanche, le voyait dans Luther.

On comprenait l’Apocalypse de façon telle que chaque parti l’interprétait selon sa propre conception, sa propre opinion. L’adversaire était toujours l’Antéchrist, et l’on identifiait son propre parti avec le véritable christianisme. Cette situation se prolongea jusqu’à une époque récente où apparut le matérialisme moderne, si grossier que celui des premiers siècles du christianisme dont je vous ai parlé ne lui est pas même comparable. Car en ce temps-là, on avait encore une certaine foi en l’esprit, une certaine conception spirituelle. Les hommes ne pouvaient seule­ment pas le comprendre, parce qu’ils n’avaient pas d’initiés parmi eux. On avait encore un sens de l’esprit, car même si l’on se faisait de la descente d’un être sur une nuée une représentation grossièrement sensorielle, il fallait pour cela une foi en l’esprit. Avec le matérialisme grossier du XIXe siècle, ce ne fut plus possible. Les idées que se faisait de l’Apocalypse un authentique matérialiste du XIXe siècle peuvent être caractérisées ainsi : personne ne peut prévoir l’avenir, puisque moi-même je ne le puis pas. Ce que je ne peux pas voir, un autre ne peut pas le voir non plus. Parler de l’existence d’initiés, c’est le fait d’une vieille supersti­tion. Cela n’existe pas. La connaissance normale, c’est ce que moi, je sais. J’entrevois à peine ce qui arrivera dans les dix prochaines années, personne ne peut donc prédire ce qui doit arriver dans des milliers d’années. Par conséquent, pour que celui qui a écrit l’Apocalypse soit considéré comme un honnête homme, il faut qu’il ait parlé de ce qu’il a déjà vu, car moi aussi je ne connais que ce qui a déjà eu lieu et que les documents transmettent. L’auteur de l’Apocalypse ne pouvait donc rien voir d’autre. Que peut-il donc raconter ? Seulement ce qui s’est passé avant lui. Par conséquent, dans les événements de l’Apocalypse, dans les conflits entre le monde de la bonté, de la sagesse, de la beauté, et celui de la laideur, de la folie, de la méchanceté, dans cette opposition dramatique, on n’a rien d’autre à voir que ce que cet homme a vécu lui-même, et qui était déjà arrivé. - Ainsi parle le matérialiste moderne. Il pense que l’auteur de l’Apocalypse décrit les choses comme lui-même le ferait.

Qu'est-ce qui était donc, pour un chrétien des premiers siècles, la chose à peu près la plus horrible ? Ce devait être la Bête qui se dresse contre la puissance spirituelle du christia­nisme, contre le véritable christianisme. Malheureusement, si quelques hommes en ont perçu la signification de loin, ils n’ont pas pu la comprendre pleinement.

Dans certaines écoles ésotériques, on pratiquait une écriture chiffrée ; certains mots qu’on ne voulait pas com­muniquer dans l’écriture ordinaire étaient exprimés par des chiffres. Et comme pour beaucoup d’autres choses, on exprimait par des chiffres quelques-uns des profonds secrets de l’Apocalypse, et en particulier tel événement dramatique par le nombre 666. On savait que l’on devait manier les chiffres de façon particulière, notamment quand l’attention était attirée avec insistance comme par les mots : « Ici est la sagesse. » « Le nombre de la Bête est 666. » Avec ces indications, on savait qu’on doit rempla­cer les chiffres par certaines lettres pour savoir ce qu’ils signifient. Or ceux qui l’avaient entendu dire sans savoir vraiment comment faire, découvrirent, guidés par leur conception matérialiste, qu’en remplaçant les chiffres du nombre 666 par des lettres, on obtient le mot « Néron » ou « César Néron ». Et vous pouvez lire aujourd’hui, dans une grande partie des livres consacrés à l’Apocalypse, ceci : les gens étaient autrefois si peu sensés qu’ils lisaient toutes sortes de secrets dans ce passage, mais aujourd’hui le problème est résolu. Nous savons maintenant qu’il s’agit simplement de Néron, de « César Néron ». Il est clair que l’Apocalypse a été écrite après le règne de Néron, que son auteur a voulu dire qu’en Néron apparut l’Antéchrist, et que son récit dramatique évoque en les grossissant des faits antérieurs. Il suffit donc de rechercher ce qui s’est passé immédiatement avant, et l’on trouve ce que l’auteur de l’Apocalypse a voulu décrire. Il y eut en effet en Asie Mineure des tremblements de terre au moment de la lutte entre Néron et les chrétiens. C’est à ces tremblements de terre que font allusion l’ouverture des Sceaux et les sonneries des Trompettes. Il parle aussi d’invasions de sauterelles, et justement, à cette époque, il y eut des invasions de sauterelles durant les persécutions des chrétiens par Néron. L’auteur de l’Apocalypse en parle donc. C’est ainsi que le XIXe siècle est parvenu à donner un sens matérialiste au plus profond des docu­ments chrétiens, à n’y voir que ce que peut constater une observation matérialiste du monde. Ce n’est dit que pour montrer à quel point ce document le plus profond, le plus important du christianisme ésotérique, a été mal compris.

Et maintenant, nous allons réserver les commentaires historiques sur l’Apocalypse pour le moment où nous en aurons compris la signification, c’est-à-dire pour les der­nières conférences de ce cycle. Pour qui connaît déjà un peu l’anthroposophie, il ne peut y avoir aucun doute : dès les paroles d’introduction, sa nature nous est indiquée. Il nous suffit de nous les remémorer : celui dont provient ce texte a été transporté dans la solitude d’une île dont l’at­mosphère, depuis toujours, était imprégnée d’une spiritua­lité sacrée, dans un lieu de culture de Mystères antiques. Il nous est dit que celui qui formule le contenu de l’Apocalypse avait été « ravi en esprit », que ce qu’il donne a été perçu en esprit ; ce doit être pour nous tout d’abord le signe que ce contenu provient d’un état de conscience supérieur auquel l’homme parvient par le développement de la faculté créatrice de l’âme, par l’initiation. Ce que l’on ne peut ni voir ni entendre dans le monde sensible, ni per­cevoir à l’aide des sens, est contenu dans ce qu’on appelle la « révélation secrète » de saint Jean, sous la forme où le christianisme pouvait le communiquer au monde. Nous avons donc, dans l’Apocalypse de Jean, la description d’une initiation chrétienne. Il suffit que nous évoquions intérieu­rement, fugitivement, dirons-nous, ce qu’est l’initiation. Nous approfondirons toujours plus ce thème, cette ques­tion : que se passe-t-il dans l’initiation ? - et nous étudie­rons toujours plus à fond la question : quel rapport a l’initiation avec le contenu de l’Apocalypse ? - Mais tout d’abord, nous en ferons à grands traits comme une esquisse au fusain, et c’est ensuite seulement que nous passerons à une description détaillée.

L’initiation est le développement des forces et des facul­tés sommeillant en toute âme humaine. Pour se faire une image de ce qui se passe en réalité, il faut avant toute chose se représenter clairement ce qu’est la conscience de l’homme normal d’aujourd’hui ; on voit mieux alors en quoi la conscience de l’initié s’en distingue. Comment est donc la conscience de l’homme normal d’aujourd’hui ? Elle varie. Deux états tout à fait différents alternent, celui de la veille diurne, et celui du sommeil nocturne. La conscience dont nous disposons le jour, à l’état de veille, est telle que nous percevons les objets qui nous entourent, et nous les relions entre eux par des concepts qui ne peu­vent se former que grâce à un instrument physique, le cer­veau humain. Chaque nuit, le corps astral et le Je se dégagent des éléments inférieurs de l’entité humaine, du corps physique et du corps éthérique, et par là même les objets matériels autour de l’homme sombrent dans l’obs­curité pour la conscience de l’homme actuel, plongée jus­qu’au réveil non seulement dans cette obscurité, mais dans ce qu’on appelle l’inconscience totale. C’est l’obscurité complète autour de l’être. Car aujourd’hui, le corps astral de l’homme est organisé de façon telle qu’il ne peut perce­voir par lui-même rien de ce qui l’entoure. Il lui faut pour cela des instruments, et ces instruments, ce sont les sens physiques. C’est pourquoi, le matin, l’homme doit réinté­grer son corps physique pour se servir de ses sens. Pourquoi le corps astral ne voit-il rien lorsque, pendant le sommeil nocturne, il est dans le monde spirituel ? Pourquoi ne perçoit-il rien ? Pour la même raison qui fait qu’un corps physique dépourvu d’yeux et d’oreilles ne pourrait percevoir ni les couleurs ni les sons du monde physique. Le corps astral n’a pas d’organes pour percevoir le monde astral. Le corps physique était, dans la nuit des temps, dans la même situation. Il n’avait pas encore les yeux et les oreilles qui furent modelés plus tard en lui. Les éléments et les forces extérieurs le ciselèrent et formèrent ses yeux et ses oreilles, et le monde, invisible jusque-là, se révéla à lui. Supposons que le corps astral, qui se trouve actuellement dans les mêmes conditions que le corps phy­sique autrefois, puisse être à son tour traité de telle manière que des organes y soient modelés comme les yeux l'ont été par la lumière du soleil, et les oreilles par l’univers des sons, dans la masse du corps physique. Supposons que l’on puisse, dans un corps astral malléable, modeler des organes : ce corps astral serait alors dans la même situation que le corps physique actuel. Il faut donc, comme un sculpteur donnant forme à l’argile, travailler ce corps astral pour y former les organes qui perçoivent le monde suprasensible. C’est la première chose nécessaire. Si l’homme veut devenir clairvoyant, il faut que son corps astral soit traité comme l’est le bloc d’argile par le sculpteur. Il faut qu’y soient modelés des organes. C’est ce qui, de tout temps, était accompli dans les écoles d’initiation et dans les Mystères. On y travaillait à modeler des organes dans le corps astral.

Mais en quoi consiste l’activité qui les forme ? On pourrait penser qu’il faut d’abord isoler ce corps astral, l’avoir devant soi avant de pouvoir y modeler les organes. On pourrait dire : Si j’isolais le corps astral pour l’avoir sous les yeux, je pourrais y modeler les organes. - Mais ce ne serait pas là la bonne méthode, et surtout pas celle que doit suivre l’initiation moderne. Certes, un initié capable de vivre dans les mondes spirituels pourrait, lorsque durant la nuit le corps astral est dégagé, y modeler les organes comme un sculpteur. Mais ce serait agir sur un individu à son insu, intervenir dans la sphère de sa liberté sans qu’il en ait conscience. Nous verrons pourquoi, depuis assez longtemps déjà et en particulier à notre époque, cela ne doit jamais se faire. C’est pourquoi, dans les écoles ésotériques comme celle de Pythagore ou de l’É­gypte, il fallait éviter que les initiés travaillent de l’exté­rieur dans le corps astral alors qu’il était dégagé du corps physique et du corps éthérique du néophyte. Il fallait évi­ter cela dès le début de la procédure. Le premier pas vers l’initiation devait être préparé dans le monde physique ordinaire, celui où l’homme perçoit à l’aide de ses sens physiques. Mais alors, comment opérer, puisque c’est jus­tement la perception physique qui, en apparaissant dans l’évolution terrestre, a jeté un voile sur le monde spirituel qu’autrefois l’homme a pu percevoir, bien que dans une conscience assourdie ? Comment donc exercer sur le corps astral une action partant du monde sensible ?

Il nous faut ici nous représenter en quoi consiste la per­ception ordinaire, sensorielle, diurne. Que se passe-t-il donc pendant que l’homme perçoit dans la journée ? Pensez à votre vie quotidienne, suivez-la pas à pas. À chaque instant, des impressions vous assaillent du dehors. Vous les percevez, vous voyez, vous entendez, vous sen­tez, etc. Pendant tel ou tel travail, les impressions vous arrivent en foule. Vous les élaborez avec votre intellect. Le poète qui n’est pas un inspiré les transforme avec son ima­gination créatrice. Tout cela est vrai, mais ne peut conduire tout d’abord l’homme à prendre conscience de l’élément suprasensible, spirituel, qui réside derrière le sensible, derrière la matière. Pourquoi cet élément ne parvient-il pas à la conscience de l’être humain ? Parce que toute l’activité que celui-ci consacre au monde extérieur ne correspond pas au corps astral, à sa véritable nature actuelle. Autrefois, lorsque dans un passé infiniment loin­tain le corps astral qui était celui de l’homme percevait en images astrales la joie et la douleur, la sympathie et l’anti­pathie, les impulsions intérieures spirituelles étaient pré­sentes qui provoquaient en l’homme la formation d’organes. Ces impulsions furent anéanties lorsque l’être humain devint sensible à toutes les influences de l’exté­rieur. Aujourd’hui, il n’est pas possible que subsiste dans le corps astral, de toutes les impressions que l’homme reçoit durant le jour, ce qui le modèle et le forme.

Le processus de perception est le suivant : toute la jour­née, des impressions du monde extérieur affluent vers nous. Elles agissent par les sens sur les corps éthérique et astral jusqu’à ce que le Je en prenne conscience. Dans le corps astral s’impriment les effets de ce qui a impressionné le corps physique. L’œil reçoit les impressions lumineuses, qui se communiquent au corps éthérique et au corps astral, et le Je en prend conscience. Il en est de même pour les impressions qui parviennent aux oreilles et aux autres sens. Toute la journée, cette action s’exerce sur le corps astral qui est continuellement en activité sous l’effet de ce qui lui vient du dehors. Puis, le soir, il se dégage. Il ne pos­sède plus alors les forces de rendre conscientes les impres­sions venant du monde qui l’entoure. Car les anciennes forces de perception qu’il possédait dans un lointain passé ont été anéanties lors des premières perceptions du monde sensible actuel. La nuit, il est dépourvu de ces forces parce que la vie diurne dans son ensemble n’est pas faite pour lui laisser ce qui le transformerait. Tout ce que vous voyez autour de vous exerce une action sur le corps astral. Mais cette action n’est pas capable de créer des formes qui pour­raient devenir des organes astraux. Il faut donc que le pre­mier pas de l’initiation consiste à faire accomplir par l’homme quelque chose pendant la journée, à faire de son âme le champ où s’accomplisse ce qui continue d’agir quand la nuit le corps astral est séparé du corps éthérique et du corps physique. Représentez-vous donc, disons au figuré, qu’un homme pleinement conscient reçoive l’indi­cation de quelque chose à faire dont l’ordonnancement ait été choisi de façon telle que l’action s’en prolonge au-delà de la journée. Représentez-vous cet effet comme un son qui continuerait de vibrer quand le corps astral est dégagé ; cette vibration prolongée, ce seraient les forces qui exercent une action modelante, plastique, à la manière dont autre­fois les forces extérieures ont travaillé au corps physique.

Le premier pas de l’initiation a toujours consisté à faire faire au néophyte, durant la vie de veille, quelque exercice dont l’écho se prolonge dans sa vie nocturne. Tout ce qu’on a appelé méditation, concentration, et tous les exer­cices que l’homme pratiquait pendant sa vie diurne, ne sont rien d’autre que des activités de l’âme dont les effets ne s’annihilent pas quand le corps astral se dégage, mais se prolongent et deviennent dans le corps astral, pendant la nuit, des forces formatrices. On appelle cela purifier le corps astral, le purifier de ce qui ne lui convient pas. C’était le premier pas, appelé aussi catharsis, purification. Ce n’était pas encore une activité au sein des mondes suprasensibles. Elle consistait en exercices intérieurs que l’homme pratiquait durant le jour, en une sorte d’entraîne­ment de l’âme. Elle faisait acquérir certaines formes de vie, certaines attitudes intérieures dans la vie, une certaine manière de vivre qui se prolongeaient et travaillaient dans le corps astral jusqu’à ce qu’il soit transformé, jusqu’à ce que des organes s’y soient développés.

Lorsque l’homme avait progressé suffisamment pour que ces organes aient pris forme dans le corps astral, le pas suivant consistait à imprimer dans le corps éthérique ce qui avait été modelé dans le corps astral. Comme les lettres d’un cachet s’impriment dans la cire, tout ce qui avait été accompli dans le corps astral devait s’imprimer dans le corps éthérique, et c’était là le deuxième pas de l’initiation, ce qu’on appelait l’illumination. Car on parvenait ainsi à un moment très important de l’initiation. Un monde spi­rituel apparaissait autour de l’homme, comme était pré­sent auparavant le monde sensible. Cette étape est caractérisée aussi par le fait que ce qui se passe dans le monde spirituel extérieur ne s’exprime pas comme le font les choses physiques, mais en images. À ce niveau de l’illu­mination, le monde spirituel s’exprime tout d’abord en images, l’être humain voit des images. Pensez à l’initié d’autrefois dont je vous ai dit qu’il voyait l’âme-groupe du peuple. Lorsqu’il était parvenu là, il voyait tout d’abord cette âme-groupe sous forme imagée. Pensons par exemple à un initié comme Ezéchiel. Lorsque commença pour lui l’illumination, des entités spirituelles lui apparurent, les âmes-groupes des peuples parmi lesquelles il se trouvait, des âmes-groupes sous la forme de quatre animaux sym­boliques.

C’est ainsi que tout d’abord le monde spirituel se mani­festait à l’homme en images significatives. C’était le pre­mier degré. Ensuite venait une plus forte pénétration dans le corps éthérique. Aux images venait alors s’ajouter ce qu’on appelait la musique des sphères. Le monde spirituel supérieur est perçu en sonorités. Après l’avoir, par l’illu­mination, perçu en images, l’initié plus évolué commence à percevoir les sons perceptibles à l’oreille spirituelle. Puis l’on aborde une transformation ultérieure du corps éthé­rique, et dans une sphère plus élevée encore, il apparaît autre chose. Vous pouvez entendre des sons si par exemple un homme que vous ne voyez pas parle derrière un para­vent. Il en est à peu près de même avec le monde spirituel. Il se présente tout d’abord en images, puis il retentit, et le dernier voile tombe - comme si l’on enlevait l’écran der­rière lequel l’homme parle : nous voyons l’homme lui-même. Nous voyons le monde spirituel lui-même, les êtres du monde spirituel. Nous percevons tout d’abord les images, puis les sons, puis les êtres, et enfin la vie de ces êtres. Les images de ce qu’on appelle le monde imaginatif, on ne peut que les esquisser en se servant comme symboles des images puisées au monde sensible. On ne peut donner qu’une idée de la musique des sphères par des comparai­sons avec la musique physique. Mais qu’est-ce qui est comparable à la vision des êtres au troisième degré ? On ne peut lui comparer que ce qui constitue aujourd’hui l’être le plus intime de l’homme, son activité accomplie dans l’esprit de la volonté divine universelle. Lorsque l’homme agit conformément à la volonté de ces entités spirituelles qui font progresser notre univers, sa nature devient semblable à la leur, et il percevra ce qui vit dans cette sphère. Ce qui en lui s’oppose à l’évolution de l’uni­vers, ce qui retarde le progrès du monde, il le perçoit alors comme quelque chose à éliminer, comme un dernier voile qui doit tomber.

L’homme perçoit donc tout d’abord un monde d’images, expression symbolique du monde spirituel ; puis le monde de l’harmonie des sphères, expression symbo­lique d’une sphère spirituelle plus élevée ; puis un monde d’entités spirituelles qu’il ne peut se représenter aujour­d’hui qu’en le comparant avec ce qu’on a en soi de plus profond, avec ce qui nous pousse à agir dans le sens des forces bonnes, ou bien dans le sens des forces mauvaises.

Ces étapes, le néophyte les parcourt, et l’Apocalypse de Jean en est la description fidèle. Le point de départ, c’est le monde physique. Ce que l’on peut dire tout d’abord avec les moyens du monde physique est dit dans les sept Lettres aux Églises. Ce qu’on veut faire dans le cadre de la civilisation physique, ce qu’on veut dire à ceux qui agissent dans le monde physique, on le leur dit dans des lettres. Car le mot formulé dans une lettre peut avoir une action dans le monde sensible. Le premier degré donne des sym­boles qui doivent être reliés à ce qu’ils expriment dans le monde spirituel : après les sept Lettres vient le monde des sept Sceaux, le monde des images, le premier degré de l’initiation. Puis vient le monde de l’harmonie des sphères tel que le perçoit celui qui peut entendre en esprit. Il est représenté par les sept Trompettes. Le monde suivant, dans lequel l’initié perçoit des êtres, est représenté par ceux qui apparaissent à ce niveau et qui rejettent les Coupes, les forces opposées aux forces bonnes de Dieu. Le contraire de l’amour divin, c’est la colère divine. Le véritable visage de l’amour divin, qui fait progresser le monde, est perçu dans cette troisième sphère par ceux qui, pour le monde phy­sique, se sont libérés des sept Coupes de colère.

Voilà comment le néophyte est conduit graduellement à travers les sphères de l’initiation. Dans les sept Lettres de l’Apocalypse de Jean, nous avons ce qui relève des sept catégories du monde physique ; dans les sept Sceaux, ce qui appartient au monde imaginatif ou astral ; dans les sept Trompettes, ce qui appartient au monde spirituel, au dévachan supérieur ; et dans les sept Coupes de colère, ce qui doit être rejeté quand l’homme veut accéder au degré de spiritualité le plus élevé que l’on puisse atteindre dans notre monde, parce que ce domaine spirituel supérieur est encore en rapport avec celui-ci.

Nous ne voulions établir aujourd’hui que la structure extérieure de ce qu’est l’Apocalypse de Jean. Quelques traits rapides et peu nombreux ont pu nous indiquer que l’Apocalypse est un écrit initiatique. Nous ferons demain les premiers pas vers le développement de cette esquisse rapide.

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Deuxième conférence, 19 juin 1908 :
La nature de l’initiation. Les premier et deuxième Sceaux.

Dans une sorte d’introduction, nous avons caractérisé hier dans son ensemble l’esprit de l’Apocalypse de Jean. Nous avons essayé de tracer quelques grandes lignes direc­trices qui peuvent nous montrer que dans ce texte est décrit ce qu’on peut appeler une initiation chrétienne. Aujourd’hui, ma tâche consistera à vous décrire la nature de l’initiation en général, à vous décrire ce qui se passe en l’homme lorsqu’il doit devenir capable de voir par lui-même dans les mondes spirituels qui sont derrière le monde sensible, et ma tâche consistera également à décrire en quelques grands traits la nature des expériences faites au cours de l’initiation. Car c’est seulement en étudiant de plus près sa nature que nous parviendrons peu à peu à sai­sir le sens de cet important document religieux qu’est l’Apocalypse.

Il nous faut tout d’abord considérer avec précision les deux états de la conscience humaine : celui du jour, qui dure depuis le matin, où l’homme s’éveille, jusqu’au soir où il s’endort, et l’autre, qui commence avec le sommeil pour cesser au réveil. Nous avons souvent évoqué le fait que l’être humain, tel qu’il nous apparaît actuellement, est une entité quadruple, qu’il est constitué du corps physique, du corps éthérique, du corps astral et du Je. Par rapport à sa forme extérieure, ces quatre éléments apparaissent à la conscience clairvoyante de telle façon que le corps physique se trouve au centre comme une sorte de noyau. Laissez-nous représenter la chose schématiquement (le conférencier fait un croquis). Ce corps physique est, pendant la journée, impré­gné par ce qu’on appelle le corps éthérique, qui ne le dépasse que très peu d’un léger rayonnement entourant la tête, qu’il imprègne entièrement. Vers le bas, il devient toujours plus nébuleux, indistinct, et plus nous allons vers les membres inférieurs, moins il épouse la forme du corps physique.

Pendant la journée, ces deux organismes de l’entité humaine sont à leur tour entourés par ce que nous appe­lons le corps astral, qui les dépasse de tous côtés, et dont la forme de base elliptique, ovoïde, est pourvue de rayons lumineux qui, en fait, semblent venir du dehors pour converger vers l’intérieur. Ce corps astral est incessamment traversé par d’innombrables figures très diverses, par toutes sortes de lignes et de rayons, parfois d’éclairs, ou de lignes sinueuses étranges. Tout cela entoure l’homme des phénomènes lumineux les plus divers. Le corps astral est l’expression de ses passions, de ses instincts, de ses pulsions et de ses désirs, mais aussi de toutes ses pensées, de toutes ses représentations. La conscience clairvoyante y voit la trace laissée par toutes les expériences de l’âme, des pul­sions les plus basses jusqu’à l’idéal moral le plus élevé. Puis nous avons le quatrième élément de l’entité humaine, que l’on aimerait dessiner par des rayons convergeant vers un point situé à environ un centimètre derrière le front. Telle serait la représentation schématique de l’homme dans sa quadruple constitution. Nous verrons au cours de ces conférences quel rôle revient à chacun des éléments dans cet ensemble.

