Fondement anthropologique de l’approche clinique

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Fondement anthropologique de l’approche clinique

Pascal Patry astrologue et thérapeute à Strasbourg 67000
Publié par Pascal Patry dans Psychologie · 11 Février 2023
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Fondement anthropologique de l’approche clinique

Sur quoi repose l’option prise dans l’approche clinique de considérer l’autre dans sa singularité unique, dans son unicité ?

Bien entendu sur le fait que c’est une caracté­ristique particulière de l’être humain de pouvoir être considéré de ce point de vue. Il s’agit d’un choix méthodologique à partir d’une conception anthropologique :

• je conçois l’homme comme étant particulièrement intéressant si je le considère comme un être unique : c’est une conception anthropologique présupposée (je pourrais partir d’une autre conception anthropologique : l’homme est particu­lièrement intéressant si je le considère comme faisant partie d’une espèce parti­culière qui lui donne des caractéristiques spécifiques générales : psychologie générale).

• je décide méthodologiquement de l’approcher de ce point de vue, en mettant en place, techniquement, ce qu’il faut pour que la rencontre ait lieu en étant centrée sur l’autre. Je considère que, si je veux le comprendre, lui, je dois le rencontrer de cette façon.

Ce qui est antinomique de l'astrologue qui analyse la même chose chez trois personnes ayant un même aspect dans leur thème natal ! Pure absurdité !

Quelle est la conception anthropologique qui sous-tend l’approche clinique en psychologie ?

La psychologie clinique s’est mise progressivement en place à la fin du XIXe siècle.

Elle a d’abord puisé ses sources dans la tradition philosophique occidentale. Depuis la tragé­die et la philosophie grecques, en passant par la théologie chrétienne, une tradition s’est progressivement mise en place en occident pour considérer chaque homme comme décideur de lui-même, rationnel, responsable de son destin et de ses fautes, soumis à des lois extérieures à lui (lois religieuses, lois de sa culture, lois de sa conscience morale, lois de la raison, lois de Dieu…).

De Socrate à Bergson, en passant par saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, par Descartes, Hegel et Sartre, cette tradition philosophique nous con­duit au XXe siècle à une conception individualiste de l’homme, conception qui insiste, particulièrement dans la tradition chrétienne, sur l’unicité de chaque être humain.

Cha­que homme est une structure pensante ; chacun est voulu par Dieu et responsable devant lui. Mais au-delà et en deçà de cette visée religieuse une conception de l’homme se dessine et se théorise.

L'homme est une structure globale

L’homme est un système, une Gestalt, c’est-à-dire un ensemble composé d’élé­ments (de parties) pour lequel le tout est plus et autre chose que la somme des parties. Cela veut dire que l’homme n’est pas une simple addition de morceaux. Par exemple, la méthode expérimentale en psychologie ne postule pas cela puisqu’elle étudie en labora­toire des aspects particuliers du comportement des personnes.

Donc, pour le clinicien, l’homme forme un tout, et il prétend le saisir, le rencontrer, l’étudier, en tant que tout. On refuse de le réduire à une ou l’autre de ses parties. Par exemple, on refuse de le réduire à son intelligence, ou à son affectivité, ou à son statut social. Chacune de ces caractéristiques d’un individu n’est qu’un aspect de l’ensemble et n’a de signification que dans l’ensemble. Dans les pratiques, la plupart des professionnels en sont venus à cette conception : pédagogie, psychomotricité, médecine générale, organisation des ins­titutions, etc.

Cette position méthodologique qui consiste à considérer l’homme comme une structure globale n’est pas seulement un a priori idéologique. Ce serait le cas si cette approche se fondait uniquement en réaction à la façon dont la société actuelle traite l’individu humain : le découper, le « déshumaniser », ne s’intéresser qu’à certains aspects et pas à d’autres.

C’est une idéologie fondée, bien que discutable dans la mesure où l’individu et les groupes humains peuvent toujours contester cette déshumanisation. On touche là à une des dimensions paradoxales de la personne : elle s’unifie, se globalise (y compris dans du collectif), mais en même temps elle se divise elle-même, se multiplie, plus ou moins heureusement. De telle sorte qu’affirmer d’emblée la globalité de la personne est une tautologie, une lapalissade, dont la fonction est davantage idéologique, politique.

