Les trois savoirs (l’étroit savoir ?)

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Les trois savoirs (l’étroit savoir ?)

Pascal Patry praticien en psychothérapie, thérapeute et astropsychologue à Strasbourg 67000
Publié par Pascal Patry dans Psychothérapie · Mercredi 03 Août 2022
Tags: Lestroissavoirs(l’étroitsavoir?)
Les trois savoirs (l’étroit savoir ?)

“Le non-savoir est la voie où l’Être se forme”
Lacan [1]

La formation des futurs analystes constitue le problème capital d’une Institution ; problème d'autant plus délicat à résoudre que sa solution ne consiste pas à transmettre une technique, mais à permettre au candidat une ouverture sur son “Être”.

Il est habituellement convenu que la formation doit pouvoir faire acquérir un “Savoir”, un “Savoir Faire” et un “Savoir être” ; qu’en est-il de ces trois savoirs dans le domaine qui nous préoccupe ?

Le “Savoir” est supposé acquis pendant les études universitaires en psychologie, il appartient à chacun de l'entretenir et de le compléter.

Le “Savoir-Faire” est le fruit d’observations faites par le candidat au cours de son cursus, et pendant les journées de formation, par la rencontre avec plusieurs analystes. Ce parcours peut être comparé au cheminement des Compa­gnons du Tour de France qui apprenaient en regardant pratiquer différents “Maîtres”.

Le troisième volet comporte la plus grande difficulté, car plus qu’un “Savoir Être”, il aborde l’évolution vers l’Être même du futur thérapeute ; et cela n’est plus du même ordre, c’est de l’ordre de la connaissance. Si le savoir est indispensable, il n’est cependant, pourrait-on dire, que la rampe de lancement, que nous devons quitter, dépasser pour une toute autre dimension, celle de l’être où opère notre fonction sentiment.

Dans “Aîon” (1951), Jung consacre une place importante à la fonction sentiment au chapitre qui a pour titre “Le Soi”. Cela nous fait saisir à quel niveau il place cette fonction. Saint Augustin proposait comme étymologie à “religieux” non pas “religare” (relier), mais “religere” c'est-à-dire l’acte d'évaluer avec scrupule, avec rigueur, le numineux qui nous fonde pour en prendre la mesure par un jugement du cœur.

« La fonction sentiment - fonction d'évaluation - écrit Élie Humbert, joue un rôle décisif. S'il est vrai que la pensée et l’intuition démêlent les repères, les liens et les ruptures, c’est par le sentiment que l'analyste apprécie les accents, les silences, les mille nuances opératoires de la relation transférentielle. C’est pourquoi la différenciation du sentiment est capitale dans la formation d’un analyste. » [2]

Nous pensons parfois que la psychanalyse se transmet sur le divan, cela nous permet d’éluder l’épineuse question de la transmission. Avoir été psychanalysé est nécessaire pour devenir analyste, mais cela n'est pas suffisant ; illustrons ceci par une comparaison (en l'occurence fort lointaine de la réalité analytique) : pour pratiquer une intervention chirurgicale, il est indispensable de prendre toutes les précautions utiles : en premier lieu il faut aseptiser le milieu et les instruments ; c'est cela l'analyse personnelle. En analyse, l’instrument, c’est l’inconscient du thérapeute, c’est son Être tout entier. S’il nous faut prendre toutes précautions pour ne pas contaminer (par projection et contre-transfert) cela n’est pas suffisant, il faut aussi l’art et le cœur du thérapeute pour mener l’œuvre à bien.

Nous ne pouvons pas faire de l’Être un objet du savoir sans retomber dans le positivisme d’un Auguste Comte qui proclamait : « Savoir pour pouvoir, pouvoir pour agir », situant le savoir comme instrument de pouvoir sur la nature d'abord, mais aussi sur l'homme. N’a-t-il pas créé, vers la fin de sa vie, une religion avec son "catéchisme positiviste", son temple et son culte, religion dont il se proclama le grand prêtre !

Accessible dans l’expérience vécue du moment présent, l’Être reste cependant insaisissable, on ne peut l’appréhender même par la pensée, sans le figer aussitôt en un “étant”. L’Être échappe à toute saisie intellectuelle, nous ne pouvons que participer à son mystère. Si je cherche à en faire un objet d’expérience, je m’en suis déjà détaché, et je n’en analyse qu’une représentation, une image. Rechercher une voie vers l’Être ne peut aboutir qu’à une impasse. Car la voie c'est le mouvement, c'est le Sens qui n’est pas direction vers un but. Toute tentative visant un “Savoir être” est tentative d'appropriation. On ne peut, dans ce domaine, aller vers quelque chose car on met alors l'accent sur la stratégie du résultat et sur la méthode qui devient prépondérante. L'erreur c'est de croire qu'il existe des chemins privilégiés menant à destination, car la véritable voie est celle qui ne vise rien.

Le psychanalyste n'a rien à enseigner, ni doctrine, ni méthode, ni compréhension d'aucune sorte ; il place sim­plement son interlocuteur dans une position telle que son rapport à lui-même et au monde s'en trouve sensiblement modifié.

« On ne peut pas chercher son Être, nous dit Dürckheim. Bien sûr, il est tout à fait naturel de dire « je le cherche », mais en vérité, il y a là un mouvement qui le repousse ; donc au contraire, il faut dire « je dois me laisser trouver » parce que l'Être ne fait rien d'autre que nous chercher…
C'est une force qui nous cherche et si nous disons « Je cherche mon Être » nous faisons là un mouvement exis­tentiel alors qu'il s'agit justement d'une expérience essen­tielle, et nous ne pouvons pas remplacer le mouvement qui vient de notre essence par un effort existentiel. Il faut pouvoir se mettre à l'écoute de ce qui nous appelle et se laisser trouver. » [3]

L'approfondissement, vers l'intériorité de l'Être s'opère dans un mouvement allant du Moi vers l'infini du Soi, là où je ne suis plus quelqu'un placé face à l'énigme du monde, mais comme personne traversée par le mystère.