Tel est l’homme pendant la journée, du matin où il s’éveille jusqu’au soir où il s’endort. Le soir, le corps phy­sique et le corps éthérique restent dans le lit, tandis que s’en dégage ce que nous avons appelé le corps astral. Qu’il s’en « dégage » est une expression un peu inexacte. En réalité, c’est comme si une sorte de nuée se formait, si bien que la nuit nous voyons le corps astral séparé du corps physique et du corps éthérique, entourant l’être humain d’une sorte de nuée en forme de spirale, tandis que le quatrième élé­ment constitutif disparaît presque entièrement d’un côté, perdant toute forme précise. La partie inférieure du corps astral n’est plus que très faiblement visible, la partie supé­rieure est ce que nous appelons le corps astral dégagé.

Nous avons déjà souligné hier ce qui doit se passer en l’homme pour qu’il reçoive l’initiation. Il ne peut y parve­nir s’il ne se consacre qu’aux préoccupations habituelles aux hommes de notre temps. Il faut qu’il y soit préparé en pratiquant pendant la vie ordinaire les exercices que pres­crivent les écoles d’initiation : la méditation, la concentra­tion, etc. Au fond, par leur signification, ces exercices sont les mêmes dans toutes les écoles d’initiation. Ils ne diffè­rent un peu que dans la mesure où, alors qu’on remonte dans le passé vers les écoles initiatiques préchrétiennes, ils visent davantage à exercer, à développer les forces du pen­ser. À mesure que nous approchons de l’ère chrétienne, ils visent plutôt à développer les forces de la sensibilité, et plus nous approchons des temps modernes, plus nous voyons que, dans ce qu’on appelle les écoles rosicruciennes, déterminées par les exigences et les besoins de l’humanité, c’est une culture particulière de la volonté, la pratique d’exercices formant la volonté qui sont instau­rées. Bien que tout d’abord les méditations soient ana­logues à celles des autres écoles, c’est un entraînement particulier des forces de la volonté qui forme partout la base des exercices rosicruciens. Mais ce qui importe et qui était obtenu par les exercices de l’école orientale des Mystères aussi bien que par ceux de l’école égyptienne ou pythagoricienne, etc., et ce qui rend efficaces aussi les exercices ayant surtout pour point de départ la méditation de l’Évangile de Jean, c’est que l’action exercée sur l’homme pendant la veille, ne serait-ce que peu de temps, disons cinq ou quinze minutes seulement, se prolonge lorsqu’avec le sommeil le corps astral se dégage. Peu à peu, chez un homme qui pratique, disons, de ces exercices occultes, le corps astral révèle, pendant la nuit, les trans­formations les plus variées. Il montre d’autres phénomènes lumineux, et cette répartition plastique des organes dont nous avons parlé, qui se précise de plus en plus. Le corps astral est pourvu peu à peu d’une organisation interne analogue à celle qui a pourvu le corps physique d’yeux, d’oreilles, etc.

Mais cela ne conduirait pas encore à voir grand-chose, surtout chez l’homme d’aujourd’hui. Certes, quand ses organes internes sont formés depuis quelque temps, il per­çoit déjà certaines choses. Il commence alors à rester conscient dans son sommeil. De l’obscurité totale habi­tuelle, des mondes spirituels se dégagent confusément. Ce que l’homme peut alors percevoir, ce qu’il a perçu dans le passé notamment, car aujourd’hui c’est déjà plus rare, ce sont de merveilleuses images de la vie végétale. Telles sont les acquisitions les plus primitives de la clairvoyance. Là où ne régnait autrefois que la nuit de l’inconscience surgit comme en un rêve, mais vivante et réelle, une sorte de forme végétale. Beaucoup de choses décrites dans les mythologies des peuples anciens ont été perçues de cette manière. Lorsque la légende nordique raconte que Wotan, Vili et Vé trouvèrent un arbre sur une plage et qu’ils en firent un être humain, elle indique qu’une telle image a d’abord été perçue. Dans toutes les mythologies, vous pouvez rencontrer ce mode primitif de perception, de vision végétale. Le Paradis est aussi la description d’une telle vision, notamment avec ses deux arbres, celui de la Connaissance et celui de la Vie ; c’est une acquisition de la voyance astrale. Ce n’est pas sans raison que, dans la Genèse elle-même, le Paradis et en général tout ce qui est décrit au début du récit biblique nous sont présentés comme une telle vision. Il faut seulement apprendre à lire la Bible, et l’on comprendra avec quelle profondeur et quelle richesse de sens elle conserve dans ses descriptions cet état mystérieux de la conscience. Autrefois, on ne don­nait pas du Paradis, du début de la Bible, le même ensei­gnement qu’aujourd’hui. On indiquait qu’Adam « tomba dans un profond sommeil », et c’était dans ce sommeil, disait-on aux premiers chrétiens, qu’Adam avait eu la vision rétrospective de tous les événements décrits dans la Genèse. C’est seulement aujourd’hui qu’on croit que ces paroles se trouvent là par hasard. Elles ne sont pas là par hasard. Chaque mot dans la Bible est riche d’un sens pro­fond, et seul peut le comprendre celui qui accorde à cha­cun sa valeur.

Tel était donc le premier pas à faire, mais qui devait être suivi d’un autre, particulier, dans les Mystères préchré­tiens. Lorsque donc l’homme, pendant assez longtemps - car c’était très long -, avait pratiqué ses exercices, lorsqu’il avait à peu près reçu ce qui était nécessaire pour mettre de l’ordre dans son âme, lorsqu’il avait acquis l’équivalent de ce que nous appelons aujourd’hui l’anthroposophie, il accédait alors à l’initiation antique proprement dite. En quoi consistait-elle ?

Il ne suffit pas que des organes se développent dans le corps astral. Il faut qu’ils s’impriment dans le corps éthérique. Comme un cachet grave son empreinte dans la cire, les organes du corps astral doivent s’imprimer dans le corps éthérique. Dans ce but, lors des initiations d’autre­fois, le néophyte était plongé dans un état tout à fait par­ticulier, semblable à la mort, et durant trois jours et demi. Nous discernerons toujours mieux qu’aujourd’hui on ne peut ni ne doit plus pratiquer cette opération ; on utilise aujourd’hui d’autres moyens. Ce que je décris maintenant, c’est l’initiation préchrétienne, dans laquelle le futur initié était plongé, par celui qui connaissait cette procédure, dans un état semblable à la mort durant trois jours et demi. Ou bien on le plaçait dans une petite pièce, dans une sorte de tombeau. Il y reposait dans un état voisin de la mort. Ou bien il était lié dans une position particulière à une croix, les bras étendus, ce qui l’aidait à entrer dans l’état que l’on voulait obtenir.

Nous avons appris par les conférences les plus diverses que la mort intervient chez l’homme quand le corps éthérique, le corps astral et le Je se dégagent, ne laissant que le corps physique. Il se produit ainsi à la mort quelque chose qui sinon n’arrive jamais dans le cours normal de la vie. Le corps éthérique n’abandonne jamais le corps physique, même dans le sommeil le plus profond. Pendant cet état semblable à la mort, une partie au moins du corps éthé­rique quittait aussi le corps physique, et se trouvait alors en dehors de celui-ci. Comme vous le savez, dans le lan­gage des conférences plus exotériques, on dit que le corps éthérique est « extrait ». Ce n’est pas exactement le cas. Mais nous pouvons, maintenant seulement, faire de ces distinctions subtiles. En fait, pendant ces trois jours et demi où le prêtre-initiateur veillait tout spécialement sur le néophyte, celui-ci se trouvait dans un état où seule la partie inférieure de son corps physique était unie au corps éthérique. C’est là le moment où le corps astral, avec tous les organes qui s’y sont formés, s’imprime dans le corps éthérique, et où se produit l’illumination. Lorsqu’on réveillait le néophyte après trois jours et demi, il était intervenu ce que l’on appelle l’illumination, qui succède à la purification, laquelle consiste seulement en la formation des organes du corps astral. Dès lors, le disciple était capable de connaître le monde spirituel. Ce qu’il avait vu auparavant n’était qu’un stade préliminaire à cette contemplation. Le monde constitué d’une sorte de forma­tions reproduisant surtout des plantes était maintenant complété par des formes essentiellement nouvelles.

Nous en venons maintenant à caractériser de façon plus précise ce que l’initié commençait à contempler. Conduit maintenant jusqu’à l’illumination, il savait en s’éveillant qu’il avait vu quelque chose dont auparavant il n’avait acquis aucune connaissance. Qu’avait-il donc vu ? Quelle image significative lui rappelant cette contemplation pou­vait-il, en un certain sens, évoquer dans son âme ? Si nous voulons nous expliquer ce que l’intéressé avait vu, il nous faut regarder un peu l’évolution de l’homme et nous rap­peler que c’est progressivement seulement que l’homme a atteint le degré de conscience individuelle qu’il possède aujourd’hui. Il n’a pas toujours pu se dire « je » à lui-même comme il le fait aujourd’hui. Il nous suffit de remonter au temps où les Chérusques, les Hérules, etc., peuplaient les contrées où vivent les Allemands aujourd’hui. Alors l’indi­vidu ne se ressentait pas comme un Je isolé, mais comme un élément de sa tribu. De même que les doigts de la main ne se ressentent pas comme ayant une existence indépen­dante, le Chérusque n’avait pas de lui-même un sentiment tel qu’il pouvait vraiment se dire à lui-même : « je ». Le moi était celui de toute la tribu. Celle-ci constituait un orga­nisme et les groupes d’êtres humains unis par les liens du sang avaient pour ainsi dire une âme-moi en commun. Tout comme vos deux bras font partie de votre Je, vous étiez vous-mêmes les membres d’une grande communauté à cette époque.

Cela est encore distinctement perceptible chez le peuple de l’Ancien Testament. Chacun s’y considérait comme un membre de la communauté. Le fait est que l’individu, lorsqu’il prononçait le « je » ordinaire, ne parlait pas vraiment de lui-même ; il sentait présent en lui quelque chose de plus profond lorsqu’il disait : « Moi et le Père Abraham sommes un. » Car pour lui, une certaine conscience du Je remontant à Abraham parvenait à chaque individu à travers toutes les générations. Tous ceux qui étaient liés par le sang étaient englobés dans un Je unique. C’était comme une âme-groupe embrassant le peuple entier, et ceux qui y voyaient clair disaient : Ce qui consti­tue vraiment notre être le plus intime, éternel, ne réside pas en un seul de nous, mais dans le peuple entier. Tous les individus font partie de ce moi commun. - C’est pour­quoi aussi chacun savait qu’en mourant il s’unirait à une entité invisible remontant jusqu’au Père Abraham. Il sen­tait réellement qu’il s’élèverait jusqu’au giron d’Abraham. Il se sentait protégé par l’âme-groupe du peuple comme au sein de l’éternité. Cette âme-groupe ne pouvait pas des­cendre sur le plan physique, où les hommes ne voyaient que des formes humaines isolées ; mais celles-ci n’étaient pas pour eux la réalité, la réalité était dans le monde spiri­tuel. Ils pressentaient que la force qui passe à travers le sang était de nature divine. Et voyant nécessairement Dieu en Jéhovah, ils appelaient Yahweh ce principe divin et Michaël sa face. Ils considéraient Yahweh comme l’âme-groupe de leur peuple.

Ces entités spirituelles, l’individu ne pouvait pas les voir ici-bas. Il n’était donné qu’à l’initié de contempler les âmes-groupes les plus importantes, lorsqu’il vivait le moment grandiose où son corps astral apposait son empreinte dans son corps éthérique. Lorsqu’en effet nous reportons le regard vers le passé de l’humanité, nous constatons partout que le Je actuel s’est développé à partir de cette conscience collective, de ce moi-groupe. Plus le voyant remonte en arrière, et plus il voit les individus s’unissant entre eux pour former les âmes-groupes. Or il existe quatre types principaux d’âmes-groupes, quatre pro­totypes. Lorsqu’on prend les différentes âmes-groupes, on voit qu’elles ont entre elles une certaine ressemblance, mais aussi des différences. En les répartissant, on obtient quatre groupes, quatre prototypes, que l’on distingue net­tement quand le regard clairvoyant remonte à cette époque où l’homme n’avait pas encore revêtu un corps de chair, n’était pas encore descendu sur la Terre. Car main­tenant il nous faut nous représenter avec précision le moment où l’homme est descendu des régions spirituelles vers un corps de chair. Ce moment, nous ne pouvons le décrire qu’à l’aide de grands symboles.

Il y eut une époque où notre Terre était faite d’une matière beaucoup plus malléable qu’aujourd’hui, où rochers et pierres n’étaient pas aussi durs qu’aujourd’hui, où les formes végétales étaient différentes, où l’univers for­mait comme un océan primordial contenant toutes choses, où l’air et l’eau n’étaient pas distincts, où de tous les êtres qui aujourd’hui habitent la Terre, seuls les ani­maux et les plantes avaient pris forme dans l’eau. Lorsque les minéraux commencèrent à prendre leur forme actuelle, on put dire que l’homme émergeait de l’invisibilité. Et il apparaissait au candidat à l’initiation enveloppé d’une sorte de gaine, descendant des régions correspondant à ce qu’est aujourd’hui l’atmosphère. Les hommes n’étaient pas encore présents dans un corps physique dense, alors que l’animal l’était déjà dans un corps de chair. Même à l’ère lémurienne, ils étaient encore des êtres « aériens ». Et ils se sont répartis en quatre âmes-groupes qui apparaissent au clairvoyant en images : d’un côté celle du Lion, de l’autre celle du Taureau, en haut quelque chose comme celle de l’Aigle, et en bas, au milieu, quelque chose qui ressemble à un homme. C’est ainsi qu’apparaît l’image perçue par clairvoyance. Ainsi l’homme émergea des ténèbres du pays des esprits. La force qui l’a construit apparaît autour de lui, formant une sorte d’arc-en-ciel. Les forces plus voi­sines du physique entourent cette forme humaine à la façon d’un arc-en-ciel. - Il faut que cette naissance de l’homme soit décrite dans les domaines les plus différents et de la manière la plus variée. Ici, nous la décrivons telle qu’elle apparaît au regard rétrospectif du chercheur : telles ces quatre âmes-groupes se dégageant d’une essence com­mune, divine et humaine à la fois, descendue vers la Terre. Depuis toujours, on a représenté symboliquement ce moment sous la forme que vous trouvez sur le deuxième de ce qu’on appelle les sept Sceaux occultes. C’en est la représentation symbolique, mais elle est plus qu’un simple symbole. Vous avez, émergeant de l’infini spirituel indé­terminé, ces quatre âmes-groupes entourées d’un arc-en-ciel, et le nombre douze. Ce nombre, il nous faut aussi comprendre ce qu’il signifie.

Lorsque vous voyez apparaître ce qui vient d’être décrit, vous avez, dans la perception clairvoyante, le sentiment suivant : quelque chose apparaît, sortant d’une réalité spi­rituelle indéterminée, et qui est entouré d’une forme de tout autre nature. Et ce qui est autour fut autrefois sym­bolisé par le cercle du Zodiaque, par les douze signes du Zodiaque. Le moment où l’on accède à la clairvoyance est encore lié à bien d’autres expériences. La première chose que perçoit celui dont le corps éthérique se dégage, c’est la sensation de s’étendre, de se dilater jusqu’à se confondre avec tout ce qu’il perçoit. Le moment vient où l’initié se dit : Non seulement je vois ces quatre formes, mais je suis en elles, j’ai dilaté mon être jusqu’à les englober. - En per­cevant ce qui est symbolisé par le Zodiaque et le nombre douze, il s’identifie avec. Tout ce qui entoure ce qui se dévoile, nous le comprendrons encore mieux en nous remémorant que notre Terre a passé par plusieurs incarna­tions antérieures. Nous savons en effet qu’avant de deve­nir Terre, elle a passé par l’état de l’ancien Saturne, puis par celui de l’ancien Soleil, par celui de l’ancienne Lune, et qu’enfin seulement elle devint la Terre actuelle. Tout cela était nécessaire. C’est seulement ainsi que devint pos­sible l’apparition sur la Terre actuelle des êtres qui y sont nés et qui durent peu à peu se développer en passant par de telles métamorphoses.

Si donc on remonte à un lointain passé, on contemple le premier état de notre Terre, l’ancien Saturne qui, au début de son existence, n’était pas même lumineux, et n’existait qu’à l’état d’une sorte de chaleur. Vous n’auriez pas pu le voir sous la forme d’une sphère brillante, mais en vous approchant de lui, vous seriez entrés dans un espace plus chaud, justement parce qu’il n’existait qu’à l’état calorique.

On pourrait se demander : la formation de l’univers a-t-elle commencé avec Saturne ? D’autres états n’ont-ils pas peut-être provoqué ce qui est devenu Saturne ? D’autres incarnations planétaires ne l’ont-elles pas pré­cédé ? - Mais il serait difficile de remonter au-delà de Saturne, parce qu’en effet c’est là seulement que com­mence quelque chose en l’absence de quoi nous ne pou­vons pas remonter au-delà. C’est en effet avec lui que commence ce que nous appelons le temps. Il y eut aupa­ravant d’autres formes d’existence, mais à vrai dire nous ne pouvons pas parler d'« auparavant », parce que le temps n’existait pas encore. Car le temps, lui aussi, a eu un com­mencement. Avant Saturne, il n’y avait pas de temps, il n’y avait que l’éternité, la durée ; tout existait simultanément. Que les phénomènes se succèdent, cela n’a commencé qu’avec Saturne. Dans la situation de l’univers où il n’y a qu’éternité, durée, il n’y a pas non plus de mouvement. Car pour qu’il y ait mouvement, il faut que le temps existe. Mais avant Saturne, le temps ne s’écoule pas, il n’y a que durée, immobilité ; comme on dit aussi en occul­tisme : c’est un état d’ineffable repos dans la durée. Telle est l’expression juste : un état d’ineffable repos dans la durée a précédé Saturne. Le mouvement des corps célestes n’a pris naissance qu’avec Saturne, et l’orbe esquissé par les douze constellations du Zodiaque fut conçu comme en étant le signe. Le temps mis par une planète à parcourir une de ces constellations fut appelé une « heure du monde », considéré comme une « heure cosmique ». Douze heures cosmiques, douze heures de jour, douze heures de nuit ! Chaque phase d’évolution cosmique - Saturne, Soleil et Lune - compte une succession d’heures cos­miques qui sont groupées en jours cosmiques. De ces douze époques, sept sont extérieurement perceptibles, et cinq plus ou moins invisibles dans leur déroulement. On distingue donc sept cycles saturniens, c’est-à-dire sept grandes journées et cinq grandes nuits saturniennes. Vous pouvez dire aussi cinq jours et sept nuits, car le premier et le dernier de ces jours sont crépusculaires. On a l’habitude d’appeler manvantara ces sept jours cosmiques, et pralaya les cinq nuits cosmiques. Si l’on utilise notre manière de calculer le temps, on réunit les états planétaires deux à deux, donc Saturne et Soleil, Lune et Terre. On obtient ainsi vingt-quatre cycles qui constituent des époques essentielles dans l’évolution du monde. On peut se les représenter comme régies par les entités cosmiques men­tionnées dans l’Apocalypse sous le terme les vingt-quatre Vieillards, qui règlent la marche de l’univers et le temps. Sur le Sceau, ils sont indiqués par l’horloge cosmique. Les chiffres de l’horloge sont seulement cachés par les doubles couronnes des vieillards, pour indiquer que ce sont les rois du temps qui gouvernent les mouvements des corps célestes.

L’initié revoit donc tout d’abord ces images du passé. Il nous faut maintenant nous demander : Pourquoi l’initié revoit-il cette image ? Parce qu’en elle sont représentées par un symbole astral les forces astrales qui ont donné sa forme actuelle au corps éthérique, et d’après celui-ci le corps physique. Il vous est facile de vous le représenter. Imaginez l’homme couché dans son lit, ayant, avec son corps astral et son Je, quitté son corps éthérique et son corps physique. Or, tels qu’ils sont aujourd’hui, l’astral et le Je appartiennent nécessairement aux corps physique et éthérique. Ceux-ci ne peuvent pas exister par eux-mêmes. Ils sont devenus tels parce que le corps astral et le Je leur ont été incorporés. Dépourvu d’astral et de Je, un corps physique n’aurait ni sang ni système nerveux. C’est pour­quoi la plante peut vivre sans corps astral et sans Je : elle n’a ni sang ni nerfs. Le système nerveux est en effet lié au corps astral et le sang au Je. Aucun être n’a dans son corps physique un système nerveux qui ne soit imprégné d’un corps astral, ni de système sanguin sans qu’un Je y soit pré­sent. Réfléchissez à ce que vous faites chaque nuit : vous abandonnez sans regret vos corps physique et éthérique, et vous les laissez livrés à eux-mêmes avec le système sanguin et le système nerveux. S’il ne tenait qu’à vous, votre corps devrait entrer en décomposition du fait que vous quittez votre système nerveux et votre système sanguin. Il mour­rait au moment où votre corps astral et votre Je quitte­raient vos corps physique et éthérique. Mais le regard clairvoyant perçoit que d’autres entités, des entités spiri­tuelles supérieures, viennent alors y prendre place. Il les voit y pénétrer et faire ce que l’homme lui-même ne fait pas pendant la nuit : prendre soin de son sang et de son système nerveux. Or ce sont ces mêmes entités qui ont formé l’homme éthérique et physique, non pas simple­ment aujourd’hui, mais d’incarnation en incarnation. Ce sont ces mêmes entités qui, sur Saturne, ont fait apparaître le premier germe du corps physique et qui, sur l’ancien Soleil, ont modelé le corps éthérique. Ces êtres qui ont, dès les origines saturniennes et solaires, élaboré les corps physique et éthérique de l’homme, agissent encore en lui toutes les nuits pendant qu’il dort et abandonne sans regret son corps physique et son corps éthérique, les livrant pour ainsi dire à la mort ; ils le pénètrent alors et prennent soin de ses systèmes nerveux et sanguin.

C’est pourquoi aussi il est compréhensible qu’au moment où le corps astral entre en contact avec le corps éthérique pour s’y imprimer, alors que l’homme est péné­tré par ces forces qui l’ont formé, il en voit l’image, sym­bolisée dans le deuxième Sceau. Ce qui le maintient en vie et le relie à tout le cosmos s’éclaire à ce moment de l’ini­tiation. Il voit ce qui a formé le corps physique et le corps éthérique, ce qui assure chaque nuit leur existence. Mais il n’a encore aucune part à cette œuvre, car il ne peut pas encore exercer une action sur ces deux éléments constitu­tifs de son être. S’ils ne dépendaient que de lui, son corps physique et son corps éthérique, reposant dans son lit durant la nuit, seraient réduits à une existence végétative. C’est pourquoi l’homme est inconscient dans l’état de sommeil, comme l’est toujours la plante.

Qu’en est-il alors de ce qui, pendant le sommeil, se dégage de l’homme ordinaire, qu’en est-il du corps astral et du Je ? Ils ne sont pas non plus conscients pendant la nuit. L’homme ordinaire ne perçoit pendant le sommeil noc­turne rien de ce qui se passe dans le corps astral. Mais sup­posez que vous vous exerciez à passer par les sept degrés de l’initiation johannique, ces étapes importantes de l’initia­tion chrétienne qui développe la sensibilité. Alors, non seu­lement il se produirait pour vous ce qui vient d’être décrit, mais outre que vous pourriez développer une certaine force de clairvoyance au moment où le corps astral et le corps éthérique entrent en contact, il se produirait encore autre chose. L’être humain deviendrait conscient de la nature propre de l’âme, des qualités psychiques-humaines du monde astral et du monde dévachanique d’où cette âme tire son origine. À cette vision vient s’ajouter un symbole plus élevé encore, et qui semble embrasser le monde entier. À ce symbole de l’ancienne initiation s’ajoute, pour celui qui passe par les étapes de l’initiation johannique, quelque chose qui est représenté au mieux par le premier Sceau. Il voit apparaître le Prêtre-Roi avec sa ceinture d’or, ses pieds semblables à du métal en fusion, sa cheve­lure blanche comme de la laine ; une épée flamboyante sort de sa bouche, et il tient à la main les sept étoiles : Saturne, Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus.