En psychologie clinique au contraire cette prise en compte globale fait voir des caracté­ristiques de la personnalité que ne montrent pas les approches découpées : la cohérence et la permanence. La cohérence implique que le système humain est composé de sous-ensembles interdépendants les uns des autres selon des lois qui sont à élucider et qui lui donnent un équilibre dynamique.

La permanence, c’est la cohérence dans le temps de la personne, qui lui donne son style, son système de représentations et de valeurs, ses habitudes, à travers les conflits et les déséquilibres qui ne manquent pas d’occuper son quotidien. Cette permanence relative est évidemment un aspect capital de l’échange social et de l’histoire individuelle et collective. Sans cohérence et sans permanence, pas d’institutions humaines possibles.

L'homme est une structure qui a du sens

L’ensemble n’est pas dû au hasard. L’ensemble est organisé selon certaines lois qui ne sont pas seulement les lois de l’organisme naturel (étudié par les sciences de la nature). L’ensemble HOMME est aussi organisé selon les lois de la culture. Ces logiques qui informent l’homme ne sont pas seulement d’ordre rationnel, au sens où la raison est l’apanage de la conscience. L’homme est aussi informé par des logiques irrationnelles, mystérieuses pour la raison consciente.

Freud a découvert le premier certains éléments de ces logiques psychiques à partir de la psychopathologie, et particulièrement celle des névroses, des psychoses et des perversions. Il a dénommé ces logiques qui donnent un sens caché à nos conduites l’incons­cient, transformant ainsi un adjectif en substantif. Il a construit une théorie de l’inconscient dont il trouve l’origine et la trace dans les premiers désirs sexuels de l’enfance de tout être humain.

Claude Lévi strauss, un ethnologue français, a lui aussi découvert d’autres logiques implicites qui structurent l’échange social et les rapports dans lesquels les humains se mettent les uns en référence avec les autres : ce sont les structures de la parenté. Il découvre que nous établissons des liens de parenté selon des logiques implicites, non conscientes, et ce sont ces structures qui définissent certaines possibilités d’échange que nous nous autorisons.

Par exemple, la loi de l’interdit de l’inceste ne nous autorise pas à échanger du sexe (du plaisir sexuel, des partenaires amoureux) avec quelqu’un de notre famille, de notre tribu, de notre clan. Mais ce qui forme un clan varie dans l’espace et dans le temps selon les cultures et les usages ; en Occident, actuellement, ce sont les parents, les frères et sœurs, les oncles et tantes…

Un autre découvreur des logiques implicites qui donnent du sens à la structure Homme est Ferdinand de Saussure, un linguiste suisse. Il découvre que toute langue humaine est composée d’un système de signifiants (les sons) et d’un système de signifiés (les sens), et que chacune des deux faces du signe est indépendante de l’autre. Le système des sons et le système des sens ont leur logique propre.

L'homme est une structure qui produit du sens

Freud a compris que tout homme produit du sens en s’adressant à autrui, en se mettant en rapport avec autrui, que cet autrui soit quelqu’un de concret (le père ou la mère pour l’enfant) ou quelqu’un de semblable, d’une manière générale. Il découvre que le mot « sens » n’est pas seulement assimilable à « raison » ou à « rationalité ».

Par exemple, il se rend compte que les enfants (1) ne disent pas que des bêtises (du point de vue de la rationalité logique), mais que ce qu’ils disent a du sens pour qui sait l’entendre, selon la logique de l’inconscient, selon la logique du Sujet de l’inconscient. C’est la même chose pour le rêve (2).

Du point de vue de la logique rationnelle le rêve n’a pas de sens. Du point de vue de la logique du Sujet de l’inconscient, cela a un sens, caché au sujet de la conscience. Freud découvre également que les lapsus, les actes manqués, les oublis (3) ont un sens caché qui dépasse le sens de la logique rationnelle. Il a appelé ces ratés de la langue, de l’agir et de la mémoire « notre psychopathologie quotidienne », dans la mesure où ils répondent à la même logique que le symptôme (4) dans la névrose, la logi­que de l’inconscient ou la logique du refoulement.