M'approfondir, c'est me dépasser comme Moi super­ficiel, c'est traverser disait Baudouin, traverser sur l'autre rive, la rive de l'Autre, afin de me découvrir peu à peu au plus intime de moi-même. Cet acte n'est pas satisfaction d'un besoin du Moi, mais “inspiration” de celui-ci par la transcendance du Soi. Cet approfondissement vers l'intimité de mon Être n'est pas orienté vers un but défini et stable. C'est un processus toujours inachevé ; si donc j'arrête le mouvement pour m'établir à une étape, je retombe dans la position mortifère de l'ego qui se suffit à lui-même : mes valeurs ont peut-être changé dans leur contenu, mais tout se passe comme si mon acte d'approfondissement n'avait été qu'un acte d'appropriation. L'arrêt est impossible : qui n'avance pas recule. L’évolution vers notre intimité nous invite vers une intimité plus profonde. Tout regard en arrière pour une auto-satisfaction est suspension du mou­vement donc déchéance mortifère.

Yahvé dit à Loth « Ne regarde pas derrière toi et ne t’arrête nulle part » (Genèse XIX - 17).

« Or la femme de Loth regarda en arrière, et elle devint une statue de sel » (Genèse XIX - 26).

La découverte de l’existence intime est indissolublement liée à la rencontre d’autrui. Si je suis incapable de respecter la personne en autrui, je reste fermé à la dynamique du Soi. L’ouverture de mon vécu et de ma conscience temporelle vers l’existence d’autrui s’opère dans un accompagnement mutuel. Alors l’autre n’est plus un objet d’étude, ni un objet à contrôler, mais un sujet à part entière auquel je m’ouvre.

Martin Buber écrit : « Au commencement est la relation, qui est une catégorie de l’Être ».[4] Mais ce com­mencement n’est pas l’origine, car il est continuel, il chemine avec nous. L’homme ne progresse que dans l’échange avec l’autre.

L’analyste se forme essentiellement dans une pratique “accompagnée” pour éviter les dérapages ou la sclérose théorique. Certains nomment cette étape “super-vision”, cela ne me convient pas ; d’autres parlent de “contrôle” et je ne suis pas d’accord ; je dirais volontiers “accompa­gnement” en référence au compagnonnage dont j’ai parlé précédemment.

Avec son “accompagnateur”, c’est dans l’échange d’une véritable relation que l’analyste débutant parviendra à mettre en forme une pensée qui émerge en lui, mais qu’il devra clarifier. C’est par ce travail qu’il éclairera son parcours dans les moments difficiles.

L’accompagnateur n’a pas de réponse aux problèmes posés par le patient au candidat analyste, mais par sa présence, son écoute et ses interventions, il est un catalyseur de pensée.

Cela nous amène, pour conclure, à aborder le niveau éthique d’une vraie rencontre analytique. Lorsqu’aban­donnant le besoin narcissique compulsionnel de valorisation de nous-mêmes, nous acceptons l’aventure d’une ouverture vers l’inconnu, alors avec Rilke, nous pouvons dire : « Au fond, le seul courage qui nous est demandé est de faire face à l'étrange, au merveilleux, à l'inexplicable que nous rencontrons ; celui-là seulement qui s'attend à tout, qui n'exclut rien, pas même l'énigme, vivra les rapports d'homme à homme, comme de la vie, et en même temps ira au bout de sa propre vie ».

Pour cela il nous faut beaucoup d'humilité ; humilité dont Baudouin nous disait que son « rôle propre est d'être dans la “personne” le représentant de “l'autre” ; elle est le mémento nous avertissant que notre réalisation personnelle est incomplète si elle ne se dépasse pas elle-même par la reconnaissance de tous et du tout ; en cela, elle est vraiment une “vertu surnaturelle” » [5]

L'éthique est une instance qui m'ouvre aux obligations que j'ai envers autrui, et à la valeur infinie de chaque “Être” que je rencontre. Rencontre qui, dépassant le besoin de l'autre, m’engage dans la voie du désir de l'Autre, absolument Autre, là où la philosophie devenant silencieuse je découvre mes limitations ; car pour l'homme, écrit Jung, « la question décisive est celle-ci : te réfères-tu ou non à l'infini ? » [6].

Comprenons bien qu'ici il est fait référence à l'expérience du “Soi” que nous pouvons vivre à des moments privilégiés de notre vie. Jung précise en effet que « la plus grande limitation de l'homme est le Soi. … Seule la conscience de mon étroite limitation dans mon Soi me rattache à l'illimité de l'inconscient » [7]

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Source : Ballade pour un jeune thérapeute - Paul Montangérand - Ancien Président de la société de psychanalyse et de psychothérapie de Genève.

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Notes :

[1] - LACAN - Écrits p. 335. Seuil 1966.
[2] - Élie HUMBERT. « Jung » p. 52. Éditions Universitaires 1983.
[3] - K.G. DÜRCKHEIM. « L’Éveil du Cœur » p. 111, in Itinérances.
[4] - Martin BUBER. « Le Je et le Tu » in « La Vie en Dialogue ». Cerf 1959,
[5] - Charles BAUDOUIN. « Psychanalyse du Symbole Religieux » p. 159. Arthème Fayard 1957
[6] - JUNG. « Ma Vie » p. 369. Gallimard 1970.
[7] - JUNG. « Ma Vie » p. 369. Gallimard 1970.

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