La forme qui se trouve au centre du deuxième Sceau n’était indiquée dans l’ancienne initiation que sous la forme de la cinquième âme-groupe. Elle n’existait qu’en germe dans l’humanité des temps anciens et ne s’est développée que dans l’initiation chrétienne : c’est ce qu’on appelle aussi le « Fils de l’Homme », celui qui gouverne les sept étoiles lorsqu’il apparaît à l’homme dans sa vraie réalité.

Cette représentation tout d’abord symbolique des choses doit avant tout nous montrer clairement que les différents éléments qui, chez l’homme actuel, se séparent en deux - corps physique et corps éthérique d’un côté, corps astral et Je de l’autre - peuvent être maniés de telle façon que chacun peut apporter sa contribution au moment de l’initiation : d’abord lorsque le corps astral entre en contact avec le corps éthérique, où les quatre âmes-groupes deviennent visibles, puis lors de l’entraîne­ment par lequel passe le corps astral et qui le rend clair­voyant. Autrefois, la vision proprement dite dans le monde suprasensible atteignait tout au plus une sorte de participation à la vie végétale du cosmos. Par l’initiation chrétienne, un degré plus élevé est atteint par le corps astral, symbolisé par ce que montre le deuxième Sceau.

Vous avez ainsi, décrites conformément au principe de l’initiation, les deux choses que vous trouvez au début de l’Apocalypse. Simplement, l’auteur les a placées dans l’ordre inverse, et ceci à bon droit. Il décrit tout d’abord le visage du Fils de l’Homme, de Celui qui est, qui fut et qui sera, et ensuite l’autre vision. L’un et l’autre sont des sym­boles de ce que vit l’initié pendant l’initiation. Nous avons ainsi évoqué en notre âme ce qui s’accomplit dans certains cas de l’initiation, et qui est vécu tout d’abord.

Nous poursuivrons demain par les détails de ces expé­riences réellement vécues, et nous les verrons reflétées dans la description grandiose de l’Apocalypse de Jean.

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Troisième conférence, 20 juin 1908 :
Les Lettres aux sept communautés.

Nous avons pu montrer hier, à la fin de notre étude, ce que l’initiation spécifiquement chrétienne, celle qui plus tard est devenue, disons, l’initiation chrétienne rosicrucienne, révèle tout d’abord dans un grand symbole plein de sens. Nous avons montré l’importance de ce grand symbole, de ce signe de l’initiation chrétienne que l’on désigne aussi par l’expression : le « Fils de l’Homme », Celui qui tient dans sa main droite les sept étoiles et de la bouche duquel sort l’épée à deux tranchants. Nous avons vu que cette initiation permet d’atteindre un certain degré supérieur de la clairvoyance dans le champ du Je et du corps astral, hors du physique et du corps éthérique. C’est ce que nous allons maintenant étudier de plus près.

Par toute initiation, l’homme parvient à embrasser du regard et à connaître ce que l’on ne peut discerner qu’à l’aide, des yeux de l’esprit, et qui n’est transparent qu’à l’observation spirituelle. Or, parmi les choses que doit connaître celui qui doit être initié au sens chrétien, la première et la plus impor­tante, c’est l'évolution de l’humanité à notre époque, afin que chacun puisse discerner plus amplement les tâches incombant à l’homme. Car tout ce qu’une connaissance supérieure, un développement plus parfait doit donner à l’homme, est lié à cette question : Que suis-je et à quelle tâche suis-je appelé à notre époque ? C’est la réponse à cette question qui est tout d’abord d’une grande importance.

Chaque degré de l’initiation conduit à un point de vue supérieur de la réflexion humaine. Dès la première conférence, nous avons pu montrer comment l’être humain accède graduellement d’abord à ce que nous nom­mons le monde imaginatif, où il apprend à connaître le sens chrétien des sept Sceaux, puis à ce que nous appelons la connaissance inspirée, où il entend retentir les sept Trompettes, enfin à un niveau plus élevé encore - où il devient capable de distinguer la véritable signification et la nature des êtres spirituels, au niveau de ce qu’on appelle les Coupes de colère. Il nous faut maintenant considérer un degré déterminé de l’initiation pour ainsi dire. Imaginons l’être humain parvenu justement au degré que nous avons décrit à la fin de la précédente conférence. Nous nous le représentons justement au seuil où entre les êtres les plus subtils de notre monde physique et de celui qui lui est immédiatement proche, le monde astral, il lui est permis de contempler, comme du sommet d’une montagne, ce qui est au-dessous de lui. Que peut-il alors contempler du haut de ce sommet de l’initiation ?

I. Ère polaire
II. Ère hyperboréenne
III. Ère lémurienne
IV. Ère atlantéenne
a) Déluge
1. Époque proto-indienne
2. Époque proto-perse
3. Époque chaldéo-égyptienne
4. Époque gréco-latine
5. Époque actuelle
6. A venir
7. A venir
b) Guerre de tous contre tous
VI. Sixième ère
VII. Septième ère

Il voit là en esprit tout ce qui s’est passé concernant son entité intérieure depuis que le Déluge a détruit l’ancienne Atlantide et que l’homme postatlantéen est entré dans l’existence terrestre. Il voit se succéder les civilisations jus­qu’au moment où la nôtre, disparaissant aussi, fera place à une nouvelle. L’ancienne Atlantide fut engloutie par les flots du Déluge atlantéen. C’est par ce que nous nommons la Guerre de tous contre tous, par des désordres moraux terriblement destructeurs, que l’ère actuelle s’achèvera. Et cette grande période du Déluge atlantéen jusqu’à la ter­rible Guerre de tous contre tous, nous la divisons à nou­veau en sept civilisations successives, comme il apparaît dans le schéma précédent. À l’une de ses extrémités, nous plaçons le grand Déluge atlantéen (a), à l’autre la grande Guerre universelle (b), et nous répartissons cela en sept sous-époques, en sept civilisations. Cette période constitue une ère, qui est elle-même la septième partie d’une période plus longue encore. Vous avez donc à vous représenter sept ères comme la nôtre, celle qui est comprise entre le Déluge et la Guerre de tous contre tous, quatre de celles-ci ayant précédé le Déluge, les deux dernières venant après la Guerre de tous contre tous. Notre ère postatlantéenne est donc la cinquième.

Il faut à nouveau atteindre un sommet plus élevé encore de l’initiation pour embrasser l’ensemble des sept ères dont chacune comprend sept civilisations. Elles deviennent visibles lorsque l’on parvient à la fron­tière entre le monde astral et le monde spirituel dévachanique. Ainsi se poursuit l’ascension, degré par degré, et nous verrons en quoi consistent les degrés supérieurs.

Il nous faut retenir maintenant que l’on peut tout d’abord atteindre un sommet d’où sont visibles, telle une vaste plaine du haut d’une montagne, les sept civilisations de l’ère postatlantéenne, que nous connaissons déjà toutes. Nous savons que lorsque l’Atlantide fut engloutie sous les flots, une première civilisation fleurit dans l’ancienne Inde, et fut remplacée par la Perse antique. Nous savons que vint ensuite la civilisation des peuples assyrien, babylonien, chaldéen, égyptien, hébreu, à laquelle succéda la qua­trième, la gréco-latine, puis la cinquième, la nôtre. Dans la sixième, qui suivra la nôtre, devront mûrir en un certain sens les fruits de la culture spirituelle que nous devons édi­fier. La septième civilisation se déroulera avant la Guerre de tous contre tous. On verra alors se préparer une terrible dévastation de la culture, et l’on verra échapper à la déca­dence générale causée par l’égoïsme le petit nombre d’hu­mains qui aura su s’ouvrir au principe spirituel.

Nous vivons donc dans la cinquième civilisation postatlantéenne. Tels les villes, les villages et les bois qu’on voit du sommet d’une montagne, la succession des civili­sations se déploie du haut du sommet de l’initiation. Nous voyons ce qu’elles ont apporté, c’est-à-dire toute la culture qui se déploie sur le plan physique. C’est pour­quoi nous parlons de civilisations, et non de races. Tout ce qui est, disons, lié au concept de race est une survi­vance de l’ère qui a précédé la nôtre, de l’ère atlantéenne. Nous vivons à l’époque des civilisations. L’Atlantide fut le temps où se formèrent l’une après l’autre sept grandes races. Naturellement, les fruits de cette formation sont perceptibles encore à notre époque, c’est pourquoi, aujourd’hui, on parle encore de races ; mais les distinc­tions très marquées qui existaient du temps de l’Atlantide s’effacent déjà. Aujourd’hui, la notion de culture a pris la place de celle de race. C’est pourquoi nous parlons de l’ancienne civilisation indienne, dont la culture qui nous est annoncée dans les Veda n’est qu’un écho. L’antique culture de l’Inde, la civilisation sacrée, est l’aurore des civilisations postatlantéennes, elle fait suite immédiate­ment à l’ère atlantéenne.

Représentons-nous une fois de plus comment l’homme vivait en ces temps, qui sont passés depuis plus de 8000 ou 9000 ans. Lorsque nous parlons des espaces de temps réels, ce sont ces chiffres qui sont valables. La civi­lisation dont nous parlons ici était directement sous l’in­fluence du Déluge atlantéen, de ce que la science moderne appelle la période glaciaire. Morceau par morceau, l’Atlantide avait disparu, recouverte par les eaux. Sur la Terre vivait désormais une humanité dont une partie s’était élevée au degré le plus haut de développement qui soit accessible. C’était le très ancien peuple indien ; une humanité qui en ce temps habitait la lointaine Asie et vivait plus du souvenir des temps passés que dans la conscience du présent. Ce qui a fait la grandeur et la force de cette civilisation dont les documents écrits comme les Veda et la Bhagavad-Gîtâ ne gardent plus que des échos, c’est que les hommes vivaient dans le souvenir de ce qu’ils avaient vécu à l’époque atlantéenne. Pensez à la première conférence de ce cycle, où il a été dit qu’à cette époque les humains étaient, pour une grande part, capables de déve­lopper une certaine clairvoyance confuse, et ne se bor­naient pas au contact avec le monde physique sensible ; ils vivaient parmi des êtres spirituels divins, et voyaient ceux-ci autour d’eux. Le passage entre l’ère atlantéenne et la postatlantéenne s’accomplit quand le monde spirituel, astral, éthérique vint se fermer à la vision humaine, désor­mais restreinte au monde physique. La première époque de civilisation fut marquée par la nostalgie, par une pro­fonde nostalgie des hommes envers ce que leurs ancêtres avaient contemplé sur l’antique Atlantide, et dont l’accès était désormais fermé. Bien que confusément, ils avaient encore pu contempler de leurs yeux spirituels la sagesse primordiale. Ils vivaient parmi les esprits, avaient com­merce avec les esprits et les dieux. Aussi ces hommes de la première civilisation indienne aspiraient-ils de toutes leurs fibres à retourner vers ce passé, à contempler ce qu’avaient vu leurs ancêtres, ce qu’enseignait la sagesse des origines. Ainsi, le monde sensible nouvellement apparu au regard physique des humains, ces rochers terrestres désormais visibles, alors qu’auparavant on ne les voyait qu’en esprit, tout ce décor leur semblait de moindre valeur que ce dont ils gardaient le souvenir. Ils appelaient maya, la grande illusion, tout ce que pouvaient percevoir les yeux phy­siques, la grande tromperie dont on voulait être désabusé. Et par les procédés initiatiques dont quelques traces sub­sistent dans le yoga, les meilleurs d’entre eux devaient s’élever jusqu’au niveau spirituel de leurs ancêtres. Ainsi se développa une attitude religieuse foncière qu’on peut rendre par les mots suivants : ce qui nous entoure dans l’apparence extérieure sensible n’est que leurre, apparence fallacieuse ; ce qui est vrai et véritable se trouve dans le monde spirituel que nous avons quitté. Ceux qui pou­vaient s’élever jusqu’aux régions dans lesquelles on vivait auparavant devenaient alors des guides spirituels.

Telle fut la première des civilisations postatlantéennes. L’ère postatlantéenne dans son ensemble a ceci de caracté­ristique que l’homme apprend peu à peu à comprendre la réalité extérieure, sensible, à reconnaître toujours mieux que ce qui s’offre ici-bas à nos sens physiques ne doit pas être pris pour une simple apparence ; c’est un présent des êtres spirituels ; ce n’est pas en vain que les dieux nous ont donné des sens. Ce qui, ici-bas, sur la Terre, permet d’édifier une civilisation, nous devons peu à peu en reconnaître la valeur.

Ce que l’ancien indien appelait maya, et qu’il fuyait, aspirant à retrouver le passé, les hommes appartenant à la seconde civilisation l’ont au contraire considéré comme un champ de travail à cultiver. Telle fut la civilisation de la Perse primitive, il y a environ 5 000 ans, à l’époque où la terre autour de lui avait encore pour l’homme un visage hostile, mais non plus l’apparence d’une illusion qu’il fal­lait fuir, et devenait un champ de travail qu’il devait mar­quer de son génie propre. Ce monde était, de par sa nature matérielle, placé sous l’empire d’une force contraire au bien, c’est-à-dire du dieu Ahriman. Mais le dieu bon, Ormuzd, aide les hommes qui se mettent à son service. Quand ils exécutent sa volonté, ils transforment ce monde en un champ du monde spirituel supérieur ; ils incorpo­rent au monde sensible ce qu’ils connaissent en esprit. Ainsi, pour la deuxième civilisation, le monde des réalités physiques, des réalités sensibles, est devenu un champ d’activité. Pour l’Indien, il était encore illusion, maya. Pour le Perse, il est certes sous l’empire de démons malfai­sants, mais tel que l’homme a pour tâche de chasser ceux-ci pour faire place aux bonnes entités spirituelles, aux serviteurs du dieu de lumière, Ormuzd.

À la troisième époque postatlantéenne, l’homme se rap­proche encore davantage de la réalité extérieure qui n’est plus pour lui seulement un ennemi à vaincre. L’Indien se disait en regardant les astres : Tout ce qui m’entoure, tout ce que voient mes yeux n’est qu’illusion, maya. - Le prêtre chaldéen, observant le cours et la position des étoiles, se disait : Quand je vois les positions des astres et que je suis leur cours des yeux, ils deviennent pour moi les caractères d’une écriture où je puis lire la volonté des êtres spirituels divins. Je discerne ce que veulent les dieux dans ce qu’ils ont fait. - Le monde physique sensible n’était plus pour lui une maya, mais comme l’écriture de l’homme est l’expres­sion de sa volonté, ce qu’on voit dans les astres au ciel, ce qui vit dans les forces de la nature était pour lui une écri­ture divine. Et l’on commença à déchiffrer cette écriture de la nature avec amour. Ainsi naquit une admirable connais­sance des astres que les hommes soupçonnent à peine aujourd’hui. Car l’astrologie que l’on connaît aujourd’hui repose sur une méconnaissance des faits. L’astrologie qui se révélait au prêtre chaldéen, les secrets de ce qu’il voyait de ses yeux, étaient la substance d’une profonde sagesse visible dans l’écriture des étoiles. C’était pour lui la révéla­tion d’un élément secret, imprégné d’esprit.

Et que devint la terre pour les Égyptiens ? Il suffit d’évoquer l’invention de la géométrie : l’homme apprend comment mesurer cette terre conformément aux lois de l’espace, aux règles de la géométrie. Il explore les lois de la Maya. Durant l’antique civilisation perse, on avait appris à labourer la terre, maintenant on en étudie les proportions déterminées par les lois de l’espace, et plus encore. On se dit : Ce n’est pas en vain que les dieux nous ont donné à lire dans les étoiles, ce n’est pas en vain qu’ils nous ont révélé leur volonté dans les lois de la nature. Si l’homme veut, par son travail personnel, accomplir ce qui est salu­taire, il doit, dans les institutions qu’il crée ici-bas, imiter ce qu’il peut découvrir dans les étoiles. - Oh ! si seule­ment vous pouviez plonger le regard dans une de ces pièces où travaillaient les initiés égyptiens ! C’était un tout autre travail que celui qui s’accomplit aujourd’hui dans le domaine scientifique. En ce temps, les savants, c’étaient les initiés. Ils étudiaient les étoiles, ils discer­naient la régularité de leur marche, de leurs positions et des influences qu’elles exerçaient sur les événements ter­restres. Ils se disaient : Quand au ciel apparaît telle ou telle conjoncture astrale, tel ou tel fait doit se produire dans la vie de l’État, et s’il apparaît une autre conjoncture, il faut qu’il se produise autre chose. Dans un siècle, d’autres conjonc­tures se présenteront, il faudra alors que les faits correspon­dants se produisent. - Et l’on décidait des millénaires à l’avance de ce qui devait se faire. Ce qu’on appelle les « Livres sibyllins » provient de cette source. Leur contenu n’est pas une invention. Des initiés y ont consigné avec soin ce qui devait être prévu pour des milliers d’années, et leurs successeurs savaient qu’il fallait en tenir compte. Aussi n’entreprenaient-ils rien qui ne fût indiqué dans ces livres comme conforme à la marche des astres. Supposons qu’il se soit agi d’établir une nouvelle loi. Cela ne se faisait pas par un vote comme aujourd’hui ; on consultait les livres sacrés dans lesquels était inscrit ce qui devait être fait sur la terre pour qu’elle soit le miroir où se reflètent les événements inscrits dans les astres, et l’on exécutait ce qui était indiqué dans les livres. En écrivant ces livres, le prêtre égyptien savait que ses successeurs agiraient conformé­ment à ce qui y figurait. Ils étaient intimement convaincus de la nécessité d’obéir à ces lois.

La quatrième civilisation s’est développée à partir de cette troisième. Elle n’a gardé que des restes minimes de cet art prophétique des Égyptiens, et l’on peut encore en voir un vestige : lorsque, en effet, on voulait le cultiver dans l’ancienne Égypte, on divisait ce qui allait venir en sept parties, et l’on disait : La première doit contenir ceci, la deuxième cela, la troisième ceci, etc. - Les descendants se conformaient ainsi à ce qui devait se produire. Mais c’était précisément la principale caractéristique de la troi­sième époque de civilisation, et la quatrième n’en révèle plus que de faibles échos, que vous pouvez discerner encore lorsqu’on vous rapporte ce que furent les origines de Rome. Enée, fils d’Anchise le Troyen - Troie était une cité de la troisième civilisation -, parvint au cours de ses voyages jusqu’à Albe-la-Longue. Ce nom évoque l’exis­tence d’un très ancien centre de sagesse religieuse ; c’est de cette Alba Longa, de cette civilisation sacerdotale, que devait naître la civilisation romaine. Et nous en trouvons encore un souvenir dans l'« aube » que revêtent les prêtres catholiques pour dire la messe. Dans ce centre religieux, on prévoyait encore à la manière des anciens prêtres une période de civilisation en sept étapes. Les règnes des sept rois de Rome y étaient mentionnés. Mais les historiens du XIXe siècle, une fois de plus, ont été victimes d’une vilaine erreur ; ils ont découvert que matériellement rien n’était vrai de ce qu’on racontait de ces rois romains ; mais ce qu’il y a derrière, que là se trouve prophétiquement annoncée la civilisation structurée selon le nombre sacré sept, à cela, ils n’ont pas pensé.

Ce n’est pas ici le lieu de nous occuper de ces rois en détail. Vous pourriez voir en le faisant que Romulus, Numa Pompilius, Tullus Hostilius, etc., correspondent exactement aux civilisations successives, d’après ce prin­cipe du sept qui nous apparaît dans tant de domaines.

Pendant la troisième civilisation, l’esprit humain avait donc pu pénétrer peu à peu au cœur de la maya. La qua­trième acheva cette tâche. Pensez à cette civilisation gréco-latine où, dans les admirables chefs-d’œuvre de son art, l’homme crée une parfaite image de lui-même dans le monde matériel extérieur, où dans la tragédie - comme chez Eschyle - apparaissent les destinées humaines. Voyez par contre comment, dans la civilisation égyptienne, on cherche à connaître encore la volonté des dieux. La conquête de la matière telle qu’elle s’accomplit à l’époque grecque correspond à un degré de plus, à celui où l’homme apprend à aimer l’existence matérielle. Enfin, à l’époque romaine, il a complètement pris pied sur le plan physique. Celui qui le comprend sait aussi que nous avons à considérer cela comme la pleine manifestation du prin­cipe de la personnalité. Aussi est-ce à Rome qu’est apparu pour la première fois ce que nous appelons le concept de « droit », que l’être humain, pour la première fois, est à nos yeux un citoyen. Seule une connaissance confuse des choses peut faire remonter la jurisprudence à des temps bien antérieurs. Ce qu’on entendait auparavant par « droit », c’était tout autre chose. Pour l’Ancien Testament, c’était la loi antique, qu’il dépeint beaucoup plus juste­ment dans les dix commandements. Ce qu’ordonnait le Dieu faisait partie de ce qui contenait les concepts de droit. C’est une ineptie à notre époque de faire remonter les notions de droit jusqu’à Hammourabi et au-delà. Ce n’est qu’à Rome que la notion propre de citoyen est appli­quée à l’homme. En Grèce encore, il était un membre de la cité. L’Athénien, le Spartiate, était plus qu’un individu : il se ressentait comme un membre de la cité. C’est à Rome seulement que l’individu devint citoyen, qu’il put le deve­nir. On le démontrerait en citant de nombreux détails. Ce que nous appelons aujourd’hui un testament n’avait pas cette valeur avant l’époque romaine. Le testament prit son actuelle signification à ce moment, parce que c’est alors seulement que l’individu devait faire prévaloir sa volonté personnelle et l’imposer à ses descendants. Auparavant, d’autres impulsions agissaient pour maintenir la cohésion de la communauté. Par bien d’autres exemples, on pour­rait montrer comment l’être humain s’est adapté entière­ment au plan physique.

Nous vivons maintenant au temps de la cinquième civi­lisation, où se poursuit cette descente, qui atteint mainte­nant un niveau inférieur à celui de l’homme. Nous vivons au temps où l’homme est l’esclave des conditions exté­rieures, du milieu. En Grèce, l’esprit servait encore à spiritualiser la matière, et cette matière spiritualisée nous apparaît dans une statue d’Apollon, de Zeus, dans les tra­gédies d’un Sophocle, etc. L’homme a pris possession du monde physique, mais il n’est pas encore descendu au-des­sous du niveau humain. C’est encore le cas à Rome aussi.

C’est de nos jours seulement que cette descente atteint au-dessous de la sphère humaine. À notre époque, l’esprit est devenu l’esclave de la matière. Une vie spirituelle intense est utilisée de notre temps pour pénétrer jusqu’aux forces naturelles agissant sur le plan physique, afin de faire en quelque sorte de celui-ci un séjour aussi confortable que possible pour l’homme.

Comparons encore une fois l’Antiquité avec notre temps. Dans ces temps anciens, l’homme voyait la grande écriture des astres, œuvre des dieux - cependant, avec quels moyens primitifs furent exécutées les conquêtes de la civilisation : les pyramides, le Sphinx ! Comment l’homme se nourrissait-il ? Et quels moyens de développer la civilisation n’a-t-il pas conquis depuis lors ! Quelle force l’esprit n’a-t-il pas dû dépenser pour imaginer et construire la machine à vapeur, pour inventer le chemin de fer, le télégraphe, le téléphone, etc. ! Pour inventer et construire ces instruments de civilisation purement maté­riels, il a fallu dépenser des forces spirituelles infinies. Et pour quel usage ? Est-ce pour la vie spirituelle une diffé­rence essentielle que de broyer le grain de blé entre deux meules, ce qui demandait naturellement très peu de force spirituelle, ou de pouvoir téléphoner en Amérique pour en faire venir de grandes quantités de blé qui seront moulues par des machines conçues avec une admirable ingéniosité ? Tout cet appareil est mis en mouvement pour l’estomac uniquement ! Rendons-nous bien compte qu’une masse énorme de forces de vie spirituelle est ainsi mise au service d’une civilisation strictement matérielle. La culture spirituelle ne progresse encore que bien peu grâce à ces moyens extérieurs. Il est bien rare que le télé­phone soit utilisé pour - disons - les affaires anthroposophiques. Si vous compariez à l’aide de statistiques ce qui sert d’une part à la vie matérielle, et de l’autre ce qui profite à l’esprit, vous verriez bien que l’esprit est descendu au-dessous de l’humain, qu’il est devenu l’esclave de la vie matérielle !