Il découvrira plus tard que les bla­gues, les mots d’esprit (5), relèvent du même mécanisme. Si nous rions, c’est parce que le refoulement est en partie levé et que les pensées inconscientes affleurent dans l’échange social conscient. Nous rions de ce « tour » joué à la conscience refoulante.

Donc, ici, le psychologue clinicien décide de se centrer sur cette caractéristique de tout humain de produire du sens dans son rapport à autrui et à lui-même.

Il est évident que, si tout humain produit du sens et par là se fait lui-même humain, ce sens est à la fois culturel (il s’inscrit dans une culture et dans un système de communication) et psycho­logique, c’est-à-dire subjectif (cela a du sens pour lui). Le sens est donc toujours à la fois partageable (culturel) et non-partageable (subjectif). Quand un humain semble ne plus produire aucun sens partageable (idiotie, coma grave, maladie mentale grave) on dit, dans le langage commun, qu’il en est réduit à un niveau végétatif.

En effet, les plantes, les végétaux, ne produisent pas du sens. Dans les professions centrées sur la relation humaine, on est confronté à des situations de rencontre avec des humains qui semblent ne plus produire du sens, ou qui produisent du sens non partageable. Toute pathologie mentale nous confronte au non-sens apparent.

Cela signifie en fait que nous ne pouvons pas partager immédiatement le non-sens apparent des conduites « pathologiques » de ceux qui souffrent de maladie mentale ou de handicap grave.

Ce qui ne veut pas dire qu’eux ne partagent pas le sens de nos conduites « normales ». On peut entrevoir ici une première approche du terme « normal » : est « normal » quelque chose dont le sens est partageable.

Dans nos difficultés à partager du sens avec un autre humain, handi­capé ou malade, ou simplement bébé, au-delà des moyens limités dont dispose notre interlocuteur, on peut toujours aussi se demander si ce n’est pas de notre côté que réside la difficulté à partager le peu de sens qu’il produit.

Nous verrons plus loin quels sont les obstacles qui peuvent nous en empêcher. Il est évident qu’un professionnel de la relation doit pouvoir disposer d’une très large palette de sens partageable avec n’importe qui.

L'homme est une structure qui produit du sens par l’acte de parole

C’est en parlant qu’on se révèle être un humain. L’inconscient est structuré comme le langage, c’est une sorte de langage. Il répond aux lois de la symbolique humaine, comme le langage.

Nous aurons à découvrir et à étudier ces lois fondamenta­les de la symbolique spécifiquement humaine. Retenons seulement que cette caractéris­tique spécifiquement humaine, mise en lumière en psychanalyse par Lacan, psychanalyste français, à la suite de Freud, ne concerne pas seulement l’acte concret de parler avec des mots à quelqu’un qui comprend cette langue (ce que nous faisons tous tout le temps), mais le fait primordial que l’être humain vit de désirs et que ces désirs attendent toujours de quelque manière d’être reconnu par quelqu’un, d’être déchiffré, d’être entendu, d’être interprété, et pas essentiellement d’être réalisés.

On voit que le mot « désir » prend chez Lacan un autre sens que dans le langage courant. Il désigne dans la théorie lacanienne cette exigence spécifique qu’a tout humain de demander à autrui de la « reconnaissance » nécessaire à son existence.

Là aussi « reconnaissance » a un autre sens que le sens habituel ; il s’agit d’être reconnu, qu’on nous dise qui nous sommes. Tout être humain, parce que sa structure est humaine et non animale, est sus­ceptible de décoder du sens humain et d’en produire à partir d’abord des besoins fonda­mentaux de son organisme biologique.

Quand un bébé humain a faim (le besoin), il n’a pas seulement faim au sens biologique du terme, il cherche (demande) à retrouver aussi des sensations concomitantes de l’apaisement : la voix, le regard, les caresses.

Il a donné du sens à ces sensations et a besoin de l’autre pour les retrouver (désir). Il demande le « regard de l’autre » et ce regard lui donne du sens à lui.

L'acte de parole inclut toujours un rapport à autrui

« Si maintenant nous considérons que celui qui parle n’a rien à vendre, alors nous com­prenons que ce que nous appelons inconscient représente une relation à l’autre qui passe par une relation à soi, à sa langue, à ses pulsions et à son corps, étant entendu que, pour s’atteindre soi, il faut passer par un autre à qui l’on parle. J. P. Winter.»

