La parole est d’argent, le silence est d’or

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La parole est d’argent, le silence est d’or

Pascal Patry astrologue et thérapeute à Strasbourg 67000
Publié par Pascal Patry dans Psychothérapie · 1 Août 2022
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La parole est d’argent, le silence est d’or

Jung, un jour, écrivait : « Je me suis donné comme fil conducteur la règle pragmatique de W. James « Vous devez dégager la valeur pratique immédiate de chaque mot et la mettre en œuvre dans le cours de votre expérience. Il apparaît alors moins comme une solution que comme un programme pour davantage de travail, et plus particuliè­rement comme une indication sur la façon dont les réalités existantes peuvent être changées. Les théories deviennent des instruments et non des réponses sur lesquelles on peut se reposer. » [1]

« Au moment où l'on se fait l'idée d'une chose, on est parvenu à saisir l'un de ses aspects, et l'on succombe régulièrement à l’illusion d’avoir capté l’ensemble. Cette illusion que l’on se fait à soi-même procure, il est vrai, la tranquillité et la paix de l’âme : l’inconnu est dénommé, ce qui est loin a été rendu proche, si bien qu’on peut le toucher de la main. On en a pris possession et il est devenu une propriété inaliénable, comme un gibier abattu qui ne s’enfuira plus. » [2]

Paradoxalement, dans certains cas, la psychanalyse s’instaure par une rupture de la communication telle qu’elle est vécue dans les relations interpersonnelles journalières.

Cette réflexion m’était venue un jour en écoutant un “Champion” de la communication, animateur de stage, chez qui, curieusement “communication” devenait syno­nyme de “remplissage”, par une escalade d’arguments monologués. Remplissage du vide insoutenable de l’infini de l’autre et de soi-même.

Depuis, j’ai souvent entendu des discours volubiles de patients à la recherche d’une satisfaction hallucinatoire, qui m’ont confirmé dans mon hypothèse.

Mais le danger n’est pas unilatéral, il existe aussi pour l’analyste poussé inconsciemment dans la voie d’une recherche de communication par le dialogue. Cette attitude peut renforcer chez le patient une réaction négative issue du sentiment qu’ayant obtenu ce qu’il voulait, il ne constate aucune amélioration.

L’analyste qui croit devoir expliquer ne respecte pas l’autre dans son intimité. Vouloir tout clarifier est parfois un meurtre psychique du patient, c’est utiliser d’une manière perverse le transfert, c’est aliéner celui qui est venu nous trouver pour accéder à sa parole.

Je ne sous-estime pas la part de suggestion qui habite tout transfert, mais je veux souligner l’importance capitale d’une écoute attentive afin de ne pas en accentuer les effets.

L’analyste doit le respect au patient dans son étrangeté, car c’est en elle que réside sa créativité. Le plaisir de comprendre l’analysant peut entraîner le thérapeute vers un excès d’interprétations, alors que sa fonction est de permettre au patient de créer lui-même des liens entre ses pensées.

L’interprétation risque de devenir un outil de mépris par idéalisation d’une référence théorique univoque qui, dans son projet devient un rejet. « Il me fallait, écrit Jung, insister sur la nature incompréhensible de ces derniers (rêves) pour m’empêcher de tenter, sur la base de certains présupposés théoriques, des interprétations dont je ressentais, non seulement qu’elles étaient insuffisantes, mais en outre qu’elles étaient propres à porter atteinte aux formulations naïves et spontanées du patient. » [3]

Ferdinando Camon dans son livre “La maladie humaine” nous apporte un témoignage intéressant :

« Pendant toute la séance le radiateur diffusait une chaleur intense. De temps en temps, il faisait un petit bruit sec, comme pour se rappeler à notre attention. Ces craquements, que produisait le métal en se dilatant à mesure qu’augmentait la température, devenaient partie prenante dans notre conversation, ou dans nos silences, et finissaient par y jouer un rôle essentiel. »

« J’ai fait un rêve que je ne comprends pas bien, et je voudrais vous le raconter ».

Petit bruit sec : « Vas-y, il fait bon ici, je réchauffe la pièce exprès pour toi. »

J’exposais mon rêve. Puis, nous nous taisions (un long silence faisait toujours suite à l’exposé d’un rêve ; parfois, j’achevais mon récit en cinq minutes, après quoi nous n’ouvrions plus la bouche jusqu’à la fin de la séance ; mais à la faveur de ce silence, le rêve se clarifiait dans mon esprit comme dans le sien.

Le silence est à la communication ce que la chambre noire est à la photographie : le lieu où l'on développe la photo).

Je songeais, en écoutant dans ce silence les petits bruits du radiateur :

« Qu’il est beau, par un après-midi d’hiver, d’écouter sans mot dire un radiateur se dilater. On pourrait en faire un poème ».