La civilisation a donc suivi un chemin descendant au sens fort du mot jusqu’à notre époque, la cinquième période de civilisation, et pourrait continuer sa descente. C’est pourquoi il faut qu’une impulsion nouvelle vienne préserver l’humanité d’une descente totale dans la matière. Jamais auparavant l’homme ne s’était lié à elle aussi pro­fondément. Une impulsion puissante, la plus puissante de toutes sur la Terre, devait intervenir. Ce fut l’apparition du Christ Jésus, qui vint donner aux hommes l’élan vers une vie spirituelle nouvelle. Si, malgré la descente dans la matière, nous possédons aujourd’hui des forces de redres­sement, nous le devons à cette puissante impulsion venue grâce au Christ Jésus. Au cours de la descente, des impul­sions spirituelles sont toujours intervenues. Alors se déve­loppa, lentement tout d’abord, puis de plus en plus, la vie chrétienne qui n’en est aujourd’hui qu’à ses débuts, mais qui rayonnera un jour dans toute sa gloire - car l’huma­nité ne comprendra les Évangiles que dans l’avenir. Mais lorsqu’on les comprendra totalement, on verra quelle sur­abondance de forces spirituelles ils contiennent. Plus l’Évangile se répandra sous sa véritable forme, mieux l’hu­manité pourra, en dépit de la civilisation matérialiste, déployer une vie spirituelle et remonter vers les mondes de l’esprit.

Ce qui se développe ainsi d’époque en époque pendant la civilisation postatlantéenne, l’auteur de l’Apocalypse se le représente s’exprimant en de petites communautés qui lui apparaissent dispersées dans l’espace sur la terre exté­rieure, et sont les représentantes des différentes civilisa­tions de cette ère. Quand il parle de la communauté ou de l’Église d’Éphèse, il veut dire ceci : Je suppose qu’à Ephèse a vécu une communauté qui s’est bien, dans une certaine mesure, ouverte au christianisme. Mais comme tout évo­lue peu à peu, il reste toujours à chaque stade quelque chose de la civilisation précédente. Il y avait bien à Ephèse une école d’initiation, mais l’enseignement chrétien y revêt une nuance où l’on peut reconnaître partout la marque de l’Inde antique. - Il veut nous montrer la pre­mière période de l’ère postatlantéenne, et cette première période est donc représentée par la communauté d’Ephèse. Et ce qui doit être enseigné à ce moment se trouve dans une Lettre adressée à cette communauté. Voici à peu près comment il faut nous représenter la chose : le caractère de cette première et lointaine civilisation indienne subsista naturellement et se prolongea dans dif­férents courants de civilisation. Nous avons encore dans la communauté d’Ephèse quelque chose de ce caractère. Elle comprenait le christianisme sous une forme déterminée par le caractère typique de l’antique civilisation indienne.

Dans chaque Lettre il est dit : Vous êtes ceci et cela ! Tel et tel aspect de votre être correspond à l’esprit du christia­nisme, les autres doivent se modifier. - Ainsi l’auteur de l’Apocalypse dit-il à chaque civilisation ce qu’elle peut conserver, et ce qui ne convient plus et doit changer.

Essayons de voir si vraiment les sept Lettres qui se sui­vent ont quelque chose du caractère des sept civilisations successives. Essayons maintenant de comprendre com­ment elles devaient être rédigées pour correspondre à ce qui vient d’être dit. L’auteur de l’Apocalypse pense : Il y a à Ephèse une communauté, une Église. Elle a accueilli le christianisme, mais elle le revêt d’une coloration qui fut celle de la première civilisation, étrangère à la vie exté­rieure, et dépourvue d’amour pour ce qui est en vérité la tâche des hommes de la post-Atlantide. - Qu’elle ait aban­donné le culte rendu à une vie des sens grossière, qu’elle se soit tournée vers la vie spirituelle - ainsi parle celui qui rédige les Lettres aux communautés -, cela lui plaît en elle. Nous reconnaissons ce que l’auteur de l’Apocalypse vou­lait dire par là au fait qu’Ephèse était le lieu où se célé­braient les Mystères de la chaste Diane. Il indique ainsi qu’y était particulièrement florissante l’impulsion pous­sant à se détourner du monde des sens pour s’orienter vers le spirituel. Et cependant : « J’ai contre toi que tu as délaissé ton premier amour. » L’amour que doit avoir la première civilisation postatlantéenne pour la Terre, pour ce champ dans lequel doit être implantée la semence divine.

Comment se caractérise donc celui qui dicte cette Lettre ? Il se caractérise comme étant le précurseur du Christ Jésus, le guide de la première civilisation. Le Christ parle en quelque sorte à travers lui, ce guide, ce maître de la première époque de civilisation, où l’initié élevait son regard vers l’au-delà. Il dit de lui-même qu’il tient dans sa main droite les sept étoiles et les sept chandeliers d’or. Les sept étoiles ne sont pas autre chose que les symboles des sept entités spirituelles supérieures qui guident les grandes civilisations. Et des sept chandeliers, il est dit expressé­ment qu’il s’agit d’êtres spirituels qu’on ne peut pas voir dans le monde sensible. Dans l’initiation par le yoga, cela est dit aussi en termes clairs qui indiquent que jamais l’homme ne travaille dans le sens de l’évolution lorsqu’il hait les œuvres extérieures, lorsqu’il cesse de les aimer. La communauté d’Ephèse s’est détournée de cet amour. Aussi est-il à juste titre indiqué dans l’Apocalypse : « Tu hais les œuvres des Nicolaïtes. » - « Nicolaïtes », ce n’est là rien d’autre qu’un mot pour désigner les hommes pour qui la vie se déploie seulement dans la matière sensible. À l’époque à laquelle se rapporte cette Lettre, il existait une secte des Nicolaïtes qui n’attachait de prix qu’à la vie extérieure, charnelle, matérielle. C’est ce que tu ne dois pas faire, dit celui qui inspira cette première Lettre. Mais n’abandonne pas ton premier amour, dit-il aussi, car dès lors que tu as l’amour du monde extérieur, tu lui insuffles la vie, tu l’élèves jusqu’à l’esprit. Que celui qui a des oreilles entende : À celui qui vaincra, je donnerai à manger de l’arbre de vie. - C’est-à-dire que celui-là sera capable de spiritualiser ce qui est matériel ici-bas pour le déposer sur l’autel de la vie spirituelle.

Le représentant de la deuxième civilisation, c’est la communauté ou Église de Smyrne. À celle-ci, le guide de l’humanité s’adresse sous l’aspect du deuxième de ses pré­curseurs, l’inspirateur et le Maître de l’antique civilisation perse, dont l’attitude d’esprit est la suivante : Autrefois était le Dieu de lumière, qui avait un ennemi, la matière extérieure, le sombre Ahriman. Tout d’abord, j’étais uni à l’Esprit de lumière, au premier qui fut. Puis je fus entraîné dans le monde de la matière à laquelle se lia la puissance retardée et hostile : Ahriman. Et maintenant, collaborant avec l’Esprit de lumière, je vais travailler la matière et la pénétrer d’esprit ; après avoir vaincu la divinité du mal, le Dieu de lumière réapparaîtra. - « Je suis le Premier et le Dernier », Celui qui meurt dans la vie matérielle et qui res­suscite en esprit. Nous lisons donc dans cette deuxième Lettre : « Je suis le Premier et le Dernier, Celui qui est, qui fut et qui vient, qui est revenu à la vie » (2, 8). Cela nous mènerait trop loin d’étudier chaque phrase de cette façon, mais il nous faut encore citer exactement celle qui caracté­rise avec précision comment se comporte un membre de l’Église de Smyrne lorsqu’on la transforme pour en faire un principe chrétien. Il est dit qu’on peut vivifier la mort, que l’on spiritualise la mort. On ne sombre pas dans la mort. Si l’on périssait, la mort serait pour l’homme un événement le conduisant à une vie spirituelle dans laquelle les fruits de cette vie terrestre feraient défaut. Prenons quelqu’un qui n’a pas vécu de façon à tirer de cette exis­tence de véritables fruits. Il n’en apporte aucun dans la vie spirituelle. Mais là, on ne peut vivre que des fruits amas­sés sur la terre. Celui qui n’en apporterait pas subirait la « seconde mort ». Celui qui a su travailler le champ ter­restre sera sauvé de cette « seconde mort » : « Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises : Celui qui vaincra n’aura pas à souffrir la seconde mort » (2, 11).

Poursuivons jusqu’à l’Église de Pergame. Elle représente l’époque où l’humanité s’est de plus en plus adaptée au plan physique, où l’homme lisait dans les étoiles ce que pouvait saisir son esprit. C’est cela qui lui est accordé pen­dant la troisième civilisation. Il agit en fonction de ce qu’il porte en lui. Ayant une vie intérieure, il peut désormais observer le monde qui l’entoure. C’est seulement parce qu’il était doué d’une âme qu’il a pu étudier la marche des étoiles et découvrir la géométrie. C’est ce qu’on appelait la recherche par la Parole, ce qui est exprimé dans l’Apocalypse par « l’épée qui sort de la bouche ». Celui qui inspire cette Lettre indique par là que la force de cette époque, c’est une parole acérée, une épée à deux tran­chants. C’est la parole d’Hermès, celle des prêtres de l’Antiquité, la parole par laquelle on explorait les forces de la nature et les étoiles par les moyens du passé, donnant naissance principalement à la civilisation que l’on pouvait déployer ici, sur le plan physique, grâce aux forces inté­rieures astrales, psychiques, de l’homme. Lorsqu’elle se réalise sous cette ancienne forme, elle est vraiment une épée à deux tranchants. La sagesse est alors toute proche de la frontière entre la magie blanche et la magie noire, entre ce qui mène au salut et ce qui aboutit à la perdition. C’est pourquoi il est dit que là où résident les représen­tants de cette époque, là se trouve aussi le trône de Satan.
C’est une allusion à tout ce qui peut détourner des véri­tables grands buts de l’évolution. Et la « doctrine de Balaam » n’est pas autre chose que celle des magiciens noirs, de ceux qui « dévorent », qui détruisent les peuples. Les destructeurs des peuples, ce sont les mages noirs qui ne travaillent qu’à leur profit personnel, détruisent les com­munautés et engloutissent tout ce qui vit dans un peuple. Mais ce que cette troisième civilisation a de bon, c’est que précisément l’homme peut commencer à purifier, à trans­figurer son corps astral. C’est ce qu’on nomme la « manne cachée ». Ce qui n’est destiné qu’au monde, transformé en nourriture divine, ce qui n’est que pour l’être égoïste, transformé en réalité divine, on l’appelle la « manne cachée ». Tous ces symboles montrent que l’homme puri­fie alors son âme pour faire de lui-même le pur véhicule du manas.

Mais pour cela, il faut encore passer par la quatrième époque de civilisation. Alors apparaît le Rédempteur, le Christ Jésus lui-même. À l’Église de Thyatire, il s’annonce comme étant le « Fils de Dieu, celui qui a des yeux comme une flamme de feu et dont les pieds sont semblables à l’ai­rain ardent » (2, 18). Il est le Guide de la quatrième époque de civilisation, où l’homme est descendu jusqu’au plan physique, où il crée lui-même sa propre image dans les éléments extérieurs de la civilisation. La période est là maintenant où la divinité elle-même se fait homme, se fait chair, se fait personne humaine ; c’est l’époque où l’être humain descend lui-même jusqu’au niveau de la person­nalité, où, dans la statuaire grecque, la divinité individua­lisée se présente comme une personnalité, où cette personnalité humaine s’affirme sur le plan matériel chez le citoyen romain. Cette époque devait donc recevoir une impulsion nouvelle du fait que la divinité y est apparue sous forme humaine. L’homme descendu sur terre ne pouvait être sauvé que par l’apparition de Dieu lui-même sous la forme humaine. Le « Je suis », le Je dans le corps astral devait recevoir l’impulsion du Christ. Ce qui ne s’était encore manifesté qu’en germe devait maintenant apparaître dans le monde extérieur, dans l’histoire. Le Fils de l’Homme, le Guide de l’avenir, peut donc dire : « Et toutes les Églises connaîtront le “Je suis” qui sonde les cœurs et les reins » (2, 23). L’accent est mis ici sur le « Je suis », sur le quatrième élément de l’être humain. « Ainsi que j’en ai reçu le pouvoir de mon Père ; et je lui donnerai l’étoile du matin » (2, 28).

Que signifie ici l'« étoile du matin » ? - La Terre, nous le savons, passe par les étapes de Saturne, Soleil, Lune, Terre, Jupiter, Vénus, Vulcain. C’est ainsi que nous les nommons d’habitude, et ces dénominations sont justes. Mais j’ai déjà aussi fait remarquer que l’évolution de la Terre se divise en deux périodes : celle de Mars et celle de Mercure. Il y a, en effet, une relation mystérieuse entre la première moitié de l’évolution terrestre et Mars, et de même entre la seconde moitié et Mercure. C’est pourquoi, au lieu de Terre, on dit aussi : Mars et Mercure. On dit alors que la Terre, dans son évolution, passe par Saturne, Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus. L’astre dont la force est en fait prépondérante pendant la seconde phase de la Terre est donc Mercure. Mercure est l’étoile qui représente pour nous la force directrice, orientant vers les hauteurs, celle que l’homme doit suivre.

J’aborde dans ce passage un secret mineur qu’il nous faut pour ainsi dire dévoiler, et qui au fond ne peut l’être qu’ici. En occultisme en effet, par précaution contre ceux qui pourraient faire, et qui ont fait dans le passé, un mau­vais usage de la science de l’esprit, on s’est toujours servi de ce qu’on aimerait appeler un masque. On ne s’exprimait pas directement, mais dans des termes qui dissimulaient les faits réels. Seulement, l’ésotérisme médiéval ne savait recourir qu’à des moyens primitifs. Il a appelé Mercure Vénus et Vénus Mercure. En vérité, si nous voulons par­ler dans le sens de l’ésotérisme comme l’a fait l’auteur de l’Apocalypse, il nous faut appeler Mercure 1' « étoile du matin ». Par ce terme, il désigne Mercure : J’ai donné à ton Je la direction qui conduit vers les hauteurs grâce à l’étoile du matin, à Mercure. - Vous pouvez trouver encore, dans certains textes du Moyen Âge qui décrivent les choses comme elles sont, l’énumération suivante des astres de notre système planétaire : Saturne, Jupiter, Mars et après la Terre non pas, comme maintenant, Vénus, Mercure, mais inversement : Mercure, Vénus. C’est pourquoi il est écrit : « Ainsi que j’en ai reçu le pouvoir de mon Père ; et je lui donnerai l’étoile du matin. »

Il nous faudrait maintenant en venir à notre époque, et nous demander : ces révélations de l’auteur de l’Apocalypse concernent-elles aussi notre époque ? Si c’était le cas, Celui qui s’est adressé aux quatre civilisations précédentes devrait nous parler aussi, il nous faudrait apprendre à comprendre sa voix, à distinguer ce qui est notre tâche spi­rituelle. Si un courant de vie spirituelle doit exister qui comprenne la mystique universelle, ce courant doit aussi, dans la mesure où il doit être conforme à l’Apocalypse de Jean, pouvoir accomplir ce que le grand Inspirateur exige de notre époque. Qu’exige-t-il, et qui est-il ? Pouvons-nous le reconnaître ? Essayons.

« Ecris à l’ange de l’Église de Sardes » - il faut sentir que ces paroles s’adressent à nous - : « Voici ce que dit celui qui a les sept esprits de Dieu et les sept étoiles » (3, 1). Que sont ici les sept esprits et les sept étoiles ? Au sens de l’Apocalypse, l’homme, tel qu’il apparaît ici, est l’expres­sion visible des sept principes de la nature humaine que nous avons énumérés : le principe physique dont le corps physique est l’expression, le principe de vie dont le corps éthérique est l’expression, le principe du corps astral, qui transformé devient manas, buddhi ou le corps éthérique transformé, âtma ou le corps physique transformé, et au centre le principe du Je : tel est l’éventail des sept sub­stances spirituelles à travers lesquelles se répartit la nature divine de l’homme. Selon le terme technique de l’occul­tisme, on nomme ces sept principes les « sept esprits de Dieu en l’homme ». Et les sept étoiles, ce sont celles qui nous permettent de comprendre ce qu’est l’homme aujourd’hui et ce qu’il doit devenir à l’avenir. La succes­sion des incarnations de la Terre : Saturne, Soleil, Lune, Terre, Jupiter, Vénus, Vulcain, ce sont les sept étoiles qui englobent l’évolution humaine. Saturne a donné à l’homme le germe de son corps physique, le Soleil celui de l’éthérique, la Lune celui de son corps astral, et la Terre lui a donné le Je. Les trois suivantes : Jupiter, Vénus, Vulcain, développeront les éléments constitutifs spirituels de l’homme. Si nous comprenons l’appel de l’Esprit qui tient dans sa main ces sept étoiles et les sept esprits de Dieu, la nature septuple, nous travaillons l’anthroposophie dans le sens de l’Apocalypse. Travailler l’anthroposophie, cela ne veut rien dire d’autre que savoir qu’ici le texte fait allusion à la cinquième époque postatlantéenne, savoir qu’à notre époque, où l’homme est descendu au plus bas dans la matière, nous devons remonter la pente sur les pas de la grande Individualité qui, pour que nous discernions le chemin à suivre, nous donne les sept esprits de Dieu et les sept étoiles.

Et si nous suivons ce chemin, nous introduirons dans la sixième civilisation la véritable vie spirituelle de la sagesse et de l’amour. Alors, de la sagesse anthroposophique que nous aurons élaborée naîtra l’impulsion d’amour de cette sixième civilisation, qui est représentée par l’Église dont le nom traduit déjà qu’elle représente cette sixième civilisa­tion : la communauté de l’amour fraternel, Philadelphie. Tous ces noms n’ont pas été choisis au hasard. L’homme développera son Je jusqu’à un niveau tel qu’il deviendra autonome ; il pourra, à la sixième civilisation - représentée par la communauté de Philadelphie -, offrir librement son amour à toute autre créature. Voilà la vie spirituelle qu’il faut préparer pour la sixième époque. Nous aurons déve­loppé le Je individuel en nous à un niveau plus élevé, si bien qu’aucune force extérieure ne pourra plus agir en nous si nous ne le voulons pas ; que nous pourrons fermer, et personne ne pourra ouvrir malgré nous, et si nous fer­mons, aucune puissance adverse ne pourra ouvrir. C’est cela, la « clef de David ». C’est pourquoi celui qui inspire la Lettre dit qu’il possède la clef de David. « Ecris à l’Ange de Philadelphie : Ainsi dit le Saint, le Véritable, Celui qui a la clef de David, celui qui ouvre et personne ne fermera, celui qui ferme et personne n’ouvrira. (...) J’ai mis devant toi une porte ouverte, que personne ne peut fermer » (3, 7-8). C’est le Je qui s’est trouvé lui-même.
Et la septième civilisation rassemblera autour du grand Guide tous ceux qui auront trouvé cette vie spirituelle ; elle les unira autour de lui. Ils participeront déjà si bien à la vie spirituelle qu’ils se distingueront de ceux qui s’en sont détachés, qui sont « tièdes », « ni froids ni chauds ». La petite troupe qui aura trouvé la spiritualité comprendra Celui qui, en se faisant reconnaître, dit de lui-même qu’il est la Fin véritable, vers laquelle tout tend. Cette Fin, on la désigne par le mot « Amen ». Ainsi au chapitre III, verset 14 : « Ecris à l’Ange de l’Église de Laodicée : Voici ce que dit l’Amen » - Celui dont la nature représente le principe de la Fin.

Ainsi, nous le voyons, l’Apocalypse de Jean donne le contenu d’une initiation. Et le premier degré de cette initiation déjà, où nous voyons la succession intérieure des sept époques postatlantéennes, où nous voyons encore l’esprit du plan physique, nous montre que nous avons affaire à une initiation de la volonté. De nos jours encore, ce contenu peut enflammer notre volonté si nous reconnaissons qu’il nous faut écouter les Inspirateurs qui nous instruisent ; si nous comprenons ce que signifient les sept étoiles et les sept esprits de Dieu, si nous com­prenons que nous devons porter dans le futur la connais­sance spirituelle.

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Quatrième conférence, 21 juin 1908 :
Les sept Sceaux et leur ouverture.

Il nous est apparu hier dans quelle mesure l’Apocalypse de Jean évoque prophétiquement le cycle de l’évolution humaine qui va du grand bouleversement sur notre Terre que des peuples différents désignent par le terme de Déluge, et les géologues par celui d’ère glaciaire, à ce que nous appelons la Guerre de tous contre tous. Dans l’espace de temps qui sépare ces deux époques se situe tout ce que décrit prophétiquement dans les sept Lettres l’Apocalypse, ce livre nous montrant les entités que furent les temps pas­sés et dégageant pour nous ce qui doit enflammer notre volonté, nos impulsions, en vue de l’avenir. Et nous avons vu comment nous-mêmes, au sein du mouvement spiri­tuel dont nous faisons partie, nous devons considérer les paroles de ce qu’on appelle la cinquième de ces Lettres comme une exhortation à l’action, à l’activité. Nous avons vu qu’il est indiqué que nous devons suivre l’entité qui tient les sept esprits de Dieu et les sept étoiles. Et nous avons vu comment est préparée par ce mouvement spiri­tuel la prochaine époque, que représente la communauté de Philadelphie, la période où doit régner, en tous ceux qui ont compris les paroles d’exhortation, cet amour fra­ternel par toute la terre que préfigure l’Évangile de Jean. La septième civilisation suivra encore : ce qui la caractérise, c’est que d’une part tout ce qui est mauvais dans la com­munauté qui la représente, ce qui est tiède, ni chaud ni froid, ce qui n’a pas pu s’enthousiasmer pour la vie spiri­tuelle, doit donc tomber ; et d’autre part on nous montre ceux qui ont compris les paroles d’exhortation, qui forme­ront le cortège de Celui qui dit : Je suis l’Amen - c’est-à-dire : Je suis Celui avec lequel s’identifie le but de la nature humaine, Celui qui porte en lui-même le principe du Christ.

Nous réserverons pour un autre moment tout ce qu’il faudrait ajouter pour commenter encore les différentes Lettres, pour justifier les noms des Églises. Nous allons aujourd’hui poursuivre dans notre étude et voir ce qui s’offre à l’être humain lorsqu’il parcourt le degré suivant de l’initiation. Les sept subdivisions de notre cycle nous sont apparues, et nous avons dit que ce cycle tout entier est lui-même une partie d’un ensemble plus vaste, qui englobe de même sept périodes. Notre cycle de sept civilisations fut précédé par l’ère atlantéenne, au cours de laquelle se déve­loppèrent les races dont des vestiges existent encore. À notre ère actuelle, c’est-à-dire à sa septième subdivision, succédera directement une autre grande ère, constituée elle aussi de sept parties, et que prépare déjà la nôtre indi­rectement. Si bien que nous pouvons dire : Peu à peu, notre civilisation va évoluer vers une culture de l’amour fraternel, où un groupe relativement restreint d’êtres humains aura compris la vie spirituelle, aura préparé l’es­prit et l’attitude intérieure favorables à l’amour fraternel. De cette civilisation se détachera à nouveau un groupe moins nombreux d’hommes qui survivront à cet événe­ment dont l’action sera si destructrice, à la Guerre de tous contre tous. Au sein de la destruction générale, partout des individus isolés se distingueront du reste de l’humanité en guerre contre elle-même, qui auront compris la vie spiri­tuelle et qui formeront le noyau d’une nouvelle période, celle de la sixième civilisation.