L’homme ne trouve son sens et ne produit du sens que dans un rapport à un semblable. Cela veut dire que l’homme ne trouve son sens que dans le lien social, même si le lien se limite au social commun et pas à quelqu’un de précis.

C’est pourquoi le rapport social le plus intime est capital pour le nouveau-né. Il ne devient humain véritablement qu’à partir de ce rapport social que des générations de pédagogues et de parents ont appelé « amour ». Cela veut dire clairement que dès la naissance et sous l’effet de la prématu­ration spécifique à l’être humain, à partir de la détresse immense dans laquelle se trouve le nouveau-né, l’homme est en état d’« aliénation sociale radicale », de dépendance sociale.

Il n’existe, il n’a du sens, que dans ce rapport social dont il dépend. On comprend pourquoi, à partir de la puberté, on va passer une partie importante de sa vie à tenter de se dégager de cette aliénation sociale, pour essayer d’être vraiment soi-même, sans jamais y parvenir.

C’est cela qui fera dire à Lacan : « nos désirs impliquent toujours l’autre, visent toujours l’autre ». Mais, en même temps, ce sens nous ne pouvons le rece­voir d’autrui (avec un petit « a ») qu’à travers un système symbolique de signification (la langue, les systèmes de parenté…) qui n’appartient ni à l’un, ni à l’autre.

C’est pour­quoi Lacan dit aussi : « le sens on le reçoit de l’Autre » (avec un grand A). Ceci est clair par exemple pour le nom de famille et le prénom qui doivent supporter notre identité. Nous les recevons de l’autre (petit a), les parents, les aïeux, les ascendants ; mais nous les recevons aussi de l’Autre (grand A) parce que notre nom et notre prénom font partie d’un système symbolique de signifiants qui varie d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre.

Par exemple Robinson fait référence au système de parenté de la culture écos­saise et anglaise ; Dupont au système de parenté français ; Délia Cerda au système de parenté espagnol, etc.

Il y a aussi une autre aliénation, qui n’est pas sociale ; ce sont les gènes, les pulsions, le soi profond et primitif, les caractéristiques physiques. Il est évident que cela, qui ne dépend pas de nous, n’est pas vraiment nous ; nous ne l’avons pas choisi et nous ne le connaissons pas très bien parce que cela a été immédiatement recouvert par la culture. C’est « l’autre » en nous, mais un autre « autre » que celui qui nous vient de l’environ­nement.

Tout le monde sait que les adolescents, au moment où on peut tenter de se réapproprier ce qu’on est, tentent toujours de quelque façon d’identifier et de s’approprier cet « autre » génétique. Ce n’est pas très facile et surtout pas très agréable, parce que notre idéal imaginaire a du mal à accepter les caractéristiques physiques et caractériel­les qui ne nous plaisent pas.

Cette conception de l’homme a une conséquence majeure sur l’approche clinique : le professionnel est une des données de la rencontre. Il y est engagé au même titre que le client, même si ce n’est pas à la même place. Cela veut dire que le client se révélera dif­férent d’une rencontre à l’autre, et que le professionnel ne sera pas le même d’un client à l’autre.

L’approche clinique freudienne décide de prendre cela en compte. Elle désigne cet aspect spécifique de la rencontre humaine par les concepts de transfert et de contre transfert. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Retenons pour le moment que l’approche clinique, telle qu’elle est décrite ici, prend en compte la dimension intersubjective. Cela a comme conséquence immédiate qu’il est exclu, d’un point de vue méthodologique et technique, d’envisager une approche clini­que qui se réduirait à l’application de recettes qui seraient censées pouvoir être effica­ces dans n’importe quelle situation donnée sans tenir compte de la variable subjective du clinicien.

Remarquons aussi que la pédagogie semble avoir découvert tardivement que l’apprentissage est meilleur quand il tient compte de la variable subjective.

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Source : Bernard Robinson - Psychologie clinique - de boeck.





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Pascal Patry
Praticien en psychothérapie
Astropsychologue
Psychanalyste

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