Ça me fait plaisir de ne l’avoir jamais vu en train d’écrire, de n’avoir jamais aperçu de papier ou de stylo sur sa table, ni avant ni après la séance.

J’en retire l’impression que ce qui s’est passé entre nous est resté entre nous ; que chacun s’est entièrement voué à l’autre, sans rien concéder aux autres.

Il me semble que tout analyste qui prend des notes au cours des séances devrait, quand l’analyse est terminée, convoquer son patient à une petite cérémonie supplémentaire : l’autodafé de ses papiers, qu’il brûlerait dans une cheminée.

Les heures passées en silence rem­plissent exactement cette fonction : tout ce qu’on dit est brûlé séance tenante.

Le radiateur électrique est comme un feu, il craque et crépite. Sa chaleur est sèche. » [4]

N’allons pas conclure après cela que l’analyste doit être muet et se retrancher dans une position caricaturale, mais retenons de ce récit deux éléments :

1°. la valeur “révélatrice” du silence ;

2°. l’importance de la qualité d’une relation de confiance qui s’est instaurée entre l’analyste et son patient ; confiance indispensable à la régression.

L’analyste doit être à une place juste dans un double mouvement d’accueil et de mise à distance ; il doit contenir mais ne pas retenir aux moments difficiles où s’amorce la régression. Régression indispensable, mais parfois terri­fiante, vers l’infini de l’intériorité qui se vit le plus souvent dans le domaine de l’imago maternelle.

Et c’est bien là que doit jouer le tact de l’analyste dont nous parlait Baudouin en insistant sur l’humilité, qualité majeure de l’analyste. L’humilité nous engage à reconnaître notre ignorance, et à respecter ce qui va émerger de l’autre ; elle nous invite à beaucoup de discrétion dans nos interventions.

Psychanalyser, c’est être capable de donner un maximum d’intérêt et de disponibilité sans céder aux demandes implicites du patient d’établir un compromis défensif contre la régression.

La régression, disions-nous, ramène dans le domaine de l’imago maternelle, et nous comprenons le sentiment d'humiliation qu'éprouvent certains patients face à la “Mère analyste” toute-puissante, qui sait tout et veut tout savoir ; cela provoque une réaction compréhensive et saine de retrait pour survivre.

Une interprétation, même exacte, si elle est inopportune signe le besoin de conclure, issu d'une inquiétude ou de la volonté de puissance de l'analyste.

Il est nécessaire que la relation patient-analyste s'ouvre sur un espace transitionnel dans un cadre stable et rassurant permettant la bonne distance - ni trop proche ni trop lointaine.

Dans la cure, le rapport contenant-contenu précisé par le cadre analytique, permet, par sa constante, au transfert véritable de s'établir et de devenir opérationnel. Ainsi, les fantasmes peuvent se muer en représentations diversifiées.

Le thérapeute est mis à l'épreuve par le patient dans sa capacité de l'entendre ; chaque analysant met le thérapeute à l'épreuve de son renouvellement. La parole de l'analyste doit ouvrir un espace “poétique” (poïétique), celui de la créativité ; elle doit provoquer un questionnement qui place le patient dans les conditions propres à le rendre sensible à ses organisations psychiques ; conditions par lesquelles il peut s'écouter et se comprendre lui-même.

Une patiente me disait un jour : « C'est très difficile de mettre mes pensées dans des mots, pour me les faire comprendre. En analyse, j'apprends à parler avec moi-même ».

L'écoute de l'analyste est responsable de la parole du patient ; silences et interventions doivent être dosés en fonction de chaque situation.

Le silence de l'analyste doit disposer de cette mobilité qui le rend vivant ; le patient en perçoit les nuances subtiles qui l'engagent dans une relation de confiance propice à son écoute intérieure.

« La psyché, écrit Jung, ne peut jamais connaître quelque chose au-delà d'elle-même, mais à l'intérieur d'elle-même peuvent bien se rencontrer deux étrangers. Ils ne sauront bien sûr jamais ce qu'ils sont en soi, mais comment ils s'apparaissent mutuellement. » [5]

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Source : Ballade pour un jeune thérapeute - Paul Montangérand - Ancien Président de la société de psychanalyse et de psychothérapie de Genève.

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Notes

[1] - JUNG G.W. IV. p. 110.
[2] - JUNG.W. IV. p. 110. JUNG. « Les Racines de la Conscience » pp. 478-479. Buchet Chastel 1970.
[3] - JUNG. « Les Racines de la Conscience » p. 524. Buchet Chastel 1978.
[4] - Ferdinando CAMON. « La Maladie humaine » pp. 122-123. Gallimard 1984.
[5] - JUNG. « Psychologie et Éducation » p. 45. Buchet Chastel 1963.



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Pascal Patry
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