Il en avait été de même lors du passage de la quatrième à la nôtre. Celui qui, par la clairvoyance, peut remonter le cours du temps, en arrive, après avoir revu les périodes que nous avons étudiées - l’époque gréco-latine, l’époque égypto-babylonienne, l’ancienne Perse et l’ancienne Inde -, ayant aussi revu l’époque du grand Déluge, à la période atlantéenne. Nous n’avons pas besoin de l’étudier en détail, mais au moins il nous faut nous faire une idée de la façon dont cette civilisation atlantéenne s’est dévelop­pée. À ce moment aussi, une grande partie de la popula­tion atlantéenne n’était pas assez mûre pour se développer et fut incapable de s’adapter à nos conditions de vie. Une petite partie, qui vivait sur des terres proches de l’actuelle Irlande, parvint au niveau le plus élevé de la civilisation atlantéenne ; ce groupe émigra vers l’est. Mais il faut bien voir que ce ne fut là que la migration la plus importante. Sans cesse, des peuplades ont émigré d’ouest en est, et tous les peuples des régions septentrionales et centrales de l’Europe proviennent de ce mouvement migrateur orienté d’ouest en est. C’est la partie la plus évoluée de la popu­lation qui, sous la direction d’un des grands guides de l’humanité, parcourut la plus grande distance. Elle s’ins­talla en Asie centrale, petite tribu formée d’une élite, et à partir de là colonisa successivement les régions dont nous avons parlé ; c’est de là qu’est parti le courant de civilisa­tion qui gagna l’Inde ancienne, puis la Perse, l’Égypte, la Grèce, etc.

Vous pouvez facilement poser la question suivante : L’idée n’est-elle pas bien cruelle que des masses entières soient restées immatures et n’aient pas développé les facul­tés leur permettant de s’épanouir, que seul un petit groupe devienne capable de transmettre le germe d’une civilisation à la suivante ? Mais cette idée perdra pour vous son carac­tère angoissant si vous distinguez entre développement de la race et développement de l’âme. Car aucune âme n’est condamnée à toujours vivre au sein d’une certaine race. La race peut rester en arrière, un peuple peut être arriéré, mais les âmes dépassent le stade où restent les races. Pour pou­voir nous représenter très exactement la chose, il nous faut nous dire que toutes les âmes qui habitent actuellement les corps humains dans les pays civilisés ont été autrefois incarnées dans des corps atlantéens, et certaines y ont suivi le développement normal ; elles n’en sont pas restées au niveau correspondant à des corps atlantéens. Ayant évo­lué, elles purent devenir les âmes de corps plus évolués. Seules les âmes restées en arrière ont dû revêtir des corps restés à un niveau inférieur. Si toutes les âmes avaient pro­gressé de la même manière, ou bien la population des races arriérées aurait été peu nombreuse, ou bien ces corps auraient été habités par des âmes inférieures nouvellement venues. Car il se trouve toujours des âmes pouvant habiter des organismes retardés. Mais aucune ne reste liée à un de ces organismes si elle ne s’y est pas liée de son propre fait.

Quel rapport s’établit entre l’évolution des âmes et celle des races, c’est ce qu’un mythe merveilleux nous rappelle. Représentons-nous les races et les civilisations se succé­dant. L’âme qui accomplit comme elle le doit sa mission terrestre s’incarne dans une race ; elle aspire à progresser au sein de cette race, elle en acquiert les qualités pour pouvoir s’incarner la fois suivante dans une race plus évoluée. Seules les âmes qui s’enlisent dans leur race, qui ne font aucun effort pour s’élever au-dessus de la matérialité phy­sique, y sont retenues en quelque sorte par leur propre poids. Elles s’incarnent une deuxième fois, éventuellement une troisième fois, dans un corps appartenant à une race analogue. De telles âmes exercent sur les corps de la race une influence retardatrice. C’est ce dont une légende nous fait un beau récit.

Nous savons que l’homme progresse sur la voie de la mission terrestre en suivant les grands guides qui indiquent à l’humanité les buts à atteindre. S’il s’en écarte, il lui faut alors rester dans cette race, il ne peut pas s’élever au-dessus d’elle. Représentons-nous une personnalité qui a le bon­heur de se trouver en présence d’un grand guide de l’hu­manité, du Christ lui-même, d’assister à tous les signes, accomplis par lui pour faire progresser le genre humain, mais qui ne veut rien savoir de cette ascension, et qui repousse le guide de l’humanité. Une telle personnalité, une telle âme serait condamnée à rester dans sa race. Et si nous nous représentons cela sous une forme extrême, nous avons alors la légende d’Ahasvérus, le Juif errant qui se réincarne toujours dans la même race parce qu’il a repoussé le Christ.

Comme sur des tables d’airain, les grandes vérités de l'évolution humaine sont gravées dans ces légendes. Il nous faut faire une distinction entre évolution des âmes et évolution des races. Aucune âme n’a été contrainte sans motif de rester dans un corps ancien ; aucune ne devra se réincarner sans motif dans un corps de notre niveau actuel. Les âmes qui entendront la voix du progrès inté­rieur survivront à la grande destruction, à la Guerre de tous contre tous ; elles réapparaîtront dans des corps nou­veaux, très différents de ceux d’aujourd’hui. C’est, en effet, avoir des choses une bien courte vue que se représenter par exemple les corps atlantéens semblables aux nôtres. Au cours des millénaires, l’aspect extérieur des humains se modifie aussi, et l’homme qui apparaîtra après la grande Guerre de tous contre tous sera tout différent de l’actuel. De nos jours, l’homme est ainsi fait qu’il peut dissimuler ce qu’il a en lui de bon et de mauvais. Certes, sa physiono­mie le trahit souvent déjà, et celui qui voit clair peut lire bien des choses sur les traits d’un visage. Mais il est pourtant pos­sible aujourd’hui à un scélérat de sourire avec charme, avec la mine la plus innocente, et d’être tenu pour un honnête homme. Inversement, il est possible également que les belles qualités d’une âme restent méconnues. Il est possible que toute l’intelligence et toute la bêtise qui vivent en l’âme, que la beauté et la laideur se dissimulent derrière la physionomie générale de tel ou tel type d’homme. Il n’en sera plus ainsi durant l’ère qui suivra la nôtre après la Guerre de tous contre tous. Sur le front et sur toute la phy­sionomie de l’homme, il sera inscrit s’il est bon ou mau­vais. Son visage, tout son corps même sera l’image de ce qui vit dans son âme. La manière dont il a évolué inté­rieurement, dont il a développé de bons ou de mauvais ins­tincts, se lira sur son front. Et après la grande Guerre de tous contre tous, il existera deux sortes d’hommes : ceux qui se seront efforcés d’obéir à l’appel de la vie spirituelle, qui auront spiritualisé et ennobli leur âme et leur esprit, porteront sur leur visage l’empreinte de cette vie spirituelle de l’âme et la manifesteront dans leurs gestes, dans les mouvements de leurs mains. Les autres, ceux qui se seront détournés de la vie spirituelle représentée par l’Église de Laodicée, les tièdes, qui n’étaient ni froids ni chauds, seront dans la prochaine civilisation des êtres porteurs des forces rétrogrades qui paralysent l’évolution. Ceux-là por­teront sur un visage laid, inintelligent, au regard méchant, l’expression des passions et des instincts hostiles à l’esprit. Ils seront, par leurs gestes, par leur comportement dans tout ce qu’ils feront, l’image extérieure des laideurs de leur âme. Comme autrefois les hommes se sont répartis en races, en communautés civilisées, ils se diviseront à ce moment en deux grands courants, celui des bons et celui des méchants. Et à les regarder, on verra - car l’individu ne pourra plus dissimuler - ce qu’ils ont fait de leur âme.
À voir rétrospectivement comment l’humanité s’est déve­loppée jusqu’ici sur la Terre, nous reconnaîtrons que son évo­lution future, telle que nous venons de la caractériser, s’accorde parfaitement avec ce passé. Évoquons l’origine de notre Terre actuelle, après Saturne, le Soleil et la Lune, suivis d’une longue pause intermédiaire. La Terre émerge alors à nouveau des ténèbres cosmiques. À cette époque, dans ces premiers temps de l’évolution, il n’y avait sur la Terre aucune autre créature que l’homme. Il est le premier-né. Mais il n’est encore qu’esprit, et l’incarnation consiste en une matérialisation de cet esprit. Représentons-nous une masse d’eau qui pourrait flotter librement. Par un processus quelconque, des parties de cette masse d’eau cristallisent, et ce processus se renouvelle sans cesse. Supposons qu’une partie de cette masse d’eau ait laissé tomber ces petits glaçons, qui en sont maintenant séparés. Comme chacun d’eux ne peut grossir qu’aussi longtemps qu’il est dans l’eau, il reste, une fois qu’il en est sorti, dans l’état où il se trouvait. Imaginons qu’une partie des masses d’eau se soit séparée sous cette forme de petits glaçons, que la congélation de la masse liquide se poursuive, qu’au stade suivant de nouvelles masses d’eau viennent s’ajouter aux petits glaçons et se séparent ensuite, et ainsi de suite jus­qu’à ce qu’à la fin une très grande partie de l’eau soit cris­tallisée. Ce sera le dernier morceau de glace qui aura le mieux gardé l’essence de la substance-mère, lui qui a pu attendre le plus longtemps avant de se séparer de l’eau-mère originelle.

Il en est de même dans l’évolution. Les animaux infé­rieurs n’ont pas pu attendre ; ils ont quitté trop tôt la substance-mère spirituelle et, de ce fait, ils en sont restés à un stade antérieur de l’évolution. Les espèces animales pro­gressivement ascendantes correspondent donc à des arrêts successifs dans l’évolution. C’est l’homme qui a attendu le plus longtemps, qui a quitté le dernier la substance-mère divine, spirituelle, pour descendre en masse dense deve­nant une forme charnelle. Les animaux sont descendus trop tôt et se sont par conséquent arrêtés dans leur déve­loppement. Pourquoi, nous le verrons plus tard. Ce qui nous intéresse à présent, c’est que, étant prématurément descendus, ils en sont restés à d’anciens stades d’évolu­tion. Qu’est-ce donc qu’une forme animale ? Si elle était restée unie à l’esprit dont elle provient, elle aurait pu pro­gresser jusqu’au stade de l’humanité actuelle. Mais les ani­maux sont restés stationnaires, ils se sont séparés, sont aujourd’hui en décadence et constituent des rameaux du grand arbre de l’humanité. Dans le passé, l’être humain portait, comme englobée en lui, toute l’animalité, mais il l’a éliminée en formant des branches latérales. Les ani­maux, dans leurs multiples formes, ne représentent rien d’autre que des passions humaines ayant pris corps pré­maturément. Ce qui est aujourd’hui encore présent spiri­tuellement dans le corps astral de l’homme est représenté physiquement par les différentes formes animales. Lui l’a conservé dans son corps astral jusqu’à la période la plus tardive de l’existence terrestre. C’est pourquoi il a pu atteindre le stade d’évolution le plus élevé.

Actuellement encore, il a en lui quelque chose qui, en tant que rameau dégénéré, comme les autres formes ani­males, doit être éliminé de l’évolution générale pour constituer un rameau décadent. Tout ce qui est aptitude au bien ou au mal, à l’intelligence ou à la bêtise, germe de beauté ou de laideur, correspond chez l’homme à une pos­sibilité de progresser ou de rester en arrière. De même que s’est détachée la forme animale, la race des êtres mauvais, aux visages repoussants, se détachera de l’humanité en marche vers la spiritualisation, son but futur. À l’avenir, on ne verra pas seulement des formes animales, images des passions humaines incarnées ; une race vivra qui incarnera ce qu’il y a de mauvais en l’homme actuel, qu’il peut aujourd’hui encore dissimuler, mais qui alors deviendra visible. Ce qui apparaîtra principalement va s’éclairer pour nous si nous considérons un point qui va peut-être vous sembler étrange.

Il faut voir clairement que cette élimination des formes animales était effectivement pour l’homme une nécessité. Chacune de ces formes, en se détachant dans le passé du courant commun, signifie pour lui un progrès. Représentez-vous que toutes les caractéristiques aujour­d’hui dispersées dans les espèces animales étaient autrefois celles de l’homme. Il s’en est purifié, et a pu ainsi pour­suivre son développement. Lorsque des particules gros­sières en suspension dans un liquide trouble se déposent, ce qui y reste est de nature plus fine. De même, la nature la plus grossière, que l’homme n’aurait pas pu utiliser pour son développement actuel, s’est déposée dans les formes animales. Il a atteint son niveau actuel en rejetant ces formes, qui sont comme des frères plus âgés. Ainsi l’hu­manité va-t-elle s’élevant en rejetant les formes inférieures pour se purifier. Elle s’élèvera encore en éliminant un nou­veau règne, celui de la race des méchants. Et chacune de ses qualités, l’homme la doit aujourd’hui au fait d’avoir rejeté une certaine forme animale. Celui qui observe avec le regard du clairvoyant les différents animaux sait exacte­ment ce que nous devons à chacun d’eux. En regardant la forme du lion, nous nous disons : Si le lion n’existait pas, l’homme ne posséderait pas telle ou telle particularité, car c’est en éliminant la nature lion qu’il l’a acquise. Et il en est de même pour toutes les autres espèces animales.
Or les cinq étapes de l’évolution, les cinq civilisations - depuis l’Inde ancienne jusqu’à la nôtre -, ont eu pour but de former l’intelligence, la faculté de compréhension et tout ce qui est lié à ces deux facultés, à ces forces. Celles-ci n’existaient pas pendant l’ère atlantéenne. La mémoire était là, et aussi d’autres facultés, mais le développement de l’intelligence avec tout ce qui lui est lié, le regard orienté vers le monde extérieur, c’est la tâche de la cin­quième époque. Celui dont le regard clairvoyant se fixe sur le monde environnant interroge : À quel fait devons-nous, nous autres hommes, d’être devenus intelligents ? Quelle forme animale avons-nous éliminée pour devenir intelli­gents ? - Si étrange, si grotesque que cela puisse paraître, il n’en est pas moins vrai que si les animaux représentés par la nature chevaline n’existaient pas, l’être humain n’aurait jamais pu acquérir l’intelligence.

Cela, on le sentait encore autrefois. Tous les liens étroits qui existent entre certaines races humaines et le cheval sont nés d’un sentiment que l’on peut comparer au mys­térieux amour entre les deux sexes, un certain sentiment de ce que l’homme doit à cet animal. C’est pourquoi, lorsque se développa la nouvelle civilisation de l’ancienne époque indienne, c’est un cheval qui joua un rôle mysté­rieux dans le culte rendu aux dieux ; et toutes les coutumes se rapportant au cheval nous ramènent à ce fait. Si vous étudiez le comportement de peuples encore proches de l’ancienne clairvoyance, par exemple chez les anciens Germains, dont vous voyez qu’ils suspendaient des crânes de chevaux devant leurs maisons, vous êtes ramenés à la conscience de ce fait : l’être humain a dépassé l’état de non-intelligence en éliminant la forme du cheval. Il existe une conscience profonde de ce lien avec l’acquisition de l’intelligence. Il vous suffit de vous rappeler Ulysse et le cheval de Troie. Il y a dans de semblables légendes une profonde sagesse, bien plus profonde que notre science. Ce n’est pas pour rien que la légende s’est servie du type du cheval. L’être humain est issu d’une forme qui, pour ainsi dire, portait encore en elle ce qui est incarné dans le cheval, et dans la forme du Centaure l’art a encore repré­senté un homme lié à cet animal pour rappeler le stade d’évolution au-dessus duquel il s’est élevé, auquel il s’est arraché pour devenir l’homme actuel.

Ce qui s’est ainsi déroulé dans les temps préhistoriques pour aboutir à notre humanité actuelle se répétera à un niveau supérieur dans l’avenir, mais non pas de la même façon dans le monde physique. À celui qui devient clair­voyant à la limite entre l’astral et le plan du dévachan, il se révèle que l’être humain développe et ennoblit de plus en plus ce qu’il doit à l’élimination du cheval. Ainsi accom­plira-t-il la spiritualisation de l’intelligence. Ce qui est aujourd’hui simple faculté de compréhension, simple ingéniosité, il le transformera en sagesse, en spiritualité, après la grande Guerre de tous contre tous. C’est ce que vivront ceux qui auront atteint le but final. Alors apparaî­tra dans ses fruits ce qui aura pu naître de l’élimination de la nature cheval dans l’humanité.

Représentons-nous maintenant un clairvoyant lisant dans l’avenir. Qu’est-ce qui va se révéler à lui ? Tout ce que l’homme a préparé au cours des sept civilisations - car son âme fut incarnée dans les civilisations passées et le sera aussi dans les époques futures -, tout cela sera réalisé ; cela survivra à la grande Guerre de tous contre tous et attein­dra l’ère plus spirituelle. Il a acquis durant chaque époque ce qu’il pouvait y puiser. Revenez en pensée avec votre âme à la vie que vous avez vécue durant l’ancienne civilisation indienne. Vous y avez reçu l’admirable enseignement des saints rishi. Vous l’avez oublié, mais plus tard vous vous en souviendrez. Vous avez continué d’aller d’incarnation en incarnation. Vous avez pu apprendre ce que les civilisa­tions perse, égyptienne, grecque, romaine vous offraient. Tout cela réside en votre âme aujourd’hui, mais ne se révèle pas encore extérieurement sur votre visage. Vous revivrez à l’époque de Philadelphie, celle où régnera l’Amen, et de plus en plus une communauté humaine se développera dans laquelle se révélera sur les visages des hommes ce qui s’est préparé de notre temps. Ce qui tra­vaille maintenant déjà dans votre âme, ce que vous avez reçu durant l’époque indienne se révélera dans votre phy­sionomie pendant la première subdivision de la prochaine ère, après la Guerre de tous contre tous. Ce que l’homme a acquis durant la civilisation de la Perse antique modifiera son visage à la deuxième subdivision, et ainsi de suite, degré par degré. Tout ce que vous recevez dans vos âmes, vous tous qui êtes assis ici aujourd’hui, les enseignements spirituels d’aujourd’hui qui s’unissent à vos âmes, porte­ront des fruits visibles, après la grande Guerre. Aujourd’hui, vous unissez à la vie de votre âme les dons des sept esprits de Dieu et des sept étoiles. Vous les empor­tez en rentrant chez vous. Personne ne les lira sur vos visages aujourd’hui ni encore après des siècles, mais après la grande Guerre de tous contre tous cela se révélera. Une cinquième époque viendra, et vous en porterez l’empreinte sur votre visage. Sur votre front sera inscrit le résultat de votre effort actuel, ce que sont actuellement vos pensées et vos sentiments.

Ainsi apparaîtra, se dévoilera degré par degré après la Guerre de tous contre tous ce qui est maintenant dissi­mulé dans l’âme. Représentons-nous le moment où cette Guerre éclatera. L’âme qui aura entendu l’appel que le principe du Christ fait retentir de civilisation en civilisa­tion, cette âme continuera de vivre lors de tout ce qui est indiqué dans les sept Lettres. Pendant sept civilisations a été déposé en elle ce que celles-ci pouvaient lui donner. Représentons-nous l’âme en attente d’incarnation en incarnation. Elle a été sept fois « scellée ». Chaque civilisa­tion lui a imprimé son sceau. Ainsi est scellé en vous ce que les Indiens ont inscrit en votre âme, ce que les Perses, les Égyptiens, les Grecs, les Romains y ont tracé et ce que notre civilisation y inscrit. Ces Sceaux seront ouverts, c’est-à-dire qu’après la Guerre de tous contre tous les choses gravées dans l’âme apparaîtront visibles. Et le prin­cipe, la force qui guide les hommes afin qu’apparaissent sur les visages les véritables fruits des diverses civilisations, ce principe, cette force, nous avons à les voir en la per­sonne du Christ Jésus. Les sept Sceaux d’un livre doivent être ouverts. Mais quel est ce livre ? Où est-il ?

Nous allons essayer de comprendre ce qu’est un livre, une Bible, au sens de l’Écriture. Ce mot « livre » n’apparaît dans la Bible que très rarement, il faut bien le remarquer. Il se trouve dans l’Ancien Testament, livre de la Genèse, 5,1 : « Ceci est le livre de la race humaine. Lorsque Dieu créa l’homme, il le créa à l’image de Dieu ; il fît un homme et une femme, etc. » Puis vous avez beau chercher où vous voulez, vous ne retrouvez le mot « livre » que dans l’Évangile selon Matthieu, chapitre I : « Ceci est le livre de la naissance de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, etc. » À nouveau, les générations sont énumérées. Le terme « livre » apparaît de nouveau ici, dans l’Apocalypse de Jean, là où il est dit que seul l’Agneau est digne d’ouvrir le Livre aux sept Sceaux. Le mot de « livre » ne désigne jamais autre chose qu’un ensemble. Pour les comprendre, il faut prendre les textes anciens au pied de la lettre. Il ne s’agit pas d’un livre au sens actuel du mot, mais plutôt d’un cadastre, d’un registre où l’on inscrit l’une à la suite de l’autre des choses reliées entre elles, où l’on inscrit par exemple ce qui constitue les biens afin qu’ils puissent être transmis par héritage. Dans l’Ancien Testament, le mot « livre » nous indique qu’il s’agit d’un document, d’une chronique où s’inscrivent les générations liées par l’héré­dité sanguine. Ce mot n’est pas employé dans un autre sens. Et dans le premier Évangile, il est employé dans ce même sens. Les faits qui se succèdent dans le temps sont notés dans un « livre ». Jamais ce mot ne signifie autre chose que l’énumération d’une suite d’événements, donc à peu près une « chronique », de l’histoire.
Le Livre de vie qui est maintenant établi dans l’huma­nité, où de civilisation en civilisation est inscrit dans le Je de l’homme ce que chacune lui donne, ce livre écrit dans les âmes humaines et qui sera descellé après la grande Guerre de tous contre tous, c’est de ce livre aussi que parle l’Apocalypse. C’est dans ce livre que seront inscrits les apports des civilisations, comme autrefois on inscrivait dans les livres de famille les acquisitions des générations ; seulement ici, ce qui est inscrit, ce sont les conquêtes spi­rituelles de l’homme. Et comme il conquiert par l’intelli­gence ce qui peut être acquis à notre époque, le progrès de cette évolution devra être peu à peu représenté imaginativement par le symbole de l’intelligence. Du fait qu’au temps de l’Inde ancienne l’homme vivait dans un état d’âme dans lequel il se détournait du monde physique et cherchait du regard le monde spirituel, dans la première civilisation qui suivra la Guerre de tous contre tous, il triomphera du physique-sensible. Il en sera vainqueur parce qu’il aura assimilé ce qui s’est inscrit dans son âme pendant la première civilisation de notre ère. Puis la conquête de la matière pendant la seconde civilisation, celle de la Perse antique, nous apparaîtra dans la seconde époque consécutive à la grande Guerre et symbolisée par l’épée, l’instrument de domination sur le monde extérieur. Ce que l’homme s’est assimilé pendant la civilisation babylonienne et égyptienne, en apprenant à mesurer et à peser selon des règles, réapparaîtra à l’époque suivante, figuré par la balance. Et la quatrième époque nous mon­trera ce qui est le plus important, ce que l’homme a acquis grâce au Christ Jésus et à son apparition sur terre : la vie spirituelle, l’immortalité du Je. Que tout ce qui n’est pas destiné à être immortel, tout ce qui est voué à la mort, dis­paraîtra, voilà ce qui doit se révéler à cette quatrième époque.

Ainsi réapparaîtra successivement tout ce qui s’est pré­paré pendant nos périodes de civilisation, et cela se pré­sente ici sous la forme symbolique correspondant à l’intelligence. Lisons dans le chapitre VI de l’Apocalypse de Jean comment se fait l’ouverture des quatre premiers Sceaux, et nous verrons que ce qui est révélé ici exprime étape par étape, en un puissant symbolisme, ce qui se dévoilera un jour. « Et je vis un cheval blanc » - c’est l’in­dication que l’intelligence spiritualisée apparaît. « Celui qui le montait tenait un arc ; une couronne lui fut donnée et il partit en vainqueur pour remporter la victoire. Lorsque l’Agneau ouvrit le second Sceau, j’entendis le second Animal qui disait : Viens et vois. - Et il sortit un autre cheval, rouge-feu. Celui qui le montait reçut le pou­voir de bannir la paix de la terre, afin que ses habitants s’entr’égorgeassent ; et une grande épée lui fut donnée » - afin que périsse tout ce qui ne mérite pas de participer au progrès de l’humanité. « Quand l’Agneau ouvrit le troi­sième Sceau, j’entendis le troisième Animal dire : Viens et vois. - Et je vis un cheval noir. Celui qui le montait tenait à la main une balance. Et j’entendis une voix qui venait du milieu des quatre Animaux et qui disait : Une mesure de blé pour un denier et trois mesures d’orge pour un denier. » « Mesure » et « denier » désignent ce que l’homme a appris pendant la troisième civilisation : les fruits en seront conservés jusque-là et descellés. À la quatrième civi­lisation, le Christ Jésus est apparu pour vaincre la mort. Ce qui se révèle ainsi : « Et quand l’Agneau ouvrit le qua­trième Sceau, j’entendis la voix du quatrième Animal dire : Viens et vois. - Je regardai et je vis paraître un cheval blême, et celui qui le montait se nommait la Mort, et l’en­fer la suivait. » « Un cheval blême », c’est ce qui succombe, ce qui sombre dans la race des méchants ; mais ceux qui auront entendu l’appel et qui auront vaincu la mort auront part à la vie spirituelle. Ceux qui ont compris le « Je suis » et son appel, ce sont ceux qui ont vaincu la mort. Ils ont spiritualisé l’intelligence. Maintenant, ce qu’ils sont deve­nus ne peut plus être symbolisé par le cheval. Un nouveau symbole doit apparaître pour désigner ceux qui ont com­pris et suivent l’appel de celui qui a les sept esprits de Dieu et les sept étoiles. Ceux-là sont représentés par le symbole de « ceux qui portent des robes blanches », qui ont revêtu l’enveloppe de la vie immortelle, spirituelle et éternelle.

Il nous est rapporté ensuite comment apparaîtra tout ce qui s’élève vers le bien et tout ce qui sombre dans le mal, et cela est clairement exprimé. « Et quand l’Agneau ouvrit le cinquième Sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été immolés à cause de la Parole de Dieu et du témoignage qu’ils avaient rendu. Elles criaient à haute voix et disaient : Jusques à quand, Seigneur, qui est saint et véri­table, tarderas-tu à venger notre sang sur les habitants de la terre ? - Et il fut donné à chacun une robe blanche, et il leur fut dit de demeurer en repos encore un peu de temps, jusqu’à ce que fût complet le nombre de leurs compagnons et de leurs frères qui devaient être immolés comme eux. » C’est-à-dire tués dans leur forme extérieure et renaissant dans l’esprit. Comment cela s’exprimera-t-il ?

Représentons-nous ce que devient le monde extérieur sensible dans une vie véritablement imprégnée d’anthroposophie. Comment avons-nous décrit les sept étoiles ? Nous sommes remontés jusqu’à Saturne et avons montré comment le corps physique de l’homme s’est formé, constitué de chaleur. Nous avons vu apparaître le Soleil. Nous avons retracé ce monde en esprit. Pour nous, le Soleil n’est pas seulement un globe physique ; c’est le dis­pensateur de la vie, de cette vie de l’esprit qui prendra chez l’homme de l’avenir sa forme la plus haute. La Lune est pour nous l’élément qui retient la vie dans sa marche impétueuse et ralentit l’évolution humaine dans la mesure où cela est nécessaire. Soleil et Lune sont donc pour nous des puissances spirituelles. Et la sagesse anthroposophique que nous acquérons apparaît également dans la future époque sous la forme d’un symbole juste : Soleil et Lune apparaissent à notre regard spirituel comme ce qui nous a édifiés, nous autres hommes. Symboliquement, le Soleil et la Lune physiques disparaissent alors et deviennent sem­blables à un être humain, mais sous une forme élémen­taire. « Je regardai quand il ouvrit le sixième Sceau ; et il y eut un grand tremblement de terre, le soleil devint noir comme un sac de crin, la lune entière devint comme du sang. » Tout cela est l’accomplissement symbolisé de ce que nous cherchons dans la vie spirituelle.

Ainsi voyons-nous qu’est prédit pour la prochaine ère, en images pleines de sens, un avenir qui se prépare dans la nôtre. Aujourd’hui, nous portons en nous, mais invisible, cette transformation du Soleil et de la Lune que nous opé­rons quand le physique se métamorphose en éléments spi­rituels. Lorsque le regard clairvoyant se tourne vers l’avenir, le physique disparaît effectivement, et devant nous apparaît le symbole de la spiritualisation de l’huma­nité.

En traits quelque peu osés, nous avons esquissé aujour­d’hui ce que doivent nous dire les sept Sceaux et leur ouverture dans l’Apocalypse. Il nous faut certes creuser davantage ce texte, et alors nous apparaîtront en pleine clarté bien des choses qui pourraient aujourd’hui nous paraître invraisemblables. Mais déjà nous voyons com­ment s’ordonnent intérieurement les puissantes images du présent et de l’avenir de l’évolution humaine que le voyant a pu contempler, comment elles s’étendent à un avenir lointain et ainsi nous transmettent des impulsions tou­jours plus fortes à vivre en nous adaptant à cet avenir, à collaborer nous-mêmes à cette spiritualisation de la vie humaine.

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Cinquième conférence, 22 juin 1908 :
L’évolution de l’homme et l’évolution cosmique de la Terre.
Les vingt-quatre Vieillards et la Mer de cristal.

Nous avons vu hier comment la race humaine se déve­loppera lorsque sera achevé le cycle actuel de notre évolu­tion, comment elle se scindera en deux courants pour ainsi dire : la race du Bien et celle du Mal, et comment les secrets de cet avenir sont dévoilés par les sept Sceaux, déchiffrés en images dans l’Apocalypse de Jean. Après cet exposé général de l’apparition dans la physionomie exté­rieure de ce qui se prépare durant notre ère dans les âmes des hommes, quelqu’un pourrait facilement demander : Comment se fait-il que l’auteur de l’Apocalypse com­mente précisément les premiers des Sceaux à l’aide d’aussi terribles images ? Cette question, nous pourrons y répondre d’autant mieux que nous intercalerons aujour­d’hui dans notre exposé de l’Apocalypse une digression.

Jusqu’ici, nous avons essayé de corroborer cette affir­mation : l’Apocalypse de Jean décrit une initiation, l’ini­tiation chrétienne, et grâce à cette initiation l’avenir de l’humanité se révèle. Nous évoquerons de la meilleure façon tout ce qui s’y rattache en reportant aujourd’hui le regard en arrière et en retraçant devant notre âme, une fois encore, le passé de l’évolution de l’humanité. Et nous le ferons précisément dans la mesure où nous en avons besoin pour expliquer l’Apocalypse. Les traits fondamen­taux dont il s’agit, vous les connaissez déjà. Vous savez que notre Terre, formant aujourd’hui le séjour des humains, a une origine infiniment lointaine, mais qu’en tant que Terre elle est la réincarnation d’une autre entité planétaire que l’on nomme ordinairement l’ancienne Lune, ou aussi le cosmos - ou la planète - de la sagesse, par distinction avec notre Terre actuelle, que nous appelons le cosmos ou la planète de l’amour. Mais ce cosmos de la sagesse ou ancienne Lune n’est aussi que la réincarnation d’un état encore antérieur que nous appelons la planète Soleil, donc non pas l’étoile fixe, mais la planète Soleil, qui est la réin­carnation de l’ancien Saturne. Si bien que nous avons à distinguer quatre états successifs de notre existence plané­taire que nous nommons Saturne, Soleil, Lune et Terre.

Nous allons maintenant, dans la mesure où nous en avons besoin pour expliquer l’Apocalypse, décrire ces quatre états. Lorsque vous remontez par la clairvoyance jusqu’à l’ancien Saturne, vous parvenez jusqu’à une pla­nète étrange. Cet ancien Saturne est un corps céleste sur lequel on ne peut rien trouver encore de ce que nous appe­lons aujourd’hui les minéraux, des substances terrestres solides. Rien ne s’y trouve de ce qui est actuellement notre monde animal et notre monde végétal, rien de ce que nous appelons aujourd’hui l’eau ou les substances liquides, rien de ce qui nous est connu comme courant aérien ou gaz. Si vous vous représentiez qu’avec vos yeux actuels - qui à l’époque n’existaient pas encore - vous vous trouvez quelque part dans l’espace intersidéral et que vous vous approchez de ce Saturne, vous ne pourriez tout d’abord rien voir de cet état premier, car il n’émet pas encore de lumière. Avec vos yeux donc, vous ne pourriez rien voir extérieurement de ce Saturne dans la première moitié de son existence. Si vous vous en approchiez en pénétrant dans l’espace qu’il occupait, vous percevriez un peu - si vous pouviez alors vous servir des sens actuels - comme si vous vous glissiez dans un four chauffé. Vous ne pourriez distinguer cet espace d’un autre que par le fait qu’il est plus chaud que son environnement. La chaleur est le seul de nos états actuels que l’on rencontre sur l’ancien Saturne. Mais c’était une sorte de chaleur étrange. Elle ne vous paraîtrait pas également répartie en tous points. Vous pourriez trouver que certains endroits sont plus chauds, d’autres plus froids, de sorte qu’en réunissant par des lignes ceux qui sont à la même température, on obtien­drait des figures perceptibles uniquement grâce à la diffé­rence d’intensité calorique. Tout était chaleur, mais chaleur organisée, différenciée. Si vous pouviez voler à tra­vers ce globe, vous vous diriez : Il y a là quelque chose, mais quelque chose que je ne puis percevoir que grâce aux états caloriques différents.

Dans ces états caloriques différents - la seule alors exis­tante des caractéristiques actuelles de notre Terre -, dans cette chaleur était alors exprimée la première ébauche du corps physique humain. Ce qui était là présent, vous l’avez encore en vous, mais non plus dans l’espace extérieur : cela s’est intériorisé, c’est la chaleur de votre sang. Si avec cette chaleur du sang vous pouviez construire des formes, vous auriez les traces de ce qui existait de votre corps physique sur l’ancien Saturne. La chaleur que vous avez dans votre sang aujourd’hui, c’est le premier germe du corps phy­sique, son élément le plus ancien, si bien que vous pouvez dire aussi : Saturne dans sa totalité était fait de chaleur san­guine. Mais vous pourriez aussi trouver quelque chose d’analogue à des figures qui pourraient être dessinées si vous suiviez les voies de la circulation sanguine selon ses différents états caloriques. Telle était l’existence physique de cet ancien Saturne. Des conditions terrestres présentes, il n’avait strictement que la chaleur. De tous les êtres qui peuplent aujourd’hui la Terre, seul l’homme était présent, et de lui ce seul germe du corps physique. Saturne n’était uniquement constitué que de pareils germes de corps phy­siques humains, formés de chaleur. De même que la mûre est aujourd’hui composée de petits grains, Saturne était composé autrefois d’êtres humains, mais sous la forme qui vient d’être décrite. D’autre part, il était entouré d’entités spirituelles. Comme aujourd’hui la Terre est entourée d’air, Saturne était entouré d’une atmosphère spirituelle, où vivaient des entités parvenues à différents degrés d’évolu­tion, mais qui toutes avaient besoin, au degré atteint à ce moment-là, d’avoir Saturne pour demeure. Il leur était nécessaire, elles ne pouvaient pas subsister sans lui. Certaines par exemple étaient déjà constituées aussi de sept principes, mais non pas de la même façon que l’être humain d’aujourd’hui. Celui-ci possède les sept principes que nous appelons les « sept esprits de Dieu », et dont le premier est le corps physique. Il n’en était pas ainsi de ces êtres spirituels. Certains par exemple avaient pour principe inférieur le corps éthérique. En guise de corps physique, ils se servaient des corps physiques de Saturne dans lesquels ils ancraient leur corps éthérique. Ce Saturne était donc, comparé à la Terre actuelle, un corps céleste d’une substance immaté­rielle, infiniment subtil. De nos substances, il n’avait même pas l’air, les gaz, qui étaient pour lui trop grossiers. Il n’était que chaleur, et alentour entités spirituelles.

Or, tandis que les êtres qui l’entouraient continuaient d’évoluer, Saturne passa par plusieurs métamorphoses. L’une d’elles est facile à décrire : au milieu de son évolu­tion, il commence effectivement à projeter des lueurs. De sorte que, quand on le suit du regard, il se révèle au début corps de chaleur obscur, commence à briller, et vers la fin peut faire rayonner dans l’univers une faible lumière. L’atmosphère spirituelle qui l’entoure, et qui contient dif­férentes entités, contient entre autres aussi une sorte d’en­tités qui nous concernent particulièrement. Elles passent, vers le milieu de la période saturnienne, par la phase d’évolution à laquelle l’homme en est actuellement sur la Terre ; ce sont les esprits de la personnalité. À peu près au milieu de l’ancien Saturne, ceux-ci sont parvenus au stade de l’humain. Vous ne ferez naturellement pas l’erreur de demander : Oui, ont-ils donc eu des corps semblables à ceux des hommes actuels ? Se représenter que ces « hommes » avaient des corps de chair humaine serait une grave erreur. On peut vivre le stade humain sous les formes les plus diverses. Et ces esprits de la personnalité passent sur Saturne par le stade humain en utilisant tout d’abord comme corps physique ce qui existe sur Saturne, c’est-à-dire la chaleur, en guise de corps éthérique - car ils n’en possèdent pas non plus - l’éthérique présent dans l’atmo­sphère, et enfin aussi la substance astrale présente, qu’ils ne possèdent pas non plus eux-mêmes. Ils n’ont vraiment, pour l’essentiel, que le support du Je, un Je, et ce Je qui se trouve au stade humain est vivant comme actuellement l’est le Je humain sur la Terre, il passe à cette époque par les différentes phases de l’humanité sur Saturne sous une autre forme, et d’une manière différente. Nous avons donc environ au milieu de l’évolution saturnienne les esprits de la personnalité, les Principautés, au niveau de l'« huma­nité ». Lorsqu’on compte ainsi, ce que je viens d’énumérer est le degré du milieu de l’évolution saturnienne. Il est pré­cédé de trois autres, et suivi de trois autres. C’est ce qu’on appelle les cycles ou les périodes de Saturne. En vous représentant l’ensemble de Saturne, vous pouvez l’imagi­ner ainsi :


Au centre (X) se trouvent les esprits de la personnalité. Au cours de chacune des sept périodes, des trois premières et des trois dernières - car tout comme celle de notre Terre, l’évolution de Saturne se divise en sept périodes -, des entités déterminées deviennent « hommes », un groupe à chaque niveau, et en outre toujours quand pour elles le moment est venu où elles peuvent utiliser ce qui se trouve sur Saturne afin de faire des expériences « humaines ». Nous avons donc sur Saturne sept sortes de créatures qui y ont atteint le degré humain, qui ont accédé jusqu’au niveau humain, et qui donc, par la suite, n’auront plus besoin de le faire. Sur Saturne, l’être humain n’est pas encore « homme ». Les entités qui le sont devenues sur Saturne, et dont les représentants sont les Esprits de la Personnalité, ces êtres continuent leur ascension et sont maintenant bien au-dessus du stade humain, qui est pour ainsi dire en eux une étape appartenant au passé.

Après un certain temps, toute l’évolution saturnienne passa dans une sphère spirituelle, dans un état qui ne serait pas perceptible extérieurement pour des sens comme les nôtres, puis apparut la deuxième incarnation de notre pla­nète Terre, le Soleil. Celle-ci se distingue par le fait que, relativement tôt au cours de son évolution, l’astre est assez avancé pour émettre de la lumière. C’est qu’il n’est plus seulement fait de chaleur ; la substance calorique s’est déjà condensée en une matière gazeuse, faite d’air, sans aucun liquide ni rien de solide, mais consistant en une masse d’air et de gaz, et de ce fait en un corps pouvant briller. Vu par des yeux comme les nôtres, c’est déjà une planète brillant dans l’espace. Maintenant qu’elle s’est développée jusque-là, il devient possible qu’au premier germe du corps physique humain soit incorporé un corps éthérique. L’homme se composait donc d’un corps physique et d’un corps éthérique, tandis que sur Saturne il n’avait que le premier germe du corps physique, et n’était pas encore assez avancé pour avoir un corps astral qui lui soit propre. Les formes de l’être humain avaient donc un tout autre aspect qu’aujourd’hui, et s’apparentaient à celles du végé­tal. L’homme possédait le corps physique et le corps éthé­rique, comme la plante, mais sous une tout autre apparence que celle de la plante actuelle.

Cette progression dans l’évolution est liée à l’entrée en scène d’une deuxième catégorie d’entités qui apparaissent sur le Soleil. Sur Saturne, il n’y avait que des êtres humains, aucune autre entité, seulement des germes d’êtres humains agglomérés comme les petits grains d’une mûre. Mais quelques-uns de ces germes se sont attardés à l’étape saturnienne, et n’ont pas atteint l’étape à laquelle ils auraient dû parvenir. Ces entités retardées qui viennent de Saturne ne peuvent donc pas acquérir de corps éthérique sur le Soleil et sont réduites à la possession d’un corps phy­sique. Elles n’en sont donc qu’au stade où en étaient les humains sur Saturne. Ces entités, qui sur le Soleil n’ont que le corps physique, sont les premiers germes de notre règne animal. De sorte que sur le Soleil nous avons les pré­curseurs des êtres humains, qui ont un corps physique et un corps éthérique, et les précurseurs des animaux, qui n’ont qu’un corps physique.

De nouveau, vers le milieu de l’existence solaire, cer­taines entités passent par le stade humain. L’homme actuel ne pouvait pas y atteindre encore. Les entités spirituelles venant de l’entourage du Soleil, et qui maintenant passent par le stade humain, nous les appelons esprits du feu, archanges. Aujourd’hui, ils sont en avance de deux degrés sur l’homme. Ils portent en eux l'« humanitude » et connaissent sous une autre forme les expériences que l’homme actuel vit sur la Terre. Le Soleil, lui aussi, passe par sept périodes, sept phases d évolution. À chacune d’elles, certaines entités atteignent le stade humain, si bien que, pendant l’existence solaire, nous avons à nouveau sept phases d’évolution. Lorsqu’elles évoquent le passé de leur existence cosmique, elles peuvent en dire : Bien que sous moi il n’y ait eu ni sol terrestre ferme ni sphère ter­restre liquide, j’ai pu vivre autrefois ce que l’homme vit maintenant. Je peux donc participer aux sentiments et aux expériences que vit aujourd’hui l’homme sur la Terre. - Voilà ce que ces êtres peuvent dire aujourd’hui. Ils ont cette compréhension parce qu’ils ont fait eux-mêmes cette expérience jadis.

Alors commence à nouveau une sorte d’état intermé­diaire pendant lequel le globe lumineux s’éteint peu à peu pour l’observation extérieure - si tant est qu'elle eût pu se faire - et disparaît aussi pour certains observateurs clair­voyants, n’étant perceptible qu’aux degrés les plus élevés de la clairvoyance. Puis il réapparaît dans une nouvelle forme d’existence, un troisième état que nous appelons l’ancienne Lune. C’est la troisième incarnation de notre planète, l’ancienne Lune. La substance en est suffisam­ment évoluée pour que ce qui était gaz sur l’ancien Soleil se condense jusqu’à l’état liquide. Grâce à la condensation de cet élément liquide, un corps astral peut être ajouté à l’être humain qui réapparaît graduellement, comme la plante sort de la graine, si bien que maintenant l’homme est fait de trois éléments, le physique, l’éthérique et l’astral. Il n’est pas encore vraiment « homme », car dans ces trois corps aucun Je n’a encore pénétré.

À toutes les étapes, certaines entités restent toujours en arrière. Celles qui l’ont fait sur le Soleil n’ont pas pu atteindre le niveau de la Lune et ne passent alors que par le niveau solaire, n’ont pour cette raison aucune possibilité d’y recevoir un corps astral, et ne se composent sur la Lune que d’un corps physique et d’un corps éthérique. Ce sont notamment les êtres qui étaient déjà restés en arrière sur le Soleil, mais qui, entre temps, s’étaient développés suffi­samment pour pouvoir être munis d’un corps éthérique.

Ce sont à nouveau les ancêtres d’animaux actuels. Quant à ceux qui n’étaient pas encore assez avancés sur la Lune pour y recevoir un corps éthérique, ce sont les ancêtres d’êtres encore inférieurs, de l’actuel règne végétal. Nous avons donc sur cette ancienne Lune trois règnes : celui des humains, dotés de trois corps : le physique, l’éthérique et l’astral ; le règne animal, constitué de physique et d’éthérique, et le règne végétal, constitué seulement d’un corps physique.

Certaines entités atteignent à leur tour le niveau « humain » vers le milieu de l’existence lunaire. Ce sont celles que nous appelons d’ordinaire esprits du demi-jour ou anges. Elles aussi gardent le souvenir du stade d’huma­nité. La Lune évolue également au cours de sept phases. À chacune de celles-ci, la possibilité s’offre à des entités de passer par le niveau humain. Il en est toujours ainsi que quelques entités avancent plus vite, et que d’autres restent en arrière. Nous avons donc aussi sur la Lune sept ordres d’entités qui ont passé par l'« humanité » lorsque s’achève l’évolution lunaire.

Il nous faut certes, pour bien comprendre ce qu’était cette ancienne Lune, mentionner un fait important de son évolution. Au début de celle-ci, ou tout au moins bientôt après son début, c’était un globe liquide. Si elle avait passé sous cette forme à travers ses sept phases, elle ne serait pas parvenue à fournir à l’homme la base juste pour son pro­grès ultérieur. Elle ne devint apte à être une étape prépa­ratoire à l’humanité terrestre qu’en se scindant tout d’abord en deux corps célestes. L’un fut le précurseur du Soleil actuel, l’autre, celui qui s’en séparait, le précurseur de notre Terre actuelle, mais il faut vous représenter qu’à cette Terre, la Lune actuelle était mêlée, et qu’ainsi la Terre et la Lune d’aujourd’hui ne faisaient qu’un. Vous vous représentez donc ces deux corps, la Terre plus la Lune d’une part et le Soleil d’autre part, séparés maintenant, l’ancienne Lune étant un corps aqueux, et l’ancien Soleil en voie de devenir étoile fixe. À cette scission est lié quelque chose de très important. C’est avant tout le Soleil qui a effectué la scission en emportant les parties les plus subtiles, les plus éthériques de la matière, tandis que res­taient dans le globe lunaire - c’est-à-dire dans ce qui devait former la Terre et la Lune actuelles - les substances les plus grossières. C’est pourquoi le Soleil est composé de sub­stances infiniment subtiles, tandis que la Lune, à ce moment, devient un corps bien plus dense, une masse liquide. Le Soleil ayant emporté avec lui les forces les plus subtiles, les plus spirituelles, il a pu devenir aussi le champ d’évolution d’entités beaucoup plus avancées. De fait, un grand nombre de ces êtres très élevés qui avaient encore pu supporter l’existence sur Saturne auraient été entravés dans leur développement s’ils étaient restés plus longtemps enchaînés à la Lune. Ils avaient besoin, pour évoluer, d’un champ d’action fait de substances très subtiles, qu’ils entraînèrent avec eux, et purent ainsi continuer à évoluer sur le Soleil. Par contre, les germes humains composés d’un corps physique, d’un corps éthérique et d’un corps astral, ainsi que les ébauches des règnes animal et végétal, sont restés attachés à la Lune, qui a subi une condensation due au départ de la matière la plus subtile.

Cette ancienne Lune a dès lors un aspect bien étrange. Bien qu’elle tourne déjà autour de son Soleil, vous n’y trouveriez encore rien de semblable à des rochers, à de la terre meuble, à des minéraux. La masse principale de cette Lune, sur laquelle sautillaient en quelque sorte ces êtres, était une sorte de bouillie, quelque chose comme de la salade cuite ou des épinards cuits. Comme la masse princi­pale de notre Terre est la terre labourable, celle de la Lune était ce genre de bouillie. D’autres masses s’y inséraient qui ressemblaient à du bois ou à de l’écorce d’arbre. Quand de nos jours vous gravissez une montagne, vous marchez sur le roc. En ce temps-là, vous auriez marché sur un terrain qui, quand il était solide, était comme une matière ligneuse, comme un plateau de bois. Au lieu de granit, vous auriez trouvé des tronçons comparables à du bois, ceci dit naturellement par comparaison. Telle était cette masse fondamentale sur laquelle poussaient constamment des formes bourgeonnantes. C’était donc le règne infé­rieur, l’actuel règne minéral, qui se trouvait à cette époque à mi-chemin entre le règne minéral et le règne végétal actuels, et qui vivait d’une certaine façon, engendrant constamment des excroissances. Ce n’était pas comme aujourd’hui où, quand on veut enlever de la terre meuble, il faut se servir de moyens extérieurs. Tandis que cette masse de l’ancienne Lune mourait - mais pas à la façon d’une plante isolée - et se reformait. Elle était constam­ment parcourue de vie et de mouvement. La masse fon­cière de l’ancienne Lune dépérissait sans cesse et bourgeonnait constamment. De ce sol fondamental sortit un autre règne. Car en effet, en raison de la séparation de la lune quittant le soleil, les règnes primitifs s’étaient modifiés. Sur l’ancien Soleil, ils correspondaient à peu près aux nôtres. Mais du fait du départ de la lune, le règne végétal avait rétrogradé d’un demi-degré, ainsi que les autres règnes, si bien que le plus proche était une sorte de règne mi-animal, mi-végétal. Certes, il sortait du sol, des animaux-plantes en sortaient, ayant des formes végétales, mais quand on les touchait, ils éprouvaient des sensations, ils gémissaient par exemple. Ils étaient en fait mi-bêtes et mi-plantes, plantes en ce sens qu’ils poussaient dans le sol, y étaient pour une grande part fermement enracinés, et animaux dans la mesure où ils étaient capables de ressen­tir. Et le règne qui était notre précurseur était composé d’hommes-animaux, d’êtres intermédiaires entre l’homme et l’animal actuels, supérieurs à nos singes, mais pas encore aussi évolués que l’être humain. Telle était à peu près la forme des ancêtres de l’homme sur l’ancienne Lune.

Les légendes et les mythes, précisément, ont mer­veilleusement retenu ces choses. Pensez seulement à une légende germanique qui a conservé le secret qui reste dis­simulé derrière tout cela. Il y a toujours des êtres qui res­tent en arrière. Ceux-là aussi qui se trouvaient à mi-chemin entre les plantes et les animaux actuels, qui ne pouvaient s’enraciner que dans un sol végétal comme l’était celui de l’ancienne Lune, ceux-là sont restés en arrière et ne peuvent, sur notre Terre actuelle, pousser sur un sol minéral. Nos plantes actuelles le peuvent, mais non pas celles qui étaient entre la plante et l’animal et avaient besoin d’un sol vivant. Le gui est une plante de cette espèce. Il lui faut vivre en parasite dans notre monde végé­tal actuel parce que c’est un être retardataire. Il a perdu sa sensibilité, bien que l’astralité qui l’enveloppe soit tout autre que chez les autres plantes. Et c’est ce que sentait la légende germanique : le gui n’appartient pas réellement à notre nature terrestre, il lui est étranger. Elle célèbre en Balder le dieu du soleil sur la terre, de la force terrestre. Nul être terrestre ne peut donc s’approcher de lui dans une attitude hostile par exemple. C’est pourquoi aussi le dieu dont la légende avait conscience qu’il était un de ces retar­dataires, Loki, ne peut tuer Balder avec l’aide d’aucune créature terrestre. Il est obligé de le faire tuer en utilisant un rameau de gui, plante étrangère parmi les créatures ter­restres et qui peut, pour cette raison, servir Loki, lequel est aussi un étranger parmi les divinités terrestres. Une pro­fonde sagesse se cache derrière de telles légendes. Dans celle-ci, la légende de Balder et de Loki, nous sentons partout cette antique sagesse, ainsi que dans les usages qui se rattachent au gui. Si vous les étudiiez, vous trouveriez que ce qu’on dit de cette plante provient d’une très ancienne sagesse.

Le temps est alors venu - pendant la seconde moitié de l’évolution lunaire - où les êtres évoluant sur le Soleil, comme aussi ceux qui évoluaient sur la Lune, sont parve­nus au niveau qu’ils devaient atteindre pendant l’ancienne Lune. Ils purent alors à nouveau se réunir. Le Soleil et la Lune, formant à nouveau un seul corps, purent poursuivre pendant un temps leur évolution.

Puis ce stade de l’évolution rentra dans l’ombre à nou­veau et passa par cet état de pure spiritualité que certains ont l’habitude de nommer pralaya, alors se leva l’aube de notre évolution terrestre. Au début, le corps céleste qui sort de l’ombre ne contient pas uniquement notre actuelle substance terrestre, mais aussi ce que vous obtiendriez en rassemblant la substance du soleil actuel, celle de la Terre actuelle et celle de la lune actuelle, et en les mélangeant dans un récipient gigantesque. C’est à peu près ainsi que vous pouvez vous représenter l’état de notre Terre au début de l’évolution terrestre. Cet état est tout d’abord une sorte de répétition de l’état saturnien, puis des états solaire et lunaire. Ce qui est ici avant tout important pour nous, c’est que l’être humain n’arrive à être vraiment « homme » au sens actuel du mot que vers le milieu de l’évolution ter­restre. Il nous faut, dans le cours de celle-ci, distinguer sept phases. Nous nous trouvons dans la quatrième, que trois ont précédée, et que trois suivront. Le quatrième cycle principal fut celui durant lequel notre espèce humaine devait parvenir à son « humanité ». De même que durant tous ces cycles sur Saturne, sur le Soleil et sur la Lune certaines entités ont atteint le niveau humain - sur Saturne les asoura ou Principautés, sur le Soleil les archanges, sur la Lune les anges -, toujours des entités ont pris du retard. Sur la Lune, certaines n’ont pas pu atteindre le stade humain, c’étaient en quelque sorte des Anges retardés, qui purent maintenant y parvenir au cours des trois premières phases du cycle terrestre. À la quatrième, c’est l’homme qui y parvint. Avant l’homme, trois autres sortes d’entités ont donc passé par ce stade sur la Terre. Et la quatrième, c’est l’homme lui-même. Au moment de l’évolution cosmique où l’homme se prépare justement à acquérir son « humanité », vous avez donc toutes les enti­tés qui ont pu, avant l’homme, passer par ce stade sur les anciens Saturne, Soleil, Lune et Terre, et sont donc des êtres ayant atteint des niveaux plus ou moins supérieurs à celui de l’homme. Et tous peuvent se souvenir du temps où ils passaient eux-mêmes par cette étape. Ils purent abaisser leur regard sur l’homme en devenir et se dire : Celui-là devient actuellement ce que nous avons été jadis ; nous pouvons le comprendre, bien que pour nous les conditions aient été différentes. - C’est pourquoi ils ont pu, des hauteurs universelles, diriger et régler son évolu­tion.

Calculons combien de ces entités peuvent ainsi se sou­venir du stade humain et comprendre l’homme en deve­nir : sept de l’évolution saturnienne plus sept sur le Soleil, plus sept sur la Lune, plus trois sur la Terre, soit en tout donc vingt-quatre. Vingt-quatre « hommes » regardent d’en haut l’homme actuel. Ce sont eux que, pour de bonnes raisons, nous avons appelé les Régulateurs de l’évolution, les Régulateurs du temps. Car le temps et l’évolution sont liés. Ce sont les vingt-quatre « Vieillards » que nous rencontrons dans l’Apocalypse, les mêmes qui nous sont décrits quand nous abordons le secret des sept Sceaux. Ils nous sont présentés comme étant véritable­ment ceux qui règlent l’orientation des destinées, l’Alpha et l’Oméga. Nous avons donc retrouvé ici les vingt-quatre Vieillards, et vous voyez comment l’auteur de l’Apocalypse, de cet important document, a merveilleuse­ment inséré dans ses images ce que nous pouvons nous-mêmes puiser dans l’étude de l’évolution spirituelle de l’univers.

À chaque degré cependant, certaines entités étaient restées en arrière, si bien que les êtres saturniens attardés apparurent sur l’ancien Soleil comme les premiers germes de l’actuel règne animal, et les êtres solaires attardés sur l’ancienne Lune comme les premiers germes de l’actuel règne végétal. C’est seulement avec la Terre qu’un stade d’évolution apparaît formant le règne minéral. Nous avons souligné que sur la Lune il n’y avait pas encore de règne minéral, et qu’on n’aurait pas pu y marcher sur du roc. C’est au moment où les hommes actuels commen­çaient à entrer dans leur stade humain qu’ont émergé du corps céleste - qui n’était encore fait que d’une substance à mi-chemin entre celle de la Lune et celle de la Terre actuelle - les masses minérales, les premiers cristaux. C’est à ce moment qu’apparut le règne minéral. Et de cette apparition, vous trouvez dans l’Apocalypse une des­cription saisissante, là où il est dit : « Tout se cristallisait en une mer de verre, de cristal. » Cette « mer de cristal » nous indique qu’apparaît, que jaillit sous sa toute pre­mière forme le règne minéral. Ce secret de l’évolution cosmique, nous le voyons aussi inscrit dans l’Apocalypse. Et nous avons ainsi appris aussi à comprendre que l’au­teur, dans ses tableaux grandioses, ne veut nous décrire rien d’autre que ce que nous pouvons, en puisant à la vie spirituelle, discerner nous-mêmes dans l’évolution de la Terre. Mais ainsi, l’auteur de l’Apocalypse nous a, dès le début de son livre, entraînés jusqu’à des hauteurs d’où l’être humain peut contempler en images les étapes futures de cette évolution.

Nous avons maintenant une bonne base à laquelle nous pouvons rattacher ce que nous avons appris au sujet des premières époques à venir. Nous avons maintenant, par cette digression, jeté un regard sur le passé jusqu’au point où l’homme est prêt à devenir vraiment « homme », et où le règne minéral apparaît. Nous verrons ensuite comment l’évolution s’est poursuivie jusqu’à nos jours et doit se poursuivre dans l’avenir. Nous aurons ainsi accès au mys­tère des sept Sceaux et de leur ouverture, jusqu’à l’époque où seront répandues les sept Coupes de colère.

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Sixième conférence, 23 juin 1908 :
L’homme aux époques lémurienne et atlantéenne.
Le Mystère du Golgotha.

Dans les milieux scientifiques matérialistes, il est géné­ralement d’usage, à l’exception de quelques cercles qui, ces derniers temps, ont fait le choix d’une autre explication, de présenter l’origine de notre actuel système solaire en le décrivant formé à partir d’une sorte de nébuleuse primi­tive englobant l’espace jusqu’au-delà de l’orbite de Neptune, donc de la planète la plus éloignée de ce sys­tème. De cette nébuleuse, suppose-t-on, sont issus peu à peu par un processus de condensation notre Soleil et les planètes qui tournent autour de lui. Comme il vient d’être dit, un petit nombre de commentateurs ont aujourd’hui une conception un peu différente, mais qui ne nous apporte encore rien d’essentiel, à nous qui nous fondons sur une conception spirituelle de l’univers. Ainsi se seraient formés notre Soleil et les planètes qui tournent autour de lui. On s’est toujours servi, et on se sert encore aujourd’hui dans les écoles, pour donner cette explication, d’une jolie comparaison qui doit rendre concrète la for­mation de tout un système planétaire par rotation. On prend une substance huileuse qui nage dans l’eau, et on lui donne une forme sphérique. Puis on la partage en deux moitiés par l’insertion en son milieu, qui figure la ligne de l’équateur, d’une petite feuille que l’on perce d’une longue épingle, et on la met dans l’eau, où elle flotte. On voit ensuite, quand on fait tourner cette petite sphère, com­ment tout d’abord une goutte s’en détache et tourne autour de la sphère comme le ferait un corps extérieur, puis comment une deuxième et une troisième goutte se détachent et enfin une boule plus grosse reste au milieu, autour de laquelle beaucoup de petites tournent. Un sys­tème planétaire en petit ! - dit-on. Pourquoi, pense-t-on, notre système solaire ne serait-il pas né par suite de la rota­tion d’une nébuleuse originelle, puisqu’on peut mainte­nant reproduire le processus avec un tel système solaire en miniature ?

Ordinairement, cette comparaison paraît aux gens tout à fait lumineuse, et ils comprennent alors comment, dans le passé, les planètes Saturne, Jupiter, Mars, Terre, Vénus, Mercure se sont formées à partir de la nébuleuse originelle. Mais toute l’affaire, et pas seulement la comparaison, la conception entière, dans son ensemble, est née de la pen­sée à courte vue de notre époque. Car les hommes concer­nés, souvent très érudits, qui exposent de façon si lumineuse cette comparaison, oublient ce faisant une seule chose : à savoir qu’ils sont eux-mêmes actifs et font tour­ner l’épingle ! L’oubli de soi est, dans certains domaines de la vie, une très bonne chose, mais dans ce cas, en même temps que l’expérimentateur, on oublie la chose essen­tielle, sans laquelle la goutte d’huile ne tournerait jamais. Il faudrait au moins que le savant qui professe cette super­stition - on appelle système de Kant-Laplace cette super­stition - ait un peu de suite dans les idées. Il lui faudrait au moins admettre qu’autrefois un être quelconque a placé une chaise gigantesque dans l’espace universel et a mis en mouvement un axe gigantesque. Voilà ce qu’au moins il faudrait admettre. Mais la pensée humaine s’est peu à peu si bien habituée à ne voir que le côté matériel des choses, que l’on ne voit plus la contradiction incluse dans une telle comparaison.

De fait, il y a dans ce qu’on appelle le système du monde de Kant-Laplace une part de vérité, même si cette vérité est autre que ce que propose l’explication matéria­liste. Il y a ceci de vrai qu’au regard clairvoyant, tout ce que contient notre système solaire actuel apparaît effecti­vement issu d’une masse nébuleuse originelle. Seulement, l’investigateur du cours de l’histoire spirituelle s’aperçoit que la part de vérité contenue dans l’hypothèse de Kant-Laplace a pour origine des traditions occultes. Cela, on l’a oublié lorsque le mot « occultisme » est devenu quelque chose qu’on redoute comme les enfants le croque-mitaine. Ce qui s’est véritablement passé quand s’est formé notre système solaire, cela n’a pas pu se faire sans l’influence d’entités, de puissances spirituelles. La matière ne fait rien sans l’activité d’êtres spirituels.

Cela nous mènerait trop loin aujourd’hui si, en nous rattachant à l’étude d’hier, nous entreprenions l’explica­tion complète du système solaire. Nous allons laisser de côté les planètes comme Saturne, Jupiter, etc., et nous n’envisagerons que ce qui est important pour la vie de l’homme et son évolution.

Effectivement, il a existé un jour une nébuleuse ori­ginelle, une nébuleuse cosmique, qui contenait comme en dissolution toutes les parties de notre système solaire. Mais on trouve, liées à cette nébuleuse, faisant partie de celle-ci, les entités que nous avons appris à connaître au cours de nos considérations d’hier. Par exemple, à cette nébuleuse universelle, à cette nébuleuse cosmique, étaient liés tous les êtres qui, en vingt-quatre étapes, avaient passé par le stade humain. D’autres êtres encore lui étaient liés. Ils résidaient tous dans cette nébuleuse ori­ginelle qui, si on ne se la représente pas en rapport avec eux, n’est que pure abstraction. La manière dont le chi­miste matérialiste se la représente à peu près est une impossibilité. Elle n’existe que sous forme de pensées déta­chées de toute réalité. En réalité, cette nébuleuse originelle était habitée par une série d’êtres spirituels. Car lorsqu’elle redevint visible, toutes les entités lui étaient liées qui avaient autrefois séjourné sur l’ancien Saturne, et qui ensuite avaient évolué à travers l’ancien Soleil et l’ancienne Lune jusqu’à la Terre, où après une longue pause la nébu­leuse originelle terrestre surgit pour ainsi dire. À celle-ci étaient également liés les êtres que nous avons appris à connaître sur le Soleil. Et ce sont ces êtres, le chœur tout entier qui peuplait cette nébuleuse, qui en provoquaient les mouvements. Car les entités elles-mêmes se créent leur champ d’action.
Il y en avait par exemple qui avaient besoin d’un tout autre séjour que les humains pour pouvoir parcourir l’évo­lution qui correspondait à leur nature. Sur l’ancienne Lune, les ancêtres des hommes actuels n’avaient qu’un corps physique, un corps éthérique et un corps astral. C’est avec ces trois éléments de leur nature qu’ils ont réap­paru au début de l’évolution terrestre, après ce qu’on appelle le pralaya, comme une plante sort de la graine. Tel qu’était tout ce système au début, il ne convenait pas aux êtres qui portaient en eux le germe de l’humanité actuelle. Si la rapidité d’évolution qui était celle de notre système solaire à son début s’était maintenue, alors que tout se dégageait de la pénombre cosmique, l’homme n’aurait pas pu accomplir son évolution. Elle se serait déroulée comme si, étant nés maintenant, vous deveniez rapidement des vieillards. Si cette rapidité qui était propre à l’ancien Soleil s’était maintenue, vous vieilliriez tous rapidement. Vous n’accompliriez pas ce lent périple à travers les décennies que vous parcourez maintenant en réalité. Vous auriez des cheveux blancs au bout de peu de temps. À peine enfants, vous deviendriez déjà des vieillards.

Cela ne devait pas être. Il y avait donc des entités qui avaient besoin d’un rythme rapide. Elles ne parcoururent avec l’homme qu’une partie de l’évolution, puis séparè­rent de la Terre le corps céleste que nous voyons mainte­nant dans le ciel, et en firent leur résidence. Elles emportèrent avec elles la substance solaire. Car ce Soleil qui nous envoie sa lumière est tout aussi peuplé que notre Terre d’êtres spirituels. Chaque rayon de soleil qui des­cend vers nous nous apporte les actes d’êtres spirituels qui, au cours des phases de Saturne, de l’ancien Soleil et de l’ancienne Lune, ont atteint un niveau qui leur permet de suivre une évolution aussi rapide que celle qui se déroule sur le Soleil aujourd’hui. Des entités supérieures sublimes sont donc liées à l’existence du Soleil au début de l’évolution de notre Terre, puis s’en séparent. Ce qui y est alors resté, il faut vous le représenter comme si vous aviez mélangé ensemble la Lune et la Terre actuelles, et que cet amalgame ait tourné autour du Soleil pendant un certain temps.

Nous avons donc, avant d’en arriver au point que nous avons désigné hier comme étant l’accession à l’humanité, la séparation du Soleil et de la Terre, c’est-à-dire de la Terre et de la Lune actuelles ensemble. Sur le Soleil continuèrent de résider les entités qui dirigent spirituellement les événe­ments terrestres. Lorsqu’elles sont venues de l’ancienne Lune, elles étaient au nombre de sept. La Genèse les appelle Elohim, les Esprits de lumière. Ils ont participé quelque temps à l’évolution de la Terre, puis en ont séparé le Soleil, et c’est du Soleil qu’ils peuvent maintenant agir sur la Terre. Six d’entre eux étaient d’une nature telle qu’ils unirent leur existence à celle du Soleil. L’un d’entre eux se sépara des autres ; c’est celui que l’Ancien Testament appelle Yahweh. Il resta tout d’abord lié à la Terre, dirigeant l’évolution ter­restre de l’intérieur, tandis que les autres exerçaient leur influence de l’extérieur. Il en fut ainsi pendant un certain temps.

Mais déjà après ce qui a été indiqué hier concernant l’ancienne Lune, vous trouverez compréhensible qu’au départ du Soleil fût liée une densification de tout ce qui restait : la Terre plus la Lune. Une période de l’évolution terrestre eut lieu pendant laquelle tous les êtres, et pas seulement la substance, passèrent par cette densification. Les êtres qui devinrent plus tard des humains, et qui étaient encore malléables et délicats, sont devenus telle­ment grossiers, tellement rudes, qu’ils ont développé d’horribles instincts. La vie tout entière prit des formes plus grossières.

Mais l’évolution ne pouvait pas en rester là pour que naquît l’homme, proprement dit. Tout serait devenu plus grossier, de plus en plus dense, et les humains se seraient durcis, devenant des momies. Momifiés, ils auraient bientôt habité une planète sur laquelle se seraient ras­semblés des êtres sans beauté, des sortes de momies à forme humaine, des statues. La Terre elle-même se serait momifiée. Il fallait qu’un événement intervienne. Grâce précisément à l’Esprit cosmique qui régnait, Yahweh, de la masse Terre-Lune fut extraite cette Lune, cette scorie cendreuse que vous voyez au ciel. Non seulement les sub­stances les plus grossières furent ainsi éliminées, mais aussi les êtres les moins affinés. Ainsi, grâce au départ du Soleil, il avait été évité que l’homme évolue trop rapide­ment, et le départ de la Lune eut pour résultat d’éviter qu’il ne soit voué au dessèchement, à la densification, à la momification.

La Terre est donc restée isolée de la masse, et l’évolution de l’homme s’y est poursuivie sous l’influence non pas des deux corps célestes, mais de leurs entités spirituelles : les six Esprits solaires, et l’Esprit de la Lune, qui s’en était séparé pour le bien de l’humanité. Et l’évolution fut diri­gée de façon telle que ces deux forces engendrèrent un équilibre. Grâce à l’éloignement des forces solaires d’un côté, des forces lunaires de l’autre, le développement de l’humanité a pris une allure normale.

Imaginez un peu - pour voir les choses sous un autre aspect - que seul le Soleil exerce son action sur l’homme. Vous savez que celui-ci évolue sur la Terre à travers de très nombreuses incarnations. Les hommes ont commencé par une première incarnation, ont reçu ensuite constamment de nouveaux corps, et passeront finalement par la der­nière. L’homme passe par une série d’incarnations. Ainsi progresse-t-il lentement en s’élevant d’incarnation en incarnation. Les humains prirent place tout d’abord sur la surface de la Terre en véritables bébés spirituels. Depuis que le Soleil et la Lune se sont séparés de notre Terre, ils se sont élevés jusqu’à leur niveau actuel. Toutes ces âmes reviendront habiter d’autres corps jusqu’à la fin de l’évolu­tion terrestre. Or pensez que si seul le Soleil avait agi sur l’homme, les humains auraient dû passer en une seule fois par toutes les expériences que leur apporte un grand nombre d’incarnations. Qu’un rythme juste se soit établi, cela est dû à l’équilibre dans lequel se maintiennent réci­proquement les forces du Soleil et celles de la Lune venant de l’extérieur.

Au moment ou l’un et l’autre s’éloignent, l’être humain commence à se former peu à peu. La première ébauche de l’homme actuel est alors créée. C’est en un temps où il ne se déplaçait nullement sur la Terre comme il le fait aujour­d’hui. Il ne faudrait vraiment pas croire qu’après la sépara­tion de la Lune l’homme cheminait sur Terre dans une forme de chair comme aujourd’hui. Tout d’abord, toutes les formes déjà présentes autrefois réapparaissent comme pour une récapitulation. Et quand la Terre fut libérée du Soleil et de la Lune, elle avait à peu près l’aspect de l’an­cienne Lune, elle était même moins consistante encore. Et si un œil constitué comme le nôtre avait regardé la Terre, il n’aurait pas pu y voir l’homme. Par contre, certains êtres y étaient qui n’étaient pas assez mûrs pour attendre encore. Ils ont dû prendre forme corporelle alors que leur déve­loppement était encore imparfait, de sorte que, quelque temps après la séparation de la Terre et de la Lune, cer­taines formes animales inférieures, ayant atteint la densité physique, étaient déjà visibles. L’être humain n’était pas encore descendu ainsi, ni même les mammifères supé­rieurs. L’homme était encore un être d’esprit, planant encore autour de la Terre ; il a puisé là la matière la plus subtile. Il s’est densifié progressivement jusqu’à pouvoir descendre là où le sol terrestre s’était déjà affermi, formant quelques îlots solides.

Nous voyons donc que les premiers hommes sont appa­rus relativement tard, et qu’ils étaient alors tout autrement constitués que l’homme d’aujourd’hui. Je ne puis vous décrire les formes de ceux qui, pour ainsi dire, se sont cris­tallisés ainsi à partir de l’élément spirituel. Bien que vous ayez déjà dû vous entendre dire beaucoup de choses diffi­ciles à admettre, vous seriez vraiment trop choqués si je vous décrivais les formes d’aspect grotesque des corps dans lesquels vos âmes étaient incarnées. Vous ne pourriez pas supporter une pareille description. Pourtant, à l’avenir, lorsque ces faits qui, grâce à notre courant spirituel anthroposophique, commencent seulement à parvenir à la conscience des hommes, conquerront de plus en plus cette conscience, il faudra faire connaître ces choses, qui auront pour la vie entière des hommes un immense succès, une signification considérable. Car c’est seulement en appre­nant comment son corps s’est développé, comment ses organes actuels se sont formés à partir de tout autres formes, que l’homme sentira l’étrange parenté entre des organes du corps humain qui se trouvent aujourd’hui apparemment bien éloignés les uns des autres. Il saisira alors la relation entre certains organes, comme par exemple l’appendice et la trachée qui, à l’origine, ne fai­saient qu’un chez ces êtres étranges. Tout ce qu’est l’homme aujourd’hui, c’est son être d’autrefois déployé, différencié de mille manières. Des organes aujourd’hui séparés étaient autrefois confondus, mais ils ont conservé des affinités qui se révèlent lors de certaines maladies : il apparaît alors que le mal qui atteint un organe doit néces­sairement en atteindre un autre. Les futurs étudiants en médecine auront à faire bien des découvertes que la médecine actuelle - qui est surtout un ensemble de nomenclatures - n’imagine même pas. Alors seulement, cette médecine comprendra vraiment ce qu’est la nature humaine. Tout cela seulement pour vous montrer à quel point la forme humaine était autrefois toute différente.

C’est peu à peu seulement que se sont ajoutées à la forme humaine les parties solides. À l’origine, même lors­qu’il était déjà descendu sur Terre, le corps humain n’avait pas encore d’os. Les os se développèrent à partir de sortes de filaments cartilagineux qui parcouraient le corps humain comme des cordons, provenant de substances encore moins consistantes, liquides à l’origine, plus anciennement encore devenues aériennes après avoir été de nature astrale, puis éthérique, c’est-à-dire faites d’une substantialité spirituelle densifiée. En fin de compte, tout ce qui est matière est issu de l’esprit. Tout est préformé dans l’esprit. C’est à la période que nous avons appelée atlantéenne seulement que l’être humain en est arrivé peu à peu à former son système osseux, qui n’existait aupara­vant que sous forme de tendance.

Pour mieux comprendre l’auteur de l’Apocalypse, il nous faut maintenant considérer de plus près cet homme de la Lémurie. Il suffit d’indiquer que, dans les premiers temps qui suivirent le départ de la Lune et la descente de l’être humain vers la Terre, sa volonté était de tout autre nature qu’elle ne le fut par la suite. À cette époque, la force de volonté humaine agissait par magie. Il pouvait, grâce à elle, agir sur la croissance des plantes ; lorsqu’il tendait sa volonté, il pouvait faire grandir rapidement une fleur, faculté qui ne peut être obtenue aujourd’hui que par des pratiques anormales. C’est pourquoi, autrefois, l’environ­nement naturel de l’homme était entièrement soumis à sa volonté. Lorsqu’il était bon, elle apaisait les vagues de la mer, les tempêtes, les ouragans de feu bouleversant l’at­mosphère, car la Terre était alors pour une grande part de nature volcanique. Sur tout cela, l’homme pouvait exercer une influence apaisante ou destructrice, selon que sa volonté était bienfaisante ou mauvaise. Des îles entières pouvaient s’effondrer sous l’action d’une volonté hostile. La volonté humaine était vraiment à l’unisson du milieu ambiant. Les continents alors habités par l’humanité furent détruits pour l’essentiel par la méchanceté des hommes, et seul un petit nombre de ceux-ci ont été sau­vés, c’est-à-dire qu’ils ont continué à s’incarner à l’ère sui­vante - une fois de plus, il faut distinguer ici entre révolution des races et celle des âmes. Cette ère suivante, nous pouvons la décrire plus exactement parce que, pour tout ce qui la concerne, on trouve dans le langage usuel des mots qui peuvent traduire ce qui se révèle à la percep­tion clairvoyante.

Après cette catastrophe, nous en venons à l’ère atlantéenne, époque où le genre humain se développe principa­lement sur un continent situé dans la partie du globe qui forme aujourd’hui le fond de l’océan Atlantique, entre l’Europe et l’Amérique. L’homme vit alors dans des condi­tions physiques, dans des conditions générales tout autres qu’aujourd’hui. Au début, il est ainsi fait qu’il perçoit tout autrement que l’homme actuel. Nous en avons déjà parlé dans la première conférence, et ultérieurement encore. Aujourd’hui, nous allons encore esquisser de façon un peu plus précise la nature très différente des perceptions humaines à ce moment.

L’homme était alors doté d’une sorte d’ancienne clair­voyance, parce que les éléments qui le constituaient étaient liés entre eux autrement qu’aujourd’hui. Son corps éthérique n’était pas encore aussi étroitement uni à son corps physique. La tête éthérique débordait de beaucoup la partie physique. C’est seulement vers le dernier tiers de l’ère atlantéenne que ce corps éthérique se réduisit et prit la forme de la tête physique actuelle. Du fait que cet ancien Atlante avait une tout autre forme que l’homme actuel, que sa structure interne était toute différente, toute sa vie consciente, toute la vie de son âme étaient aussi dif­férentes. Et ici il nous faut encore, si nous voulons bien comprendre l’auteur de l’Apocalypse, aborder un chapitre très important, mais aussi très mystérieux.

Si vous vous étiez trouvés sur cette ancienne Atlantide, vous auriez vu qu’elle n’était pas entourée d’un air aussi pur que celui de la Terre actuelle ; elle baignait dans une atmosphère alourdie de brouillards et d’eau. Cette atmo­sphère est devenue plus claire, plus transparente, à mesure que l’Atlantide évoluait. Ces brouillards étaient au plus épais là où la civilisation atlantéenne s’est déployée à un haut niveau. C’est de ces brumes les plus denses qu’est issu ce qui devait constituer le fondement des civilisations ulté­rieures. L’Atlantide était entièrement imprégnée de ces brouillards. Une alternance entre la pluie et le beau temps comme elle existe aujourd’hui était inconnue. C’est pour­quoi, sur cette ancienne Atlantide, ne pouvait pas se former ce que vous connaissez sous la forme de l’arc-en-ciel. Vous pourriez explorer toute l’Atlantide, vous ne l’y trouveriez guère. C’est seulement lorsque la condensation des eaux a produit le Déluge, lorsque l’inondation envahit toute la Terre, que le phénomène physique de l’arc-en-ciel a pu se produire. Et c’est là un des points où la science de l’esprit vous inspirera la plus grande vénération à l’égard des documents sacrés. Car quand il vous est raconté qu’après le Déluge, Noé, représentant de ceux qui sauvèrent le genre humain, vit le premier l’arc-en-ciel, il s’agit là vrai­ment d’un fait historique. Après le Déluge, l’humanité voit l’arc-en-ciel pour la première fois. Avant, il ne pouvait pas se former physiquement.

Et vous voyez ainsi combien profonds, combien vrais dans leur lettre même sont ces documents sacrés. Plus d’un aujourd’hui se sent troublé quand on dit que les textes sacrés sont vrais à la lettre. Certains citent une parole qui est vraie, mais que les paresseux citent en rai­son de leur paresse même : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie ». Ils en déduisent qu’ils sont justifiés à ne plus s’oc­cuper du tout des textes, à n’être en rien contraints de connaître ce qu’ils contiennent, parce que c’est « la lettre qui tue », disent-ils. Ils brillent alors de tout leur esprit qui se déploie en interprétations fantaisistes. Et en effet, dans leurs explications ces hommes peuvent être pleins d’es­prit, mais ce n’est pas cela qui importe : c’est au contraire de voir vraiment dans ces textes ce qui s’y trouve. Or, cette phrase : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie », a dans le langage mystique la même signification que la parole de Goethe :

« Et tant que tu n’as pas compris Ce : « Meurs et deviens ! »
Tu n’es qu’un hôte obscur Sur la Terre ténébreuse. »

Ceci ne signifie pas : si tu veux conduire quelqu’un vers la connaissance supérieure, il faut d’abord l’assommer - mais : l’homme doit s’élever à la spiritualité précisément grâce à la culture développée dans le monde physique. La lettre est aussi le corps de l’esprit, et il faut d’abord l’avoir et la comprendre, ensuite on peut dire qu’on en tirera l’es­prit. La lettre, une fois comprise, doit mourir afin que l’es­prit renaisse. Cette parole n’est pas une incitation à interpréter à notre gré ce qui se trouve dans les documents sacrés. C’est justement quand nous discernons la véritable signification de l’arc-en-ciel, par exemple, qu’en notre âme pénètre une profonde vénération envers ces textes. Et nous comprenons alors comment l’homme peut progresser vers un sentiment vrai, authentique, et une compréhension voulue des textes sacrés par une pensée approfondie grâce à la conception anthroposophique du monde.

Reportons-nous encore à l’ancienne Atlantide. Nous disions déjà qu’alors l’homme vivait dans un tout autre état de conscience, que sa mémoire était autre qu’aujour­d’hui. Mais la différence est encore bien plus considérable. Quand nous remontons loin, non seulement jusqu’à la fin de l’Atlantide, mais jusqu’à ses débuts, nous constatons que la conscience humaine est très différente de la nôtre.

Évoquons encore une fois la situation actuelle. Pendant la journée, l’homme se sert de ses sens. Le soir, il s’endort ; son corps astral et son Je se dégagent de ses corps physique et éthérique, qui restent dans son lit. Le champ de la conscience s’obscurcit. L’homme d’aujourd’hui ne voit rien, n’entend rien. Le matin, quand le corps astral et le Je plongent à nouveau dans les corps physique et éthérique, les objets physiques réapparaissent. Qu’en était-il aux pre­miers temps de l’Atlantide ? Prenons le moment où, le matin, l’être humain plongeait dans son corps physique et son corps éthérique. Il n’avait pas alors autour de lui un monde physique comme aujourd’hui. Tous les objets qu’aujourd’hui nous voyons avec des contours précis, vous les auriez vus très indistincts, comme nimbés d’une aura et de bords colorés, de même que par un soir de fort brouillard vous ne distinguez pas nettement les lumières dans les rues, mais en revanche des halos colorés autour des lampadaires. Ainsi en était-il sur l’ancienne Atlantide. On ne voyait tous les objets que confusément, sans les contours et les surfaces qu’ils ont aujourd’hui, tout étant comme enveloppé de brumes colorées. C’est peu à peu seulement que sont apparus les contours précis. Devant une rose, nous aurions vu dans les premiers temps de l’Atlantide s’ouvrir une forme nuageuse ayant au centre un cercle de couleur rose ; puis, peu à peu seulement, les cou­leurs extérieures se seraient comme déposées à la surface. Les contours des objets ne se sont précisés que plus tard.

Vous le voyez donc, l’environnement physique est aujourd’hui tout autre que sur l’ancienne Atlantide. Mais tout était différent aussi quand le soir vous vous dégagiez de votre corps physique en vous endormant, dirons-nous. Car, à vrai dire, ce n’était pas là « s’endormir » au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Certes, tout le monde des formes physiques nébuleuses subsistait en dessous de vous, mais un monde spirituel apparaissait qu’aucun contour ferme ne délimitait, dans lequel vous pénétriez, et où rési­daient avec vous les entités spirituelles. Ainsi alternaient le jour et la nuit dans les premiers temps de l’Atlantide. Lorsque l’homme descendait le jour dans son corps phy­sique, il ne percevait des objets physiques que des images imprécises et floues, mais lorsque la nuit il quittait son corps physique, il avait la possibilité, encore que confusé­ment, de vivre, esprit parmi les esprits, de cheminer parmi eux. Et surtout, toute la vie de la sensibilité était autre dans ces temps passés sur l’Atlantide. Vous n’auriez pas ressenti le soir, en vous dégageant de vos corps physique et éthé­rique, une fatigue, un besoin de repos. Ce repos, vous ne l’auriez pas trouvé, il vous fallait entrer dans le monde spi­rituel, qui était la sphère de l’activité. Vers le matin, par contre, vous aviez besoin de vous reposer, et vous recher­chiez alors en quelque sorte votre lit, c’est-à-dire votre propre corps, où vous restiez en repos. Vous vous glissiez dans votre propre corps, et vous preniez du repos durant la journée précisément.

Dans les premiers temps de l’Atlantide, tout était donc autrement que maintenant. Au cours de cette ère, l’être humain évolue en passant de ces conditions complète­ment différentes aux conditions ultérieures. Il y parvient dans la mesure où son corps éthérique entre peu à peu dans un rapport de plus en plus étroit avec son corps phy­sique, ce qui est accompli au dernier tiers de l’époque atlantéenne. Avant cet événement, l’homme avait l’im­pression d’être éveillé lorsqu’il se trouvait dans le monde spirituel. Cependant, il ne se disait pas à lui-même « Je », il n’avait pas conscience de lui-même. Quand il quittait ses corps physique et éthérique pour entrer dans la clarté de la nuit, il avait le sentiment d’être vraiment un membre de la spiritualité des hauteurs, il se sentait en quelque sorte dans l’âme-groupe d’autrefois comme dans un refuge. La nuit était toujours claire autour de lui, mais il ne se sentait pas autonome. Les humains, tels nos doigts par rapport à notre Je, se sentaient fondus dans les âmes-groupes qui apparaissent à la clairvoyance sous la forme des quatre têtes du Lion, du Taureau, de l’Aigle et de l’Homme décrites dans l’Apocalypse. L’homme se sentait transporté dans l’une de ces âmes-groupes. Et c’est seulement quand il avait regagné la coquille d’escargot de son corps qu’il avait l’impression de posséder quelque chose qui lui appar­tenait en propre. Car si l’être humain est devenu peu à peu un être personnel, c’est parce qu’il a pu s’enfermer dans son corps. Certes, cette inclusion dans le corps, il a dû la payer par l’obscurcissement graduel du monde spirituel qui finit par se retirer complètement de lui. En revanche, le monde d’en bas qu’il voyait quand il était dans son corps physique s’éclaira et se précisa de plus en plus. En même temps, il lui apparut de plus en plus qu’il était un Je personnel. Il apprit à se dire à lui-même « je ».

Si nous voulons caractériser ce qui se passa à ce moment, représentons-nous l’homme se dégageant de sa coquille, de son corps, pour pénétrer dans le monde spiri­tuel. Là, il vit parmi des entités spirituelles divines. Alors résonne de l’extérieur à son oreille son « nom », ce qu’il est. Pour l’un des groupes résonne le mot qui lui correspondait dans la langue primordiale, pour un autre groupe un autre mot. Car l’humain ne pouvait pas se nommer lui-même, il lui fallait l’entendre résonner de l’extérieur. Lorsqu’il quittait sa coquille d’escargot, son corps, il savait qui il était parce que son nom avait retenti à son âme comme un appel. Maintenant où il apprenait à percevoir dans son corps son environnement physique, il apprenait aussi à se ressentir comme un Je, à sentir en lui-même la force divine dont la résonance lui parvenait autrefois de l’extérieur. Il apprenait à sentir le dieu en lui-même. Et le dieu qui lui était le plus proche, ce dieu qui ébauchait en lui le Je, il le nomma Yahweh, celui qui guide le Je. Il sentit tout d’abord la force de ce dieu s’éveiller dans son Je.

Des événements extérieurs furent liés à ce processus. Quand l’ancien Atlante plongeait ainsi dans son corps physique, il voyait bien aussi, derrière, l’espace céleste, et comme nous l’avons dit il voyait bien, non pas un arc-en-ciel, mais quelque chose comme un disque coloré là où plus tard apparut le Soleil. Le Soleil n’avait pas encore la force de percer, mais cette force agissait à travers le brouillard. Elle agissait sur la Terre, mais retenue, entravée par la brume. Le Soleil se précisait de plus en plus, si bien que cet éveil de la conscience individuelle que nous avons décrit s’est effectué parallèlement à l’apparition du Soleil hors de la brume. Ce qu’il y avait là-haut, là où les six autres Esprits avaient leur séjour alors qu’avec Yahweh ils avaient à diriger l’évolution terrestre, put apparaître peu à peu et manifester son activité sur la Terre.

Que s’était-il passé avec l’homme ? Antérieurement, lorsque la nuit il se dégageait de son corps, il baignait par son esprit et par son âme propre dans une clarté intérieure, astrale, qui ne dépend nullement du Soleil physique. Cette clarté autour de lui, c’était la même lumière, émanée de puissantes entités spirituelles, qui allait plus tard rayonner physiquement, venant du Soleil. Mais lorsqu’il fut de plus en plus enfermé dans sa conscience physique, la porte des visions intérieures se ferma pour lui. L’obscurité l’entoura désormais lorsque, ayant quitté son corps physique et éthérique, il entrait la nuit dans le monde spirituel. Mais dans la même mesure où il s’enfermait en lui-même, la lumière extérieure, qui révèle les actes des entités spiri­tuelles, lui apparut. La lumière émanant de ces entités brillait désormais sur la Terre. Et l’homme se préparait à considérer la lumière extérieure comme quelque chose de matériel. Dans son être intérieur maintenant enténébré, la lumière brillait, mais elle ne fut pas comprise par les ténèbres.

Ce fut là un processus cosmique se déroulant dans l’his­toire du monde. À ce moment, l’homme a payé d’un obs­curcissement spirituel la conquête de la conscience de soi. Il a ainsi perdu la clarté dans laquelle il percevait les âmes- groupes. Mais ce n’était là encore que la toute première aube de cette individualisation. De longues, de très longues périodes allaient s’écouler avant qu’elle ne fût vraiment réalisée. L’ère atlantéenne en vint à sa fin, le Déluge se déchaîna. L’ère postatlantéenne commença, l’antique civilisation indienne se déroula. La conscience de soi n’était alors pas encore développée. Puis vinrent les époques perse et égypto-chaldéenne. L’être humain qui mûrit développe toujours mieux la conscience de soi. Enfin vient la quatrième civilisation. Alors se produit un événement d’une importance infinie, dont tout ce qui s’était passé auparavant n’était que la préparation.

Imaginez-vous transportés de la Terre sur une étoile lointaine et, doués de clairvoyance, abaissant vos regards vers la Terre du haut de cette lointaine étoile. Vous verriez alors que cette Terre n’est, physiquement parlant, qu’un corps physique et que font partie d’elle encore un corps éthérique et un corps astral, comme chez l’être humain. Tout cela, la Terre l’a aussi. Vous la verriez entourée de son aura, et à travers les millénaires vous pourriez suivre le développement de cette aura terrestre. Vous verriez cette Terre entourée de toutes sortes de couleurs, au milieu le noyau physique et tout autour une aura aux formes et aux couleurs diverses, baignant dans cette atmosphère spiri­tuelle de la Terre. Vous verriez ces formes et ces couleurs se modifier diversement au cours des millénaires. Mais un moment viendrait, un moment d’une grande importance, où l’aura tout entière prend une autre forme et d’autres couleurs. La Terre apparaît alors, vue de l’extérieur tout d’abord, dans une lumière nouvelle. La chose s’est passée avec une rapidité si considérable qu’on est obligé de se dire : À partir de cet instant, la Terre a passé par une trans­formation fondamentale, l’aura terrestre a été complète­ment modifiée. Quel est donc cet instant ? C’est celui où, sur le Golgotha, le sang a coulé des plaies du Rédempteur. C’est un moment de la plus haute importance, le plus important de toute l’évolution terrestre. Le moment où le sang coule des plaies du Rédempteur est celui où l’aura de la Terre prend une forme nouvelle. Une force entièrement nouvelle intervient, donnant à l’évolution terrestre l’im­pulsion la plus puissante, dont tout ce que nous avons vu jusqu’à présent n’a été que la préparation.

Pour le chimiste, le sang répandu sur le Golgotha est le même qu’un autre. Mais il est tout autre. Cet événement signifie que ce sang physique se répand sur le sol et que l’esprit qui l’habite imprègne l’aura de la Terre d’impul­sions et de forces nouvelles pleines d’importance pour l’évolution future de l’humanité. Il irradie des impulsions qui transforment toute la Terre et dont le rayonnement traverse l’homme. Seule une petite partie de ce qui s’est ainsi uni à la Terre a pu porter fruit aujourd’hui. Les hommes apprendront de mieux en mieux à comprendre ce que la Terre est devenue grâce à ce moment sur le Golgotha, et ce que peut devenir l’homme dans la conscience qu’il a conquise, comme il a été décrit, depuis l’Atlantide.

Qu’a donc conquis l’homme depuis l’Atlantide ? - Deux choses : la conscience du Je et la faculté de voir le monde extérieur. Le monde spirituel, autrefois ouvert pour lui, s’est fermé. Car en vérité, ces hommes du passé ont vu ce dont parlent les mythes ultérieurs : Wotan-Mercure, Jupiter-Zeus, ils ont vu la nuit ces êtres, ils étaient la nuit parmi eux. Mais le seuil qui menait à ces entités spirituelles a été barré. En revanche, l’homme a fait la conquête du monde qui l’entoure. Les esprits et tout ce qu’il pouvait voir autrefois ont disparu à ses yeux. Lorsqu’il se glissait hors de la coquille de son corps phy­sique, il voyait la divinité ; maintenant, pour qu’il puisse la percevoir, il fallait qu’il la voie avec son corps. Ce qui ne signifie rien d’autre que l’obligation d’admettre l’existence de cette divinité sous une forme corporelle, visible, la conscience humaine étant orientée vers la vision physique. C’est pourquoi il fallut que l’Être divin prenne lui-même forme corporelle, physique, et qu’il apparaisse une fois au cours de l’évolution terrestre dans un corps de chair. Il devait apparaître ainsi parce que l’homme avait progressé jusqu’à cette forme de perception, à laquelle le divin devait s’offrir afin que l’homme puisse le comprendre. Tous les phénomènes qui s’étaient produits autrefois aux autres stades de l’évolution devaient se parachever dans cet événe­ment central de l’évolution terrestre qui projettera sa lumière à nos yeux sur l’avenir tout entier, que nous allons voir maintenant se révéler dans l’Apocalypse : dans cet évé­nement qui apparaît physiquement dans les gouttes de sang coulant vers la Terre, mais qui, perçu par la clair­voyance, apparaît comme ce qui s’élève et transforme l’aura de la Terre. La force ainsi déversée collaborera avec la Terre jusqu’à la fin des temps. Avec elle, quelque chose de tout à fait nouveau a été uni à l’âme, à l’esprit de la Terre tout entière. Ce qui est le principe du Christ s’est à ce moment uni à celle-ci, et elle est devenue le corps de ce principe du Christ, si bien que les mots sont littéralement vrais : « Celui qui mange mon pain me foule aux pieds. » Quand l’homme mange le pain de la Terre, il mange le corps de la Terre, c’est-à-dire le corps de l’Esprit de la Terre qui depuis l’événement du Golgotha s’est uni à elle. Et l’homme marche à la surface de ce corps, il le foule aux pieds. Il faut prendre toutes ces choses à la lettre pour acquérir la possi­bilité de comprendre ce texte selon sa réalité.

Pour un homme comme l’auteur de l’Évangile de Jean, tout ce qu’il savait, tout ce qu’il avait pu saisir par sa clair­voyance devait l’inciter à comprendre le plus grand événe­ment de l’évolution terrestre. De ce qu’il a pu apprendre par la clairvoyance, il se disait : Il faut que je l’utilise pour comprendre la figure du Christ et son action. - Se servir de toute science de l’occulte pour expliquer l’événement du Golgotha, tel fut ce à quoi tendait celui qui écrivit l’Apocalypse. Dans ce qu’il pouvait apprendre de la science de l’occulte, il ne voulait rien voir d’autre qu’une sagesse mise au service de la compréhension de cet évé­nement qu’il a proposé à notre âme de façon si gran­diose, et dont nous allons voir maintenant ce qu’il est devenu pour lui.

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Pascal Patry
Praticien en psychothérapie
Astropsychologue
Psychanalyste

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